mercredi 27 novembre 2024
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AVIGNON OFF : Couple en construction

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Megastructure © XDR

Sarah Baltzinger apparaît sur le plateau en ouvrant une porte dérobée. Une entrée sobre, mais sa présence et la fixité du regard qu’elle adresse au public a quelque chose d’hypnotique. Elle est vêtue d’un pantalon et d’un simple chemisier. Filippo Gualandris, remplaçant de dernière minute d’Isaiah Wilson qui s’est blessé, lui aussi en chemise et jean, la rejoint. Le ballet des corps qui s’entremêlent peut alors commencer. Sarah Baltzinger et Isaiah Wilson, en couple dans la vie, ont composé la chorégraphie de Mégastructure au terme d’une résidence. Dans un spectacle d’une demi-heure, ils explorent les diverses trajectoires d’une relation amoureuse et l’entité corporelle que devient le couple lorsque les individualités s’effacent.

Rien que les corps

Sous une lumière blanche et sur un plateau nu, Sarah Baltzinger et Filippo Gualandris se livrent à une performance acrobatique effrénée et précise. Ni musique, ni décor ne se substituent aux corps qui sont les pièces maîtresses du spectacle. Ils ont leur propre musicalité, faite de respirations saccadées et de bruits de pas qui imposent un rythme. De temps à autre, les mouvements s’interrompent, laissant un silence intense envahir la salle, appuyé par le contact visuel instauré entre danseurs et public. La souplesse prodigieuse du duo confère à leurs corps une apparence inédite, et donne à voir une infinité de mobilités. Chaque membre du corps humain est sollicité dans la recherche de nouveaux gestes : ce sont les chevilles qui se tordent, le dos contorsionné à 360°, les déplacements en grand écart. Aucune limite à ces explorations, pas même le corps de l’autre.

Structure du couple

Comment conserver son identité lorsque l’on fait couple ? Si la réponse semble évidente, Sarah Baltzinger et Filippo Gualandris prouvent qu’il n’en est rien. Au cours de leur chorégraphie, ils font émerger des empilements, des emboîtements, des entremêlements jusqu’à ne former qu’une seule et même entité. Les mouvements de l’un entraînent ceux de l’autre dans une relation de codépendance : elle s’agrippe à lui tandis qu’il tente de se déplacer, l’amenant à se balancer à son tour ; elle le relève en s’allongeant sur lui. Les corps se retrouvent avec violence, s’évitent et s’attirent de nouveau avec pudeur, se dominent ou se laissent dominer. Leurs contorsions symbolisent-elles les compromis d’une relation ? Le couple est une structure corporelle complexe, dont les associations chorégraphiques périlleuses menacent à tout instant de la faire s’effondrer. Mais les deux artistes résistent et dépassent la fragilité apparente de leurs liens. Un modèle qui pourrait être repensé à l’échelle de la société.

CONSTANCE STREBELLE

Mégastructure a été donné du 6 au 16 juillet au Théâtre de l’Atelier (La Manutention) dans le cadre du Festival Off d’Avignon

Butterfly de chair et de sang

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Festival d'Aix-en-Provence 2024 © Ruth Walz

Si l’édition 2019 du Festival d’Aix marquait avec Tosca l’entrée de Puccini à son répertoire, l’édition 2024 ne pouvait pas passer à côté du centenaire de la mort du compositeur. La première le 5 au Théâtre de l’Archevêché de Madama Butterfly a répondu à toutes les attentes. Mais qu’attendre encore de cet ouvrage, l’un des plus populaires du répertoire lyrique ? Avant tout une Butterfly qui vous arrache le cœur ! Et un orchestre et un chef qui comprennent que Puccini est, sinon un grand mélodiste, pour le moins un fin coloriste. Ainsi qu’une mise en scène qui sache tenir le fragile équilibre entre la littéralité de la carte postale d’un Japon fantasmé et une lecture moderne. Et bien, ces trois fées se sont généreusement penchées sur le berceau de cette nouvelle production aixoise ! 

