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S’informer en 2025, et demain ? 

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Antoine Lilti et Françoise Daucé © X-DR

Si l’an dernier, Allez Savoir déplaçait le curseur de notre attention entre obéissance et désobéissance, il vient cette année questionner nos usages informationnels. « S’informer, vraiment ?! » est le thème du festival de sciences sociales organisé par l’EHESS à Marseille. Un point d’interrogation et d’exclamation juxtaposés, pour relever l’ambiguïté de notre société, saturée d’informations auxquelles nous ne savons quel degré de confiance attribuer.

Des menaces qui se corsent

Le dialogue inaugural donnera le ton des débats, le 25 septembre, avec la sociologue Françoise Daucé, spécialiste des formes de domination politique en Russie, Antoine Lilti, historien des Lumières, et le journaliste Thomas Snégaroff, observateur pointu des États-Unis. Ils interrogeront la façon dont les technologies de l’information et de la communication ressemblent de plus en plus à un cauchemar totalitaire, malgré les promesses démocratiques qui miroitaient à leur naissance. 

L’IA, bien-sûr, sera dans tous les esprits. Pour ne donner qu’un exemple, ces outils, désormais à même de déflouter des vidéos anonymisées par les médias, afin de donner la parole à des témoins menacés, décourageront-ils les lanceurs d’alerte de s’exprimer ? Autre dérive menaçant de plus en plus les démocraties représentatives : la concentration des titres. Le 26 septembre, à la Bibliothèque de l’Alcazar, la sociologue Julie Sedel et deux journalistes, Valentine Oberti (Mediapart) et Sylvain Bourmeau (France Culture, AOC), défendront le pluralisme et l’indépendance de la presse.

Une résistance qui se muscle

L’un des plus grands attraits d’Allez Savoir est sa capacité à faire dialoguer les sciences sociales avec d’autres champs d’expression. Le festival propose bien-sûr des tables-rondes, mais aussi de foisonnantes propositions artistiques, concerts, spectacles, balades… 

Un atelier, à la Vieille Charité, propose de muscler son esprit critique, comme antidote aux fake news et deep fakes. Au Théâtre de La Cité, une scène ouverte, suivie d’une rencontre avec le sociologue Cyril Lemieux, co-président du festival, donnera aux membres du public l’occasion de mettre en perspective ce qui, dans l’actualité, a brouillé pour eux les limites du vrai et du faux. 

Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le cinéma Les Variétés projettera Citizen Four, remarquable documentaire de Laura Poitras sur Edward Snowden. De quoi inspirer bien des forces vives de la citoyenneté !

GAËLLE CLOAREC

Allez savoir
25 au 28 septembre
Marseille, divers lieux

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actoral  : 25 ans d’invitation à la création

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BORDA, Lia Rodrgues © Sammi Landweer

Créé au tournant des années 2000 par Hubert Colas, dramaturge, metteur en scène et scénographe, fondateur-directeur de la compagnie Diphtong, actoral est d’abord né de la volonté de donner à l’écriture contemporaine un espace d’expérience et d’expérimentation, hors des catégorisations traditionnelles du théâtre. « Je voulais inventer un endroit où le texte, la scène et l’art contemporain puissent dialoguer sans frontières. actoral est né de ce désir de décloisonner. »

Dès ses origines, le festival s’est appuyé sur Montévidéo – la structure de création et de production fondée quelques mois auparavant par Colas et Jean-Marc Montera du Grim à Marseille, pour favoriser résidences, premières et plateaux partagés entre théâtre, danse, performance, musique et arts visuels. Un lieu-laboratoire en lisière du 6e arrondissement de Marseille où artistes et auteurs peuvent travailler sur le temps long, hors des contraintes des circuits institutionnels. 

Et un festival qui fait du lien territorial son credo : faire venir des artistes internationaux tout en soutenant des trajectoires artistiques locales, afin que Marseille soit à la fois réceptacle et incubateur d’écritures nouvelles. 

25 ans après

Hubert Colas : « Un anniversaire ? C’est avant toute chose un rassemblement, des amis, une reconnaissance, des complices du festival, des artistes, des lieux partenaires, un public, des institutions. Nous pourrions dire une bande d’êtres humains qui s’est réunie pour faire la fête mais une fête qui met l’art en cœur de toute rencontre. Un anniversaire c’est un espace qui pousse à regarder le chemin parcouru, les plaisirs, les blessures, les combats et enfin 25 ans de festival c’est peut-être un peu aussi une reconnaissance ». 

