Entre enquête et récit de soi, c’est en 2023 à Mayotte qu’avait lieu la première de Déplace, un seul en scène qui interroge les identités, porté par les artistes Lenaïg Le Touze et Julie Kretzschmar.
Guadeloupe, Mayotte, Bretagne, Lenaïg Le Touze se balade pendant une heure de lieu en lieu et de culture en culture. La mise en scène simple laisse le public s’interroger : un tas de noix de cocos, un masque et un tuba, des robes traditionnelles, de l’anti-moustique. Le spectacle ne veut pas être une réponse mais un point d’interrogation. Qui est l’autre, qui est-on et comment affirmer son identité ?
De l’une à l’autre
C’est aussi un déplacement dans le temps, entre souvenirs de voyage et mémoire familiale. D’abord touriste en vacances refusant de mettre un habit traditionnel comme un déguisement, puis tante bretonne qui roule les « r » et porte des sabots, Lenaïg Le Touze veut nous embarquer dans ses voyages. Elle s’interroge aussi sur le sens du mot ultra-marin. Ce mot unique qui décrit pourtant une multitude de cultures. Avec ses déplacements, des questions émergent, des rires aussi quand elle mime une plongée sous-marine.
Déplace s’applique non seulement à briser, mais aussi à faire franchir le quatrième mur : le public est invité à danser sur scène, les spectateurs deviennent des villageois bretons luttant contre l’installation d’une centrale nucléaire, des politiques ou des CRS. Déplace ramène finalement tout le monde à Marseille lorsque Lenaïg Le Touze raconte l’histoire d’un mineur non accompagné attaqué de nuit à la gare Saint-Charles. La représentation, qui utilise aussi des vidéos souvenirs de l’actrice pour appuyer son propos sur l’exotisme, se déplace entre conte pour enfants et pamphlet politique, pour un rendu surprenant !
Fumée et lumière tamisée accueillent le public du Grand plateau de la Friche Belle de Mai. Dans Everybody-Knows-What-Tomorrow-Brings-And-We-All-Know-What-Happened-Yesterday, Mohamed Toukabri questionne ironiquement le spectateur sur ce qu’il comprend. Plus encore, il lui propose d’expérimenter sans comprendre. De l’anglais, du français et de l’arabe sont projetés derrière le danseur, des phrases qui se présentent elles-mêmes comme inutiles pour comprendre ce corps qui danse devant nous. La traduction est vue comme une perte de sens. Le mouvement devient une solution pour tout montrer, « pour raconter une histoire » qui semble intraduisible.
Pourtant, la danse est accusée d’avoir colonisée les corps. Mohamed Toukabri montre comment il va contre. Contre les mots et les choses. Contre les règles. Pris dans une chorégraphie torturée et répétitive, l’artiste tunisien et belge se transforme. Entre musique électronique dissonante et voix parlée, entre hip hop, classique et contemporain, il ne faut pas tenter de démêler les fils. Tout est lié dans une sorte de ronde infernale.
L’artiste prend plusieurs formes : d’homme rigidifié, sa danse va vers la douceur entre classique, break et voguing. Une douceur étrange lorsque l’artiste danse le visage emprisonné dans son tee-shirt. Il se transforme ensuite en créature féline. Nouvelle métamorphose. Mohamed Toukabri revient sur scène cagoule à paillettes et capuche sur la tête. Une veste aux épaules larges et il est comme une allégorie du hip-hop sur scène, appuyé par les voix de Krs One ou Disiz en arrière-fond. Et quand la fin arrive, on hésite avant d’applaudir, sans savoir si le spectacle est terminé. La voix en arrière fond avait prévenu : la performance est « un jeu » où le spectateur ne connaît pas les règles.
D’abord, il y a les enfants. Petits, de 7 à 12 ans. Dans un cabaret hyper brechtien – face public, en chœur parlé-chanté dont se détachent tour à tour quelques voix – ils jouent comme il se doit un prologue. Celui-ci résume La Mère, celle du roman de Gorki (1907), adapté pour la scène par Brecht en 1931. Qui a étiré le trajet du personnage jusqu’à la révolution bolchévique de 1917 (avec Hans Eisler à la musique). Pièce adaptée ensuite collectivement par la compagnie Organon et quelques auteurs en 2025 (Vincent Beer Demander et son orchestre à plectre à la musique). Un projet qui se démultiplie vers un infini de parenthèses, de prolongements, de collectif(s) et de rencontres.