Ermonela Jaho 

La soprano Ermonela Jaho met ses tripes sur la scène. Au salut final on la sent harassée, tant le rôle de Cio-Cio-San est écrasant. Gamine de quinze ans, vendue pour l’éphémère plaisir d’un occidental puis mère déchirée de souffrance quand on lui arrache son enfant (Dieu, que l’opéra est cruel pour les femmes !) Ermonela  Jaho illumine la scène, irradie de tendresse et de douleur. Toute la science vocale, la splendeur du timbre, la délicatesse des aigus sont au service du personnage.    

Le Pinkerton d’Adam Smith est  un peu plus en retrait. Si vocalement les choses ont eu peu de mal à se mettre en chemin, il offre la silhouette d’un pâle dadais aux charmes vocaux indéniables. Lionel Lhote est un Sharpless généreux et attentionné. Son beau baryton souligne la noblesse du personnage. La fidèle servante Suzuki a le mezzo somptueux de Mihoko Fujimura. Le reste de la distribution est à la hauteur des enjeux : Carlo Bosi (Goro),  Inho Jeong (l’oncle Bonzo, tout en insinuation) ou Kristofer Lundin (Le Prince Yamadori) ajoutent à la grande homogénéité du plateau. 

Rigueur et raffinements

La direction musicale de Daniele Rustioni avec dans la fosse l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, nous rappelle qu’en 1907 Puccini était bel et bien un compositeur du 20e siècle. Que la science mélodique ne devait en rien celer le génie du coloriste. Que Puccini connaissait l’œuvre de Debussy. C’est une Butterfly nuancée, tissée d’un voile translucide, aérien, sans lourdeur aucune qui nous est donné à entendre d’une oreille qu’on pourrait dire neuve. 

Dans sa mise en scène, Andrea Breth joue la rigueur du cadre du cinéma d’Ozu et les raffinements du théâtre nô. Masques inquiétants pour figurer la nombreuse famille, costumes (signés Ursula Renzenbrink), jeux d’ombres et de lumières, vols des grues animées par des marionnettistes (un rappel du drame de Nagasaki) offrent à l’œil le graphisme de l’ukiyo-e, le monde flottant de l’estampe japonaise, qu’accentue la lenteur des gestes et la finesse des images. Aix offre là une Butterfly d’anthologie. 

PATRICK DE MARIA

Madame Butterfly
Les 10, 13, 16, 19 et 22 juillet
Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence

Désacraliser la danse 

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Liberté Cathédrale © XDR

On s’étonne qu’un spectacle de danse contemporaine pensé pour l’église Mariendom de Neviges à Wuppertal soit transposé avec aisance au stade de la Bagatelle d’Avignon. On s’étonne aussi du titre, Liberté Cathédrale, dont les deux mots sont antithétiques. « Cathédrale », c’est l’église comme lieu d’accueil, mais c’est aussi, comme l’explique Boris Charmatz, une référence au monument que représentait Pina Bausch pour la compagnie du Tanztheater Wuppertal qu’il dirige. « Liberté », c’est la volonté d’excéder le corps et d’ouvrir la compagnie à d’autres espaces de création. À partir de cinq mouvements chorégraphiques, les 26 danseurs du Tanztheater Wuppertal et de la compagnie Terrain explorent donc l’humanité dans sa cruauté et sa solidarité.

Le corps à l’épreuve

A cappella, les danseurs en survêtements et vestes de costume, courent en fredonnant le deuxième mouvement de l’opus 111 de Beethoven qui ouvre la première séquence. Aux gestes frénétiques qui les accompagnent, succèdent de longues immobilisations. Puis, au rythme des cloches et du son strident de l’orgue, et sous les néons blancs, dans une atmosphère inquiétante, les expressions chorégraphiques et anarchiques sont répétées dans un éternel mouvement de balancier. Les corps, se séparent avec douleur et se retrouvent lentement. Défiant leurs propres limites, ils s’empilent, puis fuient, s’entremêlent et s’éparpillent, telle une société unie qui se désintègre. Dans un silence coupable qui, pour Boris Charmatz entoure les violences sexuelles de l’Église, la décomposition des gestes est brutalement interrompue par la brutalité des paroles de Fuck the Pain Away de Peaches.