Le chemin parcouru n’a pas été un long fleuve tranquille. Si le festival a reçu des milliers d’artistes et écrivains, parmi lesquels Bernard Heidsieck, Gisèle Vienne, Nathalie Quintane, Rodrigo Garcia, La Ribot, Sophie Perez, Julien Gosselin, Chloé Delaume, Tiago Rodrigues… tout en développant un réseau de partenariats internationaux (coproductions européennes, échanges avec Montréal et autres villes), il a été localement plus que souvent fragilisé. 

Par des subventions qui arrivent tard, des coupes budgétaires et les difficultés liées à son QG, entre travaux de mises aux normes de sécurité et conflit juridique à rallonge avec le propriétaire des lieux. En 2017, une pétition de soutien rassemble plus d’un millier de signatures en quelques jours, parmi lesquelles celles de figures majeures de la scène contemporaine (Gisèle Vienne, François Tanguy, Rodrigo García). Et en 2023, lors de la perte du bail, une pétition relayée par Libération et Mediapart, soulignant l’importance du lieu comme « maison des écritures contemporaines » et dénonçant une décision mettant en péril vingt ans d’expérimentation artistique. Cette fois-ci, en vain : fin du bail, Montévidéo et actoral doivent partir. 

La Cômerie 

En 2025, actoral et Montévidéo, qui depuis février 2020 occupent quelques espaces de La Cômerie (ancien couvent rue Breteuil) et qui depuis 2024 y ont installé leurs bureaux, suite au départ forcé de leur site historique, ont fusionné pour ne former qu’une seule et même entité sous le nom d’actoral. Si la Ville de Marseille et la mairie des 6e et 8e arrondissements ont décidé de confier la gestion de La Cômerie à l’association Yes We Camp, pour « faire de cet espace patrimonial un lieu du quotidien, de pratiques artistiques amateurs et professionnelles, un lieu-ressource de rencontres, d’échange intergénérationnel, d’animation pour tous les publics », les activités d’actoral y sont désormais pérennisées. 

C’est d’ailleurs là qu’a été donné, le 13 septembre dernier, le coup d’envoi des 25 ans du festival, avec lectures, performances, musique live et DJ set signés Julien Pérez, John Deneuve, Mascare, Perez et Je sors ce soir. Un prélude aux trois semaines où vont se déployer plus de 70 projets artistiques (littérature, cinéma, danse, théâtre, performance, musique, cabaret, art visuel, rencontres) dans une vingtaine de lieux marseillais, proposés par plus de 200 artistes invités.

MARC VOIRY

actoral
Du 24 septembre au 11 octobre
Divers lieux, Marseille

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Faire corps avec la cité

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M&M, Marion&Mwenda © Cie Amala Dianor

Né en 2009 à l’initiative du chorégraphe Franck Micheletti, Constellations s’est construit entre festival de danse contemporaine et laboratoire citoyen, autour de la conviction que la danse n’a pas vocation à rester confinée aux théâtres, mais peut se déployer dans des places, des jardins, des friches, des cinémas, jusque dans les cafés ou les lieux patrimoniaux. Une approche de la danse qui, au-delà d’un art du mouvement, devient une manière d’habiter autrement le présent.

En quinze ans, ce rendez-vous a vu passer des chorégraphes confirmés (Rachid Ouramdane, Christian Rizzo, Amala Dianor, …) comme de jeunes artistes émergents, multipliant les croisements avec la musique, la vidéo, la performance ou les arts plastiques.

Des spectacles en résonance

En ouverture, le 17 septembre au Cinéma Le Royal de Toulon, la projection de Pékin spécial, une jeunesse en 9 danses, film du chorégraphe Christophe Haleb, interroge le rôle de la danse comme vecteur d’émancipation dans une Chine en mutation. Dans la foulée, Marion Alzieu présente au Télégraphe Ceci n’est pas une femme blanche, solo incisif sur les représentations du corps féminin et les identités multiples.

