dimanche 9 novembre 2025
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actoral : La danse est un sport de combat

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© Alice Ripoll

Le solo Puff d’Alice Ripoll est conçu pour et avec le danseur Hiltinho Fantástico, virtuose du passinho qui allie les héritages de la capoeira, des danses des diasporas africaines, et des danses urbaines brésiliennes. La chorégraphe carioca lui offre une partition impressionnante, sans temps mort, épuisante, qui met en mouvement chaque muscle de son corps, en sueur. Il ne montrera durant son solo d’une heure aucun signe de fatigue, sinon pour figurer volontairement, un court instant, l’épuisement. 

Le danseur porte, seul, magnifiquement, l’histoire des afro-brésiliens, et de leur résistance. De leurs sauts de combat, des coups reçus, de la révolte tapie dans l’ombre, tout près du sol. Puff, ce sont ces métaphores qui apparaissent et s’effacent en un instant, indicibles, mais incarnées. Dissimulées sous la musique joyeuse, flagrantes quand elle s’arrête. Une résistance offerte au public en quadri frontal, comme sur un ring de boxe où l’adversaire est un corps absent, mais dont la mémoire des coups opprime encore, au présent.

AGNÈS FRESCHEL

Puff a été dansé au Théâtre des Calanques les 25 et 26 septembre dans le cadre du festival actoral 

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actoral : Un cadre trop grand

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Derniers Feux de Némo Flouret au Mucem, Place d'Armes du Fort Saint-Jean, Actoral 2025

La Place d’Armes au fort Saint-Jean est assombrie, des hauts parleurs diffusent une ambiance inquiétante dans la nuit, un grand échafaudage trône au milieu. Un peu plus loin, face à la mer, les artistes patientent à découvert.

Derniers Feux débute en slow burn. Un solo de trompette brode et dissone le thème de Maurice Jarre, puis l’agitation de la troupe commence, une artiste scande au mégaphone, des directives de décors à monter, de danse à répéter . Les danseureuses-ouvrières en combinaison de travail de luxe, signé Issey Miyake, se partagent des tâches sans but, des mouvements frénétiques et des aller-retour  les bras chargés de cartons, de lettres géantes, de tiges de bois auxquelles sont suspendus des costumes-fantômes magnifiques agités au-dessus de nos têtes, comme pour tester la métaphore. 

Les instructions scandées en français et en anglais, sans raison distinctive apparente, ne semblent rapidement plus diriger quoi que ce soit, les mouvements collectifs s’organisent et répètent d’eux même des boucles qui n’aboutissent à rien d’autre que leur propre exécution : les déplacements de tiges d’un côté et de l’autre de la scène, les chutes de planches en cartons sous lesquels on passe comme sous un pont, les déplacement de lettres géantes qui peinent à épeler « désir », « feux » et « rien ». 

Feu d’artificiel

Une caisse claire accompagne la représentation d’une frappe régulière et ininterrompue, et fait place à un moment poétique de collaboration stratégique entre deux danseureuses. Quelques autres images résistent et font émerger des ambitions poétiques, des tentatives d’organisation collective des danseureuses. Un radeau de carton sur lequel danse l’une est poussé sur scène par d’autres couchées au sol, alors qu’une pluie de fléchettes-drapeau se plante autour d’elle. 

La danse finale et solitaire contraste avec le reste de la représentation, se révélant bien plus sensible, plus éprouvée : la fatigue de lae danseureuse est manifeste et expressive, éclairée par un simple spot dont l’extinction signe la fin du spectacle comme on souffle, enfin, sur une flamme. 

Quant au feu d’artifice tant attendu, il s’avère aussi furtif que décevant. Des jets de scènes parcourent et illuminent très brièvement la structure métallique avant de s’éteindre en pluie déconcertante. Des pétards disséminés sur scène, une petite flammèche allumée avec application au bout d’une tige de bois, pas de quoi rallumer la mer.

Face à la Méditerranée, l’onéreuse mise en scène apocalyptico-festive, bascule finalement dans l’ironie. On attendait un Némo Flouret pyromane, reste une collaboration superficielle entre grands noms de l’industrie du spectacle et de la mode. Les danseureuses brandissent néanmoins le drapeau palestinien durant les saluts. 

