samedi 26 avril 2025
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Rusalka

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Rusalka

Le décor représentant l’intérieur d’une piscine en petits carreaux blancs, avec son plongeoir, son escalier et son échelle, dans laquelle les chanteurs évoluent, est impressionnant de réalisme. En fond de scène, sont projetées des vidéos sur grand écran. Elles sont un élément essentiel de la mise en scène de Jean-Philippe Clarac et d’Olivier Deloeuil, habitués avec leur Lab à mélanger les genres d’expression dans des productions pluridisciplinaires. Ellesdéroulent les ébats de petites championnes de natation synchronisée qui s’échauffent, babillent et se confient à la caméra. On leur demande de se maquiller -trop-, de sourire -tout le temps-, de se comporter comme des petites sirènes évanescentes -pourquoi toujours petite ? s’interrogent-elles-, leurs corps de jeunes pubères, qui enchaînent des chorégraphies désuètes,sont livrés en pâture aux spectateurs sur scène et dans la salle. Transposer ainsi l’histoire de La Petite sirène dans le monde des petites nageuses était un pari osé, même si on perçoit immédiatement la résonnance avec le conte d’Andersen. Pari réussi.

Retour aux sources

C’est un retour aux sources pour cette œuvre dont la première représentation en France eut lieu à Marseille en 1982. Le livret écrit par le tchèque Jaroslav Kvapil met en scène Rusalka, créature des eaux -la somptueuse Cristina Pasaroiu-, qui avoue à son père Vodnik, l’esprit du lac, devenu un manager libidineux sous les traits de la basse Mischa Schelomianski, qu’elle est amoureuse d’un prince, humain -le ténor Sébastien Guèze-, en habit de James Bond. Elle décide de quitter son père et ses sœurs de bassin pour vivre son amour terrien. Pour cela, elledoit demander à la sorcière Jezibaba de l’aider à devenir une femme. Cette dernière exauce ses vœux. Rusalka peut rejoindre le monde des humains mais devra perdre sa voix, se taire. Exilée loin d’un monde aquatique de conte de fée, souligné par la harpe, un univers factice et artificiel certes mais protecteur, la jeune femme bascule dans l’univers violent, des chasseurs,des hommes avides de possession, prompts aux faux discours et à la trahison. Le prince, d’abord épris de cette beauté silencieuse, sauvage comme une biche blanche, la délaisse pour une princesse étrangère –Camille Schnoor. Dès lors, Rusalka tourne en rond comme un poisson rouge dans un bocal, ni sirène, ni femme, ni vivante, ni morte, rongée par son incapacité à hurler à haute voix sa colère ou sa tristesse. La soprane roumaine à la voix de velours Cristina Pasaroiu tient la scène de bout en bout, émouvante dans le Chant à la lune du premier acte, puis rebelle, puissante, fragile et désespérée. Elle s’avère une actrice exceptionnelle, brille et éclipse les solistes hommes dans cette partition qu’il est vrai ne leur rend pas hommage. Les chanteurs et petites danseuses évoluent sur scène ou dans les vidéos,dans une mise en abyme qui sert puissamment la dramaturgie du spectacle.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Rusalka a été donné les 11, 13 et 16 février à L’Opéra de Marseille

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Repartir à l’abordage

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procès du siècle
© G.C.

Le 17 février, plus une place dans l’auditorium Germaine Tillon pour les retardataires. Comme tous les lundis jusqu’au 17 mars, la 4e saison des Procès du siècle, intitulée « Oser l’utopie », se demande comment « avancer vers plus de démocratie, plus d’écologie, plus de solidarité ». L’affluence montre que l’appétence est là. Pourtant le sujet du jour semble peu familier à une bonne moitié du public, quand la journaliste Nora Hamadi fait un sondage à main levée : qui sait ce qu’est l’éducation populaire ?

