mardi 26 novembre 2024
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Le Sémaphore prend la rue

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Bleu tenac e© Laurant Cadéac

Zébuline. Vous avez initié le festival Sém’Art Rue lors de votre arrivée au Sémaphore en 2019. Pourquoi était-il important pour vous d’investir l’espace public ? 

Laurence Cabrol. La relation des gens à la salle de spectacle n’est pas la même que celle qu’ils peuvent avoir aux spectacles qu’ils croisent dans la rue. C’est donc une manière de faire connaissance avec le public, et de faire voir la ville autrement. Ensuite, on a une petite salle, donc aller dans l’espace public permet aussi d’avoir une diversité de formats, de faire du grand. Nous avons d’autres événements dans l’espace public, mais ce temps fort est vraiment festif et familial. 

Y a-t-il des nouveautés cette année ? 

Oui. Cette année on commence avec du théâtre, alors qu’il n’y avait pas cette dimension théâtrale auparavant. Il s’agit de Tempête du collectif Le Prélude, basé sur Shakespeare. C’est très visuel, drôle et délirant, vraiment accessible à tous à partir de huit ans. Ce sera joué dans la cour de la mairie qui est à l’ombre, car on a voulu veiller à ce que le public n’ait pas trop chaud. Ensuite, les autres propositions sont plus circassiennes et musicales. Il y aussi de la danse avec la compagnie de Kader Attou. 

Vous pouvez nous en dire plus ? 

Il y a deux formes de cirque. Un solo, Bleu tenace de Chloé Moglia. Elle est tout le temps suspendue, complètement dans douceur et dans la force en même temps. C’est le moment poétique et magique de la programmation. On enchaine avec Gagarine is not dead, l’un des coups de cœur du Festival de Chalon. Ce sont quatre fous qui refont la conquête de l’espace entre théâtre et cirque. Il y a une grande machine qui monte les acrobates dans l’espace. Ça met bien en jeu la prise de risque.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CHLOÉ MACAIRE 

Sem’Art Rue
14 septembre
Port-de-Bouc

Les Fanfaronnades dans les Alpilles 

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La Banda du Dock © X-DR

Depuis 2021, le Théâtre des Calanques a pris l’habitude d’investir les parcs naturels régionaux, à commencer par les Alpilles, avec ses Itinérances qui mettent chaque année à l’honneur une pratique différentes. Cette fois, c’est au tour des fanfares de briller pour quelques dates intitulées – bien à propos – Les Fanfaronnades. Cinq groupes sont invités à se produire dans plusieurs communes du Parc des Alpilles (Saint-Étienne-du-Grès, Maussane-les-Alpilles, Les Beaux-de-Provence) les 13 et 14 septembre, et au Théâtre des Calanques le 15 pour un grand bœuf final. 

Tanner le cuivre 

Certains de ces groupes s’approprient des genres qui ne sont à première vue pas associés avec l’univers de la fanfare, leur donnant par leurs arrangements une nouvelle énergie festive. C’est le cas du hard rock et du métal avec La Banda du Dock, et des différentes nuances de rock et de pop avec La Saugrenue et ses chansons au mégaphone. Mais on retrouve également des fanfares plus traditionnelles, avec La Peña de Saint-Étienne-de-Grès qui saura apporter une ambiance de fête de village provençale, Honolulu Brass Band et ses rythmes exotiques, et Batucada Mega Samba

Les semaines qui suivent, l’événement laissera de côté les fanfares pour prendre la direction de la Camargue et du mont Ventoux pour plusieurs représentations de la troupe du théâtre et du groupe 444. 