Le 18 septembre à Hyères, la place de l’Oratoire accueille Amala Dianor, dont le duo chorégraphique M&M, Marion&Mwenda met en scène l’altérité et la rencontre. À la Collégiale Saint-Paul, Benoît Bottex avec Retable brouille les frontières entre arts plastiques et spectacle vivant, transformant un espace sacré en terrain d’expérimentation.

Le 19 septembre au Théâtre Liberté, Pierre Pontvianne propose Jimmy, solo traversé par l’urgence politique, suivi de Scarbo de Ioannis Mandafounis et Manon Parent, partage sans filtre d’états émotionnels et physiques, d’une intimité qui explose.

Les nuits du festival, quant à elles, rappellent que la danse se vit aussi dans la fête, l’énergie collective, la pulsation nocturne. Avec notamment DJ Poirier au Vola Café (le 18), et Lucie Megna-Zürcher avec ses performances One Shot Renaissance au Télégraphe suivi d’un DJ set d’Asna (le 19).

Enfin, le 20, à partir de 12h30, le Pique-Nique Électro au Jardin Alexandre 1er réunit musiques afrodescendantes, caribéennes et latines, dans une ambiance solaire et festive. Et pour clôturer, une constellation de performances en espace public, à savoir les jardins de la Tour Royale et sur la dalle Pipady, les 20 et 21.

MARC VOIRY

Constellations
Du 17 au 19 septembre
Divers lieux, Toulon, Hyères

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Réactionnaire

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Le terme, qui forme une rime, très riche, avec « actionnaire », est plus complexe que ce que « réac », son petit nom désuet, a pu laisser entendre. Car le mot « réaction » » appartient à la fois au lexique de l’Histoire, désignant les contre-révolutionnaires, et à celui de la Physique : grâce à la troisième loi de Newton, nous savons que l’exercice qu’une action déclenche toujours une réaction de même force :

« L’action est toujours égale et opposée à la réaction ; c’est-à-dire, que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales, et dans des directions contraires. » 

Nos sociétés humaines, si peu humaines, seraient-elles gouvernées aussi par le principe de la réaction d’égale force et de direction opposée ? En d’autres termes, le masculinisme d’extrême-droite qui fait de Charlie Kirk un martyr est-il une réaction au féminisme qui s’attaque enfin à la culture du viol, et au décolonialisme qui veut en finir avec l’héritage raciste des arts et de la langue ? Ces mouvements sociétaux majeurs, qui questionnent profondément nos habitudes, sont eux-mêmes des réactions à des oppressions violentes ou sourdes. Dans l’espace, des actions/réactions de ce type se perpétuent à l’infini. Peut-on, sur terre, les arrêter ? 

Les progressistes aussi sont réactionnaires 

Le bonheur de battre le PSG est-il de même force, et de direction contraire, à la domination que l’équipe sauce Qatar impose à la Ligue 1 ?

« C’est un rêve de battre le PSG, c’est un club qui représente le pouvoir » 

L’entraîneur de l’OM, après son carton rouge, a-t-il une réaction de force égale et de direction opposée à la domination parisienne ? La programmation d’actoral, transgressive et radicale, est aujourd’hui accueillie dans toutes les salles : est-ce une réaction des programmateurs et du public aux tentatives de censure qui se multiplient ? Les propositions gratuites, festives, ouvertes, se répandent de La Seyne-Sur-Mer à Cultures du Cœur : est-ce une réaction à la marchandisation des réseaux d’information, de la culture et de l’enseignement privés ? 

Les leçons de l’histoire

Dans Ils appellent ça l’amour, Chloé Delaume n’espère plus que la honte changera de camp : les agresseurs sexuels, les harceleurs quotidiens, n’acceptent pas d’abandonner leur position dominante. Celle-ci est le fruit d’une culture, d’un apprentissage social, d’une éducation reproduite, et leur réaction quand on les place face à leurs actes n’est pas la honte, mais un déni d’une force égale, et contraire, à la parole des femmes qui se délie.

Ce mouvement de balancier est-il inéluctable ? Peut-on le stopper en tirant les leçons de l’histoire ?  La résilience et le pardon ne gouvernent pas seules les relations entre les peuples. Ainsi, la sidération éprouvée face au génocide perpétré à Gaza n’est pas étrangère à la mémoire de la Shoah. Non que sa forme ou son ampleur soient similaires, mais parce que la persistance du traumatisme, du sentiment de mort imminente, s’est sans doute perpétuée et exerce aujourd’hui une réaction insensée et aveugle. Qui déclenche elle-même un antisémitisme réactif tout aussi dangereux.

