mercredi 24 décembre 2025
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Rencontres d’Averroès : Trinités pour des Rencontres

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Dessin de David Prudhomme, extrait de sa bande dessinée Rébétissa © David Prudhomme / Futuropolis

Il n’y aura qu’un seul grand entretien, mais avec Souleymane Bachir Diagne, philosophe essentiel à la pensée contemporaine d’un universalisme désoccidentalisé [Lire ici]. Un débat préliminaire le 20 novembre sur le parler marseillais réunira le sociologue Médéric Gasquet-Cyrus et la réalisatrice Prïncia Car.

Neuf à tables

Mais pour cette édition, la Méditerranée veut « prendre langue », ce qui ne se fait jamais mieux qu’en conversant à plusieurs ! Les trois tables rondes réuniront chacune trois participants pour converser, négocier puis traduire.

Converser, conçu comme un préambule à la relation, n’en est-il pas plutôt l’aboutissement ? Le 21 novembre à 14h30 la philosophe Gloria Orrigi qui travaille sur les nouvelles technologies et leur fabrique de la rumeur (La vérité est une question politique, 2024, Albin Michel), conversera avec l’helléniste Pierre Chiron, spécialiste de l’art rhétorique (Manuel de Rhétorique, Comment faire de l’élève un citoyen, 2018, Les Belles Lettres) et Laëtitia Bucaille, sociologue arabophone spécialiste de la sortie de conflits [Lire ici].

Le 22 novembre à 14h30, il s’agira de Négocier. Un autre usage de la langue, qui ne consiste pas seulement à prendre contact, mais à obtenir des conciliations, sans compromission, en usant d’une langue rassurante qui habille de coton les rapports de force : la diplomatie est un art pour Stéphanie David directrice et représentante à l’ONU de la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) et spécialiste de la Libye, la Palestine et la Tunisie ; pour Julien Vaïsse, historien fondateur du Forum de Paris sur la paix et spécialiste de la politique étrangère américaine ; et Yves Saint-Geours, diplomate, ambassadeur de France, spécialiste de l’Amérique latine et observateur du « nouvel ordre mondial ».

Après les négociations, il s’agit de Traduire, de s’élever contre le châtiment de Babel, de considérer que la pluralité des langues et des cultures est notre plus grande richesse ; un combat que Barbara Cassin, philologue, mène depuis sa connaissance de la Grèce antique, en allant  jusqu’à La Guerre des mots de Trump et Poutine [voir page suivante]. Elle discutera avec Richard Jacquemond, traducteur de littérature arabe moderne, et avec Cécile Canut, sociologue des langues minorisées : celles des Roms, des Maliens, des migrants dans leur pays d’accueil (Provincialiser la langue, langage et colonialisme, 2021, Editions Amsterdam).

Trois récits pas magistraux

Les nouvelles rencontres proposent aussi de nouveaux formats, des masterclass qui mettent en rapport direct l’intervenant·e et le public. Il ne s’agit pas de cours magistraux, mais de récits d’expérience qui se sont, l’an dernier, révélés passionnants.

Monia Ben Jemia ouvrira le seul·e en scène. Le 21 novembre à 17 h. La juriste, militante tunisienne, lutte contre les VSS en Tunisie et défend l’idée que la société civile, les défendeurs des droits, les ONG, sont les gardiens et les garants de la démocratie. Nabil Wakim mènera la masterclass du 22 novembre à 11h [voir page suivante] et Hervé Le Tellier, l’écrivain, président de l’Oulipo, raconter son match d’écriture contre l’IA… et s’interrogera sur ce nouvel interlocuteur le 23 novembre à 14h30.

Trio en soirées

Aux Rencontres d’Averroès, la programmation musicale n’est jamais un simple ornement : elle répond aux débats du jour, prolonge les questions de langue, de mémoire et de circulation des cultures par d’autres voies : celles du rythme, du chant et des corps. Cette année encore, trois soirées composent un triptyque où se déclinent les voix d’une Méditerranée plurielle, indocile et toujours en mouvement. Trois soirées pour faire entendre la Méditerranée.