NEMO TURBANT

Spectacle donné les 26 et 27 septembre dans le cadre du festival actoral au fort Saint-Jean, Marseille

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CineHorizontès, un défi renouvelé

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© Epicentre Films

Tout festival est un défi. Plus encore, peut-être, ceux qui, sans paillettes, ne sont pas sous les projecteurs des médias nationaux et internationaux. Portés par des associations et beaucoup de bénévoles qui œuvrent toute l’année auprès de publics variés pour faire partager leur passion et défendre la culture : leur pérennité est un combat ! Le festival du cinéma espagnol malgré ses solides partenariats méditerranéens, ses volets professionnels, son ouverture au-delà de l’Europe, et ses 8000 spectateurs l’an dernier, a dû supprimer ses spectacles et concerts suite à des désengagements publics.

Mais son édition 2025, conserve sa qualité et sa structure : quatre compétitions (fictions, documentaires, courts-métrages, Belle Jeunesse), deux « fenêtres » ouvertes sur l’Argentine et Cuba, une sélection Panorama proposant six films espagnols sortis en 2024-2025 comme Sîrat (Oliver Laxe), prix du Jury à Cannes. Sans oublier ses rencontres avec les invité.e.s, et ses rendez-vous : une journée pédagogique, des projections scolaires et une table ronde le 14 octobre à l’Alcazar sur le focus de l’année : le cinéma espagnol au féminin. Animée par Marcia Romano (co-réalisatrice entre autres de Fotogenico), la rencontre réunira une illustratrice Maria Hesse, une productrice, María Caballer et une réalisatrice-scénariste-productrice Charlène Favier, présidente par ailleurs du Jury de la Grande Compétition.

Femmes, Vie, Cinéma

Cinéma féminin encore avec la marraine 2025, Icíar Bollaín qu’on pourra rencontrer à l’Artplexe. Rétrospective le 11 octobre de ses grands films portés par des figures féminines qui s’imposent et imposent leurs choix : Maixabel Lasa face à l’assassin de son mari (Les Repentis), Névenka Fernandez face au harcèlement sexuel d’un homme politique (Soy Nevenka), Rosa face aux préjugés de sa famille ( La Boda de Rosa).

Masterclass le lendemain, étayée par la projection de El Sur de Victor Erice où Icíar Bollain est une toute jeune actrice et de Te Doy mis ojos qu’elle a réalisé en 2023.

Pour compléter cet aperçu des talents féminins, un volet est dédié aux nouvelles réalisatrices espagnoles. Déjà consacrées à l’instar de Mau Cardoso (Bebés Robados) ou de la multi primée Carla Simon (Romería, dernier volet de sa trilogie familiale). Et à celles présentant leur premier long métrage comme Gemma Blasco (La Furia) ou Eva Libertad (Sorda).

Lutte et humanisme

Ouverture le 7 octobre à 20 h au cinéma Le Prado par un hommage aux luttes citoyennes dans El 47, drame social signé Marcel Bardena qui raconte l’acte de dissidence d’un chauffeur de bus incarné par Eduard Fernandèz à Barcelone en 1978.

Clôture le 16 octobre dans ce même lieu, pour le palmarès et la projection de Una Quinta Portuguesa de Avelina Prat, l’histoire de Fernando (Manolo Solo) un prof de géographie, qui, après la disparition inexpliquée de sa femme, se lance dans un périple qui le conduit au Portugal et vers Amalia (Maria de Meiredos). Un film empreint d’humanisme et d’optimisme en guise de conclusion et de message.

Le film gagnant Horizon d’or 2025 sera proposé à L’Alhambra le 18 octobre, séance suivie d’un repas d’au revoir.

ELISE PADOVANI

Programme complet sur cinehorizontes.com

Musicatreize : Une aventure pédagogique

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© A.-M.T.

Sarah Grace Graves, Lautaro Figueroa Balcarce, Masahiro Aogaki et Alexandru Sima, jeunes compositeurs aux CV déjà bien étoffés ont été accueillis salle Musicatreize pour suivre quatre jours d’ateliers. Ils font partie de la quatrième promotion du dispositif Avec (Atelier voix et composition) porté par Les Cris de Paris. Ce compagnonnage d’un an va leur permettre d’approfondir la composition pour la voix, guidés par une équipe artistique d’exception. 