Ses deux invités, Hélène Balazard, chercheuse en sciences politiques, et Robin Renucci, directeur du théâtre La Criée, se lancent donc dans un historique. Lui fait remonter ses origines à Condorcet, selon qui l’éducation devait émanciper les citoyens de la sujétion, car « même sous la constitution la plus libre un peuple ignorant est toujours esclave ». Elle évoque le programme du Conseil National de la Résistance et sa volonté de rénovation sociale, après l’emprise fasciste sur le pays durant la Seconde Guerre mondiale.

Quand les fondamentaux se réveillent

L’éducation populaire, c’est « apprendre de tous, par chacun » pour l’un ; « conscientiser ses propres capacités, gagner en pouvoir d’agir », pour l’autre. Depuis une dizaine d’années, les vieilles recettes connaissent un renouveau, relèvent-ils, après des décennies où elles s’étaient assoupies dans les MJC, devenues parfois de simples lieux de consommation de loisirs. Utiliser les méthodes les plus démocratiques possibles, cela devient tellement urgent dans un contexte politique tirant de plus en plus à droite, assorti d’un libéralisme économique qui détruit les services publics. « L’éduc’ pop’ a un bel avenir si l’on lutte encore et toujours contre les dominations », s’enflamme Robin Renucci. « Cela se travaille dans le débat, la reconnaissance de l’opposition, l’acceptation du conflit, du dissensus. Considérer l’altérité comme précieuse, aller chercher la singularité de chacun plutôt que le nivellement qu’apportent les réseaux sociaux. »

Pas facile à mettre en pratique, reconnaît-il, face au rouleau compresseur de l’autoritarisme. Cette difficulté s’est d’ailleurs vue en direct, lors des échanges avec la salle. À peine un auditeur avait-il pris la parole, pour déplorer la réduction de l’éducation populaire au « simulacre participatif », qu’il se faisait sèchement rembarrer par Nora Hamadi. Ce n’est pas en répondant sur ce ton à la critique que l’on va « susciter le désir de s’exprimer », l’un des grands principes fondamentaux de l’éducation populaire. Celui ou celle qui contrôle le micro a décidément le pouvoir…

GAËLLE CLOAREC

Le prochain Procès, Où sont les nouveaux territoires de solidarité ?, réunira Juliette Rousseau, directrice de collection aux éditions du commun, et Kamel Guemari, fondateur de l'Après-M, le 24 février.

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Mars en baroque lance le printemps 

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mars en baroque

L’Opéra de Marseille fête ses cent ans. Le festival Mars en baroque se devait d’honorer cet anniversaire en mettant cette grande invention de la période baroque à l’honneur. Fruit d’un premier partenariat entre l’Opéra et le festival -qui devrait en appeler d’autres-, le mythique Orfeo de de Claudio Monteverdi. Pour ce projet audacieux, Jean-Mars Aymes, directeur du festival a associé le chœur de l’Opéra et fait appel aux instrumentistes du Concerto Soave, rompu aux secrets de l’interprétation baroque (2 mars, Opéra de Marseille). Cette production phare du festival ne doit pas occulter la riche programmation de cette édition -concoctée par Romain Bockler-, qui retrouve sa vitesse de croisière après une année 2024 difficile. Marie Paule Vial, sa présidente s’en désole : « Partout en France et à l’étranger, la culture est danger. Grâce à la Région, la Drac mais surtout à Jean-Marc Coppola, maire adjoint à la culture de Marseille que nous remercions, Mars en baroque peut continuer à voguer ». Le festival collabore aussi cette année avec Marseille Concertspour une soirée De Bach à Debussy avec la flutiste Lucie Horsch et le claveciniste Justin Talylor, (15 mars, Palais du Pharo). Jean-Marc Aymes s’en félicite : « Travailler avec des structures existantes est une bonne façon de faire vivre la musique ». 

Concerto Soave @ Concerto Soave

Hamlet en Italie

Le festival ouvrira avec Les Fantômes d’Hamlet, programme construit par Franck Emmanuel Comte et Le Concert de l’Hostel Dieu, avec des fragments d’opéras perdus de Scarlatti, Gaspirini ou Vignati exhumés par des musicologues autour du mythe d’Hamlet et des femmes qui auraient traversé sa vie. Elles seront incarnées par la soprane et grande tragédienne Roberta Mameli (28 février, église Saint-Ferréol). Italie toujours avec la venue à Marseille, grâce au soutien de l’institut culturel italien, de l’ensemble Dolci Accenti qui puise aux sources de l’Opéra que sont les cantates interprétées par la soprano Nadia Caristi (8 mars, salle Musicatreize).