La première, le 20 novembre à 19 h à l’Espace Julien, interroge : « Comment tu parles ? », avant de faire danser. Après un débat sur le parler marseillais – ce laboratoire vivant où se mêlent héritages, inventions et glissements – la scène se transforme en caisse de résonance avec Temenik Electric, dont le rock arabe incandescent épousera les pulsations de la ville-monde à partir de 21 h. Une manière de rappeler que Marseille s’écoute autant qu’elle se raconte.

Le 22 novembre, à 21 h à La Criée, place au concert dessiné Rébétissa. Dans un dialogue rare entre l’encre et la voix, les dessins de David Prudhomme redonnent souffle aux chanteuses de rébétiko que la dictature de Metaxás tenta de réduire au silence. Autour de lui, les musiciens Aggelos Aggelou et Maria Simoglou font vibrer ce blues grec, musique d’exil et de brasier intérieur. 

Enfin, le 23 novembre, toujours à La Criée et à 17 h, la lecture musicale Et la terre se transmet comme la langue offre un moment de recueillement ardent. La voix d’Elias Sanbar, complice et traducteur de Mahmoud Darwich, se mêle à celle de la soprano Dominique Devals, sur une composition ample et lumineuse de Franck Tortiller. Ensemble, ils tissent une traversée où la poésie palestinienne devient souffle commun, portée par le saxophone, la guitare et les percussions. 

Trois soirées, donc, pour dire autrement ce que les Rencontres n’ont cessé d’explorer : que penser la Méditerranée, c’est aussi l’écouter.

SUZANNE CANESSA

Juniors en peau de chagrin
Le dispositif Averroes Junior avait pris au fil des années une importance capitale pour de nombreux établissements scolaires et des centaines d’élèves de la région. Il sera très réduit cette année. Les financements spécifiques des collectivités se sont arrêtés ces dernières années puisque le Pass Culture avait pris le relais… Mais en 2025 la part collective de ce Pass controversé est passée brutalement de 25€ par élève à 2€50, réduisant comme peau de chagrin démarche essentielle d’éducation artistique et culturelle.
Cette année, Les Nouvelles Rencontres d’Averroès ne peuvent offrir qu’à trois classes de primaires, une de lycée et une de collège, pour certains en option arabe, d’échanger autour de la traduction et d’un karaoké plurilingue, le 18 novembre. Dans un monde aussi fragmenté et fragile, et une académie qui compte plus de 535 000 élèves, ce n’est pas même la part du colibri…  S.Ca

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Souleymane Bachir Diagne : Réinventer l’universalisme contre la fragmentation du monde

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Souleymane Bachir Diagne © Charlotte Force

Son travail sur la traduction, le dialogue interculturel et  la philosophie islamique, est reconnu comme une réflexion fondamentale sur l’universalisme et la pensée plurielle entre Afrique et Occident. Ses dernières publications s’intitulent d’ailleurs Universaliser (2024) et Les universels du Louvre, paru en novembre 2025 

Diasporik. Les Nouvelles Rencontres d’Averroès vous invitent à un grand entretien sur le thème « Prendre langue, se parler ». Cette thématique se décline dans une programmation articulée autour de trois verbes : converser, négocier, traduire. Dans quel ordre pensez-vous les aborder ?

Souleymane Bachir Diagne : Je commencerai par « traduire ». J’y ai consacré un ouvrage intitulé « De langue à langue. L’hospitalité de la traduction », publié en 2022 chez Albin Michel. La traduction nous offre l’opportunité d’accueillir l’identité de l’Autre en la nôtre, d’ouvrir notre propre identité à celle d’autrui. C’est pourquoi je débute par ce verbe, qui est déjà la possibilité d’une ouverture…

L’expression « de langue à langue » désigne ce processus philosophique par lequel la pensée s’inscrit comme un mouvement constant de traduction et de dialogue entre diverses langues et cultures. Un processus qui permet le décentrement et l’accueil de l’Autre, en somme, en cultivant la capacité de voir le monde depuis plusieurs perspectives linguistiques et culturelles,  et instaurant ainsi une posture de traduction perpétuelle. 

Ensuite, je mettrai « négocier », parce que cette ouverture facilite la négociation, c’est-à-dire le moment d’échange d’idées qui fonde la proximité nécessaire à la conversation, que je placerai en troisième position. Une fois la traduction effectuée et la négociation amorcée, la conversation peut alors s’installer pleinement. Il m’a semblé essentiel de mettre en lumière le rôle central de la traduction, quand bien même nos langues portent la marque de nos différences ; ces différences ne doivent pas être perçues comme des « incommensurabilités »…

L’arabe est ainsi une langue d’ouverture à l’universalisation de la pensée philosophique

Dans vos publications, vous décrivez la ligne de crête complexe entre la décolonisation des savoirs et la réinvention d’un universalisme cosmopolitique. Comment tendre vers cet objectif dans un monde si fragmenté ?

