vendredi 7 mars 2025
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Les archives fêtent l’Opéra

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Expo L’Opéra de Marseille, une première ! (1924-2024) aux Archives Municipales de Marseille © A.-M.T

L’inauguration de l’exposition s’est déroulée le 7 décembre en présence du directeur de l’Opéra Maurice Xiberras, d’Olivier Muth, directeur des archives, d’Isabelle Aillaud, commissaire d’exposition et de Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la culture. Ce dernier s’est d’abord félicité du concert « grandiose » donné à l’Opéra le 3 décembre pour l’anniversaire de l’institution. Celui-ci a dressé un rapide historique du grand théâtre, victime d’un incendie le 13 novembre 1919, à l’issue d’une répétition de L’Africaine de Giacomo Meyerbeer, ne laissant subsister que les structures extérieures. C’est l’histoire de cette reconstruction sous la direction de l’architecte Gaston Castel, que présente la première salle de l’exposition. Celui-ci va imaginer un opéra à l’italienne avec une machinerie située dans les toitures et un aménagement sans piliers centraux afin de ne pas gêner la vision des spectateurs. Le nouvel opéra sera inauguré le 3 décembre 1924 en présence du sénateur-maire socialiste Siméon Flaissières avec une représentation du Sigurd d’Ernest Reyer. 

© A.-M.T.

La deuxième salle est consacrée aux spectacles qui ont marqué la scène comme ceux montées sous la direction de Louis Ducreux dans les années 1960 : programmes, photos dédicacées, tableaux feront le bonheur des passionnés d’art lyrique tout comme les robes somptueuses ayant été portées par certaines divas comme Régina Rizviek dans Carmen en 1962 et dont Bernard Buffet a signé les décors ou ceux de Tannhauser de Wagner de 1971.

Un spectacle idoine

L’après-midi s’est enchaînée avec une représentation de la compagnie de l’Ajmer : Offenser la mort – un théâtre des années folles (Marseille 1919-1929). La troupe de Franck Dimech, au mieux de sa forme dans un spectacle drôle, loufoque et poignant, retrace les samedis soirs d’un cabaret durant les années qui ont suivi la première guerre mondiale. Après la boucherie, le carnage, il s’agit de faire un pied de nez à la mort. Sur cette scène populaire, ubuesque et souvent poétique, on croise Miss Maud, dompteuse de lions et de mâles qui joue de l’accordéon en chantant Mon homme de Mistinguett, Nedjima, liseuse de pensées hallucinée, le pétomane Jacky Norman dans son show le train sifflera quatre fois, Barbette le travesti dépressif. On rit et on pleure devant la splendeur et la misère des bas-fonds du « quartier réservé » sur lequel règnent les nervis tandis que les garçonnes et les dandys investissent la rue Paradis. Sur l’air de Lili Marleen et de Sombre dimanche, on entrevoit que cette ivresse de vie interlope et gouailleuse va bientôt voler en éclats.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

L’Opéra de Marseille, une première ! (1924-2024)
Jusqu’au 26 avril
Archives municipales de Marseille

« La Chanson d’Aïda », douce et amère

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« Un gadjo est en train de me filmer ! » Le gadjo c’est Giovanni Princigalli qui a déjà filmé Aïda, 20 ans auparavant. « En 2001, j’ai fréquenté pendant une année, une famille de Roms roumains très traditionnaliste, patriarcale et marginalisée. Cette famille vivait dans des baraques dans une banlieue de Bari [en Italie… 20 ans après je les retrouve. »

Aïda était alors une adolescente lumineuse, pleine de rêves, souriant à la vie. Amoureuse de Léonardo Di Caprio, elle voulait devenir mannequin. Giovanni Princigalli donne à voir ses yeux pétillants et son sourire. 20 ans plus tard, c’est une femme, fatiguée, comme prisonnière du clan et de Zeus, l’homme à qui ses parents l’ont mariée, de force. Le mariage ressemblait à des funérailles, commente-t-elle. Zeus qui ne l’aimait pas non plus, la maltraite, la trompe, et l’insulte, même par téléphone quand il est loin, entre l’Angleterre et Craiova où il construit la maison. Hors de question qu’elle divorce pour ses parents qui, pourtant, représentés la gauche dans une élection locale – où ils étaient d’ailleurs les premiers roms à s’y présenter. Aïda, de plus en plus dépressive, enfermée dans cette vie, dans son manque d’amour, fait un troisième enfant pour « retrouver l’envie de vivre »