Ainsi l’histoire se répète, et briser le cercle des réactions, libératrices ou tyranniques, ne peut se faire qu’en cherchant à toute « force » à détourner les réactions, et à construire la paix. 

Quant au billard à trois bandes qui se joue sur l’échiquier politique français, l’analyse des forces est une équation au résultat incertain. Mais il est clair que la violence exercée contre la volonté du peuple ne peut que déclencher une réaction.

Agnès Freschel


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Qu’avons-nous à perdre ? 

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Bye Rou parti, quelques spectres s’éloignent, et le peuple se lève, pour bloquer tout. Mais pour quel avenir, quels horizons ? Peut-on espérer renverser un pouvoir qui bégaye ? 

La situation politique française apparaît, avec de plus en plus d’évidence, comme une crise de régime, et la fascisation mondiale prend des allures de fin du monde. Avec Poutine, Trump, Netanyahou et les Talibans, que peuvent devenir l’ordre mondial et le droit international ? Dans quelles mains folles les peuples du monde ont-ils placé leur destin ? 

Warren Buffet, première fortune du monde dans les années 1980, avant de céder sa place à son ami Bill Gates, déclarait : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait cette guerre. Et nous la gagnons ». Depuis longtemps les leçons de Karl Marx ont profité essentiellement aux capitalistes. Peut-on reprendre le pouvoir, et commencer à liquider le principe du profit qui gouverne un monde aveugle ?

Lutte de classes voisines

« Vous n’avez rien à perdre, si ce n’est vos chaînes ». Les milliardaires, puisqu’ils ont lu Marx, savent qu’un peuple, pour accepter le joug, doit posséder quelque chose. Avoir quelque chose à perdre, auquel il tient. Une maison, un travail, un avenir pour ses enfants, une retraite possible. Un stylo à bille, des bas en nylon, un fer à vapeur, un autocuiseur, disait-on dans les années 1960, qui ont vu le début de la lutte des classes voisines. Une invention bougrement efficace des exploiteurs pour diviser les classes populaires. 

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » disait encore Marx (ma jeune collaboratrice Chloé  prétend à raison que je suis atteinte d’une Tourette marxiste). L’union qui est nécessaire n’est pas seulement celle des partis de gauche, elle est celle du peuple. Le peuple RN croit que son ennemi est le chômeur, l’étranger, l’immigré, le retraité qui abuse avec ses soins médicaux, l’artiste qui profite du régime des intermittents, l’handi qui coûte cher, le toxicomane qui souffre, le petit délinquant, le queer qui affiche sa différence, la femme qui refuse qu’on la minore, l’étudiant qui ne veut pas de l’avenir poisseux que la société lui a tracé. Bref la clique des wokes et des faibles. Qui croit souvent d’ailleurs, à l’inverse, que les salariés qui peuvent payer les études de leurs enfants sont des profiteurs, quand bien même ils ne vivent que de leur travail.

L’illusion d’une France pure

C’est pour empêcher l’union du peuple que le capitalisme a inventé les classes moyennes et les a dressées, en leur faisant croire qu’ils avaient des privilèges à perdre, contre les pauvres. Et c’est en divisant les pauvres, blancs contre racisés, juifs contre musulmans, algériens contre marocains, noirs contre arabes, mahorais contre comoriens, automobilistes contre écolos, que les ultra riches et leurs médias aux ordres entraînent désormais ce peuple. Lui faisant miroiter le mythe d’une France pure, chevaleresque, débarrassée de son idéal républicain, tirant substance de sa bourbe coloniale matée et à nouveau asservie.

En ce 10 septembre, à l’initiative du peuple, il s’agit peut être de commencer à reprendre le pouvoir sur nos vies. Il a été confisqué par ceux qui prétendent qu’il y a des cultures à combattre, des lesbiennes à harceler, des musulmans intrinsèquement dangereux, des prêtres pédophiles à protéger. 

La colère fait les émeutes, seul l’espoir fait les révolutions, a déclaré François Ruffin (Oui Chloé, je peux sortir de mon tropisme marxiste). Il faut construire ensemble une alternative, et pour cela convaincre les électeurs du RN qu’ils se trompent d’ennemi. Et que vivre ensemble est une joie.