©SAS

Haendel, what else


Le génial Haendel, qui à lui seul résume l’Europe baroque, valait bien qu’on lui consacre deux soirées. Ce sera le cas avec Dans l’ombre du « Caro Sassone », consacré aux oratorios du compositeur, grande forme musicale née, elle aussi à l’époque baroque. Le contre-ténor Rémy Brès, formé à Marseille, et qui foule déjà les plus grandes scènes internationales interprétera aussi des œuvres des successeurs anglais du compositeur que sont Maurice Green, John Stanley et William Boyce (14 mars, église Notre-Dame du Mont).  De leurs côtés, le jeune organiste Emmanuel Arakelian et Jean-Marc Aymes au clavecin offriront Une heure avec Haendel avec des pièces instrumentales de celui qui fut aussi maître de chapelle (30 mars, Temple Grignan). 

Baroqueux du sud

Hommage sera rendu à celui sans qui l’Opéra de Marseille n’existerait peut-être pas. C’est en 1685 que Pierre Gaultier obtint du grand Lully la permission de créer le premier opéra de province, Le Triomphe de la Paix. Il devient le centre de la vie culturelle de la région. En l’articulant sur des œuvres instrumentales de Gaultier, Concerto Soave a construit un programme autour de l’opéra français de la fin du XVIIe siècle. Lully y est bien sûr présent, mais aussi Campra et Mouret, immenses compositeurs nés dans la région (22 mars, Musée d’histoire de Marseille). Le lendemain dans le même lieu, le truculent musicologue Lionel Pons tiendra une conférence sur les lieux de diffusion musicale à Marseille du XVIIIe au XXe siècle. 
Enfin, Les Voix Animées nous ouvriront leur Jardin des muses, célébrant la féminité dans la musique de la Renaissance.  On s’y promènera en compagnie d’Anne de Bretagne, Marie-Madeleine, La Reine de Saba ou Vénus, mais surtout de deux créatrices du XVIe siècle, Rafaëlla Aleotti et Maddalena Casulana qui écrivait : « Je veux montrer au monde, autant que je peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence » (25 mars, Archives Départementales des Bouches du Rhône). 

Jeunesse baroque

Mars en baroque c’est aussi une ouverture à la jeunesse. Le chœur Unacorda mêlant chanteuses professionnelles et élèves du Conservatoire d’Istres illustreront la tradition vocale française de Marc-Antoine Charpentier à Francis Poulenc, et interprèteront une création contemporaine de la compositrice Lisa Heute (16 mars, Temple Grignan). De leurs côtés les élèves du Conservatoire Pierre Barbizet donneront, en fin d’année scolaire, une série de concerts hommage à Pierre Gauthier.

Unacorda

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Mars en baroque
Du 28 février au 30 mars
Divers lieux, Marseille

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Johnson, le battant

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johnson

Fils d’esclaves né en 1878, premier boxeur noir champion du monde des poids lourds en 1908, le texan Jack Johnson devint malgré lui, et bien avant Rosa Parks, Malcom X, Mohamed Ali ou Angela Davis,  un modèle de l’émancipation des noirs américains : « Il y avait très peu d’hommes de ma race parmi les spectateurs. Je me rendis compte que ma victoire avait plus d’importance que d’habitude. Ce n’était pas seulement le titre qui était en jeu mais mon honneur personnel et dans une certaine mesure l’honneur de ma couleur de peau ».  

