lundi 21 avril 2025
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Au Pavillon Noir, le corps en lutte 

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kata, Anna Chirescu © X-DR

L’art de la guerre

En préambule de sa pièce maîtresse, Anna Chirescu présente la plus brève et plus intime Kata. Donnée au Pavillon Noir dans une version abrégée – de plus amples développements s’y grefferont par la suite – Kata surprend par sa radicalité. La danseuse y décline les quelque 26 poses et enchaînements issus du karaté avec vigueur, grâce et conviction. 

Le son et le souffle y jouent un rôle crucial : la création musicale signée Grégory Joubert s’y greffe en live, et le dispositif rôdé, précis, guerrier se mue peu à peu en une entité nouvelle. La vidéo prend le relais pour rendre compte d’un dialogue empêché, confus, obsédant : le spectre de Ceausescu, le trauma encore prégnant de la dictature s’y manifestent. La figure du père, son émancipation par le geste artistique – et martial – émergent de ce dispositif proche de l’invocation. Les images, les sons, restent gravés dans la rétine.

Martyres

Anna Chirescu, Ordeal by water © Romy Berger

Au retour de l’entracte, l’installation plastique conçue par Grégoire Schaller pour Ordeal by water semble avoir pris possession du plateau. La musique, jouée en live par le guitariste Simon Déliot, se fait plus percutante. Rythmée, épaisse, elle scande la pulsation rapide de cette danse acrobatique inspirée, elle aussi, d’un sport de combat. En combinaison rouge vif, coiffée d’un conséquent masque en grille métallique, Anna Chirescu se plie avec inventivité au langage de l’escrime, et aux tout aussi impressionnants pas de côté dictés par sa chorégraphie. 

On devine, dans ce corps affûté d’une précision et d’une acuité saisissantes, les années passées du côté de chez Cunningham à Angers. L’héritage classique de cette danse encore athlétique se fait sentir, sans pour autant interférer avec la modernité tranchante du geste. Ici encore, le récit prend une autre tournure en chemin. Le corps se dénude, les lumières se tamisent, et la pièce prend un tournant mystique inspiré : celui de l’ordalie, jugement réservé aux sorcières qui se devaient, une fois jetées à l’eau, d’émerger pour prouver leur innocence. Sacrifié, le corps nu de la danseuse semble s’ouvrir, se défaire, s’étirer sous toutes les coutures pour traverser, coûte que coûte, une épreuve entre ciel et terre – ou du moins à la croisée des matières. Créée en 2023 à la Ménagerie de Verre, cette pièce résolument visuelle résonne au Pavillon Noir comme un appel inspiré à une renaissance au féminin. On n’eût pu rêver plus à propos.

SUZANNE CANESSA

Spectacles donnés le 6 mars au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

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Le Cirque Le Roux à l’assaut du GTP

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ENTRE CHIENS ET LOUVES © Le Bon Marché RiveGauche

Créé au Bon Marché, haut lieu du shopping de luxe, Entre chiens et louves a depuis tracé son chemin loin de la rive gauche parisienne. Le dispositif, monumental décor aux atours haussmanniens, s’animant au gré des humeurs et passages de ses habitants, perd peut-être de sa pertinence loin des gravures Art déco et des lustres opulents qui l’ont vu naître. Il gagne cependant en espace et en impact sur un public fasciné de bout en bout par les prouesses de ses circassiens et la grâce de son propos. 

État sauvage

Conçu dans un cadre on ne peut plus bourgeois, le spectacle étonne cependant non seulement par son inventivité, mais également par son anticonformisme. Pensé à destination d’un public familial, Entre chiens et louves raconte l’émancipation de personnages brimés par leurs époques et diktats conjugaux. Louise, contemporaine de la construction du bâtiment – aux alentours de 1870 – ne rêve que d’aller danser, au grand dam de son nigaud de mari ; et Maud, rêveuse des swinging sixties, découvre non sans appréhension son attirance pour les femmes. Alex, installé de nos jours avec son compagnon et un colocataire un brin envahissant, découvre les journaux intimes de ces locataires et reçoit la visite de fantômes plus ou moins bienveillants. 

