dimanche 9 novembre 2025
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Réactionnaire

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Le terme, qui forme une rime, très riche, avec « actionnaire », est plus complexe que ce que « réac », son petit nom désuet, a pu laisser entendre. Car le mot « réaction » » appartient à la fois au lexique de l’Histoire, désignant les contre-révolutionnaires, et à celui de la Physique : grâce à la troisième loi de Newton, nous savons que l’exercice qu’une action déclenche toujours une réaction de même force :

« L’action est toujours égale et opposée à la réaction ; c’est-à-dire, que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales, et dans des directions contraires. » 

Nos sociétés humaines, si peu humaines, seraient-elles gouvernées aussi par le principe de la réaction d’égale force et de direction opposée ? En d’autres termes, le masculinisme d’extrême-droite qui fait de Charlie Kirk un martyr est-il une réaction au féminisme qui s’attaque enfin à la culture du viol, et au décolonialisme qui veut en finir avec l’héritage raciste des arts et de la langue ? Ces mouvements sociétaux majeurs, qui questionnent profondément nos habitudes, sont eux-mêmes des réactions à des oppressions violentes ou sourdes. Dans l’espace, des actions/réactions de ce type se perpétuent à l’infini. Peut-on, sur terre, les arrêter ? 

Les progressistes aussi sont réactionnaires 

Le bonheur de battre le PSG est-il de même force, et de direction contraire, à la domination que l’équipe sauce Qatar impose à la Ligue 1 ?

« C’est un rêve de battre le PSG, c’est un club qui représente le pouvoir » 

L’entraîneur de l’OM, après son carton rouge, a-t-il une réaction de force égale et de direction opposée à la domination parisienne ? La programmation d’actoral, transgressive et radicale, est aujourd’hui accueillie dans toutes les salles : est-ce une réaction des programmateurs et du public aux tentatives de censure qui se multiplient ? Les propositions gratuites, festives, ouvertes, se répandent de La Seyne-Sur-Mer à Cultures du Cœur : est-ce une réaction à la marchandisation des réseaux d’information, de la culture et de l’enseignement privés ? 

Les leçons de l’histoire

Dans Ils appellent ça l’amour, Chloé Delaume n’espère plus que la honte changera de camp : les agresseurs sexuels, les harceleurs quotidiens, n’acceptent pas d’abandonner leur position dominante. Celle-ci est le fruit d’une culture, d’un apprentissage social, d’une éducation reproduite, et leur réaction quand on les place face à leurs actes n’est pas la honte, mais un déni d’une force égale, et contraire, à la parole des femmes qui se délie.

Ce mouvement de balancier est-il inéluctable ? Peut-on le stopper en tirant les leçons de l’histoire ?  La résilience et le pardon ne gouvernent pas seules les relations entre les peuples. Ainsi, la sidération éprouvée face au génocide perpétré à Gaza n’est pas étrangère à la mémoire de la Shoah. Non que sa forme ou son ampleur soient similaires, mais parce que la persistance du traumatisme, du sentiment de mort imminente, s’est sans doute perpétuée et exerce aujourd’hui une réaction insensée et aveugle. Qui déclenche elle-même un antisémitisme réactif tout aussi dangereux.

Ainsi l’histoire se répète, et briser le cercle des réactions, libératrices ou tyranniques, ne peut se faire qu’en cherchant à toute « force » à détourner les réactions, et à construire la paix. 

Quant au billard à trois bandes qui se joue sur l’échiquier politique français, l’analyse des forces est une équation au résultat incertain. Mais il est clair que la violence exercée contre la volonté du peuple ne peut que déclencher une réaction.

Agnès Freschel


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Qu’avons-nous à perdre ? 

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Bye Rou parti, quelques spectres s’éloignent, et le peuple se lève, pour bloquer tout. Mais pour quel avenir, quels horizons ? Peut-on espérer renverser un pouvoir qui bégaye ? 

La situation politique française apparaît, avec de plus en plus d’évidence, comme une crise de régime, et la fascisation mondiale prend des allures de fin du monde. Avec Poutine, Trump, Netanyahou et les Talibans, que peuvent devenir l’ordre mondial et le droit international ? Dans quelles mains folles les peuples du monde ont-ils placé leur destin ? 

Warren Buffet, première fortune du monde dans les années 1980, avant de céder sa place à son ami Bill Gates, déclarait : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait cette guerre. Et nous la gagnons ». Depuis longtemps les leçons de Karl Marx ont profité essentiellement aux capitalistes. Peut-on reprendre le pouvoir, et commencer à liquider le principe du profit qui gouverne un monde aveugle ?

Lutte de classes voisines

« Vous n’avez rien à perdre, si ce n’est vos chaînes ». Les milliardaires, puisqu’ils ont lu Marx, savent qu’un peuple, pour accepter le joug, doit posséder quelque chose. Avoir quelque chose à perdre, auquel il tient. Une maison, un travail, un avenir pour ses enfants, une retraite possible. Un stylo à bille, des bas en nylon, un fer à vapeur, un autocuiseur, disait-on dans les années 1960, qui ont vu le début de la lutte des classes voisines. Une invention bougrement efficace des exploiteurs pour diviser les classes populaires. 