Car ce titre déclencha des émeutes raciales dans tous les Etats-Unis. Sa vie fut menacée plusieurs fois. Pourtant, Johnson ne fut jamais un militant anti-raciste ; ce qui lui sera aussifortement reproché. L’ex petit gamin de Gavelston, qui avait travaillé dès 13 ans sur les docks, gagna -et perdit- beaucoup d’argent, ouvrit des boîtes de nuit dont le futur Cotton club et épousa des femmes blanches. Ce qui lui valut la réprobation unanime des noirs et des blancs.

Johnson avait choisi de vivre dans une liberté totale avec comme armes ses poings, son indifférence face à ses détracteurs et « son sourire en or » décrit par Jack London. « Je n’ai jamais trouvé de meilleure manière de combattre le racisme qu’en agissant envers les personnes d’une autre race que la mienne comme si le racisme n’existait pas ». 

De l’exil rocambolesque à la prison sportive

Sa vie fut aussi un roman d’aventures rocambolesques qu’il raconte avec humour et sincérité. Injustement accusé de « traite des blanches », il est contraint à l’exil. On le retrouve sur la scène des Folies Bergères à Paris, toréador à Barcelone au côté de Joselito, en Russie, ami d’un conseiller du tsar, espion pour les services américains en Europe, sous les bombes de la première guerre mondiale à Londres. Il se rend en Argentine, à Cuba, auprès des aborigènes d’Australie. Partout il est accueilli par des foules en liesse et même le révolutionnaire Pancho Villa tente d’organiser pour lui un championnat du monde au Mexique. On lui fait aussi du chantage. S’il acceptait de perdre face à un boxeur blanc, les charges retenues contre lui seront abandonnées…

De retour volontaire aux États-Unis, il est emprisonné et devient directeur sportif de la prison. A sa libération des festivités immenses sont organisées. Le 10 juin 1946, après s’être vu refuser l’accès à un restaurant réservé aux Blancs, Jack Johnson reprend le volant, percute un poteau et décède en Caroline du nord, à 68 ans. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Jack Johnson 
Traduction François Thomazeau
Sortie le 20 février 
Éditions l’Écailler

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Un nom pas toujours très propre

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consentement

Avec Le Consentement, (Grasset 2020) dans lequel elle dénonçait l’emprise exercée sur elle par l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans et lui   49, Valérie Springora s’est fait un nom dans le monde littéraire. Et c’est ce nom qu’elle interroge aujourd’hui dans son dernier livre Patronyme

Attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son premier ouvrage, l’autrice est appelée par la police pour venir reconnaître le corps sans vie de son père, qu’elle n’a pas revu depuis 10 ans. Dépressif, manipulateur, toxique, mythomane, il était revenu vivre avec sa mère (la grand-mère de Vanessa) dans un petit deux pièces de Courbevoie en banlieue parisienne jusqu’au décès de celle-ci. Il y avait ensuite vécu, dans des conditions pitoyables jusqu’à sa propre mort. En vidant l’appartement, Vanessa tombe sur deux photos de Joseph, son grand-père chéri, portant avec fierté les insignes SS. On est bien loin de la version familiale du jeune homme tchèque enrôlé de force dans l’armée allemande puis héros déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme. Et quid de ces noms de famille retrouvés sur des vieux papiers :  Springer, Springor, Springerova jamais les mêmes ?  C’est le début d’une quête obsessionnelle qui va mener Vanessa en Tchéquie à Zábreh, en Moravie, à l’est du pays à la recherche de ses origines ; un voyage aussi dans les temps troublés de la seconde guerre mondiale et dans les territoires de Bohême et des Sudètes où va débuter le conflit.

Sidérés par les révélations et la force dénonciatrice du Le Consentement, on n’avait sans doute pas assez souligné l’écriture limpide de Vanessa Springora, son sens précis du dévoilement.  Dans Patronyme on retrouve ce style percutant, d’une précision historique et d’analyse extrême qui déroule un périple haletant dans lequel on mesure combien les récits familiaux, les secrets, les non-dits, les mensonges arrangés, les semi-vérités se transmettent, génération après génération, impactant douloureusement les descendants.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Patronyme
Vanessa Springora 
Grasset, 22€