La chanson d’Aïda qui oscille entre passé et présent, entre lumière et ombre, non seulement nous plonge en immersion, dans le camp de Roms, sans cesse nettoyé, balayé, rangé, par les femmes de la communauté qui assument bien des tâches, mais aussi dans l’intimité de ceux et celles qui y vivaient déjà 20 ans auparavant. Ils sont toujours là. Le père d’Aïda, le chef du camp dont il se sent responsable, toujours amoureux de sa femme. Pour elle, Ligia, qui n’a pas eu le choix de son mari, tout comme sa fille, l’important est d’être sincère l’un envers l’autre. Une mère qui confie à sa fille qu’elle aussi a eu une dépression : une belle séquence de complicité tendre. Le regard de Giovanni Princigalli sur ses protagonistes toujours bienveillant et incisif, ne juge pas et laisse aux spectateurs le choix de plaindre et/ou d’admirer Aida : « Je te jure que je lutte pour mes 3 enfants. Je ne veux pas les voir souffrir comme j’ai souffert. Je veux pouvoir les aider ! »

Habilement tricoté, entre les images de son premier documentaire consacré aux Roms, Japigia Gagi, celles qu’il a tournées en 2021 et quelques séquences d’animation, ponctuées par quelques chansons dont l’entrainante Rumelaj de Faraualla ou la délicieuse Nié bouditié de Bratsch et Lhasa lors de la veillée autour du feu, La chanson d’Aïda est aussi une histoire de lutte. Celle d’un peuple qui, depuis des années, tente d’exister, de se battre contre les préjugés. Un carton à la fin nous rappelle que dans les années 1940, le régime fasciste a bâti sur le territoire italien 23 camps de concentration pour les Roms et qu’entre 500 000 et un million d’entre eux ont été massacrés. « Aujourd’hui encore l’Italie semble être le pays où les sentiments anti-Roms sont les plus généralisés malgré une population rom assez faible »

Giovanni Princigalli a dédié son film, d’une grande humanité, au sociologue et député Franco Cassano, né à Bari et décédé fin 2021, dont il a été l’élève. La Chanson d’Aîda a obtenu le Prix du meilleur documentaire au Salina Doc Fest qu’organise chaque fin d’été Giovanna Taviani et a été presnté dans le cadre du PRIMED.

ANNIE GAVA

Festival Manip ! : la magie nouvelle entre en scène

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HEKA - Gandini Juggling © Camilla Greenwell

« Mettre de l’extra dans son ordinaire, ré-enchanter le présent » c’est avec ses mots que la directrice de La Garance Chloé Tournier et son équipe avait annoncé la création du festival de magie nouvelle Manip ! en décembre 2022. Un projet conçu en lien avec l’artiste complice Thierry Collet, chercheur dans le domaine de la magie, et diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. La magie, une discipline à la croisée des arts et des sciences, du palpable et de l’impalpable, interrogeant notre rapport au réel. Car souvent, on n’en croit pas ses yeux… Et pourtant ! 

Deux créations

À côté d’ateliers d’initiation à la magie, de « main et machine poétique », et de « magie et mentalisme », et de l’exposition Un étrange ordinaire qui s’intéresse aux objets magiques (jusqu’au 16 février 2025) Manip ! cette année est le lieu de deux créations : Heka de Gandini Juggling (avec la complicité de Yann Frisch) et Croire aux Fauves des Arts Oseurs (avec la complicité d’Étienne Saglio). Heka (11 décembre) est un spectacle alliant jonglage et magie. Fruit de la rencontre des jongleurs de Gandini Juggling, groupe composé de jongleurs virtuoses (ils sont 7 pour ce spectacle) et de Yann Frisch, l’un des membres phares du mouvement Magie nouvelle, illusionniste et circassien, révélé au grand public avec Baltass, numéro mêlant justement illusionnisme et jonglage. Dans Heka (nom du dieu égyptien de la magie) ce sont des tours de « passe-jonglage » : une façon d’aborder la magie en tant que langage chorégraphique où les objets apparaissent et disparaissent, flottent, se multiplient ou changent de couleurs. 