Les petits du prologue sont incroyables. Le public, sur la scène, les entoure, les applaudit, avant de rejoindre ses sièges et de changer de point de vue. Place aux autres, aux adultes, aux mères, aux ados, qui vont retracer l’histoire en remontant le temps, de 1917 et l’aboutissement révolutionnaire, à 1905 et son « Dimanche rouge ».
Distanciation réinventée
Place aussi à la musique, si essentielle à la dramaturgie brechtienne, porteuse de son concept de distanciation : comme à l’opéra, il s’agit de s’adresser directement au public, pas pour dérouler ses états d’âme, mais pour remettre en cause la violence capitaliste. Vincent Beer Demander invente des Songs magnifiquement orchestrées pour son ensemble de 38 musiciens de toutes générations qui sonne mambo, guinguette ou impressionniste selon les couleurs de l’intrigue.
Dans cette version 2025, Pélagie Vlassova est incarnée par des habitantes (et un habitant) de la Belle de Mai, partageant avec elle les problématiques de la pauvreté extrême et du manque d’instruction. Mais surtout : révoltée de ne pouvoir nourrir correctement son enfant, et de craindre pour lui la violence institutionnelle.
Une révolte qui est à proprement parler collectiviste : la vitalité et l’extrême implication physique, énergique, de l’ensemble des générations permet de danser ensemble (Aurélien Desclozeaux à la chorégraphie), chanter et jouer ensemble. Ou seul·e, remarquablement, porté par les autres.
Thérapeutique sociale
Un théâtre qui permet aussi de parler, comme à travers un miroir, du miracle de cet art qui soigne celleux qui le pratiquent autant que celleux qui le reçoivent. Comme la politique sauve les mères du repli identitaire, les fait sortir de leur « cuisine » et prendre part au combat commun, qui commence par celui pour leur enfant, mais ne s’y arrête pas.
Brecht, dans son Petit organon pour le théâtre (1948), expliquera que le théâtre, « à la frontière de la politique et de l’esthétique », doit distordre le réel pour le représenter, non par l’imitation, la mimésis, mais par un décalage inattendu entre le personnage et le corps qui le représente. Organon met en œuvre ce principe, sur une scène partagée, avec des corps décalés par leur histoire, mais proche de l’intrigue par leur vécu.
Républicaine, Mercè Rodoreda (1908-1983) avait fui l’Espagne à la prise de pouvoir par Franco. Son exil dura jusqu’à la mort du dictateur. Depuis son refuge suisse, son pays lui manquait et ses souvenirs ont donné le thème de son roman, paru en 1967. Le cadre : en Catalogne dans une superbe villa sur la mer dans son immense jardin, proche de Barcelone. Le narrateur : un vieux jardinier. L’autrice semble avoir voulu évoquer à travers lui son grand-père qui l’avait initiée à l’amour des fleurs et de la nature dans son enfance.
Ce jardinier est témoin de la vie privée de ses nouveaux employeurs, un jeune couple, et de leurs invités qui se retrouvent en été pour nager, jouer aux cartes, organiser des soirées festives dans le luxe et l’oisiveté. Pendant leur service, les employés observent, saisissent des bribes de conversation des gestes, et les interprètent. Le jardinier, discret, devient parfois confident ; on le visite volontiers, on lui demande son avis – qu’il ne donne pas. Seul dans sa petite maison, il vit avec le souvenir de sa très jeune femme décédée trop tôt et se consacre aux graines, aux fleurs et aux arbres du jardin.
Ça se craquelle
La propriété voisine est rachetée par un homme très riche pour y installer sa fille nouvellement mariée à un homme très grand, très maigre, parfois ténébreux, qui part très souvent en barque, très loin, seul. Il rend aussi souvent visite au narrateur qui l’accueille avec bienveillance. Certains indices, quelques recoupements suggèrent que cet homme et la voisinese sont connus autrefois. Tout reste dans le secret, les non-dits. Avec beaucoup de délicatesse, Mercè Rodoreda avance dans son récit comme on se promène dans les allées du jardin. Les personnages prennent de l’épaisseur au fur et à mesure des rencontres estivales et nous émeuvent.
