mardi 16 décembre 2025
No menu items!
cliquez sur l'image pour faire un donspot_img
Accueil Blog Page 5

Quand la maison devient mémoire

0
Et le cœur ne s’est pas arrêté © Christophe Raynaud de Lage

Impulsée par François Cervantes, la nouvelle création du Collectif Kahraba se construit depuis plusieurs années, avec des allers-retours entre la France et le Liban pour nourrir le processus.  Elle est née suite à la collaboration initiée en 2021 lors de la reprise du spectacle Arletti à l’étranger au Liban : Et le cœur ne s’est pas arrêté est une création théâtrale portée par un désir partagé, celui de raconter les mondes d’aujourd’hui, entre les fissures d’une maison, les mémoires blessées, les absences et les fantômes d’un pays en crise en questionnant l’exil et la transmission des histoire familiales et collectives. Bâtie comme œuvre hybride, Et le cœur ne s’est pas arrêté s’érige comme un pont fragile entre deux rives où se mêlent mémoire, exil, héritage et utopie. 

Sur scène, trois interprètes –Éric Deniaud, Aurélien Zouki et Tamara Badreddine-  incarnent une maison ancienne, vaste, labyrinthique. Leurs corps, leurs gestes, leurs silences dessinent une géographie intime, faite de récits d’absence, de visages disparus, de vies fragmentées, où chaque mouvement devient un écho des histoires invisibles qui nous habitent.

Entre absence, mémoire et fragilité

Le style singulier du Collectif Kahraba, héritier d’un théâtre de la marionnette, du masque, du burlesque et de la fable, s’est rarement confronté à d’autres mondes théâtraux depuis la naissance du collectif en 2007. Leur travail promet cependant de trouver un bel écho dans se l’approche volontiers pluridisciplinaire de François Cervantes, qui signe ici à la fois le texte et la mise en scène. Son univers littéraire est toujours travaillé par un sens aigu de l’image et du rythme, oscillant entre poésie et intensité dramatique. 

La scénographie, volontairement dépouillée, installe une maisonnée imprécise, sensible, discrète ; le décor, un simple mas de terre, devient le cœur même de l’œuvre, un corps fragile, fissurable, mais capable de résister. La direction d’acteurs, assurée par son interprète fétiche depuis près de 40 ans, la formidable Catherine Germain, promet de guider le spectacle vers son art singulier de la pantomime et du clown. Vers un équilibre passager, entre abstraction et matérialité, entre drôlerie et tragique, entre fable et brûlure du monde. Et le cœur ne s’est pas arrêté invite à habiter l’incertain, à ressentir ce que signifient la perte, l’absence, la blessure. Mais aussi, et surtout, l’entêtement au rêve. 

SUZANNE CANESSA

Collectif  Kahraba
Et le cœur ne s’est pas arrêté
9 décembre

Atelier Petite migration
Fabrication de maisons de papier
10 au 12 décembre

Atelier de chant avec Donna Khalifé
du 11 au 13 décembre
Théâtre de la Joliette, Marseille

Retrouvez nos articles Scènes ici

Double cuisson

0

Des légumes colorés, orange, verts, qu’une main découpe en lamelles, un homard décortiqué avec soin, on en a l’eau à la bouche !  On est dans le restaurant où Mehdi (Younès Boucif ) est chef cuisinier et où tous s’affairent. La salle est remplie de monde.  C’est ainsi que démarre le premier long métrage d’Amine Adjina.

 La mère de Mehdi, Fatima (Malika Zerrouki) ne lui a jamais appris à cuisiner des plats algériens et lui ne l’a jamais invitée dans ce restaurant où il concocte des plats français. Ce n’est pas la seule chose qu’il lui cache : il est amoureux et vit avec Léa (Clara Bretheau) : il tient à conserver son image de « fils parfait ». Fatima persuadée que la France lui a volé son mari par l’exploitation de son corps au travail craint qu’elle ne lui prenne aussi ses enfants.