Nous restons face à deux défis, poursuivre la décolonisation amorcée d’un universalisme impérial et surplombant et celui d’une réinvention en cours, inclusive de toute l’humanité. Tel que le disait Alioune Diop fondateur de la revue Présence Africaine, en 1947  « Désoccidentaliser pour universaliser tel est notre souhait. Pour universaliser il importe que tous soient présents dans l’œuvre créatrice de l’humanité ». 

Par ailleurs, nous traversons une époque paradoxale, où tous les moyens technologiques de rapprochement semblent à notre portée, incarnant une certaine « conscience horizontale globale », à l’instar de ce que nomme le philosophe Francis Wolff. Pourtant, loin de favoriser l’échange, ces outils s’accompagnent d’une intensification des polarisations. 

Les discours politiques, en Europe comme ailleurs, s’organisent autour de la stigmatisation de l’Autre. La question migratoire nourrit l’essentiel de la rhétorique de certains partis d’extrême droite ou suprémacistes, reléguant les populations migrantes à une forme d’inhumanité. 

Par exemple, aux États-Unis, les archevêques viennent de dénoncer les pratiques d’arrestation et d’expulsion, dans un article du New-York Times, et appellent à un retour au respect de la dignité humaine. Au Sénégal, les appels se multiplient pour un apaisement des débats politiques, tout comme lors des campagnes électorales, qui, à l’image des récentes élections en Tanzanie, ont connu de nombreuses dérives. Les discours politiques qui sont remplis de haine mettent en danger les sociétés et neutralisent la capacité à partager des débats sereins. 

L’universalisme cosmopolitique devrait découler naturellement des défis majeurs auxquels l’humanité est confrontée : le réchauffement climatique, les crises sanitaires telles que la pandémie de Covid, qui imposent une action collective à l’échelle mondiale.

Pourquoi les traditions juives et arabes sont-elles toujours perçues comme moins imprégnées par l’humanisme universaliste, aujourd’hui ?

C’est là une question de perception. La religion musulmane est parfois vue comme un particularisme, alors qu’elle est, tout au contraire, une ouverture vers l’universel. Elle s’adresse à l’humanité en tant qu’humanité. Je n’ai de cesse de rappeler que l’islam est une civilisation de la traduction, comme en témoigne Bayt al-Ḥikma, la « Maison de la Sagesse » évoquée dans les sources arabes médiévales. Ce centre intellectuel fondé à Bagdad sous le règne du calife al-Maʾmūn (813-833) a vu l’émergence de multiples bibliothèques et cercles de traducteurs, qui ont rendu possibles de nombreuses traductions des textes grecs vers le syriaque puis l’arabe, notamment dans les arts et les sciences. Cet héritage illustre combien la langue arabe fut celle de la philosophie, un aspect trop souvent méconnu, y compris chez les musulmans.

L’arabe est ainsi une langue d’ouverture à l’universalisation de la pensée philosophique. L’islam, au même titre que le christianisme, est une religion universelle : elle s’adresse à l’humanité et non à un peuple particulier. Enfin, il faut souligner qu’Averroès, Maïmonide et Avicenne, trois figures essentielles de la philosophie médiévale, incarnent cette articulation décisive entre pensée rationnelle et traditions. Tous trois issus du monde arabo-musulman et juif, ils ont puisé dans les textes antiques en cherchant à concilier foi et raison.

Il est important de rappeler combien le monde islamique s’est ouvert à la philosophie, et il faut saluer que Les Nouvelles Rencontres d’Averroès participent activement à créer des espaces où cette dimension universelle et d’ouverture peut s’exprimer pleinement.

Samia Chabani

Grand entretien 
Les langues de Souleymane Bachir Diagne
le 22 novembre à 18h
La Criée 
Entrée libre, réservation conseillée

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Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

Rencontres d’Averroès : Peut-on encore parler à Gaza ? 