« La voix n’est pas un instrument comme les autres », explique d’emblée Geoffroy Jourdain, fondateur des Cris de Paris qui allie érudition, rigueur académique, passion et élégance du pédagogue. « Elle dépend de la physiologie, de la psychologie, des émotions. Chaque chanteur possède une tessiture et un timbre unique. De même, les ensembles ont leurs couleurs, leurs pâtes modelées par un chef qui joue avec les complémentarités ». Dès lors, si composer pour la voix s’annonce comme un geste créatif passionnant, il est aussi oh combien subtil.

État de l’art vocal

Le week-end s’est ouvert sur une plongée dans l’histoire de la composition vocale. Jourdain rappelle que durant la période baroque, les compositeurs étaient aussi chanteurs d’Église. Quand la musique se sécularise, l’expérience vocale prend d’autres chemins.

Vincent Manac’h, chanteur (Les Cris de Paris, Pygmalion), compositeur d’œuvres pour voix a capella et enseignant à l’Université Paris 8, prend le relais pour un voyage du renouveau choral romantique vers les écoles nationales du XXe siècle. Les Liedertafeln transforment la musique chorale. Elle n’a plus seulement une fonction à l’église ou à la cour, mais devient un espace de divertissement.

Les exemples pleuvent, vivants, incarnés, accompagnés d’écoute et d’analyse de partitions. Mendelssohn et sa vision orchestrale de la voix, le naturalisme de Schubert, Schumann et sa relation à la poésie, Brahms dirigeant ses chœurs jusqu’aux visions d’un Schoenberg et les défis contemporains.

Et la transmission

Ce qui frappe dans ces ateliers ouverts – quelle chance – au public, c’est la qualité de la transmission. Aucun à priori esthétique ne bride l’exploration, mais tout pousse à réfléchir aux implications que la voix permet ou interdit. 

Les jeunes compositeurs découvrent qu’il est bon de « penser au confort et au plaisir du chanteur », que Richard Strauss écrivait des partitions « techniquement inchantables », « qu’une voix n’est pas stable sur toute sa tessiture ».

Le samedi et dimanche, Marie Picaut, Mathieu Dubroca et Benjamin Locher ont abordé le terrain plus technique de la physiologie de la voix et du travail du chanteur et les spécificités des voix féminines et masculines. Morgan Jourdain, s’est, lui,  penché sur la voix de l’enfant et de l’adolescent.

Enfin, Roland Hayrabedian, chef de chœur et maître du lieu, fort de quarante années de création contemporaine, a clôturé cette première session par un témoignage riche d’enseignements pour la jeune génération.

La formation mènera ensuite nos quatre élèves à Lyon et à Versailles. Ils devront composer des œuvres originales pour trois ensembles hexagonaux parmi lesquels le Choeur Attaca de Sébastien Bouin (Marseille). L’œuvre produite pourra être entendue lors des Rencontres Chants Libres en Dracénie, fin juin 2025.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Les ateliers se sont déroulés du 25 au 29 septembre salle Musicatreize, Marseille. 

Retrouvez nos articles Musiques ici

actoral : Adèle Yon se dédouble 

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Liora Jaccottet lors de la lecture performée de Mon vrai nom est Elisabeth © Manon Sahli

Dans la chapelle de la Cômerie, Liora Jaccottet monte sur l’estrade, et se présente sous le nom d’Adèle Yon. Elle remercie Liora pour sa participation, prévient le public qu’il s’agira ce soir de faire précisément ce qui était annoncé, à savoir une lecture de son livre, Mon vrai nom est Elisabeth

C’est étrange sans être confus. Liora Jaccottet commence à réciter sans lire, en regardant le public comme on se confie, les mains dans le dos : « Dans le petit habitacle bleu ciel de la Yaris que mes grands-parents m’ont donnée, nous roulons vers Salamanque. ». C’est Adèle. Le doute s’estompe, et le public se suspend au récit. 

Enquête familiale

Adèle Yon, écrivaine, cheffe de cuisine, s’est intéressée à l’histoire de son arrière-grand-mère en pleine rédaction de sa thèse en études cinématographiques. Elle y travaille sur un motif de double féminin, de personnages hantées par une anti-modèle, à l’opposé de laquelle il faut se construire. Comme la Rebecca de Daphné du Maurier adaptée par Hitchcock, Betsy, son arrière-grand-mère, a des airs de fantôme pour les femmes de sa famille. Il ne faut pas lui ressembler, il ne faut pas « lire d’auteurs dangereux ». Il faut se normaliser le plus possible pour ne pas réveiller ce gène de la schizophrénie qui plane au-dessus des femmes de sa famille.