Portés par de grands classiques et la musique originale subtile d’Alexandra Streliski, les artistes émeuvent sur de tendres duos, impressionnent par l’inventivité de leurs gestes et exploits en tous genres, sous la direction de Charlotte Saliou à la mise en scène, Léonard Kahn à la dramaturgie et Maria Carolina Vieira à ladramaturgie du geste. Portés à quatre étages, barre russe, doubles mâts chinois, mains à mains, contorsions … Si la virtuosité impressionne, elle émeut également dans sa capacité à capter une joie du collectif, notamment dans une très belle scène de bal viennois, joliment déjantée.

SUZANNE CANESSA

Spectacle donné les 4 et 5 mars au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

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Theodora, l’éclectisme musical

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Theodora au Makeda © AMLR_PHOTO

Ses fans l’attendaient avec impatience… C’est l’année dernière que son ascension a commencé avec la sortie de son single KONGOLESE SOUS BBL qui a explosé et a résonné un peu partout depuis. Il a été suivi par la sortie sa mixtape Bad Boy Lovestory (2024), que le jeune public sur place connaissait par cœur. 

Sur scène, la chanteuse était accompagnée de son frère, Jeez Suave, aux platines et au chant.

La Boss Lady bouge les lignes 

Originaire de la diaspora congolaise, elle amène sur la scène une musique qui transcende les frontières musicales avec une voix qui sonne comme de la variété française, des textes qui s’inspirent du franc-parler du rap et des sonorités afrocaribéennes et électroniques. Elle se frotte même au Rnb, au rock et joue avec la pop – hyperpop, indie pop…

Pour sa deuxième fois à Marseille, elle a opté pour une scénographie plus sobre qu’à son habitude. Cela  a suffi à son public pour l’acclamer toute la soirée : on entendait « Boss Lady », son pseudo, en écho résonnant dans la petite salle du Makeda.

L’artiste de 22 ans affiche une féminité sans complexe et affirmée, qui donne à la jeune génération, de femmes afrodescendantes notamment, un nouvel élan d’émancipation. Un concert qui a permis de célébrer la journée des droits des femmes. 

LILLI BERTON FOUCHET 

Concert donné le 8 mars au Makeda, à Marseille

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Des bleus à l’âme

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À Marseille, les arts décoratifs déclinent leurs collections et leurs différents pigments bleus, sur le corps, la faïence, la peinture. Plus allégorique la Passion bleue à Toulon est celle de la mer, jusque dans ses tragédies. Et tandis qu’à la Friche on cherche à verdir la ville pour la rendre, par bribes, habitable, à Gap le Cercle de Midi avance que la ruralité a des modèles de production culturelle inédits. Un avenir en vert, un avenir en bleu ? 

Les couleurs n’ont de réalité physique que notre perception, notre regard qui saisit les fréquences lumineuses et en transmet le message, à décoder. Produit de notre cerveau, sujet de nos subjectivités, la couleur est difficilement dissociable de sa symbolique. Le vert, couleur écologique, s’affranchit peu à peu de la verdeur des pousses et de la naïveté de la jeunesse mais y reste, inconsciemment, associé. Le rouge, couleur du combat et de la vivacité, est aussi celui du sang, de la violence effrayante. Mais le bleu ? 

Couleur de l’infini du ciel et de la mer se reflétant l’un l’autre, est aussi celui des uniformes et de la douleur, des bleus à l’âme, des mots bleus, du blues et du spleen. Et des petits garçons, construits sur une opposition binaire avec les petites filles en rose. Que les suffragettes anglaises refusèrent en adoptant le violet féministe comme une alliance, en elles, des deux genres. 

