Depuis octobre 2014, le cinéma Le Gyptis à Marseille a accueilli près de 270 000 spectateurs. Et pour célébrer ses 10 ans, il propose un grand week-end cinéphile avec avant-premières, ateliers pour petits et grands, rencontres et ciné-concert.
Le vendredi 4 octobre à 19 h, c’est le film d’animation de Gints Zilbalodis, Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, en présence de l’équipe du film, qui lance cet anniversaire suivi d’une fête au D12, l’école de danse à quelques pas de là.
Le lendemain, de 16 h à 19 h, on pourra participer à des ateliers (gratuits sur inscription) puis regarder un film documentaire de Raoul Peck sur Ernest Cole, un photographe sud-africain en colère face au silence ou à la complicité du monde occidental devant les horreurs du régime de l’apartheid.
Dimanche cinéma
Le dimanche, trois films sont présentés dont un ciné-concert à partir de 14h30 : le fameux Jour de fête de Jacques Tati, accompagné par le groupe Diallèle (post-rock-saxophonisé). Suivi à 16h30 de Moi, ma mère et les autres de Iair Said, où l’on suit David, trentenaire, en surpoids, homosexuel et ayant une peur maladive de l’avion, qui retourne à regret dans son Argentine natale pour assister à l’enterrement de son oncle. Un film présenté par un·e cinéaste de l’Acid – dans le cadre de la reprise de l’Acid à Marseille.
Pour terminer, à 18h30, une autre avant-première, en présence des cinéastes Marcia Romano et Benoît Sabatier, Fotogenico, une comédie sur un sujet grave : à Marseille, un homme cherche à découvrir la vérité sur la mort par overdose de sa fille avec Christophe Paou, Roxane Mesquida Angèle Metzger. Pour clôturerun weekend de cinéma intense à ne pas rater !
ANNIE GAVA
Le Gyptis fête ses 10 ans ! Du 4 au 6 octobre Marseille
Zébuline. Déménagement, réduction des effectifs, vous avez traversé de nombreuses péripéties cette dernière année. Est-ce un exploit d’avoir pu monter cette nouvelle édition ?
Hubert Colas. Je ne parlerais pas d’exploit mais de sauts d’obstacles. Malgré toute l’adversité que Montévidéo a pu rencontrer depuis trois ans, on ouvre cette nouvelle édition avec beaucoup d’optimisme, et avec le soutien de nombreuses structures culturelles marseillaises. On a rencontré dans l’année beaucoup de projets artistiques et d’artistes qui nous ont enchantés, et nous sommes contents de l’édition que l’on a préparée. On est aussi dans l’énergie de 2025, qui sera la 25e édition : un anniversaire qui nous porte vers le futur.
En 24 ans, vous avez vu passer de nombreux artistes. Qu’est-ce qui a changé, dans les formes comme dans le discours, dans les propositions artistiques pendant toutes ces années ?
On voit bien aujourd’hui que les artistes se posent beaucoup moins la question de savoir s’ils font de la danse, de la performance, de la marionnette ou du théâtre… toutes ces formes sont beaucoup plus poreuses qu’avant, et c’est plutôt joyeux. Il y a dans le champ contemporain une soif de liberté, d’humanité, de reconnaissance des altérités. C’est une façon d’aborder le spectacle différemment, sans faire des discours politiques, mais avec un soin apporté à l’autre beaucoup plus prégnant qu’avant. Les mouvements de la société – comme la reconnaissance de la place des femmes, des étrangers, du genre – sont de plus en plus présents dans les formes que nous pouvons rencontrer aujourd’hui.
Rébecca Chaillon en ouverture Cette semaine à La Criée, le festival actoral accueille l’autrice, metteuse en scène et comédienne Rébecca Chaillon. Artiste reconnue – porte-voix des combats afro-féministe et contre la grossophobie –, elle présente deux de ses spectacles pour la première fois à Marseille. D’abord Whitewhashing les 25 et 26 septembre (en compagnie de son acolyte Aurore Déon), où elle s’intéresse à la division raciale et sexuelle au travail, et au racisme intériorisé qui pousse certaines femmes à se blanchir la peau. Et Plutôt vomir que faillir (27 et 28 septembre), où elle dessine à la truelle la révolution des corps et des codes que connaissent les adolescents. Surtout quand ceux-ci sont en dehors des « clous » : gros, homosexuels, noirs, déracinés. N.S.