CHLOÉ MACAIRE 

Les Fanfaronnades
Du 13 au 15 septembre 
Divers lieux, Les Alpilles 
Une proposition du Théâtre des Calanques (Marseille)

Le Meyreuil du blues 

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Stephen Hull- © Nardo Bernski

Entre les festivals de musique classique, d’électro ou de jazz, les rendez-vous consacrés au blues se font bien rares dans la région, ou en France. C’est pourtant la bonne idée que porte la Ville de Meyreuil depuis 2019, au sein du sublime domaine de Valbrillant, face à la Sainte Victoire. Et ce n’est peut-être pas un hasard qu’un tel rendez-vous soit né ici, car comme le rappelle Jean-Pascal Gournes, le maire de la ville, Meyreuil est « une terre d’hommes venus de l’Europe entière pour extraire pendant un siècle le charbon de la terre de Provence ». Des « gueules noires » face à d’autres gueules noires, celles des esclaves et des forçats afro-américains, qui, dans l’ignominie de leur condition, ont su donner naissance aux plus touchantes notes qui soient : celles du blues, qui donnera ensuite – et entre autre – la soul et le rock. 

En six éditions, le Blues Roots Festival a su accueillir quelques-uns des artistes qui portent de la plus belle des manières cet héritage : Taj Mahal en 2019, Rhoda Scott en 2020 ou Sugaray Rayford en 2023. Bonne nouvelle, le cru 2024, qui se tient du 12 au 14 septembre, est sur la même lancée : du blues toujours, qui explore les différents courants du genre, porté par des artistes – hommes et femmes – du monde entier. 

Sur scène 

Dès l’ouverture, le Blues Roots attaque fort, avec la venue de Joe Louis Walker, une des dernières grandes stars du genre. Ce Californien, aujourd’hui âgé de 74 ans, s’est fait connaître sur le tard, à la fin des années 1980. Une carrière qui a été marquée par des hauts et des bas, son blues mâtiné de rock et de soul n’était pas forcément au goût des puristes. Qu’à cela ne tienne, il intègre le Blues Hall of Fame en 2013, ce qui aurait pu être la reconnaissance ultime de son travail s’il n’avait pas été surnommé « The Bluesman » par la Queen des Queens : Aretha Franklin. Le même soir, le plateau accueille la Brésilienne Nanda Moura. Chanteuse et guitariste, elle revisite les grands classiques du blues des années 1920, 30 et 40. L’occasion d’entendre, à coup sûr, quelques notes de la légende absolue du genre : Robert Johnson et son Sweet Home Chicago

De Chicago on passe à Detroit le lendemain avec Thornetta Davis. Chanteuse, star en Amérique et dans sa ville, elle a notamment assuré les premières parties de Bonnie Raitt, Gladys Knight ou Etta James en début de carrière. À ses côtés on va découvrir Stephen Hull : artiste autodidacte, il s’est mis à jouer du blues sur sa guitare à 14 ans. Bien lui en a pris puisqu’il s’est fait repérer par Bruce Iglauer, le patron du très réputé label Alligator. Depuis, il court les grandes scènes du monde, on l’a vu à Montreux cet été, et joue une musique dans la lignée des Albert King, BB King et Elmore James. 

Le samedi, s’ouvre dès 14 heures une jam session dans la salle Jean Monnet, avec sur scène, Marc Campo, Lionel Dandine, Christophe et Philippe Le Van. Ensemble, ils proposent une répétition expliquée et commentée aux spectateurs, avant d’assurer un concert dans un second temps. Un tour de chauffe bienvenu avec le grand final qui accueille l’ingénieux danois Mike Andersen et l’Américain Lance Lopez, qui n’est pas sans rappeler un autre grand nom du blues, Stevie Ray Vaughan. 

NICOLAS SANTUCCI

Blues Roots Festival
Du 12 au 14 septembre
Domaine de Valbrillant, Meyreuil

En Polyptyque (s)

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Polyptyque 2024 - Devant les oeuvres d'Orianne Ciantar Olive - Urban Gallery © Angélique Roullier

Annulé en 2023 pour cause de financements insuffisants, le salon de photographie contemporaine Polyptyque a fait son retour au sein de la rentrée de l’art contemporain à Marseille. Un salon organisé par le Centre Photographique Marseille, qui s’est déployé dans le quartier de la Joliette sur quatre lieux différents : l’Urban Gallery, Les Voûtes de la Major, le Centre Photographique Marseille et le Mund’Art. 