Croire aux Fauves des Arts Oseurs est une adaptation, sous forme de spectacle nocturne en extérieur (14 déc. – à Barbentane – soupe offerte – prévoir de bonnes chaussures, des vêtements chauds, des couvertures ou des plaids…) du texte éponyme de Nastassja Martin, à la croisée de la littérature, de l’anthropologie et du chamanisme. Inspiré de sa rencontre violente avec un ours, qui l’a attaquée aux confins de la Russie, où elle travaillait avec les Évènes, peuple de chasseurs nomades du Kamtchatka. Selon leurs croyances, suite à cette attaque, l’anthropologue est devenue « mi-femme, mi-ours ». À la lumière vacillante de bougies à travers les paysages naturels et les forêts des Alpilles, une comédienne (Florie Guerrero Abras) incarne cette histoire, accompagnée d’un musicien (Renaud Grémillon), la magie intervenant de façon discrète mais troublante, proposant une nouvelle appréhension du monde et de la place de l’humain en interaction avec les autres espèces.

Jongleur du temps

À noter également Tout Rien (à partir de 7 ans – 12 et 13 déc.) de la Cie Modo Grosso, un cirque d’objets proposé par Alexis Rouvre, artiste belge se qualifiant de jongleur du temps, plutôt que de la gravité. Inspiré par une phrase de l’astrophysicien Carlo Rovelli : « Les corps se meuvent naturellement là où le temps passe plus lentement » Avec des chaînettes, des aiguilles et de la laine, des pierres volcaniques, du sable, des aimants et des balanciers, il créé un poème visuel sans paroles, aux variations subtiles, ingénieuses, fascinantes et drôles. (spectacle programmé également à Visan le 14 déc., en partenariat avec le Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse).

MARC VOIRY

Manip !
Du 10 au 14 décembre
La Garance, scène nationale de Cavaillon

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Les fronts populaires et Léon Blum

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Léon Blum, une vie héroïque © Vincent Berenger

« La marche de l’histoire est parfois facétieuse. Le contexte donne un parfum particulier à cet événement participatif », confirmait le producteur Philippe Collin, lors de sa présentation au public. Né de l’enregistrement d’un podcast original de France Inter, écrit et raconté par le producteur avec Charles Berling dans le rôle de Léon Blum, le spectacle met en scène la production radio et son ballet de signes (Violaine Ballet) commentée par les dessins effectués en direct par Sébastien Goethals. Après Toulon et Aix, Marseille invite le 14 décembre lecteurs, danseurs et choristes à participer à une expérience, où le public est impliqué activement : dans des discussions avec l’historien Nicolas Rousselier,, lors d’un bal et d’un banquet républicain partagés dans les grandes tablées installées à l’extérieur du théâtre. 

La conception même de l’événement, qui dure de 14 à 23 heures, fait vivre intensément les aspirations démocratiques et populaires, rappelant l’effervescence des « grèves joyeuses » qui ont suivi l’élection de la coalition du Front Populaire de 1936. 

Un peu d’histoire

Léon Blum © X-DR

En cinq temps de récit, entrecoupés par des chants et des bals populaires, est retracée la vie de Léon Blum et tout un panorama de son époque, de la fin du XIXe aux années 1950. On le suit, brillant, lettré, nourri de l’esprit de justice par son éducation, ayant pour modèles les héros de Stendhal, auxquels il sera souvent comparé, ses amitiés, son essai Du mariage… À son Panthéon brille aussi l’étoile de Barrès avec lequel il rompra au moment de l’affaire Dreyfus. C’est alors qu’il prend vraiment conscience de ce qu’est l’injustice. Ce qui compte pour lui c’est la résistance, que ce soit pour Dreyfus ou plus tard dans l’après-Vichy. Sa rencontre avec Jean Jaurès sera déterminante. Homme de l’union et du consensus, il se présente pourtant au congrès de Tours comme le « gardien de la vieille maison », refusant en bloc les 21 mesures de la IIIe Internationale bolchévique, ce qui amène à la scission SFIO (socialiste), SFIC (communiste), alors majoritaire. 