CHRIS BOURGUE
Le jardin sur la mer de Mercè Rodoreda Traduit du catalan par Edmond Raillard Zulma - 21,50 €
Wildproject est une maison d’édition indépendante basée à Marseille qui se consacre depuis 2008 à l’écologie sous des angles philosophiques, politiques et pratiques. Journal d’un paysan fait partie de sa collection Littératures, dans laquelle « la terre se raconte ».
Jean-Noël Falcou y expose la réalité du métier de paysan aujourd’hui : entre travail sur les parcelles, tâches administratives devant l’ordinateur, gestion des relations avec les collaborateurs, partenaires et voisins, participation à des salons et moments de rencontres entre acteurs de la filière. Le but de l’auteur est de « parler d’agriculture et d’écologie »à partir de l’exemple de son quotidien « afin que l’on connaisse le métier de paysan. »
Auparavant instituteur, Jean-Noël Falcou décide de se reconvertir dans l’agriculture en 2004, à une époque où les informations et les fournisseurs bio restent rares. Son implantation en bio relevait pour lui à la fois d’un acte militant et d’une évidence. Il choisit de s’investir dans la plantation du bigaradier (ou oranger amer), culture traditionnelle du pays grassois utilisée aussi bien dans la parfumerie pour son huile essentielle que dans la pâtisserie pour son eau de fleur d’oranger.
L’auteur trace un portrait honnête et poétique de sa vie quotidienne, entre tracas et déboires, petites joies et grande fatigue. À travers ces pages se dégage l’image d’un homme passionné, travailleur à l’excès, assistant souvent impuissant aux conséquences du bouleversement climatique. Ce récit souligne également l’importance de la solidarité paysanne et de l’entraide en milieu rural, que ce soit au travers du troc, des coups de main donnés en urgence ou du soutien moral lorsque certains n’y arrivent plus. L’auteur en fait part avec pudeur et dignité, dans une langue précise et sensible.
Pour le lancement de sa 30e édition, le Festival de Marseille s’est associé au Badaboum Théâtre pour relever un défi de taille : donner une place aux enfants dans l’espace public. Et, par la même occasion, une voix dans la vie citoyenne. C’est ainsi qu’est née Manifête, une manifestation grandeur nature mobilisant 400 enfants, soit 15 classes d’école primaire et de collège, et chorégraphiée par Marina Gomes.
L’impressionnant cortège s’est rassemblé à 10h30 devant la place Charles-de-Gaulle, armé de banderoles et de pancartes colorées, créées par les enfants avec la scénographe Alice Ruffini. Une fois en place, au signal des danseur·euses de la compagnie Hylel qui les accompagnent, les jeunes manifestants se lancent dans une chorégraphie aux airs de préparation au combat. Puis ils se mettent en marche. La musique très solennelle du début est remplacée par une batucada, et la chorégraphie devient elle aussi plus festive. À plusieurs moments, le cortège s’interrompt pour entonner les slogans préparés en amont avec le Badaboum Théâtre. Ceux-ci s’attaquent à une variété de sujets importants pour ces jeunes citoyens, allant de l’amour qu’ils portent à leur mère, au racisme – « Les kebabs c’est incroyable, le racisme c’est pitoyable » –, l’écologie, le mal-logement ou encore la guerre. Une preuve, pour quiconque en doutait, de la connexion des enfants aux questions d’actualité.
Apothéose
La déambulation prend fin sur les marches de la place Villeneuve-Bargemon, à côté de la mairie, avec une chorégraphie finale interprétée par une partie des apprentis manifestants – les autres classes, en retrait, gardent les banderoles. Cette chorégraphie reprend pour beaucoup les mouvements de celle du début de défilé, mais dans une ambiance plus festive, sur une musique bien plus entrainante qui « rappelleles instrus de Jul » comme l’indiquait Marina Gomes la semaine dernière à Zébuline.
Le public, composé des familles ou de nombreux passants intrigués, est conquis par cette démonstration de force, de joie et de détermination. Après cette apothéose dansée, une délégation d’enfants est appelée à se présenter devant les élus de la Ville pour leur remettre la liste de leurs revendications, dont la plus importante est sans doute la nécessité de respecter leurs droits.