Rainbow warrior

Décrétée « couleur incontournable en 2024 » par les magazines de mode et de déco d’intérieur, la résurgence de la couleur bleue aurait-elle à voir avec le retour de la droite, voire du masculinisme, sur la scène internationale ? Les différentes nuances de bleu, surtout marine, s’affichent aujourd’hui comme un symbole d’apaisement face au mélange des genres, aux revendications féministes, au rainbow flag LGBTQI+, au rouge communiste, au vert écologiste, bref, à toutes les couleurs woke. 

Comme une force sourde, imposant leur robustesse, les artistes aujourd’hui rappellent que le bleu est aussi la couleur que les coups laissent sur les corps. Stanislas Nordey incarne Henri Alleg qui imposa ses convictions communistes face à l’armée tortionnaire pendant la bataille d’Alger. Les Suppliques rappellent que l’horreur du Vél’d’Hiv était légale et perpétrée par 9 000 Français en uniforme aux ordres de l’État français. Que le bleu de la loi a quelquefois viré au brun. 

Face à cet azur sombre, celui du Flamenco Azul se revendique inclusif, mondial et populaire. Marseille ouvre le portail Mars Imperium et explore sans complaisance sa mémoire impériale,  coloniale et post-coloniale. Et le Dictionnaire des Marseillaises convoque une autre histoire qui tarde à s’écrire dans l’espace public. 

L’ouverture sur le monde d’un Babel Minots s’exerce dès le plus jeune âge : la joie bigarrée de la jeunesse, rebelle à l’uniforme qu’on veut lui imposer dans les écoles, reste étrangère à la couleur dominante de l’apaisement, tourne le dos au ciel qui s’assombrit. Dans sa diversité inclusive elle ouvre un autre chemin, vers un ciel strié d’un arc-en-ciel triomphant.

AGNES FRESCHEL


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L’humanité en peinture

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humanité
© MiVaGo

MiVaGo, alias Michèle Van Goethem Villain, est une artiste-peintre autodidacte aux influences nombreuses : initialement attirée par la peinture dite classique, mais parfois déjà quelque peu subversive pour son temps, à l’instar de celle de Jérôme Bosch, elle s’est ensuite intéressée aux œuvres de David, de Delacroix, de Gustave Moreau, … du XIXème en général, avant de porter une attention particulière aux artistes modernes que furent les Fauves et les Expressionnistes. Matisse, Bonnard, Soutine, Ensor sont devenus pour elle des références. Travaillant par séries, sa pratique artistique se rapproche de l’expressionnisme, avec des personnages non réalistes, parfois difformes, traduisant une certaine forme de grotesque social, et flirtant parfois avec le non figuratif. 

Contrastes et harmonie

Après une exposition monographique l’été dernier à La Galerie à Pierrefeu du Var, sa nouvelle exposition personnelle a lieu au Pôle des Arts Visuels de l’Estaque, du 15 au 25 mars. L’artiste y « interroge la société et ses conventions, offrant une vision à la fois poétique et critique du monde contemporain ». Avec un travail à l’huile sur toile ou sur papier, portant une attention particulière au travail des contrastes thème / couleur, et à l’équilibre composition / couleur. Le tout comme un antidote à la mélancolie inhérente au thème qu’elle aborde : « L’humanité est-elle réellement enchantée, ou bien désenchantée ? ».

MARC VOIRY

Humanité Enchantée
Du 15 au 25 mars
Pôle des Arts Visuels de l’Estaque, Marseille

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Trois minutes de plaisir

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ricardo
© Claire Gaby

Dans le cadre de son projet Aller vers…, qui invite le spectacle vivant dans des lieux non dédiés, le Théâtre du Gymnase a commandé au jongleur et circassien Ricardo S. Mendes un parcours de 17 numéros, à travers 17 lieux marseillais. Intitulé À fond de balles !, cette carte blanche commençait ce vendredi 7 mars en plein centre ville, au Kiosque à musique de la Canebière, avec un format inattendu, et intimiste malgré le cadre. 

