Après quatre mois et plus de 40 000 visiteurs, l’exposition Alberto Giacometti. Sculpter le vide[lire ici] vit ses derniers jours au Musée Cantini. Pour clore en beauté, la Ville de Marseille a choisi d’ouvrir gratuitement les portes du musée du 25 au 28 septembre, tout en ponctuant ces quatre derniers jours de rendez-vous artistiques, entre littérature, théâtre et performance. Jeudi, le jardin accueillera à 18h30 une lecture du texte de Jean Genet L’Atelier d’Alberto Giacometti par la Compagnie La Clac. Samedi, mots, gestes et mémoire de l’œuvre avec Redwane Rajel, une rencontre proposée par le Théâtre du Gymnase-Bernardines à 11h30. Et dimanche, à 16h, Gaëtan Marron offrira une performance inspirée de l’œuvre Tête noire (Portrait de Diego), transformant la salle en scène vivante.
Des pots brisés, un monticule vivant, une mer de plastique en guise de décor. Et cette question posée en catalan comme un murmure ou un cri : « Qui som ? » – Qui sommes-nous ? Le Grand Théâtre de Provence ouvre sa saison avec Baro d’evel et sa pièce fleuve créée l’an dernier au Festival d’Avignon (lire notre critique ici). Signée Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, Qui som ? mêle musique, danse, théâtre, arts plastiques, dans un élan total. Argile, sueur, cris et chants fusionnent dans une fresque mouvante. Entre clowns lunaires, créatures masquées, fanfare éclatée et figures transfigurées, les douze interprètes sculptent une communauté fragile mais tenace.
« Comment ça s’organise, une psyché ? Par rencontres. Et parmi elles, celles des rapports sociaux qui composent une société : classe, race, genre ». Conçue à partir du livre de philosophie coécrit par Sandra Lucbert et Frédéric Lordon, Pulsion (paru en 2025 aux éditions La Découverte), la performance interroge le jeu de forces qui détermine la manière dont chacun·e investit le genre : accord, réticence ou franc refus. Avec la complicité de la dramaturge Barbara Métais-Chastanier, cette adaptation transforme l’essai philosophique en une traversée sensible. Une réflexion sur les identités et leurs possibles, à la croisée du texte, de la performance et de la pensée vivante.
Dans cette lecture-performance, Anya Nousri transpose son premier roman remarqué On m’a jeté l’œil sur scène. À travers un extraordinaire métissage linguistique (en français, en derdja, en kabyle, en anglais, en créole et en verlan), elle ausculte les questions d’appartenances multiples et leurs effets sur les identités.
Persuadés que la protagoniste du roman, jeune québécoise d’origine Kabyle, est victime d’un mauvais sort, ses proches cherchent à conjurer le destin, à travers superstitions et rituels religieux transmis par les femmes de leur lignée. Mais face au poids des traditions, la jeune femme s’autorise à explorer et assumer des désirs qu’elle taisait jusque-là. Et trace sa propre voie, soutenue par la présence vive et incarnée de l’autrice.
Deux univers artistiques intenses se rencontrent : celui de Nacera Belaza, chorégraphe française d’origine algérienne, qui depuis plus de 20 ans développe une danse minimaliste et méditative, et celui de Valérie Dréville, comédienne majeure du théâtre contemporain, habituée aux grandes scènes européennes.
Avec L’Écho, elles inventent un espace de résonance entre deux formes d’expression qui, souvent, s’opposent : la danse et la parole. Ici, le corps devient langage et la voix, mouvement. La danse de Belaza, faite de cycles hypnotiques et de gestes épurés, dialogue avec l’élocution singulière de Dréville, dont la diction sculptée façonne le silence autant que le verbe. Une expérience pour questionner le rapport à l’écoute et à la présence.
MARC VOIRY
30 septembre et 1er octobre La Criée, Théâtre national de Marseille Dans le cadrer du festival actoral
Dans Analphabet, le metteur en scène, dramaturge et interprète Alberto Cortés déploie une poésie corporelle et vocale où la langue se mêle aux gestes. Ses textes, nourris aux vers de Goethe, d’Hölderlin et de Novalis, racontent une plaie amoureuse, incarnée par un fantôme qui chante la chute dans l’abîme d’un « couple d’amants », subissant la violence que le patriarcat inflige aux relations queer. Sur scène, la présence du violon amplifie la dimension dramatique, intime et tragique du récit. Un spectacle qui vise à transformer l’intime en expérience collective et politique, mêlant oralité, musique et performance scénique en un langage singulier.
Puff condense la longue collaboration entre la chorégraphe brésilienne Alice Ripoll et l’interprète Hiltinho Fantástico, en faisant du geste une parole politique et poétique. À partir des danses urbaines brésiliennes, c’est un solo qui explore le thème du déguisement comme stratégie de survie et de transmission dans les cultures de la diaspora africaine. Sur un plateau épuré, le danseur déploie un langage corporel à la précision acérée : ruptures de posture, déhanchés accélérés, jeux d’illusion où le corps « disparaît » et réapparaît comme dans un souffle : puff ! Prouesse technique et émotion contenue, mémoire et identité, un solo qui invite le public à lire dans chaque geste une archive vivante.