Au plus près du public

Comme dans toute création de Boris Charmatz, la réflexion sur un faire collectif est mise à l’honneur. « Église » signifie avant tout « assemblée », alors que le spectacle évolue dans une enceinte sportive ou un lieu sacré, qu’importe si l’espace est partagé. Invité à s’asseoir en cercle ou sur les gradins, au plus près des danseurs, le public a ainsi une vision périphérique de l’œuvre et participe à son processus créatif. Tantôt frôlés par les artistes, tantôt apostrophés directement par leurs litanies, ou leurs cris sporadiques, les corps des spectateurs sont également sollicités pour servir les chorégraphies qui se déploient dans l’espace et ses moindres recoins. Les gradins, les piliers, les barrières deviennent des terrains d’exploration et le public s’implique et sort de sa zone de confort. Dans des temps qui s’étirent parfois et se juxtaposent, demeure néanmoins une question : celle de notre rapport au corps de l’autre dans ce qu’il a de dérangeant et de rassurant. 

CONSTANCE STREBELLE 

Liberté Cathédrale a été donné du 5 au 9 juillet au stade de Bagatelle, Avignon

L’envers du décor de la haute-couture

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LACRIMA © XDR

En 2025, dans la prestigieuse maison de haute-couture Beliana à Paris, la joie est à son comble. La première d’atelier Marion Nicolas et ses modélistes viennent d’obtenir une exclusivité historique : la confection de la future robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Une tâche ambitieuse, mais dont l’ampleur est telle que le voile se déchire, révélant le malaise d’une profession qui infuse jusque dans la vie privée des employés. Le spectacle Lacrima de Caroline Guiela Nguyen, « les larmes » en latin, présenté depuis le 1er juillet au gymnase du lycée Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon, dépeint la tragédie de ceux qui dévouent leur existence à habiller les autres.

Dans la peau des travailleurs du tissu

Si toute ressemblance avec des personnes existantes est fortuite, comme en informe un message projeté au début, celles qui ont inspiré la pièce sont bien réelles. Les dentellières d’Alençon chargées du voile de la mariée côtoient les brodeurs d’un atelier de tissus à Mumbaï, qui en confectionnent la matière première, et des modélistes d’une maison de haute-couture à Paris qui en imaginent le patron. 

Dans des espaces scéniques correspondant aux différents lieux, qui tantôt se superposent sur un même plateau, tantôt sont uniques, changés à vue, les tâches à accomplir défilent. À cette mise en scène répond un dispositif technologique de production de cinéma : chaque lieu a sa lumière et son ambiance et les acteurs y évoluent, filmés par des caméras, au plateau comme en coulisses. Les images sont retransmises sur un écran divisé en trois parties, dans l’optique de visibiliser tous les récits et les gestes d’un savoir-faire.

Le secret et les larmes

L’autrice a choisi de mettre en scène ses acteurs dans plusieurs rôles, intriquant les destins de tous ces employés, liés par une même clause de confidentialité. Ce secret protocolaire silencie les conséquences des caprices hors-sol du milieu de la haute couture : délais intenables, nombre d’heures de travail incalculables, problèmes de santé autant physiques (la cécité), que mentaux (burn-out), secrets de famille encombrants. Le spectateur retient son souffle, redoutant un dénouement malheureux. Trois parcours de vie personnifient ces difficultés : celui de Thérère, dentellière à Alençon, d’Abdul Gani, brodeur à Mumbaï et de Marion Nicolas qui se débat entre la pression professionnelle et une vie familiale qui se délite, et finit par tenter de se suicider. 

Le spectacle se conclut par cet adage : « On dit qu’en Chine, il ne faut jamais défaire un tissu de soie parce que chaque fil renferme les larmes de l’époque. » Sensibiliser le public à la préciosité d’un vêtement, tel était le souhait de Caroline Guiela Nguyen. Pari tenu.