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » disait encore Marx (ma jeune collaboratrice Chloé  prétend à raison que je suis atteinte d’une Tourette marxiste). L’union qui est nécessaire n’est pas seulement celle des partis de gauche, elle est celle du peuple. Le peuple RN croit que son ennemi est le chômeur, l’étranger, l’immigré, le retraité qui abuse avec ses soins médicaux, l’artiste qui profite du régime des intermittents, l’handi qui coûte cher, le toxicomane qui souffre, le petit délinquant, le queer qui affiche sa différence, la femme qui refuse qu’on la minore, l’étudiant qui ne veut pas de l’avenir poisseux que la société lui a tracé. Bref la clique des wokes et des faibles. Qui croit souvent d’ailleurs, à l’inverse, que les salariés qui peuvent payer les études de leurs enfants sont des profiteurs, quand bien même ils ne vivent que de leur travail.

L’illusion d’une France pure

C’est pour empêcher l’union du peuple que le capitalisme a inventé les classes moyennes et les a dressées, en leur faisant croire qu’ils avaient des privilèges à perdre, contre les pauvres. Et c’est en divisant les pauvres, blancs contre racisés, juifs contre musulmans, algériens contre marocains, noirs contre arabes, mahorais contre comoriens, automobilistes contre écolos, que les ultra riches et leurs médias aux ordres entraînent désormais ce peuple. Lui faisant miroiter le mythe d’une France pure, chevaleresque, débarrassée de son idéal républicain, tirant substance de sa bourbe coloniale matée et à nouveau asservie.

En ce 10 septembre, à l’initiative du peuple, il s’agit peut être de commencer à reprendre le pouvoir sur nos vies. Il a été confisqué par ceux qui prétendent qu’il y a des cultures à combattre, des lesbiennes à harceler, des musulmans intrinsèquement dangereux, des prêtres pédophiles à protéger. 

La colère fait les émeutes, seul l’espoir fait les révolutions, a déclaré François Ruffin (Oui Chloé, je peux sortir de mon tropisme marxiste). Il faut construire ensemble une alternative, et pour cela convaincre les électeurs du RN qu’ils se trompent d’ennemi. Et que vivre ensemble est une joie.

AgnÈs Freschel


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Disco Afrika : Politique minée à Madagascar

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Chassé manu militari avec ses compagnons de misère, des mines de saphir clandestines où ils espéraient faire fortune, Kwame rentre chez lui à Tamatave, ramenant le corps de son ami Rivo assassiné par la milice. Il retrouve sa mère, aimante et résignée, dans sa baraque, sans eau courante, et sans électricité stable. Kwame a 20 ans, il porte le prénom d’un héros de la décolonisation et d’un chantre du panafricanisme, président du Ghana en 1960 : Kwame Nkrumah. Pour s’être engagé dans les années 70, contre les nouvelles élites de Madagascar, le père du jeune homme a été arrêté, torturé, exécuté et enseveli dans une fosse commune on ne sait où, quand le jeune homme n’avait que 4 ans.

Loin des espoirs postcoloniaux, le pays gangréné par la corruption, s’est enlisé dans la violence, l’arbitraire. Les partis avides de pouvoir, prêts à tout pour le garder, pillent pour leur seul profit, les richesses naturelles de l’Île Rouge. Le rouge de ses roches mises à nu par la déforestation, qui a valu à Madagascar cette désignation, est aussi celui du sang versé par ses enfants.

Les infos crachotées à la vieille radio de la mère disent l’instabilité sociale, les manifestations, le chômage, la colère des Jeunes, la répression. Kwame n’est pas un héros. Il ressent le désenchantement de sa génération et pense que les luttes n’ont servi à rien. Quel choix faire quand on a 20 ans et que ce n’est pas le plus bel âge de la vie ? Accepter sa condition en silence ? Se compromettre dans les trafics lucratifs comme son ami d’enfance le lui propose ?

Il veut connaître l’histoire de son père, qu’on lui a cachée. Comprendre cet inconnu, militant, musicien, à travers le témoignage de ses amis et ses enregistrements. Approché par un syndicaliste du port où il travaille comme journalier, Kwame va non seulement retrouver le lieu où ce père a été enterré mais se trouver lui-même.

Conte politique

Plans fixes, lumière vive sculptant la beauté des décors – photogénie des ports, des marchés, des rues colorées, du feuillage des grands arbres. Ou nocturne inquiétant percé par une lampe de poche, une bougie, hanté par les fantômes. Gros plans sur le protagoniste non-professionnel, Parista Sambo, que la caméra ne lâchera pas, Disco Afrika : une histoire malgache tient du documentaire, du récit d’apprentissage, du conte politique figuré par un théâtre de Guignol populaire. La musique ancrée dans la tradition du kaiamba – porte le film : elle ressuscite le père, la mémoire des ancêtres, les luttes et l’espoir de l’île.