Des parallèles glaçants

Bien sûr, le public est particulièrement attentif à l’élection du Front Populaire : ce gouvernement d’union qui n’a duré qu’un an et a pourtant apporté les congés payés, les 40 heures… plaçant l’État comme arbitre du contrat social. « La réforme est révolutionnaire, la révolution est réformatrice » affirme celui qui scande : « Il y a quelque chose qui ne me manquera jamais c’est la résolution, c’est le courage, c’est la fidélité ». 

Des analogies s’instaurent avec notre temps présent : aujourd’hui, les forces de gauche se rassemblent sous le nom de Nouveau Front Populaire. Mais l’historien précise la différence entre la démocratie présidentielle actuelle, concentrée autour d’un chef suprême et celle parlementaire de 1936 où les assemblées contrôlent l’essentiel du pouvoir législatif et dominent l’action du gouvernement… 

Aux lendemains de la guerre de 39-45, selon Blum, le programme du Conseil national de la Résistance n’allait pas assez loin. C’était pour lui le moment d’installer un socialisme humaniste permettant à chacun d’oser l’aventure d’être soi-même. Quel écho aujourd’hui ? 

MARYVONNE COLOMBANI

Léon Blum, une vie héroïque a été vu le 15 juin au Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.
À venir
14 décembre
La Criée, Théâtre national de Marseille

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Il nous faut éprouver ensemble

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« La culture est quelque chose que nous ne devons pas perdre », déclare Benoît Payan lors de la cérémonie du centenaire de l’Opéra de Marseille. « Parce que la musique nous rassemble et fait jaillir l’émotion au-delà de nos différences », dit-il, « nous la soutiendrons toujours, et remercierons toujours ceux qui nous la font entendre ». Le maire de Marseille répond ainsi aux larges coupes prévues dans les budgets de certaines collectivités et de la plupart des régions (-73% en Pays de Loire), aux inquiétudes des opérateurs culturels, des artistes et du public, confrontés aujourd’hui à une baisse sans précédent du nombre de représentations sur les scènes publiques. 

Pourtant la plupart des théâtres, des opéras, des événements, à Marseille, dans toute la région, sont pleins, des mois, des semaines à l’avance. Mais les baisses impactent déjà la possibilité de produire et accueillir des spectacles. Résultat immédiat : impossible de réserver dans nombre de salles où l’on vient chercher le réconfort, la réflexion, le commun, l’émotion, la catharsis, une compréhension du monde hors du champ miné, laminé, des médias dominants. Loin du champ miné, laminé, des pays qui se libèrent et que l’on bombarde dans la nuit. Loin du champ miné, insensé, d’une France qui voit ses institutions s’effondrer à force de gouvernements aveugles à l’accablement de leur peuple.

Blum refleurira

Le pas-de-côté qui nous est proposé par les artistes, les documentaristes, nous permet d’habiter ce monde à travers nos émotions, notre empathie, notre auto-dérision, leurs souvenirs, et la subtilité de points de vue multiples. Garder en ces temps difficiles une part d’émerveillement, une part d’enfance, au festival de magie de Cavaillon, à Tous en sons, au Mucem, nous est indispensable. Partager les souffrances et les combats des films primés au Primed, qui parlent subtilement de la Syrie, et dénoncent l’esclavage sexuel conduit par Daesh, l’est tout autant. 

Passer 12 heures à La Criée pour réfléchir, avec Charles Berling, à la situation politique française en replongeant dans l’histoire du Front Populaire et de Léon Blum, est aussi essentiel. Sans occulter ni son marxisme ni son anti-léninisme, pas plus que l’antisémitisme dont il a été victime, et qui explique sans doute pourquoi aujourd’hui encore il y a si peu de monuments, de rues, d’écoles, qui  portent le nom d’un de nos plus grands hommes d’État.