CONSTANCE STREBELLE

Lacrima a été donné jusqu’au 11 juillet dans le Gymnase Aubanel, Avignon

AVIGNON OFF : Qui c’est celui-là ?

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L'ami du président © XDR

Les couloirs de l’Élysée grouillent de dames en escarpins, de messieurs en costume-cravate. Ils se croisent dans un tourbillon aussi rapide que vain. Le décor virtuel situe les lieux où se chuchotent quelques arrangements suspects, quelques conversations trop discrètes pour être honnêtes. Dans un cabinet on s’interroge : qui est donc ce mystérieux jeune homme toujours présent aux cérémonies officielles, cet inconnu souvent placé entre le président de la république et le ministre de l’intérieur ?  De suppositions en déductions extravagantes, de fausses informations en affirmations aléatoires, la réputation de notre Léon Daim, désormais repéré par les services ad hoc enfle comme la grenouille mais ne crèvera pas, bien au contraire !

Félicien Marceau a composé en 1980 une fable réjouissante. Elle casse les murs des ministères, met à nu les ambitions de ceux qui s’y installent, prêts à toutes les compromissions pour conserver leur fauteuil, ou pour obtenir une faveur. Les spectateurs rient de bon cœur aux manigances de cet usurpateur qui, s’il n’a fait de tort à personne, se réjouit de détenir un pouvoir qui permet d’ouvrir des portes et  des sympathies.

Christophe Lidon dirige tout son  petit monde avec une dérision précise. Il frôle l’absurde avec légèreté, impose un rythme endiablé à une troupe de comédiens visiblement en pleine forme. Davy Sardou mène la danse avec une bonhomie dangereuse ; ses camarades endossent plusieurs rôles avec malice. On retrouve avec plaisir Muriel Combeau en sœur pot-de-colle, dotée d’un charme et d’une diction à toute épreuve. Le reste de la distribution est à l’unisson. On s’amuse beaucoup en  essayant de ne pas trop réfléchir : le pire, c’est que ça pourrait être vrai.

JEAN-LOUIS CHÂLES

L’Ami du Président 
Jusqu’au 21 juillet
Théâtre des Gémeaux, Avignon

Une édition marquée par les J.O. et la dissolution ? 

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PARADE AVIGNON OFF © SHANONSCZ-13

Avancé en raison des Jeux olympiques, le Festival d’Avignon 2024 a commencé hors vacances scolaires, et les élections législatives issues de la dissolution ont eu lieu lors de ses deux premiers week-ends. Des contraintes externes qui ont porté un coup à la fréquentation du Festival, selon la sénatrice socialiste Karine Daniel, rapporteure du budget Création et membre du groupe d’étude sur les festivals en région au Parlement. Elle dénonce une baisse de fréquentation de 10% pour le In, et allant jusqu’à 50% pour certaines compagnies se produisant dans le Off.

Des chiffres non confirmés

Tout en admettant que la conjoncture ne leur est pas favorable, les organisateurs du In se disent cependant incapables de confirmer le chiffre avancé par la sénatrice, n’ayant pas encore réalisé leur premier bilan. Du côté d’AF&C, l’association coordinatrice du Off, son codirecteur Harold David reconnaît une baisse « significative » sur la première semaine, mais explique lui aussi ne pas pouvoir la quantifiée – le Off n’ayant pas de billetterie centralisée. Une baisse en partie anticipée par l’association puisque la majorité des adhérents avaient voté pour un début du Off non pas le 29 juin en même temps que le In, mais le 3 juillet, plus proche des vacances scolaires. « En tant que structure coordinatrice, on a insisté pour que le Off commence le plus tard possible » explique le codirecteur, précisant qu’AF&C n’a pas de pouvoir de contrainte sur les théâtres et les compagnies qui ont décidé de débuter plus tôt : « Le Off est l’espace de la liberté ». Pour ce qui est des élections, évidemment non prévues dans l’organisation, Harold David explique avoir vu « un frein très net » dans les ventes à l’annonce de la dissolution.