L’histoire malgache qui nous est racontée dans ce premier long métrage modeste et touchant, est une histoire de terre. Celle boueuse qu’on tamise pour en extraire les saphirs. Celle qui dissimule le bois de rose volé. Celle, poudreuse qui vole sur les routes sans bitume. Celle confisquée par les colons d’autrefois et les puissants d’aujourd’hui. Celle qui recouvre « les âmes courageuses » et auxquelles le réalisateur rend hommage.

ELISE PADOVANI

Disco Afrika de Luck Razanajoana

En salles le 24 septembre

Petit Cab, grande nouvelle

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Le Petit cab, soirée d'inauguration © Friche la Belle de Mai

À Marseille, la Friche et ses sinuosités savent réserver de belles surprises à leurs visiteurs. En voilà une nouvelle, le Petit Cab, la nouvelle salle de concert installée à l’arrière du Cabaret Aléatoire – que l’on appellera désormais le Grand Cab. Ce nouvel équipement, divisé en deux grands espaces – le bar et la salle, pouvant chacun accueillir 350 personnes – a été confié à une nouvelle coopérative made in La Friche : Radio Grenouille, le Cabaret Aléatoire, l’A.M.I, Bi:Pole et la Scic La Friche, se réunissent sous le nom de « Bisou ». Ensemble, ils comptent faire du Petit Cab un lieu de vie, de jour comme de nuit, avec artistes sur scène, mais aussi des résidences, aides à la création, incubations, et autres ateliers de professionnalisation.

Transversal et collaboratif

Le look de la salle ne dénote pas du reste de la Friche. Ambiance industrielle et brute, gaines à l’air, belle hauteur de béton. Et un mode de gouvernance collectif qui ne dénote pas non plus : « On gagne du temps grâce à la forme de la Friche », qui sait déjà jouer collectif, explique Élodie Le Breut, directrice de l’A.M.I. Même constat pour Alban Corbier-Labasse, directeur de la Friche, qui rappelle la longue tradition de « co-construction » de l’espace de la Belle de Mai. 

Inaugurée ce 18 septembre avec Crams, La Flemme et Scorpio Queen, une programmation solide est déjà annoncée pour ces prochaines semaines : le 17 octobre il y aura le rock d’Astonvilla ; le 25 un brunch d’écoute avec Radio Grenouille ; un DJ set électro de Kabylie Minogue le 22 novembre ; et une autre soirée concerts, avec, entre autres, Goldie B le 29 novembre. 

Une programmation qui reflète en partie la volonté de Bisou de mettre l’émergence « au cœur du projet de cette salle. Avec l’envie d’accompagner des artistes locaux et des artistes qui prennent des risques », explique encore Élodie Le Breut. Une programmation « transversale, aux esthétiques différentes » ajoute Cyril Tomas-Cimmino, co-directeur de Bi:Pole.

Une nouvelle place forte pour la musique à Marseille donc, de quoi réjouir Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture, en soutien de ce nouveau projet, comme d’autres collectivités : « La Ville a beaucoup résisté pour garder des lieux ouverts » [la municipalité vient de racheter le Moulin], soulignant d’un trait d’humour que « la Friche n’est plus une friche, puisque tous les espaces sont occupés. » 

Le bon air

Outre les concerts, le Petit Cab entend devenir un espace qui va au-delà d’une salle de diffusion classique. Elle sera par exemple ouverte « de jour comme de nuit et du lundi au dimanche » précise Marie Picard, directrice de Radio Grenouille. À noter aussi son autonomie énergétique. Toute l’électricité du Petit Cab sera produite par des panneaux photovoltaïques. Exit aussi la climatisation, une nouvelle ventilation écologique viendra renouveler l’air du Petit comme du Grand Cab. 

NICOLAS SANTUCCI


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Kontinental’25 : le terrible constat de Radu Jude

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Ours d’or en 2021 pour Bad Luck Banging Loony Porn, Prix du Jury à Locarno en 2023 pour N’attendez pas trop de la fin du monde. Sélectionné à nouveau en 2025, à Locarno avec Dracula et à Berlin avec Kontinental 25, c’est peu dire que Radu Jude est un artiste hyper actif, et un cinéaste qui compte. Pourtant, le réalisateur roumain ne brasse pas de gros budgets. Il pratique ce qu’on pourrait appeler un « arte povera » cinématographique. Kontinental’25 est tourné simultanément avec Dracula en Transylvanie, en moins de deux semaines. Iphone, décors naturels. Pas de lumière, pas de machinerie. Un retour aux sources des Frères Lumière pour le côté documentaire et minimaliste. La reprise d’une certaine idée rossellinienne de l’économie de moyens. Kontinental 25 fait  écho à Europe 51 du cinéaste italien : il en reprend le thème d’une femme rongée par la culpabilité et se transforme en caricature de son modèle et de la société roumaine contemporaine à la sauce piquante Radu.