Le bon équilibre 

Par petits groupes, les spectateurs sont invités à monter les marches du kiosque pour assister à une performance de trois minutes, au plus près de l’artiste. « Vous préférez quelque chose de plutôt dynamique ou de plutôt doux ? » demande Ricardo à chaque nouveau groupe, après avoir serré la main de tout le monde, créant une complicité avec et dans le public. « Il est fatigué, demandez lui plutôt du doux », lancent les membre d’un groupe aux suivants. Juri Bisegna, son complice musicien déguisé en balle jaune, adapte le rythme sur sa petite table de mixage selon les demandes du public, et Ricardo S. Mendes adapte sa performance. Il y incorpore des mouvements de break-dance et de capoeira, descend au sol, se laisse glisser sur le carré de pelouse artificielle sur lequel il est installé, ou au contraire envoie ses longues jambes en l’air. Ses numéros « doux » sont d’autant plus impressionnants lorsqu’il fait voler ses balles tout en lenteur. Il y a dans ces moments quelque chose de poétique, mais jamais de très sérieux. De presque magique aussi, quand il fait tenir six balles en équilibre sur son visage. 

© Claire Gaby

Le but recherché est avant tout le lien avec le public plutôt que la perfection technique. Joueur, l’artiste commente d’ailleurs ses quelques ratés sans jamais s’interrompre. Un premier spectacle plein de complicité et d’humour, qui donne envie de connaitre les autres tours qu’a Ricardo dans son sac. 

CHLOÉ MACAIRE

À fond de balles ! continue jusqu’au 16 mars dans différents lieux de Marseille.
Dans le cadre de la programmation Hors-les-murs du Théâtre du Gymnase.

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Étranger à sa terre

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stranger

Dans la famille Stranger, vivent quatre générations de femmes. Annie, dit Mamère, qui, dans la grande maison décrépie du North-End, quartier défavorisé de Winnipeg dans la province de Manitoba au Canada, a pris sous son aile protectrice sa fille Margareth qui rêvait d’être avocate mais a dû renoncer après être tombée enceinte d’un « blanc » qui l’a abandonnée. EtElsie, sa petite fille, maman de Phoenix et Cedar, deux jeunes adolescentes, dont les pères, plus souvent en prison que dehors, ne se sont jamais occupés. 

Tragédie sociale

Quand Mamère décède, Margaret jette sa fille Elsie à la rue. Cette dernière tombe dans la toxicomanie et ses filles passent de famille d’accueil en famille d’accueil. Si Cédar parvient à intégrer l’université et à s’en sortir, sa grande sœur, Phoenix enceinte à 15 ans, rongée par la colère et la tristesse, est emprisonnée à la suite de délits. Elle entre elle aussi dans la tragédie sociale vécue par un grand nombre de membres des communautés amérindiennes locales.

Les Autochtones, Métis ou « sang mêlés », déracinés, déshérités acculturés, sont victimes au Canada d’un racisme systémique qui en fait des communautés fragilisées à l’extrême malgré les lois sensées les protéger. « Les enfants autochtones se suicident plus que n’importe quel groupe dans le monde, s’indigne Phoenix, les anciens nous apprennent que nous sommes sacrés […] ce n’est pas notre faute si on est aussi triste. C’est à cause de tout ce qui se passe autour de nous, de tout ce qu’on nous fait ». 

Frères, oncles, fils, les hommes Stranger parcourent le roman, dans le meilleur des cas, de leur inutilité, le plus souvent en imposant au groupe leurs comportements nuisibles ettoxiques. Ils sont ceux par qui les problèmes et les drames arrivent, à l’exception de Ben, vieil homme médecine indien qui visite chaque semaine Phoenix dans sa prison et tente de la guérir de cette haine qui l’habite et la détruit. 