Est-ce que l’on programme aujourd’hui comme on le faisait il y a 25 ans ?
On a évolué parce que les artistes ont évolué. actoral ne se donne pas de thématique, pas de règles, et dans ce cadre-là, on est plus à même d’écouter les nouvelles générations, leurs sensibilités, et avoir des coups de cœurs.
Le festival actoral est un temps fort culturel reconnu en France. Est-ce important pour vous que cette lumière rejaillisse sur les artistes locaux ?
Il s’avère qu’à Marseille, depuis 2013, beaucoup d’artistes « forts » sont arrivés, des Marseillais sont revenus, et c’est important qu’ils soient présents, comme on le fait chaque année. C’est le reflet artistique d’une ville qui montre qu’elle a une vraie puissance, même si elle n’est pas toujours entendue du côté des institutions – peut-être par méconnaissance.
Parmi ces jeunes artistes il y a Laura Vazquez, dont vous présentez une mise en lecture de son texte Zero le 4 octobre à La Criée. Comment s’est passée la rencontre avec elle ?
Laura Vazquez est une artiste que je connais depuis longtemps. Ses premiers écrits nous ont enthousiasmés, on l’a déjà invitée à Montévidéo, et à actoral. Elle est écrivaine, poétesse aussi, et s’intéresse à une vraie diversité des écritures. Aujourd’hui elle écrit sa première pièce de théâtre, et avec les acteurs de ma compagnie on a décidé de la mettre en lecture.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI
Hubert Colas présente quatre artistes à découvrir
· Ligia Lewis : « Artiste berlinoise, chorégraphe, elle vient présenter deux spectacles. Son travail n’est pas encore très connu, ni à Marseille, ni en France mais elle est très prisée à l’étranger. Elle travaille sur la problématique du corps noir et dénonce les sociétés européennes et blanches qui, sans être racistes, créent un clivage entre les différentes communautés. » Sorrow Swag et Minor matter 1er et 2 octobre Friche La Belle de Mai
· Némo Camus : « Jeune artiste qui vient de la performance et du documentaire, il présente une “auto-fiction” liée à sa grand mère, jeune actrice-danseuse dans le film Orfeu Negro de Marcel Camus en 1959. Il retourne vers ses origines étrangères à travers les déclarations de sa grand-mère qui parle de la danse, et de comment son corps a été rejeté. Sur scène, un jeune danseur retraverse cette histoire. Un spectacle tendre, magnifique, touchant. » Dona Lourdès 1er octobre Friche La Belle de Mai
· Soa Ratsifandrihana : « Elle vient avec un nouveau spectacle qui travaille sur le post colonialisme, et des figures classiques de la danse. Elle met en lumière les danses héritées de ses origines malgaches. Une mixité des formes qui dénonce l’enfermement des corps assujettis par les blancs vis-à-vis des corps noirs. » Fampitaha, Fampita, Fampitàna 3 et 4 octobre Ballet national de Marseille
· Harald Behari: « Le spectacle qu’il présente a reçu le prix Hedda pour la “meilleure production de danse” chez lui en Norvège : un solo d’une force physique assez désopilante et très proche des spectateurs. » Batty Bwoy 8 et 9 octobre Friche La Belle de Mai
Chaque soir, deux artistes principaux sont invités au Blues Roots Festival. Et ce 13 septembre, le rendez vous de Meyreuil accueillait Stephen Hull et Thornetta Davis. Le premier, guitariste-chanteur, est à la tête d’un power-trio comprenant le bassiste Cresenciano Cruz et le batteur Victor Reed, et s’inscrit dans la lignée d’un Albert King – sans pour autant jouer sur une guitare Gibson Flying V –, avec ce qu’il faut de riffs pentatoniques et de bends sulfureux (cette technique de légère torsion de l’instrument), contrastant avec une voix faussement enfantine.