Mais outre cette première semaine, « aucun signe ne laisse penser qu’il va y avoir une baisse globale des fréquentations » sur l’ensemble du Festival, tempère-t-il. D’ailleurs, les ventes sur la plateformes Ticket’Off (qui commercialise 10% de la totalité des places à la vente) sont supérieures à celles de l’année dernière à la même période. 

Des conséquences à l’année

Mais le mal est déjà fait, à en croire Karine Daniel. « Les compagnies nous l’ont dit, elles ont loué des salles et des hébergements sur une semaine à perte, ce qui creuse leur déficit et entame la rentabilité de leur investissement ». C’est là le nœud du problème pour la sénatrice selon laquelle « le Festival d’Avignon a un rôle moteur dans toute l’activité du secteur à l’année, c’est un peu un salon du théâtre où [les programmateurs] viennent faire leurs repérages ». 

Face à ces constats, la socialiste estime que « les compagnies et les opérateurs impactés sont légitimes à demander des compensations de la part de l’État et des régions qui ont à cœur de garder une programmation vivante dans leur territoire». 

CHLOÉ MACAIRE

Et si on jouait ?

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Exposition Jouets Retrouvés © Julie Surugue

Il ne s’agit pas simplement de présenter une collection de jouets anciens où l’on va retrouver un parfum de passé, une émotion perdue, un souvenir de grenier, de photos sépia et de madeleines trempées dans une tasse de thé. D’abord se pose la question de la définition : qu’est-ce qu’un jouet ? L’objet d’amusement correspond inconsciemment à une représentation du monde que l’on impose aux imaginaires. Chaque époque, chaque contrée, se reproduisent par les jeux qu’elles fournissent à leurs enfants. Leurs constructions mentales, leur approche de la vie que ce soit en société ou dans la sphère intime est conditionnée par la manière dont on va jouer. Conçu comme un pôle de recherche en ethnologie et en sciences humaines, le musée de Salagon s’intéresse à l’évolution du jouet. Lorsque la fabrication industrielle se substitue à l’artisanale dans la première moitié du XXesiècle, les mutations du monde sont sensibles dans la conception et l’évolution du monde des jouets : le métal remplace le bois, le poupon en celluloïd, apparaît vers 1910, précédé par l’ours en peluche (1903) ; l’arrivée du plastique dans les années 1950 change encore la donne. La « démocratisation » du jouet avec sa production de masse correspond aussi à une certaine manipulation de masse par la répartition sexuée des jeux : dinette et poupon pour les filles, voiture à pédale pour les garçons… une manière passionnante de réfléchir sur le monde et nos quotidiens. M.C.

Jouets retrouvés
Jusqu’au 15 décembre 
Musée de Salagon

Un anniversaire jurassique 

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Ichtyosaure, exposition Sors de ta réserve ! © X-DR

Pourquoi une exposition de géologie dans un musée de Préhistoire pourrait-on s’interroger !  
« Les disciplines sont parentes et complémentaires explique la directrice du musée, Sylvie Jurietti, la naissance de la Préhistoire au XIXe siècle lui doit beaucoup. » En effet, la géologie étudie, comme son nom l’indique, la Terre dans toute sa diversité, analyse roches, fossiles, sols, paysages et les interactions dynamiques qui forgent notre environnement – faune, flore, climat – et nous livre des clés pour comprendre le fonctionnement de notre planète dans son histoire. Grâce à sa richesse géologique, les vestiges que ses sols renferment, souvent spectaculaires, comme la célèbre « dalle aux ammonites », trop souvent pillée jusque-là, la Réserve naturelle géologique de Haute Provence a été créée en 1984 dans le double but de préserver les fossiles sur place et le transmettre aux générations futures. C’est aussi dans les Alpes-de-Haute-Provence, à Digne-les-Bains, que s’est tenu le premier Symposium international sur la protection du patrimoine géologique, sous l’égide des chercheurs de l’Unesco. Un texte fondateur a été rédigé à cette occasion : la Déclaration internationale des Droits de la Mémoire de la Terre, le 13 juin 1991, déterminant le patrimoine géologique comme bien commun de l’Homme et de la Terre, à conserver, préserver et à faire connaître. 