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Le Lavandou, objet d’art

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Expo Regards sur Le Lavandou © Raphaël Dupouy
Expo Regards sur Le Lavandou © Raphaël Dupouy

L’ancienne maison du peintre Théo Van Rysselberghe (1862-1926) au Lavandou, devenu la Villa Théo en 2017, organise tous les deux ans, entre autres propositions, une exposition consacrée à ce petit coin de la Côte d’Azur, fréquenté depuis la fin du XIXe siècle par de nombreux artistes. À l’automne 2023, c’était une exposition d’Éric Bourret, photographe marcheur, invité par le service culturel de la ville à arpenter le territoire communal, des crêtes au littoral (lire sur journalzebuline.fr). En ce début 2025, c’est Regards sur Le Lavandou, une quarantaine d’œuvres, du milieu du XIXe siècle à aujourd’hui, sélectionnées dans le fonds municipal, accompagnées de quelques prêts de particuliers. 

Le Château et La Baleine

Des œuvres signées d’une trentaine d’artistes, peintres et photographes (très majoritairement hommes), certains connus (Doisneau, Lartigue, Plossu, Rosenstock , Bénézit) d’autres plus confidentiels, voire anonymes. L’accrochage non chronologique fait se succéder, dans les trois salles de La Villa, le noir et blanc de petits ensembles de photographies avec les couleurs de peintures de paysages. Deux motifs paysagers sont très présents : la plage Saint-Clair avec le rocher de La Baleine (peints notamment par Maximilien Luce en 1903, Isidore Rosenstock vers 1940, René Marchand vers 1950, Pascale Hemery en 2022, Didier Lapène en 2023, photographiés par Bernard Plossu en 2019) et le port du Lavandou avec son château (photographié par Marius Bar en 1900, Jacques Berger vers 1960, peint par Johannès Son en 1900, Max Raphel en 1894, Emile Chepfer en 1898). D’autres artistes tournent leurs regards vers d’autres motifs plus urbains : gare routière, façade de bar, d’hôtel, route, parking. Ou vers les habitants : un grand ensemble de 90 photographies signées du directeur du lieu, Raphaël Dupouy, également en charge de la vie culturelle à la ville, alterne paysages, portraits d’habitants ou de touristes, réunions d’amis, couples, moments conviviaux de toutes sortes, accrochées sur un filet de pêche déployé sur un grand mur. Une exposition qui, par son objet unique, Le Lavandou, sur une temporalité longue, à travers des regards différents, joue sur deux tableaux : art et document. 

Tableau Luce © Raphaël Dupouy

MARC VOIRY

Regards sur le Lavandou
Jusqu’au 31 mai
Villa Théo, Le Lavandou

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Sourire en hiver

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Arpentages Vitry © Serge Bachère hivernales
Arpentages Vitry © Serge Bachère

Peuple de la danse

« Sourire encore, sourire toujours ». Tel était le mot d’ordre en exergue du programme des Hivernales de la danse. En conséquence, l’allégresse habitait la horde de danseurs amateurs et professionnels réunis par Sandrine Lescourant à La Garance, scène nationale de Cavaillon. À son affaire dans les mouvements de masses, la chorégraphe catalyse avec Blossom le désir de partage qui anime les publics qui s’obstinent à peupler les salles de spectacles.

Une création dévoilée

La fantaisie trônait, immanente, dans les tableaux composés par le quintet de danseurs-acteurs-chanteurs chapeautés par Erika Zanueli. Toiles de plastiques, fripes vestimentaires, Le Margherite feuillette les postures, dilemmes et brèches intimes qui traversent notre temps en réchauffement perpétuel. L’entrain des interprètes, le patchwork musical orchestré par Sébastien Jacobs, aussi à l’aise dans ses contre-ut baroques que dans les riffs mélancoliques de Niagara, emportent cette sortie de résidence écoresponsable plus que prometteuse.