© Vanda Fleury

Autochtone, Katherena Vermette a grandi à Winnipeg. En quelques livres couronnés par plusieurs prix, elle est devenue l’une des voix les plus fortes et singulières de la littérature canadienne contemporaine.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Les filles de la Famille Stranger, de Katherera Vernette  
Albin Michel - 23,9 €

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Girl in a band est de retour

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girl in a band
Avenoir © X-DR

Quand on a une bonne idée, il est bon de s’y tenir. C’est ce que fait le festival Girl in a Band, qui après un premier essai en 2024 très réussi, est de retour ce printemps pour une nouvelle édition. Sa marque de fabrique reste donc la même : mettre en avant les artistes femmes dans les cultures rock. Ici, tous les groupes alignés doivent compter au moins une femme dans la formation. Même chose derrière les platines, ou sur les murs pour une grande exposition. Seul changement à noter, il quitte le Leda Atomica et s’installe non loin de-là, à la Maison Hantée – ou plutôt dans sa salle adjacente qui ouvrira pour l’occasion (oui, oui) – les 14 et 15 mars.

Pastis Agressif 

Le vendredi, plusieurs noms bien connus de la scène marseillaise se pointent. Avenoir et sa charismatique chanteuse Sacha, la psyché-post-punk de Venus as a Boy, ou encore Offman, porté par le fraternel duo Marie-Fleur et David Hofman. On attend aussi le nouveau groupe Pastis Agressif, dont on espère que la musique sera aussi réjouissante que le nom, ou le retour de la pop-shoegaze des Parigo-Marseillais de Picture of my Dog. Une courte nuit plus tard, cinq autres groupes débarquent avec notamment Catchy Peril, nouvelle figure de la scène punk marseillaise, les puissant·e·s Belphegorz, le duo Clameurs, ou la nouvelle formation Ciao

Outre les formations, de nombreuses surprises sont attendues pendant deux jours. Des DJs passeront dans une cabine confectionnée et décorée pour l’occasion, le collectif féminin Antichambre sera une nouvelle fois présent pour des sessions photos… et les illustres lasagnes de la Maison Hantée laisseront place à une recette spécialement conçue pour le rendez-vous. 

NICOLAS SANTUCCI 

Girl in a band
14 et 15 mars
La Maison Hantée, Marseille

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Le festival « nouv.o.monde » s’ouvre sur un « Mikado » plein d’adresse

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Une course entre les vignes sous le soleil estival : le film de Baya Kasmi commence sur les chapeaux de roue par une scène haletante et fébrile. Un gendarme apporte une assignation à comparaître au tribunal de Marseille à Michaël Gozzi alias Mikado qui arrive à bout de souffle, au moment où le représentant de l’ordre questionne un petit garçon laissé seul dans la pinède, sur l’identité de ses parents. Non ce n’est pas mon fils, c’est celui d’un voisin,  affirme Mikado avant de l’étreindre après le départ du gendarme, anxieux de ce qu’a pu dire l’enfant qui l’appelle papa. L’explication de cette attitude étrange viendra assez vite et l’histoire de Mikado et de sa petite tribu se dévoilera progressivement.

Mikado (Félix Moati), sa femme Lætitia (Vimala Pons), leur fille adolescente Nuage (Patience Munchenbach) et leur jeune fils Zéphyr (Louis Obry) vivent dans un vieux van bricolé. Ils font la route joyeusement vers le sud, tremblant à chaque contrôle routier comme des hors-la-loi, cachant, dès qu’un képi apparaît, leurs enfants, sous une couverture. On apprend qu’ils ne les ont jamais déclarés, ne les ont jamais scolarisés. Mikado et Lætitia sont des cabossés de l’enfance. Lui, traumatisé par l’abandon de sa mère et les maltraitances d’une famille d’accueil. Elle qui a également connu les foyers de la DDdass. Tous deux veulent protéger leurs petits d’une société qui n’a pas su le faire pour eux.

Une pause à la villa

Mikado est toujours en colère, sur le qui vive, tenaillé par la peur d’être exclu. Son surnom vient-il de la déformation de son prénom ? Du jeu d’adresse qu’il garde sur lui ? Ou de son instabilité sensible ?

La panne de leur van et la rencontre d’un professeur de lettres, Vincent (Ramzy Bedia), veuf, père de Théa (Saül Benchetrit), une ado de l’âge de Nuage, va arrêter cette fuite en avant et bouleverser les vies de chacun. Dans la belle villa de Vincent où ils font halte, les points de vue se croisent : chacun va mieux comprendre l’autre et apprendre à l’apprivoiser.