Une approche ludique et pédagogique

Le musée de Préhistoire, fidèle à ses principes, déroule l’exposition en entremêlant panneaux explicatifs clairs et précis, vitrines remarquablement intéressantes et documentées, larges dessins dus à Pierre-Yves Videlier et BD pédagogique. On se rend compte de la variété des spécialités scientifiques mises en œuvre pour comprendre un même site où s’analysent vestiges d’animaux, de plantes, issus de différentes époques de la Terre. Que nous racontent les 300 cernes d’une tranche de mélèze, les bois fossilisés du miocène, les fougères carbonifères ? Toute une vie minéralisée nous rappelle le moment où elle a grandi, bougé, essaimé.  

Pas les grands dinosaures de Jurassic Park en Haute-Provence !

Parmi les pépites de l’exposition, pas de dino, la région était sous les eaux à leur époque ! Évoluaient dans les eaux profondes des montagnes actuelles, les ammonites, certaines aux tailles impressionnantes, les reptiles marins, plésiosaures, ichtyosaures, dont les silhouettes nous attendent en suspension mobile. Plus tard, une autre faune fera son apparition : les oiseaux ont laissé leurs empreintes sur les anciennes plages de la vallée de l’Ubès. C’est dans cette vallée, réputée pour ne pas avoir de fossiles, qu’une chercheuse de la mission scientifique de la Réserve, Myette Guyomar, trouve ce qui pourrait être un fossile. On fait appel à Pierre-Olivier Antoine, président du conseil scientifique de la Réserve, qui fait un travail d’orfèvre qui mène à la reconstitution d’une tête et d’une mâchoire de rhinocéros daté à 25 millions d’années. 

Le bilan des quarante ans de la Réserve est exceptionnel, son agrandissement est envisagé. La beauté des paysages préservés et les particularités géologiques défilent en un large diaporama, des propositions de randonnée afin d’approfondir sur place les connaissances engrangées sont présentées. 

MARYVONNE COLOMBANI

Sors de ta réserve ! 
Jusqu’au 15 décembre 
Musée de Préhistoire de Quinson

Le château de la Buzine, tout un cinéma !

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L'Usine de films amateurs © XDR

En 2008, Michel Gondry réalise Soyez sympas, rembobinez. Un film dans lequel Jack Black et Mos Def réalisent des remakes de films à toute vitesse, avec ingéniosité et drôlerie, car toutes les VHS de leur video-club ont été effacées. Pour le réalisateur français, ce synopsis est aussi le point de départ du concept itinérant L’Usine de films amateurs, qui invite depuis plus de dix ans le public à produire son propre film en trois heures. Après 22 villes traversées autour du monde – Tokyo, Paris, New York, Buenos Aires… – ayant accueilli plus de 65 000 participants, ce dispositif débarque à Marseille au château de la Buzine, tout juste récupéré en régie par la Ville de Marseille. « Ce projet constitue une fenêtre ouverte vers, espérons-le, des vocations. Et pour les plus jeunes, des moments de plaisirs partagés en famille, entre amis, et la redécouverte de la magie du cinéma », se félicite d’ailleurs Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture, lors du vernissage ce jeudi 11 juillet.

Écrire, tourner, monter, regarder

Le parcours se divise en trois parties. Car avant de filmer, il faut penser à une histoire, et l’écrire. Pendant 1h30, le groupe (de 5 à 15 personnes), aidé par un médiateur qui le suivra tout au long du processus, peaufine son scénario, définit les personnages et choisit les décors. Il s’agit ensuite de tourner, et c’est ici la principale force du dispositif : toute une série de décors sont à la disposition du public pour créer son film : il y a une discothèque, une cellule de prison, un cabinet médical, un appartement à l’ambiance des années 1970… 

Et avec eux de découvrir les rouages du cinéma : un mur troué pour faire le fameux plan d’ouverture du réfrigérateur, un wagon de train avec écrans à la place des fenêtres pour simuler son avancée, une cuvette salie avec du café… et un tournage qui s’effectue en « tourné-monté » pour gagner du temps, avec une seule prise par plan. Le groupe passe ensuite au montage et à la projection – dans une vraie (petite) salle de cinéma – et repart avec une clef USB du produit final. 