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Laetitia Bucaille © X-DR

Gaza, quel avenir ? vient de sortir chez Stock. Lætitia Bucaille débute par un avant-propos très personnel qui situe sa parole : celle d’une sociologue française arabophone qui a vécu dans des camps, en Cisjordanie, à Gaza ville, a enquêté sur le Fatah et le Hamas depuis les années 90, a appris l’hébreu puis y a renoncé durant l’Intifada-al-Aqsa (2000). 

Après ce préambule où elle se met en scène avec sa fille le 7 octobre, elle entre dans le sujet, et s’efface : la question de l’avenir de Gaza doit être posée, en écartant un à un les plans délirants d’éradication d’un ou de l’autre peuple, et sans occulter la violence, les morts, les viols, les impasses dont il va falloir sortir malgré la solidité des murs.

Car nécessité est claire de « prendre langue ». Avec le Hamas, clairement terroriste, ayant commis le 7-octobre un acte d’une barbarie sans nom plus traumatique encore que le 11-septembre à New York ou le 13-novembre à Paris. Avec le gouvernement génocidaire d’Israël. Avec les colons et leurs victimes. Avec les états voisins et leurs réfugiés candidats au retour. Entre le Fatah et le Hamas, peut-être par l’entremise d’une personnalité comme Marwan Barghouti.

Le cheminement de l’essai est clair, historique, thématique. L’autrice montre comment les accords d’Oslo ont été trahis par la droite israélienne et ont affaibli le Fatah, discréditant l’Autorité palestinienne et permettant au Hamas de prendre le pouvoir à Gaza. Elle étudie la Cisjordanie et explicite la scission de l’Autorité palestinienne. Et elle cite des enquêtes précises qui recensent une conviction partagée : 64 % des Israéliens pensent que les Gazaouis veulent tous, comme le Hamas, la disparition d’Israël.

Les peuples doivent vivre

Lætitia Bucaille documente peu « les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité » que commet Israël à Gaza, pourtant à l’origine de son livre et de sa réflexion, objets d’un court chapitre où l’emploi du terme de génocide est sans ambiguïté. Car il ne s’agit pas de dénoncer, de reconnaître, même si elle appelle à la mise en place d’une justice transitionnelle pour punir les crimes. 

Fondamentalement, la politologue cherche à comprendre comment les idées de l’extrême-droite israélienne suprémaciste sont parvenues au pouvoir, alors qu’elle est minoritaire dans le pays et plus encore dans la diaspora internationale dont le soutien est indispensable. Elle esquisse des hypothèses, solides et multiples, propose des voies à emprunter, rappelle que les peuples gazaouis, cisjordaniens et israéliens peuvent reprendre le pouvoir, et doivent, en tout état de cause, se parler. 

L’enjeu n’est pas local, et il n’y a pas d’autre solution que de sortir du conflit. Lætitia Bucaille  nomme le piège tendu par les extrêmes droites européennes dans leur soutien inconditionnel  à Israël depuis le 7-octobre. Giorgia Meloni, Marine Le Pen, Viktor Orbán, alors que leurs partis sont les héritiers directs du fascisme, du nazisme et de la Shoah, se posent aujourd’hui en paradoxaux remparts  contre l’antisémitisme des immigrés, des musulmans. Sans illusion, elle rappelle que dans leur « obsession »  anti-arabes, « les Juifs ne sont que des alliés provisoires ». 

Elle conclut en disant qu’il s’agit, en Israël et partout « de retrouver comme boussole commune l’impératif moral universel plus jamais ça ». Les solutions doivent exister, ou l’avenir n’a plus de nom.

Agnès freschel

Laetitia Bucaille sera présente à la première table ronde, « Prendre langue, Converser » le 21 novembre à 14h30

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Écouter les enfants

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Montessori © Guillaume Castelot Châteauvallon-Liberté scène nationale

Le spectacle, intime, commence comme un conte horrifique : Chronos dévorant ses enfants parce qu’il a peur d’être remplacé. Que nous dit ce mythe fondateur de notre relation aux enfants ? 

Maria Montessori est une figure encore controversée. Parce que comme Rousseau, elle percevait les enfants comme des êtres venus d’un ailleurs naturellement bon, et qu’il suffisait de les laisser être pour qu’ils grandissent. Et ceci au moment où Freud, son contemporain, psychiatre comme elle, inventait la psychanalyse. Mais aussi parce qu’elle a été soutenue, puis censurée, par Mussolini. Et qu’elle a abandonné, puis retrouvé, son fils Mario, devenu l’héritier et le passeur de sa « méthode ». 

Expérimentation généreuse

Dans Montessori, Bérengère Warluzel a l’intelligence de n’occulter aucune de ces failles, mais de les contextualiser, de les incarner avec hésitation, d’avancer dans l’espace scénique avec peu de certitudes. Première femme médecin italienne au début du XXe siècle, dans un pays où les mères célibataires ne peuvent pas travailler, elle met au point sa méthode pour éduquer les « attardés », puis les pauvres des bidonvilles de Rome. L’idée, dans un contexte où les bébés étaient emmaillotés et les enfants contraints au silence et à l’immobilité, était de les laisser jouer, de faire place à leurs corps et à leur désir d’apprendre. 

La méthode Montessori a largement influencé l’éducation concrète et permis de considérer les enfants comme des personnes et non des êtres en devenir à dresser et redresser. Le seule en scène de Bérangère Warluzel se fonde sur ses écrits, son journal, sa vie, pour donner à voir une femme qui tâtonne, se réjouit de découvrir la soif d’apprendre spontanée des enfants. Elle se bat, en coulisses, sur le terrain, contre une société réactionnaire et pas même paternaliste, puisqu’elle tue les élans de ses enfants récalcitrants. La mise en scène de Charles Berling la place très joliment à hauteur d’enfants, penchée parmi des objets simples et colorés, unis, qui sont aujourd’hui dans toutes les crèches et écoles du monde. Montessori a gagné !

AGNÈS FRESCHEL

Montessori a été recréé le 12 novembre au studio du Baou à Châteauvallon.
À venir
19 et 20 novembre
Châteauvallon, Ollioules
Scène Nationale Châteauvallon-Liberté
« Soif d’apprendre », une table-ronde
« Quelles alternatives pour transmettre la soif d’apprendre ? » Autour d’une table ronde, Michel Ferrandi, professeur de philosophie, Nadia Hamidi, présidente des écoles Montessori, et Sylvain Wagnon, historien et professeur en sciences de l’éducation, explorent les pistes offertes par l’éducation nationale et les pédagogies alternatives pour permettre aux plus jeunes de prendre plaisir à apprendre. De Montessori à Freinet, en passant par l’instruction à domicile et les écoles éco-citoyennes, les invités mettent en lumière les enjeux auxquels cette nouvelle génération est confrontée. Entre intelligence artificielle et innovations pédagogiques, les invité·es entendent réfléchir à la manière de maintenir une «culture commune curieuse » et montrer que ces questions concernent l’apprentissage à tous les âges de la vie. C.L.

20 novembre
Châteauvallon, Ollioules 
Scène nationale Châteauvallon-Liberté 

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I Will Survive : De la justice, de la morale et du rire

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Screenshot

Après la famille, la religion, le patriarcat ou l’écologie, les Chiens de Navarre dressent aujourd’hui le procès – au sens propre – d’une société obsédée par la morale et la sanction. I Will Survive se déroule dans un tribunal, espace symbolique où tout se rejoue : le pouvoir, la peur, le doute, la vérité.

Deux affaires se succèdent, deux procès rappelant divers souvenirs, deux miroirs déformants d’un même système. Dans la première, une femme est jugée pour le meurtre de son mari, qui l’agressait physiquement et sexuellement depuis des années. Dans la seconde, un humoriste célèbre comparaît pour avoir fait, sur une radio populaire, une blague de mauvais goût sur les violences faites aux femmes. 

Quand la justice devient performance

Chez les Chiens de Navarre, rien n’est jamais tout à fait réaliste, ni totalement absurde. Le plateau devient un ring, la salle d’audience un cabaret tragique où se mêlent rires nerveux et colère contenue. La mise en scène alterne improvisations, moments de pure farce et jaillissements tragiques. Tout le petit monde judiciaire s’y agite : juges désabusés, avocats cabotins, témoins mal à l’aise et médias en embuscade. Le public, lui aussi, est mis à contribution : où s’arrête la liberté d’expression, où commence la responsabilité ? 