Danser la colère

Ça papote, ça tricote, ça crochète dans le seule-en-danse d’Ambra Senatore. La performeuse brode sur le tricot, qui en Iran, en Afghanistan… reste l’ultime tâche accordée aux femmes. Dans le pur esprit italien, l’artiste assaisonne ironie et gravité, colère et fantaisie. Le corps se plie, se cambre face aux assignations affectées au féminin. Sur les parois de la boîte noire, les lignes s’entrecroisent telles un tissage dont les mailles se métamorphosent au « fil » de la proposition, en cage, en prison.

© Serge Bachère

Un solo-bulle

L’enfermement enserre Jimmy, solo conçu pour Jazz Barbé par Pierre Pontvianne. Sous une bôme où se décrypte en chiffres romains un énigmatique 1981, un corps se courbe, s’écrase, se love dans la peau de chagrin de son espace vital. Edgar Poe, son Puits et son Pendule hantent cette bulle aussi mentale que hiératique, qui envoûte et titille les imaginations.

Boris et Odile 

Parmi les têtes d’affiche, Boris Charmatz revient à Avignon à la FabricA, qu’il avait enchanté et embouteillé l’été dernier avec Forever, majestueux hommage à Pina Bausch, dont il dirige depuis 2021, le Tanztheater Wuppertal. Aux côtés de Emmanuelle Huynh, au centre d’un vaste tapis blanc, Boris-danseur salue Odile Duboc (1941-2010) à travers les effusions cérémonieuses du Boléro 2. Étrangler le temps ralentit Ravel et décortique l’attraction, la communion, les frottements et érosions qui accompagnent les corps en couple et en duo. Délicat et magistral !  

Joyeux anniversaire Ex Nihilo

Pour le trentième anniversaire de la compagnie marseillaise Ex NihiloLes Hivernales ontoffert à ses fondateurs, Anne le Batard et Jean-Antoine Bigot, une résidence et une installation. Apparemment, ce qui ne se voit pas, compile de courts solos tournés dans 11 villes du monde. Et Arpentages # 11_Vitry-sur-Seine, qui accroche les photographies, témoins d’un Contrat local d’éducation artistique, au sein de cette cité de la région parisienne. Agencé dans une intelligente épure, l’ensemble raconte l’inclusion de la poésie du mouvement au sein de l’architecture urbaine. En place jusqu’au 28 février à L’Espace pluriel sur la Rocade et au Grenier à sel en centre ville, voilà l’occasion idéale de mesurer les synergies entre des artistes et des collectivités publiques, attentives aux activités non productives et néanmoins essentielles.

MICHEL FLANDRIN

Les Hivernales se sont tenues du 30 janvier au 15 février, à Avignon et alentours. 

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Résider ensemble

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Chacun·e y a sa place et accueille celle des autres. Du cartel à l’accrochage, iels se présentent, iels se répondent, iels cohabitent. À droite en entrant, Thilda Craquelin peint des traces de papiers peints sur le mur blanc, une chaise en plastique de jardin avec des fioritures en céramique façon maison de poupées qui poussent sur ses accoudoirs. Une visiteuse s’y assoit pour consulter la feuille de salle. Installée, elle accède à un point de vue sur les autres pièces depuis la chaise tournée vers le centre de la salle. 

Au sol, Victoire Barbot a investi les interstices entre les dalles de bétons. Recouvertes de papier mixé, les lignes colorées quadrillent subtilement l’espace et font circuler le regard entre les œuvres. Luisa Ardila Camacho utilise la peinture comme un révélateur, les ombres de la forêt apparaissent sur un mur blanc, puis les branches et les lianes qui l’envahissent. Au recto, une peinture en trois dimensions. L’accrochage efficace fait circuler le regard des lianes verticales de la forêt aux coulures jaunes roses bleues de la peinture de Gwendal Coulon, de l’autre coté de la salle. En face, le triptyque en graine de chia d’Olivier Nattes à la maitrise impressionnante soulève la question du matériau utilisé. Le film étrange et poétique de Gilles Desplanques met en scène un scientifique délicatement affairé à prendre soin de pierres pleines d’algues de bord de mer. 