Derrière Liora Jaccottet, une projection : on entend la grand-mère d’Adèle qui raconte « Moi, personnellement, ce qui me terrorisait c’est que mes oncles et tantes disaient que j’étais le portrait de maman ». Adèle-Liora se déplace de temps en temps, détache le micro, s’approche du public. Elle s’accroupit parfois, se balance d’un pied sur l’autre, tire sur sa manche comme une enfant, comme prise d’instabilités subtiles. La folie menace et elle incarne aussi celle de Betsy. 

Chœur de femmes

Sur l’écran des enfants font la course, puis le château de Rebecca flambe. Liora-Adèle, en robe de mariée, raconte son apprentissage de la boucherie. Adèle Yon apparaît à l’écran, avec son double elle questionne cette découpe des corps : « Je me demande si la lobotomie a une odeur ». 

Les extraits choisis passent d’un registre à l’autre : le récit, la lettre, l’entretien.  Le double féminin fantôme s’incarne dans ces différentes citations, superpositions, emprunts et chorus de voix de Betsy, Liora Jaccottet, Adèle Yon et sa grand-mère.  Elles matérialisent ensemble le poids de l’héritage traumatique, des violences communes à l’égard des femmes, et rompent le silence du secret de famille. 

Nemo Turbant

Mon vrai nom est Elizabeth a été performé le 29 septembre dans le cadre dactoral et le 28 septembre à Manosque dans le cadre des Correspondances

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Laure Prouvost passe aussi par actoral 

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Performance They Parlaient Idéale au [mac] © Manon Sahli

Distinguée notamment par le Turner Prize en 2013, représentante de la France en 2019 à la 58e Biennale d’art contemporain de Venise, Laure Prouvost expose depuis avril dernier ses créations éco-féministes rêveuses et foisonnantes au Mucem (jusqu’au 16 novembre) ainsi que dans la Chapelle de la Vieille Charité et dans la project-room du [mac] de Marseille (jusqu’au 11 janvier 2026) [lire ici]. Les 27 et 28 septembre, le festival actoral organisait lui aussi plusieurs rendez-vous autour de l’artiste, dans le prolongement de ses expositions, avec projections de films courts, lecture, un dialogue avec Céline Kopp, directrice du Magasin CNAC et des performances.

Extension

C’est au [mac], le samedi 27, qu’avait lieu en début d’après-midi la performance liée à son film They parlaient Idéale, réalisé en 2019 pour le pavillon français de la Biennale de Venise. Une sorte de road-movie à tendance dérivante, composé d’une profusion d’images, aux séquences très courtes et aux montages très « cut » : y évolue, entre de multiples gros plans sur des fleurs, la mer, une main dans l’eau, un regard perdu… un groupe de personnes de cultures, d’âges et de langues multiples, dans des espaces et paysages telles les tours Nuages de la cité Pablo Picasso à Nanterre, les calanques de Marseille, le Palais du Facteur Cheval, le pavillon français de la Biennale de Venise. Le tout dans un mélange de langues (anglais, français, arabe, italien), accompagné par la voix-off de l’artiste, prenant un ton doux de conteuse pour enfants.

Pour la performance, deux des protagonistes du film (Nicolas Flaubert et Ramo) étaient présents de façon intermittente dans la salle de projection, en retrait ou déambulant discrètement au milieu des spectateurs. Répétant des mots ou des bouts de phrases prononcés au même moment dans le film, l’un s’approchant de l’écran en improvisant une séquence dansée hip-hop-contemporaine en lien avec celle qui se déroule au même moment dans le film, l’autre s’installant au sol juste devant l’écran pour contempler les images, ou s’approchant pour pointer du doigt un personnage en haut d’une colline. Sorte de petites séquences d’extension du film à l’échelle et au présent de la projection, semblant ajouter les spectateurs à la petite communauté souriante et nonchalante du film. 

MARC VOIRY

La performance autour du film They parlaient Idéale de Laure Prouvost a eu lieu le 27 septembre au [mac] - Musée d'art contemporain de la Ville de Marseille dans le cadre du festival actoral

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Honeymoon, la guerre de l’intérieur

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Taras (Roman Lutskyi) et Olya (Ira Nirsha) s’installent dans leur nouvel appartement. Encore encombré de cartons. Ils sont jeunes, beaux, intelligents, choisissent la couleur des peintures, l’emplacement des meubles et font l’amour. Olya prépare une exposition de sculptures en céramique blanche, à Vienne. Tarzan a trouvé Jane et l’avenir leur semble ouvert et radieux. Sauf qu’on est dans une petite ville près de Kiev en 2022, que les rumeurs d’une invasion russe s’immiscent dans ce bonheur-là : la propagande de Poutine revisite l’histoire, attribue à Lénine l’invention de l’Ukraine, justifie par avance « l’opération spéciale ». Pour la crémaillère, les amis du couple citent Derrida, s’interrogent sur lafonction du cinéma et sur l’opportunité de fuir.

Le 24 février, il est trop tard. Les chars sont entrés dans la ville. L’armée russe investit l’immeuble de Taras et Olya. Les jeunes Ukrainiens ne quitteront plus leur appartement devenu cache et prison. Leur lune de miel tourne à une longue nuit cauchemardesque.

Pendant une semaine, on vivra avec eux ce confinement, sans eau, sans électricité, sans internet, dans le silence, sous la menace constante d’être découverts. Un huis clos étouffant où chaque geste peut trahir leur présence et se révéler fatal. 

Pour ne pas se faire repérer, Taras et Olya se déplacent à quatre pattes, rampent, dans la pénombre de leur logis. Pour ne pas craquer ils s’inventent des jeux, se serrent fort. Temps contraint qui éprouve les nerfs et les convictions. Les priorités matérielles et artistiques ne sont plus si importantes devant la mort.

La guerre sans visage

Taras, moitié russe par son père pro-poutine, s’invente sans héroïsme des arguments pour amadouer les soldats s’il était arrêté. De ce qui se passe dehors, on ne verra rien. Comme eux, en totale empathie, on entendra les explosions, les sirènes, les exécutions de civils, les viols derrière la cloison. On partagera leur peur. 

Le hors champ s’imagine et les ennemis n’ont ni visage ni humanité. Le film s’apparente aux films d’horreur : les protagonistes se trouvent encerclés par des zombies menaçants. Il partage son titre d’ailleurs avec un film de ce genre réalisé par Leigh Janiak en 2014.

Production modeste, le premier long métrage de Zhanna Ozirna, tourné en Ukraine est une fiction, inspirée de faits réels. Les festivals internationaux saturés de documentaires sur cette guerre, offrent moins d’espace au cinéma de son pays, dit la réalisatrice. Pourtant, il est plus que jamais nécessaire aux Ukrainiens, d’affirmer leur désir d’exister, de se projeter dans l’avenir, de faire des enfants… et des films.

ELISE PADOVANI

Honeymoon de Zhanna Ozirna

Sélectionné à la Mostra de Venise

Atlas d’or au festival d’Arras

En salles le 1er Octobre

« Décoloniser n’est pas un mot diabolique »

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Stéphane Dufoix © X-DR

Diasporik. Entre républicanisme et « wokisme », comment défendre une approche nuancée du décolonial ?
Stéphane Dufoix.
La logique du « campisme » – choisir un camp contre l’autre – n’aide pas à comprendre. La perspective décoloniale n’est pas seulement militante : elle est aussi scientifique et politique. Prendre de la distance permet de voir comment ces camps se sont formés, et de mieux cerner les enjeux actuels.

Quelles médiations entre monde académique, luttes sociales et institutions ?
La perspective décoloniale permet de penser la production de savoirs au-delà du cadre universitaire. Les mouvements sociaux – du Chiapas aux forums altermondialistes – produisent eux aussi des connaissances sur la société. Leur circulation par chercheurs, médias ou intellectuels élargit le champ des possibles. La stricte séparation entre science et militantisme limite ces circulations et bloque les transformations sociales.

Quel rôle pour les citoyen·nes, notamment les personnes racisées, dans ce chantier ?
Nous restons prisonniers de structures mentales héritées du passé national : genre, couleur de peau, religion, origine. Toute personne peut contribuer à les déconstruire, mais celles et ceux qui vivent directement discriminations et exclusions disposent d’une capacité particulière à les objectiver. Leur expérience, transformée en récit, recherche, art ou mobilisation, enrichit la critique et ouvre des voies nouvelles.