À l’Urban Gallery et aux Voûtes de la Major, le Salon proprement dit avec les expositions proposées par les neuf galeries sélectionnées, et les 17 artistes pré-sélectionné.e.s pour le prix photographie Polyptyque et le prix du livre d’artiste. 

Au Centre Photographique Marseille et au Mund’Art, deux expositions parallèles : un nouvel accrochage de l’exposition Toucher le Silence de Grzegorz Przyborek au Centre Photographique Marseille.Et au Mund’Art, les cinq lauréat·es de la première édition de Polyptyque en 2018 dévoilaient leurs œuvres récentes. 

Polyptyques

En déambulant d’un lieu à l’autre, on peut constater que le salon n’a pas choisi le nom de Polyptyque par  hasard : la totalité des photographEs présenté.e.s travaillent sur des séries d’images, exposées en diptyques, triptyques et polyptyques, permettant aux visiteur.euse.s de percevoir un travail artistique dans son amplitude et sa cohérence. 44 artistes présenté.e.s c’est autant de démarches diverses et variées, d’univers différents. Entre lesquels on peut néanmoins essayer de faire quelques rapprochements : celles et ceux qui s’orientent vers une exploration de la matérialité de l’image, ceux et celles dont les images sont plutôt d’accès littéral, et celleux qui invitent, à travers le rapprochement d’images différentes, à imaginer des mises en récit. 

Du côté de la matérialité, on trouvait par exemple aux Voûtes de la Major, le travail en duo de Clara Chichin et Sabatina Leccia, Le bruissement entre les murs, présenté par la galerie XII : des photographies de la végétation d’un parc, percées dans certaines zones du papier d’une multitude de minuscules trous d’aiguille, déformant légèrement la surface, suggérant une sorte de porosité entre l’image et son support matériel. Également, les travaux en cyanotype sans contact de Marie Clerel exposés par la galerie Binome, notamment des séries de ciels. Une artiste qui explore la lumière et le temps, en mettant hors-jeu les préoccupations techniques habituelles de la photographie, en se tournant et jouant avec des procédés d’expositions et de révélations élémentaires. Un autre exemple à l’Urban Gallery, où la galerie Dantec présentait les travaux de Léa Desmousseaux, qui explore, munie d’un appareil argentique derrière l’écran de son ordinateur, des clichés d’images aériennes issues d’archives scientifiques (vestiges nubiens, romains, …), proposant à l’arrivée des paysages étranges, matériels et immatériels, lunaires.

Rêveries

Du côté des images facilement lisibles, on trouvait à l’Urban Gallery présenté par la galerie The Merchant House plusieurs projets de l’artiste Mary Sue, qui pose déguisée en soubrette naïve, superwoman, danseuse orientale, Alice au pays des merveilles ou Blanche-Neige, accentuant ironiquement l’imagerie associée aux femmes pour la dénoncer. Aux Voûtes de la Major, la galerie Olivier Waltman proposait les photographies grand format du norvégien Rune Guneriussen. L’artisteinstalle dans les paysages naturels de Norvège des ensembles de mobiliers manufacturés, luminaires, chaises, globes terrestres électriques, disposés souvent en guirlandes monumentales, donnant à l’ensemble un aspect de conte merveilleux.

Enfin parmi les photographes présentant des ensembles invitant au récit, le travail d’Yveline Loiseur présenté aux Voûtes de la Major par la galerie Françoise Besson : La Vie Courante cherche à capter le passage du temps d’une vie dans des lumières aux couleurs profondes. Une dizaine de photographies rêveuses, certaines où elle fait poser des personnages qu’elle met en scène précisément, d’autres étant des natures mortes qu’elle compose précautionneusement. 

Rêveuse encore, à l’Urban Gallery, l’une des lauréates du Prix Polyptyque Photographie de cette année, Éleonara Paciulo : un ensemble de photographies en noir et blanc et de vidéos, un serpent avec sa mue sur du sable, un tronc d’arbre, des ombres de main, des objets brûlés, des rituels mystérieux, un texte sur la magie.