Ce concept est né de l’imagination de Michel Gondry avec l’idée de « proposer à des amateurs de créer leur divertissement plutôt que de le consommer, [puisque réside] en chacun un potentiel créatif inexploité  », explique Ariane Brousselier, responsable du projet. Une démarche saluée par Jean-Marc Coppola, estimant que ce dispositif « incarne la volonté de la Ville de Marseille d’offrir un service culturel de qualité, […] et d’inviter à la pratique artistique pour toutes et tous, dès le plus jeune âge. »

NICOLAS SANTUCCI

L’Usine de films amateurs
Jusqu’au 25 avril 2025
Château de la Buzine, Marseille

Angélica Liddell aux frontières du tabou

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DAMON © XDR

Les premiers mots qu’Angélica Liddell prononce sur la scène de la Cour d’honneur de toute sa carrière ne sont d’elle, mais de critiques de médias français qu’elle cite nommément. Des attaques verbeuses auxquelles la performeuse espagnole répond par des insultes, plaçant de fait son art (voire sa personne) dans le champ de l’inattaquable. Si cela s’inscrit aisément dans la logique outrancière de Liddell, qui cite les Carnets de Bergman dans lesquels il témoigne du même rejet, il demeure paradoxal de décrédibiliser ainsi la critique dont le rôle est de participer au débat public sur l’art, dans une pièce qui porte autant à débat. 

Ses attaques se redirigent rapidement vers le public, vers “les gens” qu’elle “plaint” de manière générale, puis se muent en questions existentielles. Celles-ci, adressées toujours avec la même violence aux spectateurices, prennent pour prémisses les pires horreurs, démons et pulsions, et renvoient à de nombreux tabous. La violence de ce monologue introductif pourrait s’apparenter à du sadisme si elle n’était pas le point de départ de la longue réflexion sur l’obscène que constitue DÄMON.

Comme après une prophétie autoréalisatrice,  la pièce illustre ensuite, tableau après tableau, les différentes situations et pulsions qu’évoque Liddell dans ce brutal interrogatoire initial. Si les mots pouvaient être ignorés, leur traduction scénique ne l’est pas, et le public est bien obligé de se poser les questions formulées plus tôt. Peut-on accepter de voir des adultes nus à côté d’un enfant ? De voir des actes sexuels être performés, ou même simulés, toujours en présence de l’enfant, même si celui-ci, yeux et oreilles couverts, ne semble pas s’en rendre compte ? 

Dès lors deux autres questions apparaissent : celle de la fin et des moyens dans l’art, et celle de la nécessité du tabou. 

Sacrée Angélica 

Mettant à mal le principe de tabou, l’artiste enclenche un long processus de désacralisation de l’enfance et de la vieillesse, de la mort, du sexe, du culte et du lieu. C’est là que la décision d’avoir placé cette pièce dans la Cour d’honneur prend tout son sens. 

Non seulement Liddell mobilise l’architecture de la Cour dans plusieurs tableaux, elle invite le public à réfléchir à l’aspect patrimonial du lieu, son caractère sacré et, prenant pour acquis que ses outrances – relatives vis à vis de ce qu’elle est capable de proposer – choque en ce lieu qui a pourtant vu mourir nombre de personnes. 

À la fin du spectacle plus rien n’est sacré, si ce n’est Ingmar Bergman, l’amour que Liddell lui porte, l’art et la joie, bien qu’à en croire l’avant-dernière phrase projetée sur le mur, l’artiste ne croie pas complètement en la possibilité de cette dernière.

CHLOÉ MACAIRE 

DÄMON a été présenté du 29 juin au 5 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon