lundi 15 décembre 2025
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Accro- accrochage

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C’est le genre d’aventures incroyables qui arrivent à Daniel Pennac. Un matin d’hiver, une exposition du peintre Miró « lui donne rendez-vous à Beaubourg ». Devant Bleu II, l’écrivain repère un photographe sans y prêter plus attention. Il le retrouve une semaine plus tard au musée d’Orsay, alors qu’il va dire bonjour au Docteur Gachet de van Gogh. D’abord un peu parano, Pennac se dit que le photographe le suit. « Moi qui m’étais cru suivi, je me suis mis à le suivre ! » raconte-t-il. À sa grande stupeur, l’écrivain comprend que l’homme photographie non pas les toiles, mais les visiteurs de dos qui les regardent.

La filature parisienne

Pennac suit l’étrange bonhomme dans les rues de Paris. Celui-ci traverse la Seine en direction du Louvre où il pénètre par la porte des Lions. Le même manège reprend.

Quelques semaines se passent, la vie reprend son cours avec les douleurs de l’âge. L’écrivain doit consulter un médecin gastro-entérologue. Ce dernier est étrangement familier à Pennac. Brutalement, cela fait tilt : le médecin et le photographe ne font qu’un. La discussion démarre. Le toubib, Laurent Mallet, puisque c’est son nom, explique sa passion, son obsession même : chercher des analogies ou des antagonismes entre les visiteurs de dos et le tableau qu’ils regardent et les photographier. Pour la seule année 2024, le photographe aura saisi 62 500 de ces rencontres entre une œuvre et un spectateur en « état de préférence » selon la jolie formule de Pennac.

De cette rencontre insolite, les deux hommes ont tiré un ouvrage : Le Roman des regards, moitié texte, moitié photos. La galerie d’une bonne cinquantaine de pages est saisissante : jeune femme aux vêtements graphiques devant Deux cercles de Rodtchenko à la Fondation Vuitton ; portrait d’une jeune femme brune en veste kaki devant Jeune Italienne de Sonia Delaunayau Centre Pompidou et qui semble son double ; Portrait d’Alphonsine Fournaise de Renoir au musée d’Orsay et sa visiteuse au même chapeau rouge et habits bleus délavés.

L’occasion également pour Pennac de s’interroger sur le processus de création et sur notre relation aux musées. « Qui s’est dit un jour que des toiles conçues dans la solitude d’un atelier avaient finalement vocation à se retrouver accrochées en un lieu public pour être exposées aux foules, en compagnie de statues destinées au grand air » ?

Et quel genre de courant entraîne lesdites foules dans les dits musées ? Quelle faim les anime ? Comme nommer leurs amateurs ? Qui lit un livre est un lecteur, qui va au théâtre ou au cinéma est un spectateur. Dans les magasins vont des clients, les joueurs au casino, les fidèles à l’église, les malades à l’hôpital, les fous dans les asiles et les coupables en prison. Mais comment nomme-t-on le visiteur de musée ?

Après avoir tenu dans ses mains cet Ovni éditorial, gageons que nous n’entrerons plus jamais dans un musée avec le même regard.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le roman des regards de Daniel Pennac et Laurent Mallet
Phillipe Rey – 25 €

Satire à l’italienne

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Dario Ferrari © X-DR

Si l’on pouvait décerner un prix pour le roman le plus drôle de l’année, La récréation est finie figurerait sans doute dans la liste des finalistes, en tout cas pour ce qui concerne sa première partie. Marcello Gori, le narrateur, trentenaire dilettante vivant à Viareggio en Toscane, semble avoir fait de l’indécision un art de vivre. Dès l’incipit, le ton est donné : « Certains choix conditionnent toute une vie et, jusqu’à présent, j’ai toujours eu tendance à faire ces choix au hasard ».

Fils de cafetier, le plus si jeune homme que çà, se lance dans la préparation d’un doctorat avec une seule motivation : échapper à l’obligation de reprendre l’affaire familiale. Il se définit avec une lucidité désabusée : « Je ne suis pas de ceux dont la carrière universitaire coule dans les veines. J’ai été un étudiant plutôt médiocre. Mon seul talent était un certain savoir-faire. Je devinais dès le premier jour ce qu’un professeur voulait s’entendre dire. »

Ferrari nous emmène dans les couloirs de la recherche universitaire avec un talent pour la satire mordante et caustique. Il décrit avec jubilation – et nous jubilons de concert – les luttes d’ego, les jeux de pouvoir et l’hypocrisie feutrée des universités – dont il est issu et où il enseigne la philosophie.

Par un concours de circonstances, heureux ou malheureux, Marcello pénètre le cercle très fermé du prestigieux Sacrosanti, professeur fondateur du département de littérature italienne sur lequel il règne en maître absolu. Ce dernier, qui considère notre anti-héros comme un total incapable, l’exhorte, sans lui laisser vraiment le choi, de s’engager dans une thèse sur les écrits d’un certain Tito Sella. Il s’agit d’un obscur terroriste-écrivain (fictif) des années de plomb, membre de la brigade Ravachol (elle aussi fictive) entre 1978 et 1980 et mort en prison après avoir laissé derrière lui une autobiographie mystérieuse et perdue, La Fantasima. Au fil de ses recherches, Marcello mu par « une forme d’empathie et d’admiration », va s’identifier à son personnage d’analyse, reconstituer sa vie et y mêler la sienne jusqu’à s’y perdre.

L’originalité du roman tient à sa construction narrative parallèle. D’un côté, le quotidien provincial de Marcello et sa découverte catastrophée du milieu universitaire. De l’autre, le récit de ces années de plomb empêtrées dans les contradictions et paradoxes d’une génération d’activistes issus de milieux aisés bénéficiant du luxe de pouvoir « philosopher » sur la révolution au nom et en place du prolétariat. Ferrari ne juge pas, il observe, avec cette distance ironique qui fait tout le sel de son écriture. Le titre lui-même, « la Récréation est finie » citation détournée de De Gaulle en mai 1968, résonne comme un désenchantement.

Un dénouement magistral

Ferrari mène son intrigue en multipliant les mises en abyme. Il nous fait voyager avec finesse au cœur de la lutte et de la discrimination de classes, dans ce monde de nantis obséquieux, qui même kidnappés dans une cave par des « prolos » gardent une superbe que les seconds n’acquerront jamais. Il nous emmène aussi dans le petit milieu des gauchistes italiens réfugiés à Paris dans les années 1980, protégés par la France des années Mitterrand qui refusera de les extrader. On y croise aussi le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari. Le dénouement, dont on ne dira bien sûr rien, est mené avec « maestria » et replace toutes les pièces du puzzle entre elles. La récréation est finie a connu un grand succès populaire en Italie. On comprend aisément pourquoi.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

La récréation est finie,de Dario Ferrari
Éditions du sous-sol - 24 €

Mathieu Do Duc : 60 ans de photos

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nfants à vélo à Saigon en 2004 © Mathieu Do Duc

60 photographies, choisies par ses proches, seront présentées, mais l’exposition, qu’il organise, ne va pas se contenter de retracer son parcours artistique. Elle va mêler photographie, bande dessinée, arts visuels, partage culturel et immersion dans les liens franco-vietnamiens, avec l’invitation lancée à deux autres artistes d’origine vietnamienne : Suzy Xuan Thu Lloret, peintre, et Clément Baloup, auteur de bande dessinée, connu pour la série Mémoires de Viet Kieu, inscrivant sa pratique dans la mémoire collective des exilés vietnamiens, en mêlant récit documentaire, enquête et graphisme.

Au programme : vernissage le jeudi 11 décembre, rencontre Mathieu Do Duc et Clément Baloup le jeudi 18 décembre autour de leurs approches artistiques et leurs liens à la « vietnamité ». Et pendant toute la durée de l’exposition : initiations au tai-chi, ateliers de peinture à l’encre de Chine, les projections d’Allée des Jasmins, court métrage de Stéphane Ly Cuong, Once upon a bridge in Vietnam, documentaire de François Bibonne consacré à la musique, ainsi que Mille jours à Saïgon documentaire de Marie-Christine Courtès avec l’illustrateur Marcelino Truong.

MARC VOIRY

60 photos pour 60 ans

Du 11 au 21 décembre

Marseille 3013

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S’écouter et s’entendre

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Ébats d’enfants dans l’eau, courses à travers champs : des vidéos de vacances en famille ouvrent le film. Puis on embarque dans une voiture. Une forêt file vers la montagne. D’autres images surgies du passé parasitent ce présent-là sans qu’on puisse les relier immédiatement au couple et à l’enfant qui sont dans l’habitacle. La mère parle « drôlement ». On comprend qu’elle est sourde « oralisante ». « Elle entend pas la moto » comme dira le garçonnet.

On met un moment à réaliser qu’on est dans un documentaire, que ces gens ne jouent pas un rôle. Manon, son mari et leur fils Matteo se rendent dans le chalet des parents de Manon : Laurent et Sylvie, qui les attendent avec impatience. C’est le premier été de Matteo dans ce chalet de Haute-Savoie. Déjà, on l’inscrit dans l’histoire familiale en marquant sa taille sur un pilier de bois, témoin-totem de sa croissance, d’un été sur l’autre.

Barbara, la sœur de Manon ne viendra pas. Et on devine très vite que tous ont vécu un drame dont aucun n’est sorti indemne. Maxime, le frère cadet, sourd lui aussi, est mort, quelques années auparavant. Une célébration est prévue en son honneur en cet été paradisiaque :  gravir la montagne, faire corps et pacte, là-haut, pour lui, pour eux.  

On va de l’avant. Manon aura un autre enfant. Laurent est sorti d’une thérapie. Il construit un mur avec son petit-fils. Le passé est là, au même titre que le présent mais jamais ne le tire vers l’arrière. Dans les films anciens, Manon est tour à tour enfant, jeune fille, femme. Sur les clichés des albums, Matteo ressemble à Maxime. Manon à sa mère. On ne sait plus parfois qui est qui. Les absents, Barbara et Maxime existent à l’écran. Les enregistrements archivés et les nouvelles images tournées par la réalisatrice cohabitent et pactisent.

« Miroir grossissant »

Aucun commentaire, aucune interview ne sont nécessaires pour reconstituer le parcours de cette famille. On comprend comment les handicaps de Manon puis de Maxime ont été vécus par les autres et par eux. On imagine les épreuves de chacun : l’opération de l’un, puis de l’autre, les difficultés de supporter l’implant, l’isolement dans le groupe, l’absence de prise en charge par l’Éducation nationale, les traumatismes, le découragement, les colères quand le rêve de gymnaste de Manon se casse. On pense à la douleur de Barbara, celle qui ne partage pas la surdité de ses sœur et frère – devenue sans hasard, orthophoniste. On écoute les doutes des parents sur leurs choix. Les confidences sont nombreuses dans ce film, intégrant le langage des signes et les oralisations des malentendants. Parfois Manon ôte sa prothèse auditive et nous laisse dans le silence. Comme en apnée. La femme forte, sportive, combative, douée pour le bonheur s’autorise le break.

Dominique Fischbach a rencontré la solaire Manon voilà vingt-cinq ans, alors qu’elle travaillait sur la fameuse série documentaire Strip-tease. Avec sa caméra, elle a accompagné l’évolution de sa famille. Le temps est un facteur essentiel pour ce type de documentaire. Il permet la mise en perspective, la confiance et la mise à nu.

On pourrait croire que l’intimité de ces gens-là ne nous concerne pas. Mais si leur histoire nous bouleverse tant, c’est bien parce qu’elle universelle. « Le handicap, dit la réalisatrice, est un miroir grossissant. Bien sûr je veux que le film soit utile sur la surdité et l’inclusion mais c’est avant tout un film sur la parole. » Il s’agit de s’écouter et de s’entendre par tous les moyens. Toujours.

ELISE PADOVANI


Elle entend pas la moto de Dominique Fischbach

En salle le 10 décembre

Toutes les salles qui sortiront le film à partir du 10 décembre le sortiront en français sous-titré en français et certaines pourront proposer aussi – à la demande – la version sous-titrée SME ou bien la version en audio-description.

Quand l’IA dirige l’orchestre au Zef

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© A.-M.T.

Dans le hall du Zef, l’ambiance est à la fête. Des élèves du collège Édouard Manet voisin, accompagnés de leurs parents et professeurs, ont organisé un pique-nique. Tous ont hâte. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut assister à un concert avec un téléphone. Mieux, il est obligatoire de le laisser allumer dans la salle pour pouvoir intervenir en direct dans le concert proposé par l’ensemble C Barré, qui n’a jamais aussi bien porté son nom.

En résidence au Zef, la petite troupe de musiciens – Annelise Clément et Joël Versavaud, saxophone, clarinette et « pouétspouèts » en tout genre, Claudio Bettinelli, déchaîné aux percussions, Marine Rodallec au violoncelle et Charlotte Testu, contrebasse – sous la direction de l’élégant et facétieux Sébastien Boin, a concocté Musical Conversation with a bot, spectacle loufoque et désopilant qui tente, avec fantaisie, de répondre à la question suivante : sera-t-il bientôt possible de tout faire avec l’intelligence artificielle et en particulier composer de la musique ?

Léger en apparence

L’ensemble entame une partition d’Alexandros Markeas (présent dans la salle) dont le public peut modifier le cours selon ses envies, en fonction de réponses à des questions à choix multiples absurdes posées par une intelligence artificielle déjantée : Voulez-vous que le chef (1) ralentisse, (2) accélère ? Contrebasse ou violoncelle ? Saxophone ou clarinette ? Qu’est-ce qui vous fait danser ? Les spectateurs répondent en écrivant sur leurs smartphones. Leurs mots apparaissent sur écran géant… « l’amour, l’OM, Jul, Samira, la vie »Les musiciens s’adaptent alors aux votes des spectateurs, selon les indications du Chat pour le meilleur… Ou pas.

Le spectacle est porté par une belle poésie se référant au monde animal « vaste orchestre qui grouille de musiciens, de chanteurs, de danseurs extraordinaires ». Si les oiseaux sont au cœur de la création, ils sont vite rejoints par des animaux plus insolites : tarentules qui dansent la tarentaise, cochons, bêbêtes « qui grognent, grommellent, qui graillent, croassent et couinent » sont aussi de la partie. On évoque aussi le chant des sirènes, ceux de ces créatures sublimes qui envoutèrent Ulysse mais aussi celles d’aujourd’hui, urbaines, associées à un bruit strident, mécanique, porteur de peur, de poursuites policières, d’urgences médicales et même signal de bombardements. Drôle de bout en bout, ce spectacle, léger seulement en apparence, déroule une partition exigeante et virtuose et un propos qui interroge sur l’avenir de la création.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Musical conversation with a bot a été donné le 5 décembre au Zef, Scène nationale de Marseille.

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Retour aux origines

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Clyde Chabot © X-DR

Il suffit parfois d’un objet qui intrigue, d’un mot étrange ou d’une photo oubliée pour que surgissent des interrogations sur nos racines. S’y ajoute le problème de l’exil, des déchirures qu’il entraîne et de la reconstruction. Les arrière-grands-parents de Clyde ont quitté la Sicile à la fin du XIXe siècle pour la Tunisie avant d’en repartir pour Aix-en-Provence. Elle s’est engagée sur leurs traces, a écrit puis joué deux textes Sicilia (voir Zébuline n°115) et Tunisia.

La voici donc en visite à Tebourba en Tunisie où sa mère est née, a résidé jusqu’à ses dix-huit ans. La famille était partie pour la France quelques mois après l’indépendance de la Tunisie en 1956. Y rester était devenu dangereux.

Les objets témoins du passé

Clyde nous raconte son voyage en projetant des images de Tebourba, petite ville tranquille avec sa mosquée, ses palmiers. À côté de la gare, la maison de sa famille, reconstruite par son grand-père après le bombardement de la ville en 1942. Clyde rencontre le propriétaire qui les invite à partager un couscous dans la salle à manger, certainement celle de sa grand-mère, puis les accompagnera au cimetière chrétien protégé par des barbelés.

Les retrouvailles avec le passé passent par la cuisine et les objets que la famille avait réussi à ramener en France et qui font partie du spectacle. C’est avec une ferveur contenue que certains sont présentés comme la couverture tissée avec la laine des moutons du grand-père. Et les spectateurs partagent des dattes fourrées et du thé à la menthe. Simples objets du quotidien qui deviennent des phares éclairant le passé.

CHRIS BOURGUE

Tunisia a été donné le 6 décembre aux Archives municipales de Marseille.

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Kaléidoscope musical virtuose

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Sergej Krylov © X-DR

Le violoniste Sergej Krylov a saisi le public dans une interprétation volcanique du Concerto pour violon en ré mineur de Sibelius, l’une des œuvres les plus redoutables du répertoire. Dès l’introduction orchestrale de l’Allegro moderato, l’intensité s’installe. Puis le violon émerge, mélancolique et hanté, avant de déployer sa palette dans l’Adagio di molto au lyrisme bouleversant. Le finale, Allegro ma non-tanto, exige une technique impeccable : doubles cordes vertigineuses, sauts d’intervalles périlleux, passages fulgurants dans l’aigu. Krylov aborde l’épreuve avec un engagement corporel presque sauvage, habité par l’âme nordique de Sibelius. En bis, il interprète les Caprices de Paganini devant une salle médusée.

Il est dirigé par le chef italien Francesco Cilluffo, lui aussi invité pour la première fois à Marseille. La rencontre entre les deux hommes est d’abord surprenante. Krylov incarne l’énergie brute, le geste instinctif ; Cilluffo cultive l’élégance raffinée, la gestique ciselée. Le violoniste va constamment au contact du chef qui virevolte avec grâce face à l’orchestre. Et pourtant, miracle de la musique, cela fonctionne, divinement bien même, comme fonctionne aussi ce programme dont on peine d’abord à saisir la logique.

L‘Ouverture de Loreley d’Alfredo Catalani avait inauguré la soirée avec ses évocations aquatiques du Rhin et son lyrisme post-romantique italien. En seconde partie, les Variations Enigma d’Elgar révélaient leur profondeur sous la baguette de Cilluffo, semblant particulièrement heureux dans ce répertoire après la tempête du concerto. L’œuvre dévoile quatorze variations, chacune dédiée à un proche du compositeur. Le mystère de son titre, ce thème caché qu’Elgar n’a jamais révélé, alimente encore aujourd’hui les spéculations.

Chaque variation possède son caractère propre. La plus connue étant Nimrod, devenue au Royaume-Uni le symbole du Remembrance Day, journée de commémoration des soldats morts au combat. Le chef communique sa joie et l’orchestre répond avec emphase à cette démonstration de l’art de la variation orchestrale.

Ce concert porte finalement bien son titre, Les mystères de la vie : l’énigme d’Elgar, le secret nordique de Sibelius, la légende du Rhin de Catalani… Trois univers apparemment disparates qui, tel un kaléidoscope, révèlent en tournant une cohérence inattendue. Et au centre de ce prisme, la rencontre improbable mais fructueuse entre la fougue instinctive de Krylov et la préciosité de Cilluffo.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le concert a été donné le 7 décembre à l’auditorium du Pharo, Marseille.

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Des Rivages enchantés

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© A.-M.T

Les musiciens gagnent la scène parsemée de grands coquillages, de boules de chalut et de mobiles qui tintent comme les voiles d’un bateau. Cette atmosphère maritime plonge le public dans l’univers de Caroline Tolla, Pierre Fenichel et Wim Welker, le trio Maluca Beleza, venu présenter leur second album. Les musiciens se sont rencontrés en 2015 lors du festival Jazz sur la Ville à Marseille. Explorant les rythmes et couleurs musicales du Brésil, leur complicité sur scène a immédiatement suscité l’adhésion du public.

La mer comme horizon

« Des Rivages » est un projet personnel, né de l’histoire unique de Caroline Tolla. Venue au monde sur un bateau amarré au port de Marseille, « Le Cobalt », construit par son père, elle traverse l’Atlantique à l’âge d’un an lors d’un voyage mouvementé. À huit ans, son terrain de jeu est le phare de Planier, l’île du Frioul et elle explore les premières plongées en bouteille à bord du « Vaillant », bateau familial. Elle apprend les signes pour communiquer sous l’eau, les gestes de sécurité et s’émerveille de ce monde qu’elle apprend à respecter.

Au fil des ans, tantôt en Amérique du Sud, tantôt en Méditerranée, elle découvre l’apnée et s’intéresse au monde marin sous toutes ses formes. Naturellement, elle s’oriente vers des études en océanographie et part à bord de bateaux, dénombrer les espèces protégées. Elle étudie les baleines, les cachalots, continue à plonger et naviguer ; autant d’expériences et de souvenirs qu’elle partage aujourd’hui dans ce disque, qui traduit en musique cette relation intime à la mer.

Avec ses cheveux bouclés qui encadrent un visage mutin et enfantin, avec sa grâce naturelle, Caroline déroule le fil de l’album comme un récit qui commence au petit matin et s’achève à la nuit, « noite » en brésilien. Les textes bilingues français-portugais naviguent entre Méditerranée et Atlantique, évoquent aussi bien la puissance des tempêtes que la sérénité d’un lever de soleil. On y parle de quais, d’amarres et de marées, d’abysses, de rivages à la dérive et de salicorne.

Les compositions de Pierre et Wim font flirter avec bonheur jazz, bossa nova et baião, ce rythme du nord du Brésil. On apprécie spécialement la chanson Évasion, jazzy à souhait, ou Le chant salé qui évoque la douceur nonchalante et nostalgique d’un Laurent Voulzy.

Un spectacle participatif

L’album est aussi le récit musical d’un spectacle immersif, écologique et pédagogique destiné aux enfants. Il sollicite les jeunes spectateurs tout au long de la représentation, les invitant à utiliser leur voix, leur souffle et leur corps pour devenir acteurs du voyage sonore.

Ce soir-là, lors du showcase, il n’y a pas d’enfants dans la salle, mais des adultes, chanteurs amateurs ou professionnels, amis de la Maison du Chant, ce lieu de réunion pour la grande famille des chanteurs de Marseille. Qu’à cela ne tienne ! Tous retrouvent leur âme de gamins en incarnant la brise qui souffle, les clapotis de l’eau, la respiration des plongeurs avant une descente en apnée, sous la direction d’une Caroline réjouie de cette participation spontanée.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

La présentation du disque s’est déroulée le 4 décembre à La Maison du Chant, Marseille.

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Au bon souvenir de Lilith

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Lilith, la guerre des récits © Badaboum Théâtre
« Ceux qui racontent les histoires dirigent la société », disait Platon. Alors, comment aurait été le monde s’il avait été bâti par d’autres histoires ? Les récits sont de drôles de choses : ils façonnent notre univers, modifient nos perceptions. Certains sont figés, personne ne les interroge ; d’autres sont effacés, écartés volontairement pour arranger l’Histoire. Celui de Lilith fait partie de ces oubliés. Pourtant, de nombreuses légendes ont nourri cette figure à travers les siècles et les continents. Son parcours a connu une multitude de versions selon le regard que chacun·e a pu lui porter. Mais lesquelles croire ? Souvent décrite comme trop rebelle, Lilith est devenue au fil du temps un mythe aux contours mouvants… c’est ce propose d’explorer le Badaboum Théâtre, dans sa création 2025 : Lilith, la guerre des récits.