Les Chiens de Navarre font du tribunal le théâtre de notre époque : celui de l’opinion immédiate, du jugement permanent, de la parole condamnée ou glorifiée avant même d’être entendue. 

MARC VOIRY

I Will Survive
Du 19 au 29 novembre
Friche La Belle de Mai
Une programmation du Gymnase hors-les-murs

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Du rire sur la toile à Vitrolles

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La petite cuisine de Mehdi, de Amine Adjina © Pyramide Distribution

À Vitrolles, le cinéma municipal Les Lumières est un espace précieux sur son territoire. Il accueille tout au long de l’année une programmation soignée, où les films d’arts et d’essai, mais aussi les associations, les ciné-débats, et même des concerts trouvent leur place en ses murs. À cette démarche déjà salutaire, le cinéma Les Lumières s’ajoute un nouveau rendez-vous avec La Comédie humaine, un festival « qui rit de la vie », et qui s’étend du 20 au 30 novembre avec des projections, des rencontres et des avant-premières.

Humour balzacien 

La référence à  la Comédie humaine  de Balzac n’est pas vaine. Lui « dépeignait la société française de son temps avec lucidité et mordant », le festival choisit de « célébrer des films qui savent rire du monde tout en le regardant droit dans les yeux » explique Florie Cauderlier, directrice du cinéma. Dans cet esprit, on verra en ouverture La petite cuisine de Mehdi, de Amine Adjina, l’histoire d’un jeune algérien qui cache à sa famille son amour pour Léa et la gastronomie française. Le lendemain, deux avant-premières de deux films italiens : Follemente, de Paolo Genovese, et Le dernier pour la route, de Francesco Sossai. Avec entre les séances, un apéritif dînatoire aux saveurs transalpines. 

Un autre temps fort du festival sera la venue de Coline Serreau, marraine du cinéma, pour un moment d’échange après la projection de son œuvre culte Trois hommes et un couffin. Notons aussi le focus québécois avec les avant-premières de Amour apocalypse de Anne Émond et Deux femmes et quelques hommes de Chloé Robichaud. Pour finir, le festival revient dans ses contrées provençales avec le succulent Cigalon de Marcel Pagnol : une histoire de grivèlerie, sauce aïoli. 

NICOLAS SANTUCCI

La Comédie Humaine
Du 20 au 30 novembre 
Cinéma Les Lumières, Vitrolles 

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Séparer l’artiste du Nazi

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La puissance des médias détenus par l’extrême droite et ses milliardaires est un danger pour la démocratie. La Commission européenne vient de condamner lourdement Google pour « abus de position dominante », mais la presse et les médias français sont désormais presque tous au service de quelques capitalistes ultra-riches qui ont, à des degrés divers, fait le pari du Rassemblement national pour prendre la suite du désastre macronien.

Échaudés par les années où les gouvernements socialistes ont ralenti, mais non stoppé,  l’accroissement exponentiel de leur tirelire, les capitalistes français, élevés au culte de Picsou, ont choisi de combattre la gauche en finançant la désinformation des citoyens. Quitte à promouvoir, comme le patronat des années 1930, les équivalents de Mussolini, Franco, Pétain et Hitler.

Afficher la propagande

Leur conquête du pouvoir mondial passe aujourd’hui non par le contrôle du cinéma naissant comme au temps de Disney, mais par celui des réseaux sociaux, où chacun peut exprimer librement sa haine de l’autre. La majorité des médias d’information hexagonaux emboîte ce pas martial et malsain, et on ne compte plus les silences, les manipulations et les approximations éditoriales dénoncées par Acrimed*. 

Cette fabrique de l’opinion française passe aussi par l’édition, diffusée en particulier par les réseaux Relay, filiale du groupe Hachette détenu par Bolloré. Celles-ci font aujourd’hui la promotion, dans toutes les gares de France où l’essentiel des ventes de presse et de livres s’effectue, des idées de l’extrême droite. Cela passe par la surdiffusion des livres de Bardella et de De Villiers, dont l’affichage compte plus que les ventes : comme Valeurs actuelles, condamné de nombreuses fois pour incitation à la haine raciale, ces « essais » diffusant l’idéologie de la droite extrême sont systématiquement placés dans les rayons les plus visibles.

Exemple de rayonnage d’une boutique Relay © N.C.