Si l’an dernier, Allez Savoir déplaçait le curseur de notre attention entre obéissance et désobéissance, il vient cette année questionner nos usages informationnels. « S’informer, vraiment ?! » est le thème du festival de sciences sociales organisé par l’EHESS à Marseille. Un point d’interrogation et d’exclamation juxtaposés, pour relever l’ambiguïté de notre société, saturée d’informations auxquelles nous ne savons quel degré de confiance attribuer.
Des menaces qui se corsent
Le dialogue inaugural donnera le ton des débats, le 25 septembre, avec la sociologue Françoise Daucé, spécialiste des formes de domination politique en Russie, Antoine Lilti, historien des Lumières, et le journaliste Thomas Snégaroff, observateur pointu des États-Unis. Ils interrogeront la façon dont les technologies de l’information et de la communication ressemblent de plus en plus à un cauchemar totalitaire, malgré les promesses démocratiques qui miroitaient à leur naissance.
L’IA, bien-sûr, sera dans tous les esprits. Pour ne donner qu’un exemple, ces outils, désormais à même de déflouter des vidéos anonymisées par les médias, afin de donner la parole à des témoins menacés, décourageront-ils les lanceurs d’alerte de s’exprimer ? Autre dérive menaçant de plus en plus les démocraties représentatives : la concentration des titres. Le 26 septembre, à la Bibliothèque de l’Alcazar, la sociologue Julie Sedel et deux journalistes, Valentine Oberti (Mediapart) et Sylvain Bourmeau (France Culture, AOC), défendront le pluralisme et l’indépendance de la presse.
Une résistance qui se muscle
L’un des plus grands attraits d’Allez Savoir est sa capacité à faire dialoguer les sciences sociales avec d’autres champs d’expression. Le festival propose bien-sûr des tables-rondes, mais aussi de foisonnantes propositions artistiques, concerts, spectacles, balades…
Un atelier, à la Vieille Charité, propose de muscler son esprit critique, comme antidote aux fake news et deep fakes. Au Théâtre de La Cité, une scène ouverte, suivie d’une rencontre avec le sociologue Cyril Lemieux, co-président du festival, donnera aux membres du public l’occasion de mettre en perspective ce qui, dans l’actualité, a brouillé pour eux les limites du vrai et du faux.
Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le cinéma Les Variétés projettera Citizen Four, remarquable documentaire de Laura Poitras sur Edward Snowden. De quoi inspirer bien des forces vives de la citoyenneté !
GAËLLE CLOAREC
Allez savoir 25 au 28 septembre Marseille, divers lieux
Créé au tournant des années 2000 par Hubert Colas, dramaturge, metteur en scène et scénographe, fondateur-directeur de la compagnie Diphtong, actoralest d’abord né de la volonté de donner à l’écriture contemporaine un espace d’expérience et d’expérimentation, hors des catégorisations traditionnelles du théâtre. « Je voulais inventer un endroit où le texte, la scène et l’art contemporain puissent dialoguer sans frontières. actoral est né de ce désir de décloisonner. »
Dès ses origines, le festival s’est appuyé sur Montévidéo – la structure de création et de production fondée quelques mois auparavant par Colas et Jean-Marc Montera du Grim à Marseille, pour favoriser résidences, premières et plateaux partagés entre théâtre, danse, performance, musique et arts visuels. Un lieu-laboratoire en lisière du 6e arrondissement de Marseille où artistes et auteurs peuvent travailler sur le temps long, hors des contraintes des circuits institutionnels.
Et un festival qui fait du lien territorial son credo : faire venir des artistes internationaux tout en soutenant des trajectoires artistiques locales, afin que Marseille soit à la fois réceptacle et incubateur d’écritures nouvelles.
25 ans après
Hubert Colas : « Un anniversaire ? C’est avant toute chose un rassemblement, des amis, une reconnaissance, des complices du festival, des artistes, des lieux partenaires, un public, des institutions. Nous pourrions dire une bande d’êtres humains qui s’est réunie pour faire la fête mais une fête qui met l’art en cœur de toute rencontre. Un anniversaire c’est un espace qui pousse à regarder le chemin parcouru, les plaisirs, les blessures, les combats et enfin 25 ans de festival c’est peut-être un peu aussi une reconnaissance ».
Le chemin parcouru n’a pas été un long fleuve tranquille. Si le festival a reçu des milliers d’artistes et écrivains, parmi lesquels Bernard Heidsieck, Gisèle Vienne, Nathalie Quintane, Rodrigo Garcia, La Ribot, Sophie Perez, Julien Gosselin, Chloé Delaume, Tiago Rodrigues… tout en développant un réseau de partenariats internationaux (coproductions européennes, échanges avec Montréal et autres villes), il a été localement plus que souvent fragilisé.