En seconde partie de soirée, Thornetta Davis livre un set aux profonds effluves soul. Venant de la ville qui vit naître le label Motown, la « Queen of Detroit Blues » s’empare de la scène avec un immense sens du métier, marqué par un respect infini pour l’héritage de la musique qu’elle joue. Avec ses cinq musiciens et ses deux choristes (qui se verront chacune gratifiée d’un morceau en leadeuse), elle dirige son gang vers le rock’n’roll et le rythm’n’blues. Distillant des ondes d’émotion, notamment lors d’une livraison a capella de Ain’t no sunshine aux forts échos gospel, elle s’impose en matriarche aux inflexions vocales nourries des meilleures sources – Bessie Smith, notamment, dont la découverte l’a orienté vers le blues il y a une trentaine d’années. Elle pourrait figurer dans une suite à l’essai Blues et féminisme noir d’Angela Davis quand elle chante I’d rather be alone. Le « mojo » qu’elle jette au public fonctionne ce soir-là au-delà de toute espérance.
LAURENT DUSSUTOUR
Concerts donnés le 13 septembre dans le cadre du Blues Roots Festival, Meyreuil.
Des enfants installés aux Grandes Tables pour dessiner, les comédiens de l’Eracm qui disent des textes dans les escaliers… Parmi les nombreuses propositions, le public s’est rué à la rencontre d’Abraham Poincheval dans le cadre de la 5èe édition du festival Jeu de l’Oieproposé par Aix-Marseille Université (AMU) sur le thème du corps. L’artiste performeur utilise son corps, le soumet à des expériences d’immobilité prolongée et parle de son expérience.
La soirée offerte par Carole Errante et la bande déjantée de sa compagnie La CriAtura a constitué l’événement de la journée. Artistique et populaire, la troupe mélange les genres, les styles et les sexes, les artistes et les amateurs, dans un joyeux fouillis ébouriffé, pour le plus grand plaisir des spectateurs qui deviennent très vite participants sans se faire prier très longtemps, et entrent dans la danse avec une joie allant jusqu’à la frénésie ! Si au début le public était en cercle autour des danseurs-chanteurs, il a très vite investi le plateau : trois heures après il n’y avait plus qu’une dizaine de personnes assises… Carole Errante propose des danses traditionnelles, contemporaines, dégenrées, s’inspirant du music-hall ou du hip-hop. Au cours de la soirée, sont proposées des initiations à la salsa ou au madison, la danse africaine ou orientale. Mais il y a aussi des moments de spectacle pur avec Carole Errante en meneuse de revue, Loïc Basille, alias la drag queen Don Giovanna, l’étonnante danseuse Emma Guftafsson et tant d’autres créatures pailletées… Un rendez-vous fédérateur, populaire et réjouissant qui réconforte !
CHRIS BOURGUE
Le lancement de saison de La Criée, Scène dramatique nationale de Marseille, s’est tenu le 20 septembre
Lorsque l’art prend place dans l’espace public, les conversations bruissent, politiques souvent, au cœur des inquiétudes. Le 21 septembre à 20 heures, les spectateurs attendaient Les Planètes en guettant l’annonce d’un nouveau gouvernement. Inquiets, comme quelques heures auparavant des enseignants venus assister à By Heart de Tiago Rodriguez. Ou en colère, comme certains, plus jeunes, très nombreux, embarqués à la soirée DJ mémorable en haut du cours Mirabeau.
Vivants
Dominique Bluzet, ouvrant la soirée, déclarait : « Le bonheur c’est ici et maintenant, à Aix-en-Provence ». La vertu des événements proposés par la Ville d’Aix est bien d’avoir permis ce temps, hédoniste, de partage et de plaisir, où chacun se sent vivant.
Vivant comme Candida, la grand mère de Tiago Rodrigues, qui sait qu’elle tient au monde « par cœur », comme la vieille dame de Fahrenheit 451, comme tous les poètes résistants, Pasternak, Mandelstam, qui ont récité et appris pour combattre la censure. By heart, magnifique spectacle d’une simplicité chaleureuse et humaine, rappelle que les ressources de la résistance sont en nous.