CHLOÉ MACAIRE
La Manifête a eu lieu sur le Vieux-Port le 12 juin en ouverture du Festival de Marseille.
Dès l’apparition d’un danseur solitaire, tournoyant lentement sous une douche de lumière quasi fantomatique, La Nuée de Nacera Belaza installe son vocabulaire : celui de la répétition, de l’effacement des visages, de la fusion du corps et de l’espace. Le violon et les percussions traditionnelles se répondent, tandis que le mouvement se densifie. La lumière clignote, scande, réoriente la perception. On devine plus qu’on ne voit : l’effacement devient langage.
La deuxième partie ouvre l’espace à une dizaine de danseurs, disposés autour de la lumière, bras ouverts, semblable à une forme de procession. Le cercle s’impose comme loi organique. Par vagues, les corps s’assoient, se relèvent, se figent, dans une gravitation constante autour de ce centre incandescent. La lumière, personnage à part entière, devient totem, guide, tension dramatique.
Chaque tableau semble relancer un cycle : répétition de scènes, réapparition de motifs, crescendo sonore où tambours, cris et silences s’enchaînent sans linéarité. Un danseur saute sur place au cœur de la lumière, comme possédé. Les autres, à genoux autour de lui, incarnent une forme de communauté aux allures mystiques. La sensation est forte : d’un rituel ancestral ou à la manifestation d’une secte spectrale.
Belaza donne à voir un monde où le geste ne raconte pas, mais invoque. Le rythme, les ellipses, les ruptures plongent le spectateur dans un état de transe mimétique. Le noir, les halos faibles, les éclats aveuglants dessinent un espace mouvant, poreux, sans repère net. Les danseurs surgissent de tous les coins de la scène, parfois seuls, parfois en attroupement, comme étant des âmes errantes parfaitement coordonnées.
Dans le final les corps entrent, sortent, tournent à l’unisson, emportés par les bruits de cris et une lumière grandissante qui finit par engloutir la salle. On ne sort pas indemne de cette traversée. La Nuée n’illustre rien, mais imprime un monde. Celui d’un collectif régi par la loi du cercle, où chaque geste semble convoquer l’invisible.
« Au départ, la curiosité était mon principal motif. La surprise, le choc et la stupeur ont pris le relais. Puis la rage m’a portée jusqu’au bout. » Voilà comment dans la préface Jane Evelyn Atwoodexplique le point de départ de son travail, qui l’a emmenée pendant 10 ans, de 1989 à 1999, dans quarante prisons, des États-Unis, d’Europe, de Russie et jusqu’en Inde. Elle y a rencontré des centaines de femmes emprisonnées, dont elle a capté l’image à travers l’objectif, et les histoires dans des entretiens qu’elle restitue dans le livre. Il en ressort un ouvrage-manifeste sur l’inhumanité et les inégalités que subissent les femmes dans l’univers carcéral. Ce système construit par les hommes, pour les hommes, dans lequel on envoie des femmes jugées par des hommes, qui ont très souvent commis leurs délits à cause des hommes.
Car il y a dans les témoignages recueillis par Jane Evelyn Atwood un constat sans appel. Presque toutes les femmes emprisonnées le sont à cause du comportement des hommes. Celles qui se sont laissées embarquer dans un braquage sans le savoir ; celles qui sont utilisées comme « mules » ; celles qui se défendent, ou défendent leurs enfants, d’un mari violent.
C’est le cas de Frances – tous les prénoms ont été modifiés par l’autrice – qui a subi le comportement d’un mari ultra-violent pendant 24 ans. Elle « obtient » le divorce, mais le cauchemar n’est pas terminé. Il la suit, elle se planque, les lettres de menace pleuvent, il lui tombe dessus, l’étrangle, lui défonce les côtes à coup de pieds. Ses multiples tentatives d’alerter la police ne changent rien, alors un ami à elle souhaite prendre les choses en mains et lui régler son compte. Elle l’accompagne, non armée, mais son ex-mari lui tire dessus, son ami riposte et tue l’ex-mari. La juge retient le meurtre par préméditation, elle est condamnée à la perpétuité.