AgnÈs Freschel


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Disco Afrika : Politique minée à Madagascar

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Chassé manu militari avec ses compagnons de misère, des mines de saphir clandestines où ils espéraient faire fortune, Kwame rentre chez lui à Tamatave, ramenant le corps de son ami Rivo assassiné par la milice. Il retrouve sa mère, aimante et résignée, dans sa baraque, sans eau courante, et sans électricité stable. Kwame a 20 ans, il porte le prénom d’un héros de la décolonisation et d’un chantre du panafricanisme, président du Ghana en 1960 : Kwame Nkrumah. Pour s’être engagé dans les années 70, contre les nouvelles élites de Madagascar, le père du jeune homme a été arrêté, torturé, exécuté et enseveli dans une fosse commune on ne sait où, quand le jeune homme n’avait que 4 ans.

Loin des espoirs postcoloniaux, le pays gangréné par la corruption, s’est enlisé dans la violence, l’arbitraire. Les partis avides de pouvoir, prêts à tout pour le garder, pillent pour leur seul profit, les richesses naturelles de l’Île Rouge. Le rouge de ses roches mises à nu par la déforestation, qui a valu à Madagascar cette désignation, est aussi celui du sang versé par ses enfants.

Les infos crachotées à la vieille radio de la mère disent l’instabilité sociale, les manifestations, le chômage, la colère des Jeunes, la répression. Kwame n’est pas un héros. Il ressent le désenchantement de sa génération et pense que les luttes n’ont servi à rien. Quel choix faire quand on a 20 ans et que ce n’est pas le plus bel âge de la vie ? Accepter sa condition en silence ? Se compromettre dans les trafics lucratifs comme son ami d’enfance le lui propose ?

Il veut connaître l’histoire de son père, qu’on lui a cachée. Comprendre cet inconnu, militant, musicien, à travers le témoignage de ses amis et ses enregistrements. Approché par un syndicaliste du port où il travaille comme journalier, Kwame va non seulement retrouver le lieu où ce père a été enterré mais se trouver lui-même.

Conte politique

Plans fixes, lumière vive sculptant la beauté des décors – photogénie des ports, des marchés, des rues colorées, du feuillage des grands arbres. Ou nocturne inquiétant percé par une lampe de poche, une bougie, hanté par les fantômes. Gros plans sur le protagoniste non-professionnel, Parista Sambo, que la caméra ne lâchera pas, Disco Afrika : une histoire malgache tient du documentaire, du récit d’apprentissage, du conte politique figuré par un théâtre de Guignol populaire. La musique ancrée dans la tradition du kaiamba – porte le film : elle ressuscite le père, la mémoire des ancêtres, les luttes et l’espoir de l’île.

L’histoire malgache qui nous est racontée dans ce premier long métrage modeste et touchant, est une histoire de terre. Celle boueuse qu’on tamise pour en extraire les saphirs. Celle qui dissimule le bois de rose volé. Celle, poudreuse qui vole sur les routes sans bitume. Celle confisquée par les colons d’autrefois et les puissants d’aujourd’hui. Celle qui recouvre « les âmes courageuses » et auxquelles le réalisateur rend hommage.

ELISE PADOVANI

Disco Afrika de Luck Razanajoana

En salles le 24 septembre

Petit Cab, grande nouvelle

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Le Petit cab, soirée d'inauguration © Friche la Belle de Mai

À Marseille, la Friche et ses sinuosités savent réserver de belles surprises à leurs visiteurs. En voilà une nouvelle, le Petit Cab, la nouvelle salle de concert installée à l’arrière du Cabaret Aléatoire – que l’on appellera désormais le Grand Cab. Ce nouvel équipement, divisé en deux grands espaces – le bar et la salle, pouvant chacun accueillir 350 personnes – a été confié à une nouvelle coopérative made in La Friche : Radio Grenouille, le Cabaret Aléatoire, l’A.M.I, Bi:Pole et la Scic La Friche, se réunissent sous le nom de « Bisou ». Ensemble, ils comptent faire du Petit Cab un lieu de vie, de jour comme de nuit, avec artistes sur scène, mais aussi des résidences, aides à la création, incubations, et autres ateliers de professionnalisation.