MARC VOIRY

Polyptyque s’est déroulé du  30 août au 1er septembre aux Voûtes de la Major, Urban Gallery, Centre Photographique Marseille et MundArt, Marseille

Le nouvel accrochage de l’exposition Toucher le Silence de Grzegorz Przyborek au Centre Photographique Marseille est visible jusqu’au 21 septembre 

À Martigues, une rentrée résistante

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Ttsunami Banana © Delphine Mallet

En cette rentrée très politique, la section de Martigues du Parti communiste ne déroge pas à la règle, et organise son traditionnel rendez-vous festif et solidaire avec le festival Terres de Résistance, du 5 au 8 septembre au jardin du Prieuré.  

En ouverture cette année, une projection en plein-air de Twist à Bamako, un drame historique de Robert Guédiguian sorti en 2021, qui suit un couple d’amoureux révolutionnaires au temps de l’indépendance du Mali. Le lendemain musique, avec le joyeux rock de Oai Star, toujours emmené par un Gari Gréu vivifiant… Plus tôt, on aura écouté une reggae party signée Soon Come

Pour le week-end, place à la solidarité avec une journée construite en partenariat avec le Secours populaire français. Outre le marché paysan le matin et la kermesse – gratuite pour les enfants – l’après-midi, un débat s’interroge sur « la place des jeunes dans la mobilisation associative ». La journée se finit en musique, avec les « DJeuses éclectiques » de Tsunami Banana. Le dimanche, il faudra se lever tôt pour aller chiner les pépites du grand vide grenier, avant le grand meeting de rentrée et l’après midi musical animé par le duo acoustique K-Lamité

NICOLAS SANTUCCI

Terres de Résistance
Du 5 au 8 septembre
Jardin du Prieuré, Martigues 

Dying, la bonne partition de Matthias Glasner

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Réalisateur : Matthias Glasner Section : Concours 2024 © Jakub Bejnarowicz / Port-au-Prince, Schwarzweiss, Sénateur

La perte d’autonomie, l’alcoolisme, la dépression, le suicide, un Parkinson et un cancer, concentrés dans un film de 183 minutes – le plus long de la compétition de cette 74e Berlinale, auraient pu constituer une épreuve pénible et définitivement déprimante. Mais contre toute attente Sterben (Dying) du réalisateur allemand Matthias Glasner est un film émouvant sans pathos, tragique sans grandiloquence, et … drôle. Oui ! Drôle et vivifiant.

Trois enterrements, trois naissances

Les trois enterrements auxquels on assiste sont contrebalancés par deux naissances, auxquelles on peut ajouter celle d’une œuvre musicale magnifique, bouleversante, qui porte le même titre que le film. Conçue dans la douleur, elle clôt le tableau comme un triomphe.

Matthias Glasner construit un récit choral en trois chapitres se superposant dans le temps et croise les trajectoires de trois membres de la famille Lunies. La mère Lissy Lunies (Corinna Harfouch) ne supporte plus Gerd (Hans-Uwe Bauer) son mari, hagard et dément. Le fils Tom Lunies, interprété par l’admirable Lars Eidinger, est chef d’orchestre. Divorcé de Liv (Anna Bederke) dont il reste proche, il endosse le rôle paternel auprès du bébé qu’elle vient d’avoir avec son nouveau compagnon. Tom prépare la création de Dying composé par son ami, Bernard (Robert Gwisdek) dont il gère au mieux les exigences, les angoisses et les violences. Enfin la fille, Ellen Lunies (Lilith Stangenberg) assistante dentaire à la dérive, dépendante à l’alcool, s’engage dans une relation adultère avec Sebastian (Ronald Zehrfeld), son patron.

À la mort, à la vie !

Si à la faveur de certaines confessions, des explications éclaireront le dysfonctionnement de cette famille, elles ne seront jamais réductrices. N’arrêteront pas la dynamique narrative et, comme tout le reste, seront dédramatisées par le comique inhérent au tragique, que le réalisateur excelle à extraire.

Ainsi la terrible scène d’ouverture – qui fait penser à Amour d’Haneke, et montre sans filtre la déchéance du corps et de l’esprit du vieux couple, sera suivie d’une vraie scène d’auto-dérision. Ainsi la romance entre le dentiste et son assistante se teintera de burlesque autour de la bouche grand ouverte d’un patient. Le grand-guignolesque s’invitera à la première d’un concert et les affres sentimentales du trouple seront désamorcées par le concours cocasse des deux pères pour faire manger bébé. Les aveux terribles de la mère à son fils, le suicide d’un ami, les blessures anciennes et nouvelles n’empêcheront pas Tom, de garder son équilibre et de jouer sa partition. Le réalisateur crée la sienne de rires et de larmes, empreinte d’une grande humanité.

ÉLISE PADOVANI

À Berlin

Dying, de Matthias Glasner

Sortie 4 septembre

Titre français : La Partition

Monkophilie persistante

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Le Marseillais Jacques Ponzio, médecin et pianiste de jazz, « monkophile » absolu, s’est fendu d’un troisième ouvrage chez l’éditeur nantais Lenka Lente sur Thelonious Monk. Il récidive après un Abécédaire Monk en 2017 (celui-ci est même traduit en turc !) et un Monk encore (2021) sans oublier l’ouvrage initial, Blue Monk publié chez Actes Sud en 2004.

L’auteur fait preuve d’une humilité certaine, rendant justice à Monk qui n’appréciait pas toujours les commentaires sur sa musique. Il préfère restituer les documents d’archives les plus pertinents sur l’irruption de son héros dans le Paris de 1954. Il convoque notamment les clichés de Marcel Fleiss, dont certains sont ici publiés pour la première fois. Le photographe, alors âgé de vingt ans, sait capter la densité de l’instant « live », avec son Rolleiflex. Il a également eu l’autorisation de reprendre des extraits du blog de Daniel Richard, inlassable témoin de la présence des jazzmen américains en France. 

Un Monk remixé

Sont également de la partie les témoignages de Ny Renaud, épouse du pianiste Henri Renaud* : restituer cette présence dans un milieu du jazz encore plus machiste qu’il ne l’est de nos jours est un des points forts d’un essai qui fait œuvre d’histoire populaire. De même, l’auteur relève le ton raciste des commentaires de l’époque. Le montage des dix jours de Monk à Paris se fait linéaire, avec des ellipses bienvenues, qui renforcent l’indéfectible part de mystère du musicien – ô le blues en si bémol de « Misterioso » !

L’ouvrage prend des allures de remix tout à fait actuel, sans négliger d’être très factuel. 

Monk se produira à Marseille dix ans plus tard : Jacques Ponzio a manifestement encore des billes pour narrer les aventures de ce géant musical. Vivement la suite !

LAURENT DUSSUTOUR

*Le génial pianiste auquel certains, dans la cité phocéenne, rendent encore hommage, comme le saxophoniste Léo Mérie ou le pianiste Fred Drai.

Monk sur Seine, de Jacques Ponzio
Lenka Lente, 2024 – 25 €

Portraits de Géorgie 

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Que savons-nous de la Géorgie, de cette terre caucasienne à la fois si proche, si lointaine ? Bien peu. En 2017, Nino Haratischwili dans une saga historique, autour de personnages féminins, La huitième vie, évoquait l’histoire mouvementée de son pays natal depuis le début du XXe siècle. En 2022, cette fois-ci, La lumière vacillante plonge dans le passé très douloureux, plus récent de la Géorgie post-soviétique, marqué par l’effondrement économique et moral, par la violence politique, par la guerre meurtrière entre 1991 et 1993 en Abkhazie, au nord du pays. N’est-ce pas pour nous, lecteurs européens, comme l’écrit l’autrice la peinture « d’un monde exotique, un monde détraqué attirant pour des yeux occidentaux » ?C’est bien plus que cela. Une fresque des blessures humaines. 