Il y a aussi Bonnie, surnommée la « femme qui aimait les couteaux ». Quand Jane souhaite la rencontrer, on lui dit qu’elle est « trop dangereuse », alors un entretien spécial est préparé. Elle est enchaînée – pieds, poings et taille – au point d’être courbée sous tout ce poids. La photographe voit une gamine d’à peine 20 ans. Elle lui raconte son crime : violée par son beau-père à de multiples reprises, elle n’a trouvé qu’un couteau pour se libérer de lui, lors d’un énième viol.
Beaucoup de témoignages mettent aussi en avant l’inégalité que subissent les femmes devant la justice, « puisqu’on ne pardonne pas aux femmes d’avoir commis un crime », expliquait Jane lors d’une rencontre à la librairie Maupetit (Marseille) le 11 juin dernier. Ainsi, à délit égal, elles sont souvent plus lourdement condamnées que les hommes. Aux États-Unis, les hommes pouvaient souvent négocier leurs peines, les femmes moins. Les avocats commis d’office leur proposaient de plaider non coupable « puisqu’une femme ne sera pas envoyée en prison » : la peine était encore plus lourde.
Tout est noir et blanc
Il y a les mots, et les photos. Le livre s’ouvre sur les murs des prisons qui ne laissent entrevoir le ciel qu’à la dérobée. Des portraits aussi, de femmes souvent barrées par l’ombre des cellules. La photographe parvient à capter des moments intimes. Une cigarette fumée par une détenue dans sa cellule, une scène de bain collectif dans le sauna d’une prison russe. Pour toutes ces photos Jane a obtenu l’accord de ces femmes. Un accord pas facile à obtenir tant il est honteux pour elles d’être emprisonnées : c’est la double peine.
Mais ces photos ont aussi permis de faire bouger certaines lignes. C’est le cas de celle prise en 1993 en Alaska, où une prisonnière, le visage grimaçant de douleur, est sur le point d’accoucher, mais toujours les mains liées par des menottes. Cette photo sera utilisée par Amnesty international pour une campagne de lutte contre cette pratique, et elle sera interdite aux États-Unis et en Angleterre en 1997. Pour autant, les différences de traitements entre les hommes et les femmes dans le système carcéral restent profondément inégales [lire ici], et l’intérêt de ce livre paraît aussi essentiel qu’en 2000 lors de sa première édition. Dans une lettre envoyé à Jane, une détenue écrit : « Il y aaprès un passage [en prison], quelque chose de gluant qui reste… comme une malédiction, un mal sournois. » La lecture de ce livre, lui, laisse un goût de révolte nécessaire.
Une photographe à la pose longue
Franco-américaine, Jane Evelyn Atwood s’est distinguée pour ses projets photographiques documentaires et au long cours, s’intéressant aux marges, à ceux qu’on ne regarde pas. Outre son travail long d’une décennie sur les femmes en prison, elle a aussi suivi le milieu de la prostitution à Paris (Pigalle People, ed. Bec en l’air ; Rue des Lombard ed. X. Barral). Exposée et reconnue dans le monde entier, elle a reçu de nombreux prix : Prix W. Eugene Smith en 1980, prix Kodak de la critique photographique en 1984 ou encore le prix Oskar-Barnack en 1997.
Femmes en prison : les inégalités perdurent 25 ans après la première édition du livre de Jane Evelyn Atwood, les conditions d’incarcération des femmes en France restent très défaillantes
Accès aux soins, isolement, discriminations de genre… si les femmes ne représentent que 3% de la population carcérale en France, elles en sont aussi les grandes oubliées. Non pas que les hommes soient particulièrement bien lotis, mais les femmes connaissent les mêmes problèmes qu’eux, et d’autres encore.
Il y a par exemple l’isolement. En France, les prisons qui accueillent des femmes sont très inégalement réparties sur le territoire, la plupart dans la moitié Nord de la France. Loin de leur famille, les femmes sont plus isolées que le reste des détenus, et leurs parloirs sont fréquemment vides.