Car comme l’a prétendu Jean-Luc Mélenchon, l’antisémitisme n’est pas résiduel en France. Il est omniprésent et multiforme, parce que le discours sur l’enracinement chrétien redevient courant à droite, parce qu’un criminel de guerre dirige Israël, parce que la voix des juifs de gauche est étouffée par leur communauté même, et parce que la confusion extrême entretenue dans les médias et les réseaux entre juifs, sionistes, colonisateurs et criminels de guerre, n’a d’égale que celle entretenue entre musulmans, arabes, islamistes et terroristes. 

Léon Blum, juif non-sioniste avant la guerre, sioniste après, jamais colonialiste, déclarait « Par principe, par tradition, nous sommes adversaires du colonialisme, qui est la forme la plus redoutable de l’impérialisme. » Sortir des communautarismes et des dénis pour éprouver ensemble le sentiment d’humanité reste possible, tant que les salles de spectacles sont ouvertes. 

AgnÈs Freschel

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PRIMED, 30 ans de peines

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@Cadmos Film

C’est un documentaire à la première personne. Leyla Assaf-Tengroth raconte tout à la fois une expérience de documentariste qui s’étend sur trois décennies, et à travers la parole recueillie, le destin d’une famille syrienne exilée au Liban. Tout commence en 1975, la réalisatrice libano-suédoise tourne un film sur les enfants des rues à Beyrouth. Elle caste Rim une vendeuse à la sauvette de 9 ans. Effrontée, rebelle, vive, libre malgré sa misérable condition, Rim sera la figure principale de son film. Leyla initie une relation privilégiée avec sa famille, des réfugiés syriens ayant fui la guerre et qui s’entassent dans un garage de banlieue. Elle emmène Rim en tournée de promotion du film et finance l’éducation de cette enfant analphabète. « Un avenir radieux  l’attendait » dit-elle. Oui, mais à 13 ans Rima est mariée par son père à un cousin qui a le double de son âge. Elle se voile, devient mère et se soumet à la loi maritale. Leyla Assaf Tengroth documentera tout ce qui suit.

Les mariages de ses sœurs. L’une après l’autre : Ramia, Dalida, Safia, Safah. Mariages forcés ou choisis au prix de haute lutte comme celui de Dalida qui refuse le promis attribué et frôle la mort sous les coups paternels, avant d’obtenir la permission d’épouser César, un chrétien. Mais d’arrangement ou d’amour, le mariage enferme les femmes : maternités nombreuses qui leur imposent de rester quand elles voudraient partir, de supporter la violence de leurs époux, puis leurs incartades quand elles sont trop vieilles. Chadia voit son mari devenir volage après 15 enfants et 35 ans de vie commune. On entend la détresse de Safah que le sien a abandonnée pour combattre l’armée de Bachar el-Assad et dont la belle famille veut récupérer de droit, la fille.

Le désespoir de Safia qui a placé ses cinq enfants en internat pour les éloigner des coups quotidiens de leur père. Les logements sont plus confortables, la misère moins grande mais le malheur demeure. On entend les maris justifier les traditions sévères conformes à la loi de Dieu, leur droit de vie et de mort sur leurs enfants et leurs épouses. En filigrane se dessinent les humiliations qu’ont dû subir ces hommes qui ne sont dominants que dans leur maison et abusent de ce pouvoir. Le drame de la guerre, de l’exil, de la misère, des campements de fortune sur occupés, du rejet par une partie des Libanais de ces immigrés aux enfants trop nombreux et qui, peu à peu, s’installent durablement, est partagé par tous.

Mourir au Liban

Mais les femmes subissent de plus la toxicité patriarcale, l’intériorisent. Parfois la transmettent. L’histoire de Chadia et de ses filles est celle d’un exil cruel, de la destruction du paradis originel que représentait leur maison villageoise de Tell Kalak mais aussi de l’enfer domestique qui transforme des petites filles rieuses en femmes éplorées. Les questions de la réalisatrice tentent la neutralité mais les réponses qu’on entend sont à hurler de colère. Elle ne commente pas les grands événements politiques qui jalonnent la période, reste sur leurs conséquences dans la vie des familles. Elle constate la faillite du Liban, voit son appartement de Beyrouth exploser en août 2020, perdant elle-aussi son « paradis ». « Il s’est passé beaucoup de choses en trente ans mais presque rien n’a changé » dit Chadia à la fin du documentaire, devant la tombe de sa mère qui a voulu retourner en Syrie et repasse agonisante la frontière à dos d’homme pour mourir au Liban.