Elles sont quatre : Nene, la séductrice, Dina la combattante, Ira la joueuse d’échecs et Keto. Elles grandiront ensemble à Tbilissi. Entre 1989 et 2019, Keto, la narratrice, « restaure » leur parcours comme elle deviendra, adulte, restauratrice d’œuvres d’art. Chacune prise dans la tourmente d’un pays devenu indépendant.  

Entre deux mondes 

Les images de Dina lui serviront de fil d’Ariane. Le présent appelle le passé. Une rétrospective de ses photos à Bruxelles réunit les trois survivantes et à chaque cliché ressurgit un épisode de leur vie, celle d’une génération amère qui choisit de partir vers l’étranger. Ira réussit aux États-Unis, Nene se remarie à Moscou et Keto s’exile en Allemagne puis en Belgique. L’ouverture du roman dans le jardin botanique de Tbilissi du temps de l’adolescence insouciante nourrit la fin du texte dans le parc bruxellois, quand la vie s’est écoulée et que Dina n’est plus là. Il faut bien se sauver. 

Nino Haratischwili elle-même écrit son histoire géorgienne en allemand, sa langue d’adoption comme s’il était impossible de retrouver ce point origine, que seule une distance pouvait apaiser les âmes. On sait d’ailleurs qu’aujourd’hui encore la Géorgie n’a pas retrouvé ses territoires perdus contrôlés par les Russes et que son Gouvernement s’affirme contre l’Europe.   

MARIE DU CREST

La lumière vacillante, de Nino Haratischwili
Gallimard - 27,50 euros
Sortie le 5 septembre
Traduit de l’allemand par Barbara Fontaine 

Partir et rebondir

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Claudie Gallay a une passion pour Venise, cette ville flottante dans sa lagune, siège de tous les imaginaires, désir de tous les rêves. Dans son dernier roman, Les jardins de Torcello, son héroïne vit cette fois entre Venise et Torcello, île plus secrète que ses célèbres voisines. Jess, 26 ans, refuse qu’on l’appelle Louise, prénom de son baptême qu’elle rejette comme elle rejette l’avenir que ses parents lui ont tracé : prendre la succession de leur hôtel. Aussi est-elle partie à Venise où, devenue guide privée, elle promène des touristes désireux de découvrir les aspects secrets de la ville et mélange des anecdotes historiques à d’autres qu’elle invente. 

Mais il lui faut d’autres revenus. On lui indique un célèbre avocat pénaliste qui aurait besoin d’aide pour classer ses archives. C’est ainsi qu’elle débarque à Torcello chez Maxence qui vit avec Colin, plus jeune d’une dizaine d’années. L’habitation est au bord de l’eau et faisait partie d’un ancien monastère de 1620. Deux chevaux et un chat se promènent dans les jardins en friche. Un gardien taiseux construit un mur pour protéger les terres de la montée des eaux car Maxence veut reconstituer les sept jardins de la Bible et recherche des ceps de vignes anciens, des plantes médicinales et aromatiques.

Amours et amitiés

Peu à peu Jess se rend indispensable à la bonne marche de la maison. Des liens se créent entre les trois personnages sans que beaucoup de paroles soient échangées. Le récit se déroule lentement au fil des souvenirs d’amours et d’amitié. Claudie Gallay nous entraîne dans ses contemplations de la nature si calme à Torcello alors que les touristes envahissent Venise et participent à sa dégradation. Il est question de l’histoire des palais, des superstitions vénitiennes, des Biennales, de Bansky et ses pochoirs, mais aussi de Canaletto. Avec une langue simple au rythme régulier et des chapitres plutôt courts, l’autrice nous entraîne vers la découverte des voies nouvelles et apaisées que chacun trouvera.