Par des subventions qui arrivent tard, des coupes budgétaires et les difficultés liées à son QG, entre travaux de mises aux normes de sécurité et conflit juridique à rallonge avec le propriétaire des lieux. En 2017, une pétition de soutien rassemble plus d’un millier de signatures en quelques jours, parmi lesquelles celles de figures majeures de la scène contemporaine (Gisèle Vienne, François Tanguy, Rodrigo García). Et en 2023, lors de la perte du bail, une pétition relayée par Libération et Mediapart, soulignant l’importance du lieu comme « maison des écritures contemporaines » et dénonçant une décision mettant en péril vingt ans d’expérimentation artistique. Cette fois-ci, en vain : fin du bail, Montévidéo et actoral doivent partir.
En 2025, actoral et Montévidéo, qui depuis février 2020 occupent quelques espaces de La Cômerie (ancien couvent rue Breteuil) et qui depuis 2024 y ont installé leurs bureaux, suite au départ forcé de leur site historique, ont fusionné pour ne former qu’une seule et même entité sous le nom d’actoral. Si la Ville de Marseille et la mairie des 6e et 8e arrondissements ont décidé de confier la gestion de La Cômerie à l’association Yes We Camp, pour « faire de cet espace patrimonial un lieu du quotidien, de pratiques artistiques amateurs et professionnelles, un lieu-ressource de rencontres, d’échange intergénérationnel, d’animation pour tous les publics », les activités d’actoral y sont désormais pérennisées.
C’est d’ailleurs là qu’a été donné, le 13 septembre dernier, le coup d’envoi des 25 ans du festival, avec lectures, performances, musique live et DJ set signés Julien Pérez, John Deneuve, Mascare, Perez et Je sors ce soir. Un prélude aux trois semaines où vont se déployer plus de 70 projets artistiques (littérature, cinéma, danse, théâtre, performance, musique, cabaret, art visuel, rencontres) dans une vingtaine de lieux marseillais, proposés par plus de 200 artistes invités.
MARC VOIRY
actoral Du 24 septembre au 11 octobre Divers lieux, Marseille
Né en 2009 à l’initiative du chorégraphe Franck Micheletti, Constellations s’est construit entre festival de danse contemporaine et laboratoire citoyen, autour de la conviction que la danse n’a pas vocation à rester confinée aux théâtres, mais peut se déployer dans des places, des jardins, des friches, des cinémas, jusque dans les cafés ou les lieux patrimoniaux. Une approche de la danse qui, au-delà d’un art du mouvement, devient une manière d’habiter autrement le présent.
En quinze ans, ce rendez-vous a vu passer des chorégraphes confirmés (Rachid Ouramdane, Christian Rizzo, Amala Dianor, …) comme de jeunes artistes émergents, multipliant les croisements avec la musique, la vidéo, la performance ou les arts plastiques.
Des spectacles en résonance
En ouverture, le 17 septembre au Cinéma Le Royal de Toulon, la projection de Pékin spécial, une jeunesse en 9 danses, film du chorégraphe Christophe Haleb, interroge le rôle de la danse comme vecteur d’émancipation dans une Chine en mutation. Dans la foulée, Marion Alzieuprésente au Télégraphe Ceci n’est pas une femme blanche, solo incisif sur les représentations du corps féminin et les identités multiples.
Le 18 septembre à Hyères, la place de l’Oratoire accueille AmalaDianor, dont le duo chorégraphique M&M, Marion&Mwenda met en scène l’altérité et la rencontre. À la Collégiale Saint-Paul, Benoît Bottex avec Retable brouille les frontières entre arts plastiques et spectacle vivant, transformant un espace sacré en terrain d’expérimentation.
Le 19 septembre au Théâtre Liberté, Pierre Pontvianne propose Jimmy, solo traversé par l’urgence politique, suivi de Scarbo de Ioannis Mandafounis et Manon Parent, partage sans filtre d’états émotionnels et physiques, d’une intimité qui explose.
Les nuits du festival, quant à elles, rappellent que la danse se vit aussi dans la fête, l’énergie collective, la pulsation nocturne. Avec notamment DJ Poirier au Vola Café (le 18), et Lucie Megna-Zürcher avec ses performances One Shot Renaissance au Télégraphe suivi d’un DJ set d’Asna(le 19).
Enfin, le 20, à partir de 12h30, le Pique-Nique Électro au Jardin Alexandre 1er réunit musiques afrodescendantes, caribéennes et latines, dans une ambiance solaire et festive. Et pour clôturer, une constellation de performances en espace public, à savoir les jardins de la Tour Royale et sur la dalle Pipady, les 20 et 21.
MARC VOIRY
Constellations Du 17 au 19 septembre Divers lieux, Toulon, Hyères