Vivant comme tous ces corps de tous âges qui dansent, professionnels du GUID du Ballet Preljocaj, danseuses de Josette Baïz qui entrainent le public dans leurs phrases chorégraphiques, jeunes qui dansent jusqu’au bout de la nuit sur les sons de Synapson ou Yuksek, et tous les autres qui rockent et chantent sur les reprises endiablées des Beatles, au bas du cours.
Doux feu
Plus confidentiel, sur inscription, la compagnie bien nommée La Ville en Feu a fait battre le Sacré Cœur en sa Chapelle. Les dix artistes, aussi bien chanteurs que danseurs, ont fait vivre dans leurs corps tout près des nôtres une partition échevelée qui a un siècle, mais regarde davantage vers le baroque que vers la modernité. Les Planètes de Gustav Holst, psalmodiées comme on chantonne une mélodie instrumentale, rythmées par des percussions vocales, prenaient corps dans leurs mouvements souples, simples, communs, souriants. Une alarme sonne dans la cour du couvent ? Les interprètes haussent la voix, passent l’alarme, triomphent, déclenchant des applaudissements complices. Le bonheur est ici et maintenant, pour peu qu’on le vive ensemble.
AGNÈS FRESCHEL
Les Planètes, programmées par Lieux Publics, Centre national des Arts de la rue ont été chantées-dansées les 17 septembre à Marseille et les 21 et 22 septembre à Aix-en-Provence.
Sur le plateau un corps allongé qui se redresse. La jeune femme androgyne se déplace sur la scène comme une poupée mécanique, empruntant des diagonales rigides comme un petit robot téléguidé ou l’avatar d’un jeu vidéo japonais. Elle parvient après plusieurs tentatives infructueuses à ouvrir une porte dont s’échappe une épaisse fumée. Lorsque celle-ci se dissipe, apparaît un second danseur, sorte de petit Playmobil en T-shirt rouge qui à son tour se meut dans l’espace comme un automate dans une maitrise parfaite du corps. Puis surgit, un troisième, un quatrième et enfin les vingt danseurs de la Horde tout entière, chacun affichant une identité bien marquée. Ils convergent, s’affrontent dans des gestes martiaux, utilisent certains d’entre eux comme destriers et semblent peu à peu se libérer de leurs carcans pour s’humaniser dans des gestes plus amples mais qui les entraînent dans un combat hallucinant et halluciné. La guerre, prix de la liberté ?
Virtuoses du corps
À la fin de la prestation, les danseurs sont ovationnés tandis que les trois codirecteurs du BNM Marine Brutti, JonathanDebrouwer et Arthur Harel rejoignent la scène. « Nous sommes heureux de vous présenter cet extrait de notre dernière création Age of Content pour l’ouverture de la saison du Théâtre Joliette que le public marseillais pourra voir à l’Opéra de Marseille en décembre avec chœur et orchestre sur une musique du Marseillais Pierre Aviat » se réjouit Arthur. « Le sujet de cette pièce, comme toutes nos chorégraphies, c’est le corps, le corps en mouvement », explique Marine avec de poursuivre : « Nous avons voulons explorer notre rapport corporel et émotionnel à l’abondance de contenus et de réalités simultanées, de plus en plus virtuels, ce multivers qui caractérise le monde contemporain ». Le public a ensuite pu aller à la rencontre des danseurs : Elena, Nahimana, Nonoka et tous les autres, 20 danseurs et des 10 apprentis issus de 17 nationalités ; une communauté internationale éphémère de penseurs et explorateurs virtuoses du corps.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Performance réalisée le 21 septembre au Théâtre Joliette, Marseille
Ils sont jeunes, étudiants, pour certains c’est leur première rentrée à Aix-Marseille Université, et ils assistent médusés, troublés ou amusés au spectacle Jouir, qui porte bien son nom. Sur scène (enfin, un parvis de la faculté de Lettres), d’autres jeunes, mais déjà très expérimentés. Les comédiens de la Cie Notre insouciance sont chevronnés, ils ont creusé collectivement leur sujet, avec la metteuse en scène Juliette Hecquet, et leur spectacle tourne bien. Cette représentation, dans le cadre du Jeu de l’Oie, festival arts & sciences d’AMU, est particulièrement émouvante parce que leur propos – parler de sexualité – vient cueillir l’assistance à l’orée de sa vie adulte. En appelant une chatte une chatte, un lapin un lapin, mais avec beaucoup d’humour et d’empathie pour les difficultés que rencontre chaque être humain dans l’articulation de sa vie sentimentale et de sa libido.