Transversal et collaboratif

Le look de la salle ne dénote pas du reste de la Friche. Ambiance industrielle et brute, gaines à l’air, belle hauteur de béton. Et un mode de gouvernance collectif qui ne dénote pas non plus : « On gagne du temps grâce à la forme de la Friche », qui sait déjà jouer collectif, explique Élodie Le Breut, directrice de l’A.M.I. Même constat pour Alban Corbier-Labasse, directeur de la Friche, qui rappelle la longue tradition de « co-construction » de l’espace de la Belle de Mai. 

Inaugurée ce 18 septembre avec Crams, La Flemme et Scorpio Queen, une programmation solide est déjà annoncée pour ces prochaines semaines : le 17 octobre il y aura le rock d’Astonvilla ; le 25 un brunch d’écoute avec Radio Grenouille ; un DJ set électro de Kabylie Minogue le 22 novembre ; et une autre soirée concerts, avec, entre autres, Goldie B le 29 novembre. 

Une programmation qui reflète en partie la volonté de Bisou de mettre l’émergence « au cœur du projet de cette salle. Avec l’envie d’accompagner des artistes locaux et des artistes qui prennent des risques », explique encore Élodie Le Breut. Une programmation « transversale, aux esthétiques différentes » ajoute Cyril Tomas-Cimmino, co-directeur de Bi:Pole.

Une nouvelle place forte pour la musique à Marseille donc, de quoi réjouir Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture, en soutien de ce nouveau projet, comme d’autres collectivités : « La Ville a beaucoup résisté pour garder des lieux ouverts » [la municipalité vient de racheter le Moulin], soulignant d’un trait d’humour que « la Friche n’est plus une friche, puisque tous les espaces sont occupés. » 

Le bon air

Outre les concerts, le Petit Cab entend devenir un espace qui va au-delà d’une salle de diffusion classique. Elle sera par exemple ouverte « de jour comme de nuit et du lundi au dimanche » précise Marie Picard, directrice de Radio Grenouille. À noter aussi son autonomie énergétique. Toute l’électricité du Petit Cab sera produite par des panneaux photovoltaïques. Exit aussi la climatisation, une nouvelle ventilation écologique viendra renouveler l’air du Petit comme du Grand Cab. 

NICOLAS SANTUCCI


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Kontinental’25 : le terrible constat de Radu Jude

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Ours d’or en 2021 pour Bad Luck Banging Loony Porn, Prix du Jury à Locarno en 2023 pour N’attendez pas trop de la fin du monde. Sélectionné à nouveau en 2025, à Locarno avec Dracula et à Berlin avec Kontinental 25, c’est peu dire que Radu Jude est un artiste hyper actif, et un cinéaste qui compte. Pourtant, le réalisateur roumain ne brasse pas de gros budgets. Il pratique ce qu’on pourrait appeler un « arte povera » cinématographique. Kontinental’25 est tourné simultanément avec Dracula en Transylvanie, en moins de deux semaines. Iphone, décors naturels. Pas de lumière, pas de machinerie. Un retour aux sources des Frères Lumière pour le côté documentaire et minimaliste. La reprise d’une certaine idée rossellinienne de l’économie de moyens. Kontinental 25 fait  écho à Europe 51 du cinéaste italien : il en reprend le thème d’une femme rongée par la culpabilité et se transforme en caricature de son modèle et de la société roumaine contemporaine à la sauce piquante Radu.

Comme dans Psychose d’Hitchcock, le film commence par s’intéresser à la victime.

On suit l’itinéraire de Ion (Gabriel Spahiu), un vieil homme dépenaillé, maugréant et jurant,  grapillant des bouteilles en plastique, mendiant du travail ou des lei aux terrasses des cafés, grignotant et pissant dans les jardins, parcourant un parc où, vision surréaliste, s’animent, mécaniques, des dinosaures géants. C’est un ancien champion de Roumanie déchu -on l’apprendra plus tard, aussi has been que les grands sauriens. Il vit dans la chaufferie d’un immeuble qui doit être rasé et remplacé par un hôtel de luxe. Orsolya (Eszter Tompa), huissière de justice, flanquée de gendarmes, vient l’exproprier. Ion se pend à son radiateur.