Comme dans Psychose d’Hitchcock, le film commence par s’intéresser à la victime.

On suit l’itinéraire de Ion (Gabriel Spahiu), un vieil homme dépenaillé, maugréant et jurant,  grapillant des bouteilles en plastique, mendiant du travail ou des lei aux terrasses des cafés, grignotant et pissant dans les jardins, parcourant un parc où, vision surréaliste, s’animent, mécaniques, des dinosaures géants. C’est un ancien champion de Roumanie déchu -on l’apprendra plus tard, aussi has been que les grands sauriens. Il vit dans la chaufferie d’un immeuble qui doit être rasé et remplacé par un hôtel de luxe. Orsolya (Eszter Tompa), huissière de justice, flanquée de gendarmes, vient l’exproprier. Ion se pend à son radiateur.

Dès lors s’ouvre un nouvel itinéraire. Celui d’Orsolya qui se sent responsable du drame. La jeune femme, bouleversée, renonce à ses vacances en Grèce avec sa petite famille. On la suit dans la ville. Elle emprunte parfois les mêmes chemins que Ion. A chaque rencontre, elle refait le récit de l’expulsion et de la découverte du corps. Ses interlocuteurs la dédouanent sans la consoler. Occasion pour le réalisateur de brosser une série de portraits vitriolés de l’homo sapiens. Tel ce prêtre qui refuse le statut d’homme à un suicidé. Ou sa mère, hongroise nationaliste émigrée, détestant ces paysans roumains qui ont volé la Transylvanie aux Hongrois. Ou l’amie qui œuvre pour des Roms déplacés sur les déchetteries mais fait expulser un SDF de son quartier, réfugié dans un garage désaffecté parce qu’il pue. Et toute  honte bue, lui en veut de lui faire éprouver le désagréable sentiment d’être abjecte.

Dacie, de-là

Nous voilà au milieu de discours, de citations, d’anecdotes. Submergés bientôt comme la protagoniste par la loghorrée d’un de ses anciens étudiants, devenu livreur de repas, son master en poche. On parle et on boit beaucoup dans cette partie du film mais un autre discours se superpose à ces conversations par les détails. Ironiques ou informatifs. El Bruto de Buñuel sur une affiche de ciné, le café Che Guevara dans un quartier gentrifié, un engin de chantier dans une ville livrée aux promoteurs, que les dernières séquences en plans fixes, documentera. Dans les plans apparaissent les statues du roi hongrois Matthias, celle de Mihai Viteazul, prince de Valachie, le bronze d’un ex-président. Vestiges daces et monument en hommage aux victimes du totalitarisme communiste. Tout un passé à digérer et un présent pas très digeste.

Orsolya n’est pas une mauvaise personne. Elle a un sens moral, de l’empathie mais comment être humain dans un système inhumain ? Chacun détourne les yeux, s’achète une conscience et cherche à se divertir. Terrible constat.

ELISE PADOVANI

Kontinental’25 de Radu Jude, en salles le 24 septembre

La jeunesse est profonde

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Il n’est plus un enfant prodige. Ryan Wang a commencé sa carrière à 5 ans, et ses interprétations virtuoses des opus les plus acrobatiques sont applaudies depuis dans tous les festivals. Sa vélocité est proprement prodigieuse, et son toucher fait fureur. Mais si la valeur n’attend pas le nombre des années, les enfants prodiges ne font pas toujours les plus grands interprètes, et on attendait de voir si la prodigieuse mécanique allait laisser surgir, au-dessus, la musicalité qui distingue les interprètes d’exception.

Avec le pianiste canadien, on avait confiance : dès 11 ans il préférait les passages lents, les douleurs harmoniques, les changements d’humeur, aux cavalcades des doigts et aux triomphes. Et à 17 ans, ce qu’il laisse entendre est d’une maturité remarquable : c’est une interprétation, la sienne, de Chopin, qu’il déroule dans un concert savamment composé. 

Jeune Chopin

L’enfance de Chopin est polonaise, et quand il compose La ci darem la mano, variations sur le thème du duo de Don Giovanni, il n’a que 17 ans, lui aussi. Conçues pour mettre en valeur ses capacités prodigieuses de pianiste, elles sont un feu d’artifice qui enchaîne sans pause climax et bouquet final. Ryan Wang, comme Chopin sans doute, y est stupéfiant. Mais, au fond, la pièce  manque d’âme, ou du moins, n’a pas tout à fait dépassé celle de Mozart pour laisser place au nostalgique décousu de Chopin.

Ce qui a précédé durant les deux heures de concert, en revanche, a fait le tour d’un génie du piano qui est passé de l’épate à la profondeur, du pyrotechnique à la nostalgie, d’un amour idéalisé aux bras complexes de George Sand. Mais si les 17 ans de Chopin sont encore jeunes et démonstratifs, ceux de Ryan Wang savent déjà faire ressentir les tourments, les souvenirs qui s’attardent, la mort des proches, les orages qui roulent.