Sur un tempo rapide, avec une énergie très inspirée du stand up, garçons et filles se succèdent pour témoigner. Le sexe n’est pas l’activité préférée de Florie, qui s’intéresse plutôt à la permaculture. Lilith revient des enfers pour raconter sa découverte de la masturbation, qui lui a valu d’être virée du paradis terrestre. Joseph chante l’amour comme personne, avec beaucoup d’ironie. Session vocabulaire : on apprend les mots « spectatorisme » (se sentir extérieur à une situation, par exemple préparer mentalement une liste de courses en plein coït), ou « circlusion » (fait d’englober, tendrement ou pas, quelque chose). Décomplexant, très drôle, Jouir invite à oser formuler les questions qu’on n’a jamais dites à haute voix, à dialoguer un maximum avec ses partenaires, à se réconcilier avec son sexe, splendide organe de désir. Mais sans remplacer les diktats des pères-la-morale par d’autres injonctions à pratiquer. La pudeur, l’asexualité, c’est très bien aussi !
GAËLLE CLOAREC
Le spectacle Jouir s'est joué le 19 septembre à la faculté de Lettres d'Aix-en-Provence, dans le cadre du festival Jeu de l'Oie.
La parole d’Anna est recueillie par une garde-malade, la narratrice qui tient un rôle de premier plan. Anna Freud revient sur les étapes significatives de sa vie, avec ses passions et ses réalisations. La maison, en sept déclinaisons, constitue le principe organisateur, dans le temps et l’espace, de ce récit d’une vie quotidienne marquée par l’Histoire et son émigration de Vienne à Londres avec la montée du nazisme. La maison est une matrice, point d’arrivée et de départ, qui unifie et protège, permet de lutter contre l’éparpillement et le chaos. Elle révèle l’âme de bâtisseuse d’Anna, à qui elle apporte la certitude d’exister, en gardienne du temple de la psychanalyse, après la mort de Freud.
Une écriture de l’écoute
L’autre thème principal du roman, en filigrane, est l’écriture, sous ses multiples supports et genres : lettres, carnets, essais, travail psychanalytique, confidence, acte existentiel : « Elle avait soudain la sensation physique de voir tous ces mots – les siens – éparpillés, soumis à toutes les tempêtes et aux opportunistes. » La prose d’Isabelle Pandazopoulos s’y enroule, « longue écharpe de mots », restituant de manière vive les états intérieurs d’Anna. L’écriture du roman parvient à restituer la place d’Anna auprès d’un père ramené à sa toute-puissance en même temps qu’à son humanité. Elle cerne la dimension intime et d’exception d’autres grandes figures de l’époque comme Lou Andreas-Salomé ou encore Marie Bonaparte, sans chercher à mobiliser un savoir théorique précis sur la psychanalyse naissante.
FLORENCE LETHURGEZ
Les sept maisons d’Anna Freud, d’Isabelle Pandazopoulos Actes Sud - 22,50 €
Pour cette rentrée, la régie culturelle Scènes & Cinés propose à son public de s’interroger sur son rapport à l’art et plus particulièrement au spectacle vivant, à travers une exploration scientifique, artistique et même ésotérique de la question. Un évènement intitulé le Rendez-vous des Lumières, organisé du 25 au 29 septembre sur son territoire de l’ouest de l’étang de Berre.
Fidèle à sa fibre circassienne, la structure invite dans un premier temps ses spectateur·ice·s à se glisser directement dans la peau d’un acrobate aérien grâce à des lunettes de réalité virtuelle dans Hold On, réalisé par Corinne Linder. Cette forme courte et innovante sera présentée gratuitement cinq fois le 25 septembre à Miramas et sept fois le 28 à Istres.