Simuler l’incendie

Cette propagande se fait aujourd’hui au nom de la liberté d’expression sur les réseaux et dans les médias, et de la liberté de création dans le monde culturel. Fayard édite les Sermons de Marcel Pagnol, où le coureur de jupons notoire joue le père la morale de la « femme adultère », le 6mic aixois accueille Notre Dame de Pierre, spectacle qui fait l’apologie d’une France chrétienne, blanche et royaliste, le Château de la Buzine diffuse et promeut les leçons navrantes de Sacré Coeur. Mieux encore, le Rocher Mistral illumine le Château de la Barben en rouge « couleur du martyre », en « soutien aux chrétiens persécutés »…

On peut en rire, et se dire qu’il y a peu de chrétiens persécutés parmi ceux qui peuvent voir «  ce symbole de solidarité » qui « rappelle que la liberté de conscience et de culte demeure un droit fondamental ». L’illumination nocturne rougeoyante ne cherche pas à faire cesser une persécution, mais à entretenir la peur de la disparition de la France éternelle. Celle où les sujets du roi ont pris les armes pour devenir des citoyens et ériger la République et la Nation en brûlant les châteaux. Celle dont Stérin, De Villiers, Bolloré et les autres ne cessent de pleurer la disparition due à l’avènement du peuple. 

Démos, le peuple

La démocratie est fragile. Elle repose aussi sur le respect du droit d’expression des esprits totalitaires. Mais quand le capitalisme s’allie à eux et met en avant leur propagande, il s’agit d’affûter les armes de la résistance, de dénoncer leurs alliances médiatiques et la lente érosion de la culture de service public. 

Comme les Nouvelles Rencontres d’Averroès, il faut promouvoir les essais de véritables historiens, sociologues, universitaires, politologues, philosophes, de véritables artistes qui incarnent et analysent la pluralité, la diversité, l’attention aux faibles et aux opprimés de l’histoire. Pas les aristocrates catholiques de l’Ancien Régime.

Agnès Freschel

 *Acrimed (action-critique-média) est un observatoire associatif des médias de référence


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Une belle fête yiddish 

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© A.-M.T.

Virtuose des clarinettes et des flûtes, Marine Goldwaser est une figure du renouveau klezmer. Elle a, entre autres, collaboré avec Bartabas, signant la musique du Cabaret de l’exil, puis avec Michaël Dian, à l’Espace de Chaillol, où est né ce projet. Le sous-titre du spectacle L’Europe Ré-orientée raconte à lui seul la géographie mouvante de ces peuples ballotés par l’histoire : « On a l’habitude de parler des musiques d’Europe de l’Est, terme issu de la guerre froide. Or il semble plus juste de parler à nouveau d’Europe orientale, d’où ce joli jeu de mots » explique Michaël Dian.

Le concert s’ouvre sur un solo de violon d’Élie Hackel, aux accents en effet orientalisants. Le cymbalum – caisse de résonance trapézoïdale surmontée de cordes tendues – fait son entrée sous les maillets du talentueux Mihai Trestian. Puis, Marine introduit en yiddish : on comprend qu’on va assister à un mariage, une noce imaginaire.

Une procession se forme : le trombone (Michaël Joussein) module, la contrebasse (Juliette Weiss) et le violon laissent imaginer les pas des anciens et la clarinette, solaire, la mariée. En robe blanche, elle ouvre la porte. Le moment musical est solennel, puis le tempo s’accélère ; la ronde devient course folle jusqu’à la Houppa sous laquelle, selon la tradition, un verre sera brisé. Mazeltov ! La célébration peut commencer. Elle nous mène en Roumanie, guidé par un Bastien Charlery de la Masselière,remarquable.Quand il n’active pas les touches de son accordéon, il joue la comédie et les chanteurs de charme avec une fantaisie décapante. 

Le spectacle évoque les tableaux oniriques d’un Chagall qui aurait découvert la gouaille des artistes de Broadway. On célèbre aussi les mets – la maliga (polenta roumaine) ou le gefilte fish (carpe farcie) – entre autres portraits musicaux hilarants, jusqu’à un épilogue, qui enveloppe et relie : « Toutes les générations sont ici, écoutez… on entend encore résonner leur pas ».