Dès lors s’ouvre un nouvel itinéraire. Celui d’Orsolya qui se sent responsable du drame. La jeune femme, bouleversée, renonce à ses vacances en Grèce avec sa petite famille. On la suit dans la ville. Elle emprunte parfois les mêmes chemins que Ion. A chaque rencontre, elle refait le récit de l’expulsion et de la découverte du corps. Ses interlocuteurs la dédouanent sans la consoler. Occasion pour le réalisateur de brosser une série de portraits vitriolés de l’homo sapiens. Tel ce prêtre qui refuse le statut d’homme à un suicidé. Ou sa mère, hongroise nationaliste émigrée, détestant ces paysans roumains qui ont volé la Transylvanie aux Hongrois. Ou l’amie qui œuvre pour des Roms déplacés sur les déchetteries mais fait expulser un SDF de son quartier, réfugié dans un garage désaffecté parce qu’il pue. Et toute  honte bue, lui en veut de lui faire éprouver le désagréable sentiment d’être abjecte.

Dacie, de-là

Nous voilà au milieu de discours, de citations, d’anecdotes. Submergés bientôt comme la protagoniste par la loghorrée d’un de ses anciens étudiants, devenu livreur de repas, son master en poche. On parle et on boit beaucoup dans cette partie du film mais un autre discours se superpose à ces conversations par les détails. Ironiques ou informatifs. El Bruto de Buñuel sur une affiche de ciné, le café Che Guevara dans un quartier gentrifié, un engin de chantier dans une ville livrée aux promoteurs, que les dernières séquences en plans fixes, documentera. Dans les plans apparaissent les statues du roi hongrois Matthias, celle de Mihai Viteazul, prince de Valachie, le bronze d’un ex-président. Vestiges daces et monument en hommage aux victimes du totalitarisme communiste. Tout un passé à digérer et un présent pas très digeste.

Orsolya n’est pas une mauvaise personne. Elle a un sens moral, de l’empathie mais comment être humain dans un système inhumain ? Chacun détourne les yeux, s’achète une conscience et cherche à se divertir. Terrible constat.

ELISE PADOVANI

Kontinental’25 de Radu Jude, en salles le 24 septembre

La jeunesse est profonde

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Il n’est plus un enfant prodige. Ryan Wang a commencé sa carrière à 5 ans, et ses interprétations virtuoses des opus les plus acrobatiques sont applaudies depuis dans tous les festivals. Sa vélocité est proprement prodigieuse, et son toucher fait fureur. Mais si la valeur n’attend pas le nombre des années, les enfants prodiges ne font pas toujours les plus grands interprètes, et on attendait de voir si la prodigieuse mécanique allait laisser surgir, au-dessus, la musicalité qui distingue les interprètes d’exception.

Avec le pianiste canadien, on avait confiance : dès 11 ans il préférait les passages lents, les douleurs harmoniques, les changements d’humeur, aux cavalcades des doigts et aux triomphes. Et à 17 ans, ce qu’il laisse entendre est d’une maturité remarquable : c’est une interprétation, la sienne, de Chopin, qu’il déroule dans un concert savamment composé. 

Jeune Chopin

L’enfance de Chopin est polonaise, et quand il compose La ci darem la mano, variations sur le thème du duo de Don Giovanni, il n’a que 17 ans, lui aussi. Conçues pour mettre en valeur ses capacités prodigieuses de pianiste, elles sont un feu d’artifice qui enchaîne sans pause climax et bouquet final. Ryan Wang, comme Chopin sans doute, y est stupéfiant. Mais, au fond, la pièce  manque d’âme, ou du moins, n’a pas tout à fait dépassé celle de Mozart pour laisser place au nostalgique décousu de Chopin.

Ce qui a précédé durant les deux heures de concert, en revanche, a fait le tour d’un génie du piano qui est passé de l’épate à la profondeur, du pyrotechnique à la nostalgie, d’un amour idéalisé aux bras complexes de George Sand. Mais si les 17 ans de Chopin sont encore jeunes et démonstratifs, ceux de Ryan Wang savent déjà faire ressentir les tourments, les souvenirs qui s’attardent, la mort des proches, les orages qui roulent.