Place aussi aux spectacles, conférences et autres tables rondes, avec notamment une matinée dédiée à la question « Qu’est-ce qu’une émotion ? ». Après une première intervention de la neuroscientifique Julie Grèze, deux doctorant·e·s de l’École Normale Supérieure discuteront de la question en relation avec le théâtre et le cinéma. Pour un format de conférence plus décalé, Emma La Clown se lancera dans une Causerie avec Sébastien Bohler, journaliste scientifique, rédacteur en chef de Cerveau et Psycho.
Côté spectacles, trois illusionnistes et mentalistes sont invités. Scorpène, qui modère par ailleurs plusieurs des rencontres organisées, s’interroge sur l’art de la manipulation dans Petit spectacle entre amis ; Rémi Larousse se livre dans Confidences d’un illusionniste ; et Thierry Collet explore la façon dont nous percevons le monde dans Le Réel manipulé. Et comme aparté humoristique, on note la venue de Guillaume Meurice, qui vient accompagné de l’astrophysicien Eric Lagadec pour présenter Vers l’infini (mais pas au-delà), un spectacle qui allie exploration de la bêtise humaine et de l’Univers, leurs domaines de spécialité respective (autoproclamée ou avérée).
Spectacle et mystique
Le dimanche, le rendez-vous prend une tournure plus spirituelle avec d’abord un dialogue entre Laurent-Jacques Costa, archéologue, et le journaliste et YouTuber spécialiste d’ésotérisme Philippe Ferrer, afin d’aborder le rapport des sciences aux « mondes invisibles ». Pour rebondir sur cette rencontre, la cheffe du service de neurologie de l’hôpital Saint-Joseph (Marseille), Françoise Bille-Turc, donnera une conférence sur les bienfaits de l’hypnose. Dans l’après-midi, le public pourra assister au spectacle-performance Métamorphoses de Céline Joyce Douay, médium qui dit sur son site se donner pour mission de « transmettre à l’humanité un nouveau mode de fonctionnement en se connectant au corps, à l’âme et aux multidimensionnelles [sic]» à travers notamment la vente de programmes de coaching.
CHLOÉ MACAIRE
Le Rendez-vous des Lumières Du 25 au 29 septembre Miramas, Istres, Fos-sur-Mer, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Grans
Rien, dans le roman de Kaveh Akbar, ne se déroule comme prévu. Cela commence comme un Bukowski (pas machiste) qui aurait surajouté à l’addiction alcoolique celle de toutes les drogues chimiques les plus récentes. La plume, brillante, d’une autodérision constamment drôle, impose d’entrée un rythme d’enfer… que l’on quitte très vite, sans regrets, pourtant, tant ce qui suit est passionnant.
Cyrus Shams, jeune drogué alcoolique américain est, comme les personnages plus ou moins autofictionnels de Fante le Rital, Bukowski le Teuton ou Miller le Polack, un écrivain en devenir, marqué par une immigration récente et un exil intérieur. Pour l’Irano-Américain, né comme son auteur à Téhéran et fuyant à New York la Révolution islamique, cela se traduit par la même inadaptation fondamentale à la société américaine, qui le traite avec condescendance ou bienveillance, mais aussi comme un terroriste potentiel après le 11 septembre. Il a aussi des raisons d’en vouloir à l’US Army… mais est tout à fait étranger à l’Iran, où sa seule attache est un oncle mutique.
Burlesque, poétique, intime
Peu à peu pourtant des bribes d’Iran surviennent, une histoire se reconstitue, touchante, surprenante, balayant les constructions du personnage, son histoire familiale, celle du père victime, de la mère disparue, de la guerre héroïque, du féminisme iranien. Kaveh Akbar livre au lecteur quelques éléments que son personnage ignore, entretenant ainsi un suspense savamment dosé. Qui est donc ce Martyr, de qui, pour qui, avec quel degré d’ironie ? Le roman, à chaque instant, se transforme, passant de scènes burlesques à une apologétique poétique, puis à l’intimité profonde, pudique, d’une révélation filiale, et d’une histoire d’amour. Impossible en Iran, mais que le personnage acceptera lorsqu’il aura compris d’où il vient.
AGNÈS FRESCHEL
Martyr !, de Kaveh Akbar Gallimard – 24 € Sorti le 19 septembre Traduit de l’américain par Stéphane Roque