ÉLISE PADOVANI

30 années avec Chadia et ses filles de Leyla Assaf-Tengroth a obtenu le Grand Prix Enjeux méditerranéens au festival Primed.

Noël à Miller’s Point : un conte à rebours

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Copyright Paname Distribution

Avec son titre de comédie romantique ou de conte, Noël à Miller’s Point cache bien son jeu. Si le réalisateur Tyler Taormina assume une esthétique qui se veut « un câlin réconfortant dans une nuit froide », il introduit dans son film une mélancolie tenace et se démarque des conventions en télescopant le sitcom-pub et le cinéma européen des années 1990. Les tubes folk, country, pop et rock des sixties s’enchaînent, coulant en sirop doux-amer.

C’est la belle nuit de Noël pour une famille italo-américaine de la middle class. On est dans une petite ville de Long Island, enguirlandée de lumières. Frères, sœurs, oncles, tantes, mères, grands-mères, cousin·e·s, toutes générations confondues se réunissent comme tous les ans dans la grande maison familiale. Sapin scintillant, cadeaux joliment empaquetés, orgie de décorations et de victuailles.

Pas de miracle

Les groupes se forment. Les parents parlent de leurs ados récalcitrants : les mères entre elles, les pères entre eux, cigare à la bouche. Les enfants chahutent. Les plus grands sont aux sticks. On se perd un peu dans le désordre et le mélange des membres de cette tribu. Du collectif se détachent quelques figures : Emily en révolte contre sa mère, un jeune garçon un peu décalé, la fratrie en désaccord sur le sort de leur mère en perte d’autonomie et sur la vente de la maison où ils fêtent peut-être leur dernier réveillon commun. La matriarche les regarde, déjà ailleurs. La soirée se déroule selon des rituels immuables. On ripaille. On rend hommage aux morts. On attend le char du père Noël. Un train passe dans la nuit. On regarde photos et films souvenirs. On se reconnaît. On rit. Les ados se font la malle dès qu’ils le peuvent pour s’inventer leur Noël à eux sous la neige et en couple dans l’habitacle des voitures. Figures burlesques, deux policiers patrouillent en anges gardiens lunaires.

Le point de vue change sans cesse ; la caméra déconstruit l’image, la floute, cadre des détails, la lumière explose en fragments kaléidoscopiques comme les émotions. Aucun récit linéaire ne se construit dans cette juxtaposition de scènes et de tonalités. La répétition des traditions familiales et des révoltes adolescentes n’enferme pas le temps dans un cycle, il passe sans retour, ni miracle fut-il de Noël.

ÉLISE PADOVANI

Noël à Miller’s Point, de Tyler Taormina
En salles le 11 décembre

Au Mucem, les tréteaux enchantés

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Vue de l'exposition En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques au Mucem ©. Lila Seror

Elle trône dans l’espace central : la somptueuse Nana noire upside down de Niki de Saint Phalle, l’une des œuvres majeures de la nouvelle exposition du Mucem, En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques. Mais elle côtoie de plus modestes Fleurs de cirque, réalisées par Marie Isabelle Vieira, aide-soignante du Centre hospitalier de Montfavet, où les patients pratiquent l’art pour aller mieux. Cette juxtaposition du fameux et de l’obscur, de la performance et du bricolé, cette façon de braquer des projecteurs pour voir les paillettes jusque dans les marges, c’est la marque de Macha Makeïeff, co-commissaire [Lire notre entretien ici] avec le conservateur en chef Vincent Giovannoni, responsable du pôle Arts du spectacle du musée.