Peu d’établissements qui accueillent des femmes, et seuls deux leur sont dédiés. Aussi, la non-mixité de rigueur en prison – qui est la pratique, non la loi – discrimine les femmes pour toutes les activités proposées en détention. Et quand elles y ont accès, elles sont souvent stéréotypées : un article de l’Observatoire international des prisons (OIP) nous apprend que la majorité des formations professionnelles proposées aux femmes sont liées à la cuisine et aux métiers de l’entretien…
Une autre étude du même Observatoire intitulée « Liberté de se vêtir : un droit remisé au placard », explique comment la notion de « décence » vestimentaire, à la discrétion du personnel pénitentiaire, est bien plus strictement appliquée aux femmes qu’aux hommes :« Les détenues doivent la plupart du temps se couvrir les épaules, les genoux, voire les mollets. »
À lire sur le site de l’OIP également : les problèmes liés à la précarité menstruelle, à l’accès à la contraception, au suivi médical des détenues enceintes… la liste des défaillances est encore longue.
Audiovisocial, laboratoire de films collectifs, propose à Vaugines, un village entre Lourmarin et Cucuron, la 2e édition des Rencontres du film collectif, rassemblant cinéastes, musiciens, artistes. Trois jours de projections, ateliers, rencontres et moments festifs. Pour démarrer, vendredi 27, un ciné-concert, Fêtes et traditions en Provence de Claude Bossion avec musique d’AhmadCompaoré.
Au programme, des courts métrages issus d’ateliers menés par des collectifs venus du Pérou, d’Espagne et du Sud de la France et, samedi 28,un long métrage , Braquer Poitiers, film collectif de Claude Schmitz dont Alain Guiraudie parlait ainsi : « Braquer Poitiers, c’est super, il y a un ton que j’adore. C’est très drôle, l’histoire de deux branleurs qui enlèvent un mec et qui tissent finalement une amitié avec lui. On est dans du polar très soft, avec un humour pince-sans-rire. » Il y a aussi des ateliers variés, un marathon de création documentaire et, bien sûr de quoi se restaurer.
Ce n’était pas un simple défilé, mais une prise de parole visuelle et collective. Les 23 élèves du Studio Lausié, une des premières écoles de mode écoresponsable en France, ont dévoilé cinq silhouettes chacun. Ce sont 115 tenues pensées et conçues en neuf mois à partir de matières 100 % upcyclées qui ont été dévoilées. Filets de pêche, peluches d’enfance, morceaux de carrosserie ou encore miroirs brisés ont ainsi trouvé une nouvelle vie dans des créations étonnamment cohérentes.
Portées par des thèmes puissants –l’enfance, l’héritage ou encore l’industrie – les collections témoignent d’une approche radicalement nouvelle : celle d’une mode qui parle, interroge et transforme. « Ce défilé n’est pas une vitrine, c’est un manifeste », affirme Marion Lopez, fondatrice du Studio Lausié et co-initiatrice de la Slow Fashion Week. « Il incarne une autre manière d’apprendre, de créer et de produire ».
La scénographie, divisée en trois actes, culmine sur une séquence finale émoouvante portée par Samouraï, de l’artiste marseillais Shurik’n. Un hommage appuyé à la ville, mais aussi à la résilience et à la combativité de cette nouvelle génération de créateurs face aux enjeux de demain.
Depuis sa création en 2021, le Studio Lausié défend une pédagogie alternative, fondée sur la responsabilité environnementale. Ici, on apprend à faire avec ce que l’on a. Les élèves se fournissent en ressourceries, dans la rue ou dans les greniers familiaux pour donner naissance à des pièces uniques.
Chaque collection est le reflet d’un univers intime, mais aussi d’une volonté de proposer un futur désirable pour la mode. « Nos élèves apprennent à faire du neuf avec de l’ancien, du vécu, du chargé d’émotion. Leurs pièces racontent des histoires», souligne Marion Lopez. Et le résultat est là : des silhouettes fortes, singulières, bien loin de la fast fashion.
Soutenu par la Ville de Marseille, ce défilé clôture avec brio la première Slow Fashion Week de France,. Durant plusieurs jours, conférences, expositions et échanges ont mis à l’honneur une mode joyeuse, inclusive et responsable. « Marseille devient le laboratoire d’une mode possible », conclut Marion Lopez. Pour elle, ses élèves mais aussi le maire de la ville, une chose est sûre : Marseille est la nouvelle capitale de la mode écoresponsable. Avec Studio Lausié, l’avenir de la création textile semble entre de bonnes mains – engagées, sensibles, et surtout visionnaires.