Drôles de mères

Elle ne perd pas une occasion pour essayer de marier son fils chéri avec une femme qu’elle a choisie. Alors que Mehdi s’apprête à racheter un bistrot avec Léa, celle-ci lui demande à rencontrer toute la famille qui va se réunir pour une fête où bien sûr, elle n’est pas invitée. Un vrai dilemme pour lui, qu’il confie à Souhila (Hiam Abbass) la tenancière d’un bar, populaire et chaleureux : « Soit, je présente ma copine à ma mère et je la tue, soit je ne la présente pas et ma copine me quitte. » Souhila trouve alors une solution « Je fais ta mère ! »

 Et à partir de là, elle s’applique à sa manière à jouer ce rôle. Une mère haut de gamme, précise-elle et je vais créer du suspense dans ta vie : tenues excentriques, perruque blonde, elle ne ressemble pas du tout au portrait qu’en faisait Mehdi. Léa est sous le charme ce cette mère-là !

 A partir de là, des scènes cocasses s’enchainent, créant surprise après surprise. Une séquence dans un train, endiablée, restera dans les mémoires. Souhila  commence à apprendre des gestes de la danse du ventre à Léa, suivie par deux  passagères proches puis par tout le compartiment sur la musique d’Acid Arab et  le chanteur Sofiane Saïdi « Cette scène du train est comme une métaphore pour moi : Souhila fait danser la France. Dans le contexte actuel, elle me paraît essentielle. » a précisé le cinéaste.

 Younès Boucif est parfait dans le rôle de cet homme partagé dans sa double identité, dans sa double culture. Quant à Hiam Abbass, elle fait ici une prestation extraordinaire dans le rôle de cette femme libre, qui va peu à peu aider Mehdi à aller de l’avant et sortir de la prison qu’il s’est construite.

La petite cuisine de Mehdi, un film concocté avec soin, parsemé de couleurs, d’odeurs, de rires et de musiques, qu’on partage comme un délicieux repas. Un conseil : n’y allez pas le ventre vide !

Annie GAVA

Le Film sort en salles le 10 Décembre

Lire ICI l’interview d’Amine Adjina

C’est Le Grand Bazar au Dock des Suds

0
© X-DR

Se revendiquant comme une célébration des talents issus des cultures urbaines marseillaises, toutes formes, tous domaines et tous styles mélangés, Le Grand Bazar s’installe du 12 au 14 décembre dans l’ancien Dock des Suds, désormais occupé par l’école d’informatique La Plateforme. Un rendez-vous pluridisciplinaire conçu par le collectif Twerkistan autour de valeurs partagées avec La Plateforme : « mise en lumière des émergences, transmission et innovation, célébration de l’inclusivité et de la diversité ».

Sport, danse, mode, ateliers

Au cœur du festival, le marché de créateurs va réunir plus de 50 stands dédiés à la création sous toutes ses formes : vêtements, bijoux et accessoires, tatouage, nail art et strass dentaires, jeux de société, épicerie, art, associations sociales, humanitaires et solidaires…

Un marché ponctué de temps forts : sportifs, avec des tournois de foot et de basket, ouvert à tous·tes (le 13 de 14h à 19h, le 14 de 16h à 19h). Danse, avec la battle all styles : hip-hop, waacking, afro, dancehall, break, house, electro, heels, contemporain…(le 12 de 19h à 22h). Et mode, avec le Fashion Show du Studio Lausié, école de mode marseillaise engagée et durable (le 12 de 19h à 22h).

Quant aux ateliers numériques (gratuits) organisés par La Plateforme, destinés aux jeunes de 10 à 18 ans, il s’agira, parmi d’autres propositions, de créer son instrument cyborg, son mini-jeu Scratch, ou encore de trouver le hacker dans un Escape Game Code Rouge (le 13 de 14h à 18h, le 14 de 12h30 à 17h30, inscriptions directement sur place).

Esprit Club

Le Grand Bazar va se transformer en club pour deux soirées : celle de vendredi aura une ambiance Street Flow, en étant dédiée aux « musiques urbaines dans leur hybridité contemporaine », mais fidèles aux racines hip-hop avec Neptune, FourbyFour, Habba Babba, DJ Lina, Pakcjeen. Celle de samedi sera une soirée Ritmo Perreo : une plongée dans les sonorités latines des plus festives avec latino-reggaeton, baile funk, reggaeton, global beats… Aux manettes : Orfigyal, Kermittta, Klarita, Shefox, Wandawitt.

MARC VOIRY

Le Grand Bazar

Du 12 au 14 décembre

La Plateforme (Dock des Suds), Marseille

Esprit de Kant, es-tu là ?

0
© Ville de Marseille

La 5e édition des Rencontres de l’éducation populaire, organisées par la Ville de Marseille, ont eu lieu du 3 au 6 décembre aux Archives municipales, Espace Bargemont, et surtout à la Friche Belle de Mai. C’est sur ce dernier site qu’un atelier, animé par Sam Khebizi, directeur des Têtes de l’art, rassemblait professionnels et curieux au chevet de l’esprit critique. Un vieux concept, qui tour à tour s’efface ou ressurgit, depuis Aristote jusqu’aux Lumières, sans jamais proprement disparaître, et se retrouve de nos jours à nouveau singulièrement affaibli. Noyé par des vagues de désinformation, des flots d’inepties numériques et une anxiété diffuse qui elle, au contraire, ne cesse de se répandre.

D’où l’objectif de cet atelier Renforcement de l’esprit critique – stratégies et synergies : rassembler des praticiens de l’Éducation aux médias et à l’information, des intervenants du champ social, associatif, des bibliothécaires, des chercheurs, ayant la volonté de le stimuler dans leurs actions au quotidien.

Coopérer par gros temps

« Nous avons en commun cette question de l’esprit critique, outil central du fait démocratique, déclarait en préambule Sam Khebizi. Comment faire ensemble un peu mieux que ce que l’on fait seuls, même si ce qu’on fait seuls, cela compte déjà ? » En dialoguant, pardi. En créant des synergies. Pas facile, tant converger est complexe, prend du temps, de l’énergie, des heures de réunion, dans des agendas déjà chargés. Alors que les services publics, comme les acteurs de l’éducation populaire et de l’économie sociale et solidaire, font face à une précarisation croissante, et que la « tension entre notre volonté de coopérer et le contexte ultra-compétitif s’aggrave ».

Répartis en groupes, une cinquantaine de participants ont planché sur les perspectives de mobilisation collective, impliquant un maximum la population marseillaise. En ressortait la nécessité de partir du quotidien des habitants, et de multiplier les espaces de proximité, de rencontre, d’initiative citoyenne. Bibliothèques, musées, fermes pédagogiques, espaces verts, places publiques… Les élections municipales approchant, l’appel était clair à une feuille de route politique priorisant la mise à disposition de moyens techniques et d’espaces mutualisables, où l’esprit critique ait une chance de reprendre vigueur.

GAËLLE CLOAREC

L'atelier Renforcement de l'esprit critique a eu lieu le 5 décembre au LaboFriche de la Friche la Belle de Mai, Marseille.

Amine Adjina parle de La Cuisine de Mehdi, son premier film

0
Amine Adjina (C) Annie Gava

La genèse du film

L’idée de porter un projet artistique ne m’était pas étrangère et c’est par le cinéma que je suis arrivé au théâtre, par le jeu puisque je voulais être acteur. Cette idée m’a toujours habité. Je voulais évoquer ma double culture, mon rapport avec l’Algérie, avec ma famille. Le fait, comme le personnage principal, de compartimenter le monde, la vie professionnelle et la famille. Je voulais travailler cet aspect-là et le rapport à la cuisine, un univers qui m’est proche. J’ai travaillé dans des restaurants, mon père a tenu des cafés et le père de mon meilleur ami qui a inspiré le personnage de Bernard, joué par Gustave Kervern a tenu des bistrots pendant longtemps. La culture des cafés m’habite. Il y a les ingrédients intimes proches. La fiction est arrivée avec le personnage de la fausse mère qui permet de s’interroger sur nos vies. C’est un film à petit budget qui a été facile à produire. J’ai eu de la chance !

Un film très écrit

L’écriture est une partition ; Le film est très écrit ; j’écris pour des acteurs, des personnages qui doivent prendre vie. C’est le cœur de mon travail y compris au théâtre. Après les répétitions, avant le tournage, on a réajusté parfois mais les acteurs jouent la partition. Les dialogues sont importants. J’ai l’impression que parfois on oppose théâtre et cinéma ; pour moi, il y a quelque chose de commun. Les cinéastes qui m’inspirent, comme Pasolini qui m’a chamboulé à 17 ans, Fassbinder, sur la question sociale et l’esthétique, Bergman, ont toujours eu la volonté de faire un cinéma d’auteur. J’ai le souci de la conduite du récit, du rythme. Ici, un personnage qui est coincé : la mécanique se referme sur lui. Le cinéma iranien me plait aussi car c’est un cinéma qui parle de dilemmes qui amènent la conduite du récit. Dans le film, il y a des dilemmes auxquels on n’apporte pas toujours de réponse définitive.

La scène du train

Les mains dansent, puis on découvre qu’on est dans un train. A-t-on les moyens de tourner cette scène ? me suis-je demandé. C’est une scène importante car cette femme qui agit sur tous ces gens est une métaphore : elle fait danser la France, comme un pied de nez dans cette époque bien coincée. On a peu d’espace dans cet intercité Lyon -Nantes et on avait trois heures pour tout boucler. On a donc fait plein de répétitions avant. Je voulais des choses très colorées. On a répété avec une chorégraphe qui pratique la danse du ventre. Je voulais vraiment qu’il y ait l’idée que Souhila leur apprend la danse. Elle montre à Léa avec un gros plan, suit un autre gros plan sur deux autres femmes, encore un gros plan puis le plan large sur tous les passagers  où l’on découvre que tout le monde est en train de danser avant de rentrer dans un truc plus organique comme si on était embarqué avec elle. C’est toujours elle qui guide. C’est important en termes de mise en scène ; c’est Souhila qui guide le mouvement de la caméra, qui impose son rythme.

Les acteurs et les actrices

Quand j’ai écrit, je n’ai pas écrit pour eux. C’est à l’atelier de la FEMIS que j’ai développé la première version du scenario. On y va pas à pas pour un premier film, étape par étape !  Younès Boucif, je l’ai trouvé par un casting. Je cherchais quelqu’un pour qui on éprouve une empathie immédiate. Hiam Abbass, je n’y ai pas pensé tout de suite. C’est quand j’ai vu le documentaire de sa fille, Bye bye Tiberiade, un très beau film que je me suis dit que c’était elle; je lui ai proposé le rôle de Souhila, elle a tout de suite accepté et elle a adoré…C’est une très belle rencontre ; on a présenté le film ensemble à Rome. C’est une véritable leçon d’artiste ; il y a une profondeur dans le rôle, de l’exubérance et du baroque. Il n’y avait qu’elle pour jouer cela. Quant à Malika Zerrouki, qui incarne la mère de Mehdi, c’est une actrice non-professionnelle qu’on avait déjà vue dans quelques films dont Sages femmes de Léa Fehner (https://journalzebuline.fr/le-coeur-battant-de-la-maternite/) ; elle peut facilement passer du rire aux larmes. Clara Bretheau qui incarne Léa, je l’avais trouvée formidable dans Les Amandiers de Valérie Bruni-Tedeschi. Je voulais qu’elle apporte sa fougue, son plaisir. C’est elle qui confronte Mehdi à son énième mensonge ; elle commence à douter. Elle va rencontrer cette « fausse » mère; elle est un peu comme nous ; elle découvre un monde et réalise que quelque chose ne va pas.

Les choix de mise en scène

Je voulais un film chaud. Avec mon directeur de la photo, Sébastien Goepfert, on a regardé des films d’Almodovar, des comédies italiennes. Pour moi, les lieux sont des personnages. Ils ont une identité très forte. On a beaucoup dialogué sur les couleurs. Il fallait une cohérence pour la palette graphique. Dans tous les détails. Quand on travaillait un cadre, on se disait par exemple : on a les cheveux rouges de la comédienne qui  plie des serviettes marron comme dans un tableau et on est pris dans une sorte d’émotion. Pour les plats, les gens doivent avoir faim ! Avoir envie de goûter. Comment filmer la nourriture ? On a fait un vrai travail, faisant appel à un chef cuisinier à Lyon où on a tourné, pour avoir de vrais plats. Il fallait que ça sonne vrai. Il faut que ce qu’on filme ait une vraie valeur. Et on a bien mangé pendant tout le tournage !!!

La musique

Il y a la musique composée par le grand Amine Bouhafa qui traverse tout le film. On ne voulait pas une musique de comédie. Tout ce que le personnage de Mehdi n’arrivait pas à dire devait s’exprimer par cette musique. Une musique qui n’illustre pas. Une musique narrative. Il y a aussi de la musique populaire algérienne. Dans le bar de Souhila, on entend Cheb Hasni, qui était oranais et a été assassiné en 1994, à vingt-six ans, pendant la décennie noire en Algérie. On a aussi des morceaux de la nouvelle génération du raï, comme Cheb Bello et Chebba Chinou ainsi que le rappeur algérien Tif. Toutes les musiques dialoguent avec la question algérienne jusqu’au morceau final qu’on a fait pour le film et qui réunit dans ce duo l’arabe et le français.

Propos recueillis lors du 47e Cinemed à Montpellier par Annie Gava

Lire ICI la critique du film

La Condition : Tout peut –il recommencer ?

0
La Condition (C)Diaphana

L’amour parcourt les films de Jérôme Bonnell qui en explore toutes les facettes, de l’enfance à l’âge adulte depuis Le Chignon d’Olga (2002) jusqu’à sa série prévue pour 2026, Un jour on fera l’amour. Son nouveau film, La condition, qui avait pour titre au départ Tout recommencera, ne fait pas exception. Mais c’est la première fois que le cinéaste s’attelle à une adaptation : celle d’un roman de Léonor de Récondo, Amours (sic !) dont l’histoire se déroule au début du XXe siècle. Un film en costumes donc mais au thème très actuel, la situation des femmes face au patriarcat.

Mois d’avril 1908. Une grande maison bourgeoise. Une jeune femme qu’on habille, qu’on corsette ; c’est Victoire, (Louise Chevillotte, que Jérôme Bonnell avait déjà fait tourner dans Les hautes herbes) femme d’André (Swann Arlaud) un notaire, qui semble sûr de lui, imbu de sa personne mais au fond sous l’emprise de sa mère (Incroyable Emmanuelle Devos, méconnaissable). Alitée, ne parlant plus, véritable tyran, elle maltraite les employées de maison et sa bru.’ « C’est la méchanceté qui coule dans tes veines » lui jettera un jour un fils, excédé et que la frustration rend violent. Les deux époux font chambre à part et en bon patron, André s’occupe de la bonne, Céleste (Galatéa Bellugi  vue récemment dans L’Engloutie de Louise Hémon ) A la suite de ses assauts, Céleste se retrouve enceinte et n’a pas son mot à dire. Bien entendu, craignant de se faire renvoyer, elle cache sa grossesse durant six mois ; il est donc trop tard pour « faire passer » l’enfant. Victoire n’a sans doute pas eu son mot à dire non plus, avant d’être mariée à André et les rapports avec son mari ne leur ont pas donné d’héritier. Une solution est trouvée : Céleste ne sera pas renvoyée, mettra au monde l’enfant qui deviendra le fils des maitres. Cet arrangement, inhumain, terrible pour Céleste, va peu à peu rapprocher les deux « mères » : En secret, elles s’occupent ensemble du bébé ; leurs corps se rapprochent, faisant naitre une grande tendresse entre ces deux femmes que leur condition sociale opposait, maitresse et servante, et leur révélant peu à peu leur désir.. Tout peut –il recommencer ?

Dans une mise en scène classique, sobre et fluide, des décors très soignés conçus par la cheffe décoratrice, Catherine Jarrier-Prieur, La Condition traite à la fois les rapports sociaux, dominant –dominé, les rapports imposés aux femmes par le patriarcat et le tabou de l’homosexualité. La caméra de Pascal Lagriffoul a su saisir les émotions des deux femmes superbement interprétées, filmant avec délicatesse les visages et les corps qui se découvrent. Quant à Swann Arlaud, il incarne avec justesse cet homme dont on découvrira le secret.

Annie Gava

La Condition sort en salles le 10 décembre

© Diaphana

[PRIMED] La promesse d’Imane

0

Nadia Zouaoui a commencé à échanger avec Imane Chibane en 2015, après le meurtre de Razika Cherif dans la petite ville algérienne de Magra : un automobiliste furieux que Razika ait refusé ses avances, lui roule dessus à deux reprises. Le coupable n’est pas un déséquilibré, c’est même un très gentil garçon selon ses voisins. Il est le symptôme et le produit d’une société malade, le fils d’un pays qui n’aime pas les femmes, et les considère comme des mineures à vie. Imane a 20 ans. Et elle est en colère devant les violences et les injustices faites aux femmes. Telle empêchée d’entrer à l’université et de passer son examen pour une jupe trop courte, telle déboutée par la police complice de son harceleur, telle battue pour avoir fait un jogging avant la rupture du jeûne. Des manquements impunis, des brutalités excusées, une banalisation du harcèlement quotidien dans les transports en commun et l’espace public, qu’Imane, consciente du pouvoir des réseaux sociaux, décide de dénoncer systématiquement sur son blog. Architecte de formation, elle devient journaliste et militante. On la trouve morte en 2019 avec son fiancé et deux amies dans un appartement d’Alger, victimes tous quatre d’asphyxie par monoxyde de carbone. Elle a 26 ans.

Imane avait aimé le film de Nadia Zouaoui, Le voyage de Nadia (2006) co-réalisé avec Carmen Garcia, qui évoquait un mariage forcé, et un retour en Kabylie des années après pour voir si les choses avaient changé. Imane et Nadia s’étaient rapprochées et la cinéaste algéro-canadienne s’était engagée à documenter sa lutte.

De guerre jamais lasse

Ce film cherche à honorer cette promesse à titre posthume, dans la continuité des combats pour les droits des femmes. Pour la faire exister à l’écran, Nadia a peu d’images d’Imane. Deux interviews télévisées. Quelques photos de la jeune femme, c’est tout… Le portrait se fera donc à travers la mémoire de ses amies et de sa cousine Asma sur le chemin de Bejaia où elles doivent se retrouver en souvenir d’Imane. Dans l’émotion, les larmes réprimées, la joie des retrouvailles et des bons souvenirs aussi. Il se complètera avec les témoignages de celles qu’Imane a marquées pour toujours. Ludmila Akkache, documentariste, activiste féministe, Nisma Tigrine enseignante de tamazight, une génération qui continue le combat. La restitution collective proposée ici ne se contente pas de reconstruire le passé. Elle ressuscite Imane dans le présent, l’associe au futur des luttes. Car tous les discours concordent : Imane vit en chacune, leur donne de la force quand elles doivent affronter dans leur quotidien le sexisme, les conduites machistes ou le découragement. Ludmila Akkache parle d’un « burn out féministe » quand elle se dit qu’elle répare des poupées cassées mais ne parvient pas à casser la machine qui les fabrique. Mais a-t-on le droit d’abdiquer ? La présence d’Imane s’affirme à l’écran par la mise en scène de son blog. Nadia Zouaoui affiche ses pages, ses slogans, scénarise les faits divers collectés, montre des manifestations de femmes, et fait entendre les très beaux textes de la blogueuse, dont le dernier adressé à une fille future qu’elle ne connaîtra pas.

C’est un très beau mot « promesse » il recèle l’idée d’engagement, de fidélité, et parie sur l’avenir.

ELISE PADOVANI

Et le cœur ne s’est pas arrêté

0
© Christophe Raynaud de Lage

Tout part d’une rencontre. Lors d’un voyage au Liban en 2021, François Cervantes, Catherine Germain et Xavier Brousse sont invités par le collectif Kahraba pour la création du second volet d’Arletti à l’étranger. Vient ensuite une envie de collaborer, donnant naissance à Et le cœur ne s’est pas arrêté. Dans une maison très ancienne, perdue dans un no man’s land, Younès et Sami vivent chez Tamara. La maison est grande. La guerre est proche. Dirigés par Catherine Germain, Éric Deniaud (Younès) et Aurélien Zouki (Sami) se révèlent dans des personnages clownesques, poétiques et remplis d’humanité. La création aborde le chaos, l’espoir mais aussi la fraternité, et amène chacun·e à trouver sa propre interprétation. Le public est embarqué non pas en simple spectateur, mais avec un véritable rôle à jouer.

Carla Lorang

9 décembre 
Théâtre Joliette, Marseille

Différence et répétition

0
Vanessa Wagner © Marseille Concerts

On n’en revient pas lorsqu’à l’issue du concert, on jette un œil à sa montre. C’est pourtant bien une heure et demie qui s’est écoulée comme un souffle continu, sans jamais peser. Alors que la musique qualifiée de minimaliste ou encore de répétitive n’est pas réputée pour sa capacité à fasciner, elle possède pourtant le pouvoir de suspendre le temps, lorsqu’elle se voit interprétée avec un tel génie.

L’idée de mettre en regard ces deux compositeurs, souvent associés de loin par un certain dépouillement, mais rarement rapprochés avec une telle évidence, s’est révélée lumineuse. Plus cynique, plus dandy, Satie aime jouer avec les codes, les attentes, parfois même la provocation douce des titres absurdes. Un esprit dada avant l’heure, cousin lointain de Duchamp, ou peut-être plus proche de la vivacité d’un Cocteau. Pourtant, Vanessa Wagner n’en retient pas la dérision : elle en révèle la tendresse secrète, la ligne claire, une mélancolie de l’enfance tapie sous l’épure. Les Gnossiennes prennent sous ses doigts un balancement intime, une respiration souple : elles chantent, de même que sa célébrissime première Gymnopédie que l’on a l’impression d’entendre pour la première fois.


L’art de la filiation

Face à cela, Glass aurait pu paraître plus mécanique ou trop frontal. Il n’en est rien. Vanessa Wagner en tire une matière lumineuse, d’une transparence stupéfiante : les couches se superposent comme des voiles, les nuances s’y impriment avec une minutie extrême. De ces Études, qu’elle connaît intimement, la pianiste fait entendre le chant intérieur, la vibration nouvelle qui émerge sous l’infime variation. À force de revenir, les motifs se densifient, s’épaississent, se colorent. Les boucles deviennent obsédantes, mais jamais oppressantes : elles mûrissent, muent, se déplacent dans l’espace sonore.

En bis, avec Dead Things – thème de The Hours –, la pianiste rappelle combien Glass sait superposer les temporalités, comme le film de Stephen Daldry superposait les récits autour d’un même texte. Satie, lui aussi, ne faisait peut-être que cela : ouvrir des chemins parallèles. Différence et répétition ne sont, nous rappelait Deleuze, pas antagonistes, mais solidaires, liées par un même mouvement intérieur. De l’une à l’autre, Vanessa Wagner nous convie à un voyage musical qui, par son intelligence et sa douceur tenaces, réunit deux univers dans un même paysage. 