Des planches aux cimaises

Transporter l’univers du théâtre, qui a nourri toute sa carrière sur cette « autre scène » qu’est un parcours d’exposition, c’est le pari réussi de la metteuse en scène. « Il fallait trouver les équivalences de la dramaturgie, construire un récit plastique », dit-elle. Aidée en cela par le magicien de l’éclairage Jean Bellorini, elle a orchestré une farandole aussi évocatrice et colorée que le poème d’Apollinaire, Les Saltimbanques. « Et les enfants s’en vont devant, les autres suivent en rêvant… » Indéniablement, quel que soit l’âge, se laisser embarquer dans ses marottes est un plaisir. D’autant que Macha Makeïeff se sert de l’ombre comme de la lumière, respectant en cela la vocation du Mucem, musée de société. Dès l’entrée, une affiche de 1853 rappelle à quel point l’ambiguïté, la censure et la précarité ont pu marquer le destin des bateleurs. « Tout individu qui voudra se livrer à l’exercice de la profession de Saltimbanque, écrit alors le préfet du Gard, devra produire un certificat de bonnes vie et mœurs, délivré par le commissaire de police ou le maire de la commune où il sera domicilié ». Pour quitter le Département, il faut faire viser son passeport ; les chansons devront êtres revêtues de l’estampille de l’administration, précise l’arrêté…

Nota Bene

Les éditions La Martinière et le Mucem ont édité un beau catalogue de l’exposition, parfait en souvenir ou comme cadeau à offrir en cette fin d’année. On y apprend entre autres l’étymologie du mot saltimbanque, en italien celui qui sait saltare (sauter) sul banco (sur une petite estrade) : quelqu’un, en somme, qui démontre la capacité humaine à l’envol.

Par ailleurs, du 18 décembre au 5 janvier, les enfants seront à la fête, avec le programme d’activités proposées autour de l’expo : ciné-concert, jeux, conférence-spectacle, ateliers, cirque contemporain… Ne manquez pas, par exemple, d’aller voir en famille Dark Circus, spectacle musical dessiné en live par la Cie Stereoptik (à partir de 8 ans, les 29 & 30 décembre). Ou Les Petits Touts, du mime Fabien Coulon, œuvre accessible aux non-francophones et aux personnes sourdes et malentendantes (4 & 5 janvier). 

GAËLLE CLOAREC

En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques
Jusqu'au 12 mai
Mucem, Marseille

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Drame yézidie : les femmes et les enfants d’abord

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Hawar, nos enfants bannis (C)

En 2014, des milliers de femmes yézidies sont kidnappées par Daesh et recrutées comme esclaves sexuelles. Captives violées collectivement par les djihadistes, elles se retrouvent souvent enceintes. Une fois « libérées », les mères sont obligées par la communauté à abandonner ces enfants nés de viols. Ana – ce n’est pas son vrai nom – a accepté de raconter sa douloureuse histoire.

On ne verra jamais entièrement son visage mais on la suit, en voiture, en de longs travellings, sur des routes de montagne dans le Kurdistan irakien. Ana avait 19 ans quand elle a été enlevée, emmenée à Mossoul, offerte en cadeau à un combattant qui l’a violée. Des viols comme une routine quotidienne. Enceinte, elle a tout fait pour avorter. En vain. Une petite fille est née, Marya, un amour aussi. Mais revenue dans sa communauté à sa libération, elle se voit contrainte par ses parents à abandonner son bébé : chez les yézidis, on n’élève pas les enfants de l’ennemi. Elle confie son regret d’être revenue. Ce n’est pas la seule ; certaines ne se remettent jamais, se pendent. Ana, elle, ne baisse pas les bras, ne renonce pas. Aidée par certains, elle retrouve la trace de Marya, dans un orphelinat d’une ville en Irak, y va secrètement…

Rien n’est réglé

Entre les longs trajets en voiture, on s’arrête avec elle à Lalesh, temple sacré où on assiste au « re-baptême » de ceux enlevés qui sont revenus, à la fête du « Mercredi rouge », leur nouvel an, pleine de couleurs, de chants et de lumière. On accompagne Ana dans les échoppes où elle achète des vêtements pour sa fille. On fait la connaissance de la responsable de l’orphelinat de Hassaké en Syrie qui espère qu’une solution durable sera trouvée pour ces milliers d’enfants abandonnés par leur mère, volontairement ou contre leur gré. On assiste, moment très émouvant, aux retrouvailles d’Ana et de sa fille qu’elle n’a pas vue depuis 4 ans. Un moment de joie, de tendresse éphémère, suivi d’un départ dans les larmes.