Mikado finit par réaliser que les enfants, on les croit heureux parce qu’ils vous sourient mais qu’ils ne peuvent pas faire autrement car ils ne décident de rien. Pas même de leurs prénoms. Ceux des siens les vouent à la légèreté et l’instabilité de l’air mais ni Nuage, ni Zéphyr n’ont choisi d’être marginalisés, précarisés, déscolarisés, invisibilisés. L’amour des parents, indispensable, ne suffit pas pour se construire une vie. Nuage rêve de « normalité » et Zéphyr est heureux de se poser.

Chronique sociale, récit d’apprentissage, le film de Baya Kasmi, superbement éclairé par  Romain Le Bonniec, bénéficie d’un casting impeccable. C’est beau et triste comme la chanson de Nino Ferrer, La Rua Madureira, que la famille entonne en chœur dans le van. Une bossanova qui caresse et déchire, flottant dans la tête longtemps après le générique de fin.

ELISE PADOVANI

En salle le 9 avril

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La tempête des passions mauvaises

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charles Berling
C'est si simple l'amour © Vincent Berenger

L’écriture du dramaturge suédois, emporté par le Covid en 2021, est d’une hallucinante virtuosité. Comme peu d’auteurs dramatiques savent le faire, il laisse reposer la compréhension de ses pièces sur les seuls dialogues entre les personnages. Ici deux couples, Alma et Robert, acteurs qui viennent de jouer une première, et Hedda et Jonas, leurs amis. 

Dans le huis clos d’un salon bourgeois ils se déchirent, le temps d’une nuit, et se révèlent, s’agressent, se soutiennent, s’aiment et se haïssent, sans que l’on sache vraiment, au fond, ce qu’ils jouent et ce qu’ils vivent, quand ils mentent, fantasment, ou parlent vrai, et quelle est la réalité des sentiments qu’ils éprouvent. « Je plaisante… », disent-ils quand ils sont allés trop loin, c’est à dire dès les premières répliques. Puis le whisky aidant, les paroles sortent sans retenue, au-delà des frontières de l’irréparable. Qui adviendra, on le sait tous, mais comment ?

Les sentiments fusent 

La mise en scène de Charles Berling est d’une simplicité qui a tout de l’évidence : plaçant une partie du public sur scène, et une autre tout prêt, il sature l’espace de regards et de corps, reflétés encore par des surfaces métalliques réfléchissantes, fausses fenêtres où la pluie glisse mais dont aucun air ne provient. Ainsi, il enferme ses acteurs dans un enclos irrespirable. Et les laisse se débattre comme des tigres en cage, lui même jouant Robert, acteur maladivement jaloux de son épouse maladivement sarcastique. 

Au plus près, les spectateurs frémissent d’un verre qui se brise, d’un mouvement brutal. Le rire fuse aussi, comme un soulagement, les dialogues laissant aussi surgir un comique ironique salvateur. La violence sexuelle, l’échec et le renoncement, l’amertume, l’ennui, la jalousie surtout, du succès et du corps, de l’amour et de l’envie, tous les sentiments, les souvenirs, strient l’espace, comme habité aussi par un traumatisme historique. Alma, porte en elle une pulsion de mort et Lars Norén, qui déclarait regretter de ne pas être juif, n’échappe pas au stéréotype de la belle artiste juive intellectuelle ténébreuse et stérile. Bérengère Warluzel, judicieusement et constamment excessive, l’incarne à fleur de peau, entourée par Alain Fromager monstrueux mais constamment délicat, Caroline Proust frustrée et drôle jusqu’à l’épouvante, et Charles Berling, souverain de distance, et de colère. 

AGNÈS FRESCHEL

C’est si simple l’amour a été créé le 5 mars au Théâtre Liberté, Scène nationale de Toulon. Il est donné jusqu’au 21 mars.

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