La tendresse aussi, surtout, car son toucher effleure avec une infinie délicatesse le clavier dans le soir qui tombe, et on retiendra de la célèbre 2e sonate davantage la douce mélodie du souvenir que la scansion de la marche funèbre. Quant aux préludes enchaînés dans leurs tonalités et caractères différents, aux Mazurkas dansants, à la Polonaise opus 53 (la plus difficile !), tout brillait, brûlait, s’alanguissait, avec juste ces petits retards qui fondent le désir, ces petits appuis qui frappent l’âme.

Jeune, Ryan Wang l’est aussi dans sa simplicité : la nuit tombant sur la baie assombrissait aussi sur le piano : ne distinguant plus ses mains, le clavier, le pianiste continua de jouer à l’aveugle, puis on lui ajouta une petite lampe artisanale. Sans broncher, il continua d’enchaîner les difficultés dans ces conditions difficiles, et offrit au public des bis époustouflants après plus de deux heures de concert. Dont une improvisation jazz sur la Lettre à Elise prouvant, s’il le fallait, sa maîtrise flamboyante de l’architecture musicale.

Agnès Freschel

Ce concert a été donné le 6 septembre à Six-Fours-les-Plages dans le cadre de La Vague classique.
À venir
Récital Chopin
Ryan Wang
28 septembre 10 h
Opéra de Marseille
Dans le cadre de la saison de Marseille Concerts

Panopticon :  « Dieu te voit, il est partout »

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Panopticon (C) Les Alchimistes

Un jeune homme est assis dans un bus, mal dans sa peau, plein de tics, les mains baladeuses Il s’appelle Sandro (Data Chachua, dont c’est le 1er rôle). Il a 18 ans et vit avec son père (Malkhaz Abuladze) qui s’apprête à entrer dans la vie  monastique et sa grand-mère, dans une maison remplie d’icônes. Sa mère, une chanteuse, est partie vivre à New York. Sandro joue dans un club de football où il fait la connaissance de Lasha (Vakhtang Kedeladze)  puis de sa mère Natalia (Ia Sukhitashvili), coiffeuse qui aurait aimé devenir danseuse. La relation qu’entame Sandro avec la mère de son ami, ambiguë, entre amour et relation maternelle donne lieu à des shampoings et lavages de tête, érotisés, peu vus au cinéma qui nous rappellent ceux du Mari de la Coiffeuse de Patrice Leconte.  On découvre que Sandro a une petite amie, Tina (Salome Gelenidze), une jeune femme d’aujourd’hui, libre qui voudrait bien faire l’amour avec lui. Mais ce jeune homme, sous le regard constant de Dieu qui voit tout, veut rester pur jusqu’au mariage. Pour lui, Tina ferait des propositions perverses. …

Un garçon étrange

C’est le trajet de ce garçon étrange, tiraillé entre ses pulsions et son désir de pureté que nous fait suivre George Sikharulidze. Un jeune homme fragile qui se sent lâché par sa mère, puis par son père qui quitte la maison pour le monastère. Un jeune homme à qui son père a dit « Dieu te voit, il est partout », obligé donc de vivre honteusement ses pulsions et ses désirs. Regardant une vidéo qui l’excite, il retourne l’icône de Jésus ornant le mur de l’autel de l’appartement pour se masturber. Un jeune homme suivi de près par la caméra du chef opérateur roumain Oleg Mutu qui ne le lâche pas, nous donnant à voir le monde par ses yeux. Data Chachua dont c’est le premier rôle au cinéma a su rendre avec talent l’évolution de ce garçon dont on va découvrir peu à peu les failles et la force.

Panopticon interroge, à travers ses personnages, la Géorgie d’aujourd’hui : les stéréotypes masculins et féminins -la Vierge, la Mère et la Putain-les pères défaillants. Il pointe  la mainmise de la religion, la tentation pour certains jeunes de rejoindre les nationalistes d’extrême- droite qui voudraient chasser tous les immigrés en particulier les Arabes.

Un premier film, inspiré en partie à George Sikharulidze par sa propre adolescence, un moment où il se cherchait, un moment décisif pour chacun. Tout comme Les 400 coups pour François Truffaut dont on voit le générique, un clin d’œil du cinéaste géorgien à un film français qu’il a vu à 20 ans et qui l’a beaucoup marqué.

Panopticon est un film âpre, fort, dont les images, en particulier le visage de ce jeune homme particulier, reste longtemps en mémoire.

 Annie Gava

© Les Alchimistes

Le point de bascule décolonial  d’Anna Safiatou Touré 

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Anna Safiatou Touré – The Faces Collection, 2025. Terre cuite. Courtesy of Uhoda Collection – Exposition Tipping Point à la la Friche la Belle de Mai, Marseille

Ses productions cherchent à combler le vide laissé par les objets et les archives manquantes d’un récit historique biaisé. Sa pratique s’articule autour de ce manque, celui de ne pas connaître son pays d’origine et de la découverte du biais présent dans la muséographie européenne. Dans l’entretien mené par Nancy Casielles, historienne de l’art, pour le catalogue de l’exposition Tipping Point à la Friche, Anna Safiatou Touré revient sur son histoire personnelle et sur la signification des espaces que l’on occupe au quotidien dans ces pays, les sculptures qui y sont déployées. Très vite, elle prend la mesure du biais lié à l’histoire coloniale. Elle réalise des sculptures et invente une nouvelle langue qui propose de réécrire des pans d’histoire invisibilisés. 

Cette langue, elle est au croisement de l’intime et du soin. Créant son propre dictionnaire, à partir du dgéba, une des langues mandées du Mali, elle participe à mettre à distance les langues dominantes et de développer un langage propre. Son dictionnaire est en perpétuelle évolution, enrichi par ses créations. Et lorsque ses œuvres nécessitent un texte à dire, elle puise directement dans cette langue.

Masques aux histoires perdues 

Elle utilise les codes muséaux pour interroger la place du masque africain dans les institutions occidentales. Dans ce musée fictif, les masques deviennent des entités à part entière, dotées d’une parole. Le Gamanké Museum, ce jeu vidéo, permet de nombreuses interactions avec les spectateur·trices et prend la forme d’une collection de masques gamanké du pays Kanéma, que l’on découvre à travers la visite virtuelle d’un musée. 

The Faces Collection, pièce constituée de 819 masques miniatures réalisés à partir de l’empreinte de masques authentiques récupéré chez un collectionneur de Louvain-la-Neuve, illustre combien les sites de ventes aux enchères regorgent d’artefacts, dont la recherche des origines s’efface avec les histoires familiales. Ici, des objets de l’époque coloniale au Congo, revendus à bas prix, vidés de leur contexte, et dont les informations essentielles qui leur étaient attachées sont perdues. Anna Safiatou Touré leur redonne une voix et une place dans l’histoire. 

SAMIA CHABANI

Tipping Point
Jusqu’au 28 septembre
Friche la Belle de Mai, Marseille
Une artiste entre deux continents
Après une classe préparatoire en banlieue parisienne, à Issy-les-Moulineaux, Anna Safiatou Touré intègre les Beaux-Arts de Nantes, puis arrive à Bruxelles pour étudier la photographie. Aujourd’hui, sa pratique artistique est tournée presque entièrement vers des questions liées à la décolonisation. Née à Bamako, elle conserve peu de souvenir de son pays natal, car elle arrive très jeune, en France et n’est pas encore retournée au Mali. S.C.
Tipping Point, une exposition de ruptures
Tipping Point est le fruit d’une collaboration et d’une mutualisation entre Fræme, à Marseille et deux structures curatoriales belges Le Botanique et l’Iselp. Ce partenariat né autour de l’exposition présentée à la Friche la Belle de Mai, réunit dix artistes dont Anna Safiatou Touré, qui revendique une approche de déconstruction des discours coloniaux. Dans l’exposition, des masques ou des objets africains vendus aux touristes jouent sur le vrai et le faux, un musée fictif aux allures de jeu vidéo propose une interaction avec le public.
Une démarche en résonance avec le point de bascule évoqué dans le titre, Tipping point, en référence au sentiment de rupture omniprésent des sociétés contemporaines traversées par les bouleversements climatiques, l’accélération numérique, la polarisation politique… Une copodruction Marseille-Bruxelles, nées dans deux métropoles européennes, anciennes capitales coloniales, connectées à d’autres espaces géographiques et riches de leur cosmopolitisme. S.C.

Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site


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De quoi le « décolonial » est-il le nom ?

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Le terme « décolonial » fait irruption dans les musées, la recherche et l’espace public, mais demeure souvent perçu comme une abstraction clivante. Réduit à des polémiques sur des statues déboulonnées ou des rues rebaptisées, il est caricaturé en posture idéologique, soupçonné de repentance. Pourtant, il renvoie à une aspiration profonde : nommer et penser l’héritage colonial, longtemps laissé dans l’angle mort de la mémoire nationale.

En France, certains découvrent brutalement la réalité de la colonisation, faute d’enseignement structuré.  Le colonial n’a pas seulement été une domination militaire et politique : il était un système global, mêlant exploitation économique, extractivisme, capitalisme de prédation et racisme structurel. N’est-il pas légitime d’en reconnaître les fondements et les héritages ?

Des savoirs situés

Issu des travaux du collectif latino-américain Modernité/Colonialité, le « décolonial » met en évidence la capacité des mouvements sociaux à produire des savoirs sur la société en dehors des cadres issus des héritages coloniaux, patriarcaux ou raciaux. Mais en France, cette perspective peine à s’imposer dans les sciences sociales, en raison d’un universalisme républicain censé neutraliser les discriminations.

Or la mémoire nationale, comme l’a montré l’historien Pierre Nora, est conçue comme ciment collectif, et tend donc à effacer ou subordonner les mémoires minoritaires : coloniales, ouvrières, régionales. Le décolonial se situe précisément à la croisée de ces fractures mémorielles.

La persistance de la colonialité

La colonialité perdure de manière diffuse, dans nos institutions comme dans nos représentations. Elle s’incarne dans le racisme systémique, dans la violence matérielle et symbolique, parfois policière, qui frappe les populations racisées. 

Frantz Fanon, dans Les Damnés de la Terre, décrivait la colonisation comme une structure intrinsèquement violente, inscrite dans l’espace, le droit et les corps. Achille Mbembe a prolongé cette lecture en montrant combien cette violence persiste sous des formes sécuritaires, économiques et raciales. Autrement dit, la colonialité n’est pas un vestige : elle s’exprime aujourd’hui dans les relations sociales, la gestion des territoires et les récits médiatiques.

Les sociologues Abdelmalek Sayad et Pierre Bourdieu ont mis en lumière une logique durable : les immigrés des anciennes colonies ont été pensés comme une main-d’œuvre provisoire, non comme des citoyens. Cette assignation a traversé les générations et marque encore les quartiers populaires : la relégation territoriale, les contrôles sécuritaires « au faciès », la stigmatisation raciale et culturelle, les discriminations à l’embauche et au logement sont réels et documentés.

L’espace urbain est devenu un instrument de discrimination où les inégalités sociales se sont naturalisées. Entre invisibilisation  et politiques d’« intégration », la gestion de l’altérité reste prisonnière de l’héritage colonial.

Décoloniser les imaginaires

Depuis la création, en 2015, du collectif Décoloniser les arts autour de Françoise Vergès, il n’est plus seulment question de « diversité », de la place des artistes racisés dans les institutions. Il s’agit d’interroger aussi les programmations culturelles, la restitution des œuvres et des restes humains spoliés, et la représentation des identités minoritaires.

L’ethnographie de spectacle ou les « villages Bamboula » appartiennent désormais à un passé dénoncé. L’objectivation raciste qui les sous-tendait n’est plus tolérée dans des sociétés traversées par des identités multiples.

Le débat décolonial s’incarne aussi dans les médias, dans des portails académiques comme Marsimperium.org, mais aussi des chaînes YouTube ou des comptes Instagram, qui jouent un rôle central dans la circulation mondiale des récits. Des collectifs tels qu’Histoires Crépues, Décolonisons-nous ou Diaspolemic  (voir p 18) proposent des contre-récits face aux infox et aux tentatives de museler l’histoire coloniale. Soutenus par des médias transnationaux comme AJ+ ou Blast, ces passeurs contribuent à sortir du prisme national dans lequel les médias traditionnels se sont longtemps enfermés.

Une bataille culturelle et politique

Dans un contexte national où la vie associative se fragilise et où les politiques antidiscriminations reculent, le décolonial apparaît comme une démarche essentielle pour déconstruire les stéréotypes hérités de l’imaginaire colonial.  

Les consciences diasporiques, faites de pratiques sociales, culturelles et militantes transnationales, créent des ponts entre « ici » et « là-bas » et les diasporas ont un poids croissant dans les mobilisations citoyennes. Ainsi, les solidarités face aux guerres actuelles s’inscrivent dans une mémoire politique de l’anticolonial. L’occupation israélienne, héritière de logiques coloniales modernes, nourrit des mobilisations transnationales où s’expriment aussi bien des solidarités européennes que des engagements juifs en faveur de la libération palestinienne.

Le décolonial n’est pas une idéologie close, mais un processus : il interroge les mémoires, les rapports sociaux, les pratiques culturelles, pour proposer un socle émancipateur au vivre-ensemble. Dans la région artistes, chercheurs et militants en font un terrain d’expérimentation culturelle et politique. Face à la montée de l’extrême droite, il constitue plus que jamais une bataille culturelle décisive.

Samia Chabani


Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

De l’art ou du colon ?

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Françoise Vergès © La Fabrique Anthony

Diasporik. Vous avez souvent dénoncé la persistance des hiérarchies coloniales dans les institutions culturelles. Comment définiriez-vous aujourd’hui ce que signifie « décoloniser les arts » ?

Françoise Vergès. C’est l’une des sept femmes qui ont fondé l’association Décoloniser les arts qui avait trouvé cette appellation, et je dois dire qu’elle était très parlante à l’époque [en 2015 ndlr]. Aujourd’hui, je parlerais plutôt de décolonisation des institutions : écoles, galeries, biennales, musées. Ces institutions font partie prenante d’une économie symbolique et matérielle loin d’être neutre. Elles appartiennent au monde européen colonial, impérialiste et capitaliste. 

En quoi ce rapport à l’art est-il spécifiquement européen ? 