Rien n’est réglé : les autorités officielles, yézidies, kurdes, et irakiennes, continuent à nier l’existence de ces bébés. Un millier de femmes, les « disparues », ont choisi de ne pas retourner dans leur communauté. Il a fallu huit années à la journaliste-documentariste belge, Pascale Bourgaux pour faire ce documentaire afin qu’on n’oublie pas. La cinéaste Berivan Binevsa en a fait une fiction, très réussie aussi, La vierge à l’enfant.

ANNIE GAVA

Hawa, nos enfants bannis de Pascale Bourgaux obtenu la mention spéciale ASBU (Union des Radiodiffuseurs des Etats Arabes )au PRIMED  qui s’est tenu à Marseille du 30 novembre au 7 décembre 2024  

À ce qu’il paraît, c’était super !

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Résidence à Cavaillon avec La Garance © Jean de Pena

Depuis bientôt 30 ans, le Begat Théâtre ne joue jamais ses spectacles sur des scènes de théâtre, mais dans l’espace public, qu’il soit urbain, naturel ou entre les deux. Et Askip (À ce qu’il parait), crée en 2018, texte de Patrick Goujon, ne se joue que dans les collèges. Réunis dans le CDI du Collège de la Belle de Mai, les élèves d’une classe de 5ème sont répartis en trois groupes : Marqueur, Pochette, Pince. Karin Holmström, la metteure en scène, explique : « Au cours du spectacle, qui va se dérouler un peu partout dans le collège, ces objets vont vous apparaître. Il s’agira pour chaque groupe de suivre le sien, où qu’il aille, comme des souris invisibles et discrètes. » Le groupe Marqueur est amené jusqu’aux sanitaires. Derrière une porte de toilette, une voix féminine tonitruante prépare le vol d’une fusée interstellaire, qui décolle dans un vacarme de chasse d’eau. La porte s’ouvre, et Eliza (Clémentine Ménard) apparaît, petite teigne brune, en bonnet et sac Eastpack, un marqueur bleu à la main. Elle trace rapidement des constellations en Z sur les carreaux blancs au-dessus des lavabos, avant de se propulser en bougonnant à travers cour, escaliers, coursives extérieures, jusqu’à la salle de classe où l’attend, scruté par le groupe Pochette, Fréderic Maran (Stephan Pastor), professeur de français, « à qui il manque un R et un T », en veste et col roulé. Quelques minutes plus tard apparait Bruno (Jean-Marc Fillet), agent de maintenance en combinaison de travail, suivi de près par le groupe Pince. C’est son dernier jour avant la retraite, il vient pour une réparation dans le faux-plafond de la classe. Entre les trois, des échanges brefs, faits d’indifférence plus ou moins polie et de préjugés réciproques, semblent donner le ton. Mais rapidement, des monologues intérieurs, prononcées à haute voix, s’insèrent dans ces dialogues, troublant les contours des personnages, esquissant leur fragilité, leur solitude. Eliza, Frédéric et Bruno vont reprendre chacun leur chemin, puis, dans des espaces ouverts, fermés ou dérobés du collège se croiser à nouveau. Discrètement, marqueur, pochette, pince vont changer de mains. Chacun découvrira, à la dérobée, chez les autres, une proximité inattendue, des échos de ses propres fêlures intimes. Accélérations, ralentissements, hésitations, arrêts. Au-delà d’un spectacle, l’expérience d’une écriture et d’une mise en scène mêlant distance et empathie, liberté et précision, portée par des comédiens au diapason. Et les petites souris, à la fin, les yeux brillants, redevenues collégien(ne)s, s’écrieront : « C’était super ! ».

MARC VOIRY

Askip par le Begat Théatre était présenté au Collège de la Belle de Mai du 26 au 29 janvier 2021, programmé par le Théâtre Massalia

Un spectacle programmé par le Théâtre de la Joliette au Collège du Vieux-Port du 11 au 13 décembre 2024