Quelles transformations nécessaires au-delà du symbolique dans les institutions culturelles ?
Le chantier est immense. L’Éducation nationale devrait engager une réflexion d’ensemble sur l’histoire de France, intégrant pleinement esclavage, colonisation et immigration. Le Musée national de l’histoire de l’immigration illustre cette démarche. L’ouverture des archives sensibles, notamment celles de la guerre d’Algérie, va dans le même sens. Mais entre accès aux documents et mise en récit fidèle à la réalité historique, il reste un long chemin.

« La perspective décoloniale n’est pas une idéologie, c’est un outil critique pour comprendre et transformer nos sociétés. »

Comment les sciences sociales françaises intègrent-elles (ou résistent-elles) à la critique décoloniale ?
25 ans après leur émergence, les travaux du collectif Modernité/Colonialité restent peu traduits et mal diffusés en France, malgré l’effort de chercheur·es comme Philippe Colin, Lissell Quiroz ou Capucine Boidin. Deux raisons principales : la disciplinarité universitaire, peu adaptée à une approche transversale, et le poids d’un universalisme français qui, depuis les années 1990, a pénétré le monde intellectuel. Les recherches critiques sont souvent disqualifiées comme « idéologies » – islamo-gauchisme, wokisme, intersectionnalisme – plutôt que débattues sur le fond.

Vous évoquez souvent le pluriversalisme. En quoi éclaire-t-il les résistances françaises ?
L’universalisme politique, hérité des Lumières, est une construction historique. La France, comme les États-Unis, s’est pensée investie d’une mission : hier la « mission civilisatrice », aujourd’hui une certaine idée de l’exception française. Mais universaliser un point de vue particulier revient à le déshistoriciser. D’où l’appel de Dipesh Chakrabarty à « provincialiser l’Europe ». La critique de ce faux universalisme ne signifie pas forcément relativisme. Le pluriversalisme, tel que défendu par Walter Mignolo ou Arturo Escobar, s’inspire de l’idée zapatiste d’un monde « où coexistent de nombreux mondes ». Il affirme une universalité de la pluralité.

À Marseille, les diasporas portent des démarches décoloniales, parfois en opposition aux institutions. Qu’en pensez-vous ?
La logique diasporique et l’approche décoloniale ne se confondent pas, même si elles convergent dans la contestation d’un récit national unique et exclusif. Les diasporas construisent des espaces communautaires, selon des appartenances vécues. Le projet décolonial, lui, vise un horizon plus large : transformer les cadres collectifs du vivre-ensemble.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SAMIA CHABANI


Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

Redwane Rajel : Les monstres n’existent pas

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À l’ombre du réverbère, Redwane Rajeb © Claire Gaby

Tu ne frapperas pas. Ce commandement, pourtant essentiel, n’existe pas dans la Bible. Le monologue de Redwane Rajel l’invente en actes, et bouleverse par l’absence de plaisir, d’esthétique, de ses évocations de la violence, et l’incroyable joie de son regard et de ses mains qui s’ouvrent lorsqu’il parle du théâtre. Comme une évidente rédemption terrestre, permise par le contact avec l’art dramatique, qui résonne en lui avec les jeux de rôles qu’il vivait chez sa « tatie », qui l’aimait comme « un prince ».

Le texte, coécrit avec Bertrand Kaczmarek et Enzo Verdet, retrace la vie de ce condamné « longues peines ». Celui qui est aujourd’hui comédien professionnel, coach efficace et attentif de stand-up, fut bouleversant dans le Macbeth d’Olivier Py ou le Marius de Joël Pommerat, aussi parce qu’il laissait transparaitre, au-delà de ses personnages, la violence, la culpabilité, l’horreur de l’enfermement, le désir fou de liberté. Revenir sur son parcours, évoqué dans chacun des articles qui lui sont consacrés, permet de saisir intimement l’essence de cette phrase qu’Enzo Verdet, metteur en scène du spectacle et assistant d’Olivier Py dans ses projets carcéraux, lui adressa lorsqu’il ne parvenait pas à incarner Macbeth : « Tu es là pour montrer que les monstres n’existent pas ».