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Noces Yiddish, Europe Ré-orientée s’est déroulé le 15 novembre à la Cité de la musique, Marseille

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Carnaval vaniteux

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Le mariage forcé © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Sganarelle veut se marier, animé par la peur de vieillir seul et le désir d’affirmer sa virilité. Sa jeune fiancée, Dorimène, voit quant à elle le mariage comme une promesse d’une vie bourgeoise, menée en toute indépendant. Un discours libre et ironique qui déstabilise profondément le premier. Dès lors, tout s’emballe. Pris dans un vertige de doutes, Sganarelle consulte tour à tour son ami Géronimo, des philosophes absurdes et des bohémiennes inquiétantes, autant de miroirs grotesques de sa propre confusion.

Le bal des masques

Dans cette revisite de la farce de Molière par Louis Arène et sa compagnie, le Munstrum Théâtre, Sylvia Bergé, Julie Sicard, Benjamin Lavernhe, Gaël Kamilindi et François de Brauer composent une galerie de figures monstrueuses et hilarantes. Des clowns bizarres, en mutation constante, affublés de vêtements enfilés à l’envers, de nombreuses prothèses et de masques inspirés de la commedia dell’arte, mais revisités par le regard plastique du metteur en scène, accentuant la dimension cauchemardesque de la farce. Le décor exigu et sommaire, un espace clos entièrement fait de planches blanchies, devient une boîte à illusions où les portes claquent, les corps se cognent et les certitudes se fracassent. 

Louis Arène fait de cette farce ancienne une œuvre d’aujourd’hui, où la mécanique du comique se déploie comme une horlogerie infernale : on rit de bon cœur, mais ce rire dérange, dévoilant la part d’ombre du désir de domination. Sous les traits déformés de Sganarelle, c’est un regard cruel sur l’homme contemporain, incapable de comprendre un monde dans lequel les rapports entre les sexes se redéfinissent. 

MARC VOIRY

Le mariage forcé
Du 19 au 21 novembre
Théâtre Liberté, Scène nationale de Toulon

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John Maus, dans son monde  

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John Maus © David LaMason

Assister à un concert de John Maus n’est pas chose commune. Le choix du verbe “assister” est, lui, tout à fait conscient. Si John Maus fait parler de lui dans les rangs des outsiders et autres amoureux de la musique psychédélique ses prestations scéniques ont la réputation de marquer. 

Ainsi, dans un Espace Julien bondé d’un public très de noir vêtu, la figure de proue de la synth-pop entre en scène seul, dans une chemise « bleue bureau » très boutonnée et très ajustée. Si l’on retrouve tout de suite les sonorités synthétisées qu’on lui connait, il faudra se faire à l’idée que Maus ne chantera que sur des bandes pré-enregistrées. Il devient, en quelques minutes, l’unique acteur d’un concert qui se rapprochera plus d’une expérience singulière et performative que d’une proposition d’écoute live. 

John, on est là 

Il en va donc de l’acceptation, pour ceux qui suivraient et apprécieraient sa musique, et plus particulièrement ici son dernier opus sorti en septembre dernier – Later than you think -, qu’il sera difficile de comprendre les paroles, voire même de discerner les morceaux. En effet, s’il est de mise dans le style synht-pop/new wave d’y aller sans modération sur la réverb’, le mix rendait l’écoute précise impossible, et faisait du show un amoncellement plutôt flou de rythmiques, de lignes de chant noyées et de cris habités. 

Sur scène, John Maus fait don de litres de sueurs, semblant se donner sans restrictions à son art : yeux principalement fermés, mâchoires serrées, visage presque souffrant, Maus se frappe incessamment du poing le torse, parfois même le visage. Sauts, mouvements de tête brutaux et frénétiques, le chanteur nous emporte dans une boucle infernale et dérangeante, aliénante, s’adonnant même à un combat de boxe en solitaire. 

Une expérience dont on ne sait pas forcément quoi penser en premier lieu, mais qui donne définitivement à analyser. Si John Maus ne cache jamais son amour pour la philosophie, on est forcé d’essayer de déceler dans cette prestation un message plus vaste qu’une simple interprétation live. L’homme paraît ici coincé dans sa chemise, coincé dans ce monde, coincé dans une boucle frénétique, et seul. La frustration de ne pouvoir entendre correctement ses textes laissera le public tout de même plutôt perplexe.

LUCIE PONTHIEUX BERTRAM 

Concert donné le 14 novembre à l’Espace Julien, Marseille

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