Dieu créa Adam et Lilith« Comment tout a commencé ? » À travers ses lunettes, une mystérieuse narratrice remonte le fil de la création du monde. Avec son installation vidéo fait maison, elle manipule objets et personnages : sons, décors et paysages prennent vie entre ses mains. Dans cette version, Dieu a créé l’univers, Lilith et Adam. À peine apparus, les deux personnages s’animent en direct sur la scène du Badaboum à travers les corps de Laëtitia Langlet et Geoffroy Rondeau.

Les voilà explorant le monde, heureux·ses de découvrir la magie de la vie : les tableaux se succèdent. Puis, peu à peu, tout dégénère. Adam se met à délimiter des espaces, à vouloir posséder les choses et même Lilith, qui refuse : « Moins je possède, moins je serai possédée » et quitte le jardin d’Éden. En chemin, elle croise un garde-frontière puis une cigogne à deux têtes qui lui glisse à l’oreille : « On ne naît pas femme, on le devient. » Rapidement effacée, Lilith est remplacée par Ève, un hologramme obsédé par son image et ses likes sur les réseaux sociaux.

Une création décalé

Dans cette création, humour, technologie et philosophie s’entremêlent. Le spectacle joue des contrastes et des décalages : l’arbre de la connaissance est un ordinateur, le fruit défendu une pomme d’une célèbre marque, Dieu se nomme IA et évolue aux côtés de son fidèle compagnon, le Chat GPT. Ludique et drôle, le spectacle interroge le pouvoir des histoires sur nos imaginaires. Il devient une hymne féministe concu pour les enfants mais aussi une invitation à repenser et à questionner nos récits fondateurs. Et au fait, si l’on n’avait jamais oublié Lilith, à quoi ressemblerait notre monde aujourd’hui ?

CARLA LORANG

Spectacle vu le 6 décembre au Badaboum Théâtre, Marseille.

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Lacrima : ne pas baisser les larmes

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Lacrima, Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez

Mettre en lumière les aspects méconnus et parfois peu reluisants de la haute-couture, voilà le parti pris par Caroline Guiela Nguyen avec Lacrima. Marion Nicolas, première d’atelier de la maison de haute couture Beliana, est sélectionnée pour confectionner la robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Revers de la médaille : elle et ses modélistes n’auront que huit mois pour achever la robe. Le spectateur est alors emporté dans une valse qui le convie tantôt auprès des modélistes parisiennes, tantôt dans les ateliers des dentelières d’Alençon, tantôt aux côtés des brodeurs de Mumbaï au gré d’une scénographie qui s’appuie sur des procédés technologiques issus du cinéma pour orchestrer la superposition de ces différents lieux.

Loin d’être seulement technique, ce dispositif souligne le lien inextricable qui unit ces travailleurs du textile tout en soulignant les contrastes saisissants qui les opposent. À l’aune des trajectoires de vie de Thérèse à Alençon, d’Abdu Gani à Mumbaï et de Marion Nicolas à Paris, il nous est alors donné d’appréhender la dureté de ce secteur d’activité dont les maux sont somme toute bien ordinaires : surmenage, pénibilité, sujétion aliénante aux lubies arbitraires de commanditaires indifférents aux difficultés rencontrées par les petites mains qui les exaucent. Le titre de la pièce, « les larmes » en latin, prend alors tout son sens et résonne comme un écho de toutes ces peines. Présentée au Festival d’Avignon en 2024, la pièce sera jouée à La Criée, sur invitation du Théâtre du Gymnase du 10 au 12 décembre 2025.

Lacrima
Du 10 au 12 décembre
La Criée, Théâtre national de Marseille
Une proposition du Théâtre du Gymnase hors les murs

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