Premiers feux, tant sincèrement, partage sa chaleur. S’il est question de cohabitation, elle concerne la place à prendre, mais surtout à donner, dans la salle d’exposition comme dans le monde de l’art contemporain. L’exposition des résident·es de la Friche porte ici et là une attention douce et engagée à chacun·e de ses participant·es. Les œuvres des plasticiennes en particulier, font à la fois preuve d’une grande qualité plastique et d’une véritable attention au collectif. 

NEMO TURBANT

Premiers feux
Jusqu’au 27 avril
Salle des Machines, Friche la Belle de Mai, Marseille

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Émouvantes émeutes

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émeute
Comme un printemps, je serai nombreuse, vue d’exposition à Triangle-Astérides, 2025. Photographe : Aurélien Mole. Avec l’oeuvre de Luna Mahoux. Courtesy de l’artiste

Sonia Chiambretto écrit, les mots des autres qu’elle compile, parle, met en espaces et en voix multiples. Le titre de son exposition collective dit tout cela : l’attente d’un printemps et une parole, au féminin, qui fait nombre, à partir d’un « je » réceptacle et autrice.

Des listes, des bribes de témoignages, de mots répétés, s’écoutent au casque, comme un long poème émouvant, révoltant. Au centre de la salle le décor de sa dernière pièce, Oasis Love, créée à Théâtre ouvert (Paris) en 2023 : un toit d’immeuble, en béton terne, qui se prolonge au Panorama de la Friche sur les toits de Marseille et leur ciel. L’espace est rythmé de vides, de vertiges, la cheminée fume, des blocs-notes recueillent les réponses de ceux qui veulent en laisser. « Bruleriez vous une voiture ? Faites le portrait robot du policier idéal… » 

« Avec et autour de Sonia Chiambretto » il y a d’autres artistes, qui écrivent dans l’espace, en mots ou en objets, les violences que les policiers perpètrent et perpétuent. Celles d’il y a 20 ans, quand la mort de deux très jeunes ados poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois ont déclenché de longues émeutes urbaines ; celles de 2023, après la mort de Nahel Merzouk ; d’autres noms et visages, Adama et Assa Traoré, George Floyd, les Black Panthers, complètent la liste lugubre. 

Montrer la manipulation

Et les objets parlent. Les ours en peluche de Samir Laghouati Rashwan, fichés S, faisant contraster la violence et l’enfance, l’étreinte et la mort. Les images d’archives de TF1, montées par Virgil Vernier, qui détachent les commentaires virulents des journalistes et de Nicolas Sarkozy, des témoignages doux collectés en banlieues, commerçants désorientés, jeunes cibles récurrentes de contrôles au faciès, parents des victimes des policiers. 

Dans sa pièce sonore réalisée en juillet 2023, au cœur des émeutes, Hannan Jones fait entendre la joie et la mer, en contrepoint, tandis qu’Ouassila Arras expose des antennes paraboliques rouillées, vestiges diffusant pourtant depuis 40 ans les images des télés d’ailleurs. Agata Ingarden sculpte le verre fondu, brûlé, autour de caméras qui filment la poussière, débris d’une Sécurité sociale dévastée, et d’une vidéo surveillance illusoire. 

Ensemble, autour du toit, face au ciel de la ville, la voix est nombreuse. Diverse, mais disant comme un chœur polyphonique la violence exercée par l’État, continûment, sur les jeunes hommes racisés des quartiers populaires. Promettant un printemps ? 

AGNÈS FRESCHEL

En pratique

L’exposition, proposée par Triangle-Astérides, centre d’art contemporain d’intérêt national, se visite de 14h à 19h du mercredi au dimanche jusqu’au 8 juin. Des visites commentées par Victorine Grataloup et Ramanana Rahary, co-curatrices de l’exposition, sont programmées régulièrement, et peuvent être organisées sur demande pour les groupes. Des visites flash (30 minutes) pour tout public à partir de 6 ans ont lieu tous les samedis à 15 heures. Des rencontres avec Sonia Chiambretto et Fabien Jobard, une performance avec Sarah Netter, des ateliers, des lectures produites par actoral… et divers événements sont prévus, et en cours d’élaboration.