La tendresse aussi, surtout, car son toucher effleure avec une infinie délicatesse le clavier dans le soir qui tombe, et on retiendra de la célèbre 2e sonate davantage la douce mélodie du souvenir que la scansion de la marche funèbre. Quant aux préludes enchaînés dans leurs tonalités et caractères différents, aux Mazurkas dansants, à la Polonaise opus 53 (la plus difficile !), tout brillait, brûlait, s’alanguissait, avec juste ces petits retards qui fondent le désir, ces petits appuis qui frappent l’âme.

Jeune, Ryan Wang l’est aussi dans sa simplicité : la nuit tombant sur la baie assombrissait aussi sur le piano : ne distinguant plus ses mains, le clavier, le pianiste continua de jouer à l’aveugle, puis on lui ajouta une petite lampe artisanale. Sans broncher, il continua d’enchaîner les difficultés dans ces conditions difficiles, et offrit au public des bis époustouflants après plus de deux heures de concert. Dont une improvisation jazz sur la Lettre à Elise prouvant, s’il le fallait, sa maîtrise flamboyante de l’architecture musicale.

Agnès Freschel

Ce concert a été donné le 6 septembre à Six-Fours-les-Plages dans le cadre de La Vague classique.
À venir
Récital Chopin
Ryan Wang
28 septembre 10 h
Opéra de Marseille
Dans le cadre de la saison de Marseille Concerts

Panopticon :  « Dieu te voit, il est partout »

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Panopticon (C) Les Alchimistes

Un jeune homme est assis dans un bus, mal dans sa peau, plein de tics, les mains baladeuses Il s’appelle Sandro (Data Chachua, dont c’est le 1er rôle). Il a 18 ans et vit avec son père (Malkhaz Abuladze) qui s’apprête à entrer dans la vie  monastique et sa grand-mère, dans une maison remplie d’icônes. Sa mère, une chanteuse, est partie vivre à New York. Sandro joue dans un club de football où il fait la connaissance de Lasha (Vakhtang Kedeladze)  puis de sa mère Natalia (Ia Sukhitashvili), coiffeuse qui aurait aimé devenir danseuse. La relation qu’entame Sandro avec la mère de son ami, ambiguë, entre amour et relation maternelle donne lieu à des shampoings et lavages de tête, érotisés, peu vus au cinéma qui nous rappellent ceux du Mari de la Coiffeuse de Patrice Leconte.  On découvre que Sandro a une petite amie, Tina (Salome Gelenidze), une jeune femme d’aujourd’hui, libre qui voudrait bien faire l’amour avec lui. Mais ce jeune homme, sous le regard constant de Dieu qui voit tout, veut rester pur jusqu’au mariage. Pour lui, Tina ferait des propositions perverses. …

Un garçon étrange

C’est le trajet de ce garçon étrange, tiraillé entre ses pulsions et son désir de pureté que nous fait suivre George Sikharulidze. Un jeune homme fragile qui se sent lâché par sa mère, puis par son père qui quitte la maison pour le monastère. Un jeune homme à qui son père a dit « Dieu te voit, il est partout », obligé donc de vivre honteusement ses pulsions et ses désirs. Regardant une vidéo qui l’excite, il retourne l’icône de Jésus ornant le mur de l’autel de l’appartement pour se masturber. Un jeune homme suivi de près par la caméra du chef opérateur roumain Oleg Mutu qui ne le lâche pas, nous donnant à voir le monde par ses yeux. Data Chachua dont c’est le premier rôle au cinéma a su rendre avec talent l’évolution de ce garçon dont on va découvrir peu à peu les failles et la force.

Panopticon interroge, à travers ses personnages, la Géorgie d’aujourd’hui : les stéréotypes masculins et féminins -la Vierge, la Mère et la Putain-les pères défaillants. Il pointe  la mainmise de la religion, la tentation pour certains jeunes de rejoindre les nationalistes d’extrême- droite qui voudraient chasser tous les immigrés en particulier les Arabes.

Un premier film, inspiré en partie à George Sikharulidze par sa propre adolescence, un moment où il se cherchait, un moment décisif pour chacun. Tout comme Les 400 coups pour François Truffaut dont on voit le générique, un clin d’œil du cinéaste géorgien à un film français qu’il a vu à 20 ans et qui l’a beaucoup marqué.

Panopticon est un film âpre, fort, dont les images, en particulier le visage de ce jeune homme particulier, reste longtemps en mémoire.

 Annie Gava

© Les Alchimistes