Il y avait évidemment des collections d’art dans le monde non-européen. Rois et reines, empereurs et impératrices, aristocrates, marchands, ont constitué des collections, des créations artistiques étaient échangées, données, ou pillées. Mais l’impérialisme et le capitalisme ont changé le monde de l’art : pillages massifs, transformation de créations en « art », appropriation de pratiques, d’esthétiques, création d’une histoire de l’art où l’Europe tient la place centrale, invention du musée, organisation des créations selon des régions et des époques… tout cela a été inventé par l’Occident. Edward Saïd a très bien montré cela dans son ouvrage L’Orientalisme. L’invention de l’Orient par l’Occident.

Qu’en est-il aujourd’hui ? 

L’analyse rigoureuse de l’économie du monde de l’art révèle sa fausse neutralité. D’où vient l’argent des fondations privées : armes ? pétrole ? plantations ? Comment s’organise l’art-washing ? Comment l’art permet-il à des corporations et à des milliardaires de s’innocenter de leurs crimes ? Comment les musées contribuent à la gentrification d’une ville ? À quoi servent les politiques d’inclusion et de diversité quand les migrant·es sont harcelé·es, enfermé·es dans des camps ? 

Pourquoi la destruction totale des musées, des sites archéologiques et historiques à Gaza n’a-t-elle pas entraîné de réactions fermes des artistes ni des institutions artistiques en Occident ? Ni le pillage du musée national de Khartoum ? 

Il n’y a pas d’égalité entre les musées, la majorité d’entre eux est en Occident, leurs prestigieuses collections ont été fondées sur le pillage et un capital accumulé sur l’extraction. Il n’y a pas d’un côté le monde de l’art et de l’autre le reste du monde. La décolonisation de ces institutions s’inscrit dans le large mouvement de décolonisation, elles ne peuvent pas être décolonisées seules, elles ne sont pas indépendantes des idéologies et des économies dominantes. 

Dans vos écrits, vous insistez sur la manière dont la violence coloniale continue d’habiter les musées, les pratiques curatoriales, et les imaginaires artistiques. Pouvez-vous nous parler de ces formes de colonialité résiduelle dans l’art contemporain ?

Elles ne sont pas résiduelles, elles sont constitutives des institutions. 

Il n’y a pas de prise de conscience, selon vous ? 

J’observe bien sûr les efforts des musées et des biennales pour mieux donner les contextes, pour inclure des artistes du Sud global, pour initier des conversations, pour organiser des expositions sur des sujets jusqu’ici ignorés. Il était temps, et c’est justice. 

Maintenant, il faut aussi imposer une justice sociale : salaires et conditions de travail des personnes qui nettoient, qui gardent, des technicien·nes… et une justice raciale dans le recrutement. Mais devons-nous continuer à demander la construction de musées sur le modèle hégémonique occidental ? Suffit-il de diversifier ce qu’il y a sur les murs et dans les collections sans remettre en cause l’économie spéculative ?

Je dois dire qu’aujourd’hui je suis surtout intéressée par le travail d’imagination autour de ce que seraient des pratiques curatoriales et des institutions post-racistes, post-capitalistes et post-impérialistes. Travailler à l’abolition d’un monde cruel et brutal, de dépossession et d’extraction, et de racismes, un monde dont l’économie fabrique un monde inhabitable et irrespirable pour la majorité de l’humanité et d’espèces non-humaines, c’est cet effort qui m’intéresse. 

En quoi les logiques néolibérales de l’industrie culturelle entravent-elles, selon vous, toute véritable entreprise de décolonisation artistique ?

La décolonisation, ce n’est pas s’arranger avec le néolibéralisme, c’est travailler à son abolition. On vit dans ce système, donc avec les contradictions qu’il crée, mais il n’y a rien à attendre de lui.  

Quels modèles alternatifs – historiques ou actuels – vous semblent inspirants pour penser une écologie des arts réellement décoloniale ?

Il y en a plusieurs et je ne peux pas les citer tous. Mais je peux dire que chaque mouvement social, chaque mouvement révolutionnaire ou de libération nationale, a mis en place des pratiques innovantes questionnant des pédagogies autoritaires, la place de l’artiste comme individu et comme génie, contestant l’art bourgeois et colonial. C’est une très riche histoire.

Comment repenser les rapports entre artistes, publics et territoires à la lumière d’une critique décoloniale ?

Peut-être en se demandant déjà comment ces rapports ont été constitués hiérarchiquement. Devenir musicien, peintre, sculptrice, performeuse, cinéaste, etc. demande de pratiquer, d’apprendre, de comprendre qu’il faut du temps, que créer est un travail à la fois mental, manuel, spirituel. L’atelier de l’artisan·e (en français, artisan·e est dévalué par rapport à artiste, c’est une division de classe) donne l’image de la transmission par l’œil, le toucher, le son, la répétition et l’autonomie.

Le mot « réparation » revient souvent dans vos écrits. En quoi les arts peuvent-ils contribuer à des formes de réparation – symboliques, psychiques, politiques ?

En rejoignant les luttes pour l’abolition du capitalisme racial, de l’impérialisme.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SAMIA CHABANI


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