À retrouver sur le site de triangle-asterides.org
La Tour Panorama
Friche la Belle de Mai, Marseille

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Contre l’inconcevable, l’éblouissement

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Patrick Chamoiseau, dans un petit livre paru chez Seuil pose la question : « Que peut Littérature quand elle ne peut ? » Que peuvent les arts, les artistes, les écrivains, face à l’inconcevable qui s’empare aujourd’hui de notre monde ? 
La réponse apparaît dès l’exergue, les mots de René Char. Face aux nazis, en 1941, après la défaite, le poète résistant écrivait : « Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ? Non. Nous sommes dans l’inconcevable, mais avec des repères éblouissants. »
Nous vivons l’inconcevable et Chamoiseau le nomme, en liste sans fin, prolongée par ces points suspensifs qui disent l’infini des oppressions et des massacres. 
« Palestiniens Tibétains, Ouïghours, Rohingyas, Tutsies, Kurdes, Ukrainiens, Haïtiens Syriens, peuples-nations effacés dans l’Outremer français… »
Il nomme aussi nos désespoirs actuels et récents :
« Netanyahu, Trump, Poutine, Orbán, Erdoğan, Meloni, Le Pen, Bardella, Milei, Modi, Bolsonaro… »

En prolongeant encore la liste par ces points suspensifs où pourraient se nicher bien des replis en soi, bien des suicides. Bien des renoncements au collectif et au commun.
En avons-nous le droit ? Devons-nous, comme après Auschwitz, opposer le silence ? Patrick Chamoiseau l’affirme, Littérature (sans article, comme une matière globale précédant le Verbe), Musique, Art, Théâtre, peuvent (même quand ils ne peuvent). Ils sont nos repères éblouissants, ceux que nous ne devons pas perdre, ceux qui donnent la force de résister, parce qu’ils maintiennent en nous le désir de vivre et la compréhension intime de l’autre en nous.  

Résister aux identitaires 

Ainsi, ici, pour alourdir les attaques multiples et concertées que vivent les artistes et les écrivains, dans un contexte d’OPA sur l’édition Hachetée par Bolloré, sur la diffusion de presse Relayée par Bolloré, sur la télévision Canalisée par Bolloré, se profile l’hallucinant projet PERICLES. L’enquête de L’Humanité sur les agissements de Pierre-Edouard Stérin, milliardaire exilé fiscal en Belgique, démontre sa volonté explicite : l’extrême droite veut, comme aux États-Unis, s’emparer du pouvoir en modelant les esprits, en fabriquant les opinions et en occupant le terrain universitaire et culturel. 
Car PERICLES ne désigne pas l’orateur grec inventeur de la démocratie radicale. Comme souvent l’extrême droite dévoie et récupère le sens des mots : PERICLES, projet qui veut faire basculer aux prochaines municipales un minimum de 1000 mairies françaises dans le giron du RN ou de Renaissance (au choix), est un acronyme revendiqué par le milliardaire 
Patriote, Enraciné, Résistant (sic), Identitaire, Libéral, Chrétien, Européen, Souverainiste
Tout un programme, qui place la bataille culturelle au cœur des enjeux de notre temps. 

Littérature peut

Patrick Chamoiseau oppose à l’Enracinement le rhizome, à la Patrie la nation, au souverainisme la Relation, à la Chrétienté blanche la mémoire de la traite négrière. 
La Ville de Marseille accueille Baya et ses céramiques au musée Cantini, L’Ecailler publie l’autobiographie de Jack Johnson, écrite il y a 100 ans, La Friche expose les victimes racisées des violences policières, La Compagnie accueille la submersion, Les Pas Perdus cultivent l’art de recevoir. Et tous les syndicats de la culture se mobilisent pour lutter contre les coupes budgétaires et les attaques idéologiques sans précédent. 
À leurs côtés, refusons l’inconcevable, défendons la culture publique, les droits culturels de tous et toutes. Cultivons et protégeons ensemble nos repères éblouissants

AGNES FRESCHEL


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