CHRIS BOURGUE

Les jardins de Torcello, de Claudie Gallay
Actes Sud - 23 €
Sorti le 21 août

OCCITANIE : L’art de Sète et d’ailleurs

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Installation Cyclo, Abdelkader Benchamma © Eloise Legay

Sète-Lisboa est organisé par l’association Sète Los Angeles (SLA), créée en janvier 2018 dans la commune héraultaise, qui s’est donné pour mission d’organiser des cycles d’expositions et des rencontres culturelles entre Sète et d’autres villes du monde, à tra- vers un festival nomade. En 2019 il y a eu Los Angeles, en 2022 Palerme, et en ces mois de sep- tembre et d’octobre 2024, Lisbonne. Il s’agit pour SLA de soutenir les artistes sétois, en confrontant leurs visions du monde à celle d’artistes venus d’ailleurs. Et de former une communauté artistique cosmopolite et crois- sante, dont le centre de rayonne- ment est la ville de Sète

« Sourde résistance »

Chaque édition de la biennale conjugue performance, art plastique, danse, installation, art numérique, vidéo, art urbain, sculpture, peinture, photographie, art culinaire, art textile. Les 26 artistes de cette édition, 11 lisboètes et 15 sétois et montpelliérains,  ainsi que deux collectifs (Île/Mer/Froid et Les Crafties) ont été sélectionnés par le commissaire d’exposition Philippe Saulle, ex-directeur de l’École des Beaux-Arts de Sète, à la retraite depuis janvier dernier. Thème de cette édition : « Sourde résistance ». 

Une expression évoquant pour lui une façon de « faire face de façon fragile et butée à la nature et ses débordements fous, autant qu’à la violence du monde que quelques cinglés nous fabriquent. L’expression de cette sourde résistance devrait pouvoir se partager en images, gestes, textes ou sons dans une déambulation sensible à Lisbonne et Sète, au bord de l’art. »

La question du rapport à la nature va être d’ailleurs au cœur des futurs dialogues entre artistEs portugais et français. Parmi les artistEs choisi.e.s, plusieurs travaillent autour des questions de biologie, de bio-matériaux, de végétaux, de géologie, de météorologie. Telle la lisboète Inès Barros, qui imagine une œuvre d’art comme une boîte à outils d’interaction envers la nature, proposant langages et gestes inter-espèces. Ou la sétoise Elena Salah qui fait appel à des historiens, des botanistes, zoologistes, hydrologues ou géologues pour étoffer ses travaux photo, vidéo, sculptures et installations.

Soirée-Radio Muge Alla Zisa © Eloise Legay

Un vernissage par jour 

L’ouverture du festival a lieu le lundi 9 avec sur la plage de La Ola, la projection en plein air du film Lisbonne Story de Wim Wenders. À partir du mardi jusqu’au samedi, c’est un vernissage par jour minimum ! Parmi ceux-ci le mardi au Musée Paul Valéry celui de Pedro Cabrita Reis, suivi d’une performance de Vir Andres Hera. Le mercredi à Diorama (Atelier Crafties) celui du collectif Île/Mer/Froid et de Naomi Maury, et à la Galerie Zoom celui de l’exposition collective Pedro Barateiro, Inês Barros, André Cervera, Vasco Costa, Julien Fargetton, Damien Fragnon, Sam Krack, Marion Mounic

Le jeudi à la librairie L’Échappée belle, vernissage de Julien Fargetton et Agnès Fornells suivi du lancement de l’édition française du fanzine Une ville plus que parfaite de Rui Silva. Vendredi 13 à la Chapelle du Quartier Haut celui de Elisa Fantozzi, Raphaël Kuntz, les Crafties, Sara Bichão, Márcio Vilela, Pauline Guerrier, Manuela Marques, suivi d’une soirée DJ au Dancing. Enfin samedi, last but not least, celui de Sara Bichão au Musée international des arts modestes, puis clôture sur la plage de La Ola, avec un nouveau vernissage suivi d’une soirée concert fado et DJ set. 

Toutes les expositions à Sète restent visibles jusqu’au 29 septembre. À Lisbonne, elles auront lieu du 15 au 19 octobre. 

MARC VOIRY

Festival Séte-Lisboa
Ouverture du 9 au 15 septembre,
expositions visibles jusqu’au 29 septembre
Divers lieux, Sète