Renoncer, sous tous les angles

 « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », écrivait déjà Térence en des temps antiques. Et l’homicide ? S’il ne le raconte jamais directement, pas plus que son procès, c’est bien à un examen sans fard qu’il procède, reflété de tous les côtés dans les miroirs qui, avec un banc rouge, sont le seul décor. L’acteur commence par le récit de sa garde à vue, de ses premiers jours, des premiers coups, puis de l’isolement, la drogue, la violence qu’il exerce sur lui-même, le corps qu’il endurcit par des courses sur place, des entrainements de boxe qui l’aident à tenir le coup, juste assez pour ne pas sombrer. Entre ces scènes, le récit d’une enfance sans homme où il a dû grandir trop vite, mais où « tatie » lui a ouvert la voie de l’imaginaire. Puis la boxe, la légion, autant de lieux, de corps à corps, où il faut frapper pour être un homme, défilent. Comme le parcours d’un enfant qui se doit d’être viril pour exister.

Jusqu’à la rencontre, en prison, du théâtre. Au moment même où il l’évoque son corps se détend, ses muscles s’adoucissent, son débit se fait plus fluide, sa voix s’éclaire et s’enrichit de timbres insoupçonnés. Les paysages traversés, les personnages joués, tout défile, et sa véritable libération n’est pas le jour de sa levée d’écrou mais celle où il ne répond pas à la provocation d’un détenu qui veut en découdre. Il suffit de s’excuser, d’esquiver la bagarre, refuser le combat, sortir du paternalisme viriliste qui fait des hommes des monstres, qu’ils (et elles aussi parfois)  peuvent  tous devenir. 

Redwane Rajeb explique qu’avec ce spectacle il veut simplement « rendre ce qui lui a été donné ». Bien au-delà, il nous montre comment les hommes (96% des criminels sont des hommes) pourront  changer la société : en renonçant au virilisme qui la façonne, pour se laisser accéder à la joie d’exprimer sans violenter.

AGNES FRESCHEL 

À l’ombre du réverbère
Du 30 septembre au 4 octobre
Théâtre des Bernardines, Marseille

Vu au Théâtre Transversal, dans le Festival Avignon Off 2024

Stups, une Chambre à Marseille

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Stups (C) JHR Films

En 2004, on avait pu voir 10e chambre – Instants d’audience : de  mai à juillet 2003, Raymond Depardon et son équipe avaient filmé le déroulement des audiences de la 10ème Chambre Correctionnelle de Paris, nous plongeant dans le quotidien d’un tribunal : douze affaires, douze histoires d’hommes et de femmes face à la justice. 20 ans plus tard Alice Odiot et Jean‑Robert Viallet nous immergent dans une salle d’audiences de Marseille où un juge gère les affaires en comparution immédiate. Des accusés impliqués à divers degrés dans des trafics de drogue : jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, petites mains, guetteurs, dealers, Certains nient, d’autres essaient d’apitoyer le juge, expliquant leur délit par une enfance difficile dans des cités où ils ont été recrutés par des dealers, où ils ne voyaient pas d’autre choix  possible. Certains n’envisagent pas un seul  instant de retourner en prison « La prison me rend fou. Je ne peux pas supporter d’être loin de ma mère !  Devant ces situations plus terribles les unes que les autres, on se sent impuissant, on compatit. On est irrité devant l’attitude de certains comme ce vieux dealer dont le fils s’est pendu en prison et qui n’hésite pas à impliquer dans son trafic, son petit –fils ! On comprendrait que le juge perde son sang froid face à tant de mauvaise foi, ce qui ne lui arrive pas. Il reste d’un calme olympien, pose des questions précises, repère les incohérences, maniant l’ironie quand certains accusés se moquent ouvertement de lui. La caméra d’Antoine Héberlé et de Jean‑Robert Viallet filme de près les regards, les gestes, les mains du juge qui manipule sans cesse un élastique, les larmes de ceux qui espéraient échapper à la prison. On est ému devant certains qui disent regretter leurs actes, promettant de ne pas recommencer. On aimerait y croire, espérer qu’il y aura peut être une solution et la détresse de certains, dont cette jeune femme, battue, enceinte, obligée à servir de nourrice » nous laisse sans voix.

 Ce documentaire, à la mise en scène sobre, fait approcher, de très près, une justice qui souvent n’a pas d’autre solution que la répression, la prison. Et n’y aurait il pas d’autres solutions ? N’y aurait-il pas un moyen pour éviter les récidives ?  Le film d’Alice Odiot et Jean‑Robert Viallet ne donne pas de réponse mais y  fait  réfléchir. Et comme le disent certains cinéastes « Le cinéma ne change pas le monde mais peut changer ceux qui le regardent »  

Annie  Gava

Stups en salles le 1er octobre

© JHR Films