SUZANNE CANESSA

Le concert a été joué le 30 novembre au foyer de l’Opéra de Marseille dans le cadre de la saison Marseille Concerts

Retrouvez nos articles Musiques ici

[PRIMED] : Achille Lauro- The Terror Cruise

0

C’était un 7 octobre, aussi. En 1985, quatre terroristes du Front de libération de la Palestine s’emparent du bateau de croisière l’Achille Lauro au large du port d’Alexandrie. Ils prennent en otages les 450 passagers de toutes nationalités et contraignent le capitaine à se diriger vers la Syrie. Ils réclament la libération de 50 prisonniers palestiniens détenus par Israël, menaçant d’exécuter à intervalles réguliers leurs otages. Yasser Arafat condamne le détournement et les tractations commencent entre l’Égypte, l’Italie et les États-Unis. Des divergences de stratégie apparaissent. Fort de sa flotte en Méditerranée, Reagan prône une intervention militaire, Bettino Craxi la diplomatie. Refoulé par les Syriens, le commando accepte la reddition négociée par l’Égypte et l’O.L.P.  Son exfiltration sera menée par Abu Abbas, -plus tard considéré comme le cerveau de l’opération. Alors que les preneurs d’otages sont en route pour Port Saïd, et que le président égyptien Moubarak compte les élargir vers la Tunisie, les croisiéristes sont libérés au soulagement général. Mais, on apprend soudain qu’un citoyen juif américain handicapé, Léon klinghoffer, manque à l’appel : abattu et jeté à la mer par un membre du commando.  L’accord est immédiatement remis en cause par les USA ouvrant la voie à une rocambolesque poursuite aérienne et une arrestation des terroristes par les italiens sur l’aéroport sicilien de Sigonella.

The terror cruise

Si l’affaire de l’Achillo Lauro -sans minimiser le traumatisme des otages ni la douleur de la famille de la victime, n’a pas été aussi tragique qu’elle aurait pu l’être, elle a profondément marqué les esprits. Dramatique avec ses unités de temps et de lieu, sa tension, ses rebondissements, digne d’un film d’épouvante, d’un blockbuster hollywoodien ou d’un thriller politique. Cinq ans après, d’ailleurs, Alberto Negrin en fait un téléfilm – Burt Lancaster au casting, Ennio Morricone à la BO, et John Adams lui consacre un opéra. Le documentaire de Simone Manetti, The Terror Cruise, arrive 40 ans après les faits et se garde bien de les romancer. Si la chronologie qu’il suit introduit un suspense auquel le spectateur même averti se laisse happer, le cinéaste table sur la sobriété, la clarté, l’efficacité. Son brillant montage croise, les témoignages des ex-otages, vieillis, saisis sur un plateau faiblement éclairé, ceux de leurs familles, à ceux du capitaine de l’Achille, du pilote d’avion en charge de l’interception finale. On entend l’épouse d’Abu Abbas… ou encore à visage découvert, un des membres du commando Abdellateef Fataier. Il a purgé sa peine en Italie, après sa condamnation. Il est désormais père de famille, retiré dans un endroit secret. Les images des camps de son enfance, du massacre de Sabra et Chatila, de l’enrôlement des enfants palestiniens dans la lutte armée, accompagnent son récit. Rien ne le dédouane mais il vient de là. De cette histoire-là, de cette misère-là, de cette haine-là. Une passagère de l’Achille dira que les terroristes étaient particulièrement gentils avec les enfants, comme s’ils en étaient très proches. Et un peu inconscients, l’un d’eux confiant une grenade à son fils comme jouet.

Les photos et vidéos privées se mêlent aux archives des télés, aux pages des journaux qui couvrent l’actualité à chaud. En multipliant les angles du récit : affects individuels, enjeux historiques, géopolitiques et juridiques, le cinéaste met en évidence la complexité et l’actualité de cet événement -pourtant entré dans l’histoire. Et, c’est passionnant !

ELISE PADOVANI

Au programme du 4 décembre 2025