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« Agis dans ton lieu et pense avec le monde »

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Patrick Chamoiseau © Samia Chabani

Diasporik. Comment sortir du récit européocentré du monde et de la tentation de repli ?
Patrick Chamoiseau.
Plusieurs nécessités s’imposent à nous pour sauvegarder l’entité Monde, avec tout le vivant, Gaïa. Les dominations capitalistes et racistes demeurent et l’alternative commence par assainir le récit du monde. Nos enfants vivent à l’échelle du monde, nous devons en raconter la multitude. 

Il faut mobiliser la pensée de l’humaine condition avec le vivant, l’Homme nouveau comme l’a théorisé Frantz Fanon. Il a montré à partir de son expérience psychiatrique dans l’Algérie coloniale, que dans son rapport au colon le colonisé vit une situation aliénante. Exclu de toutes les institutions sociales et coupé de son passé historique, il évolue dans un monde dichotomique : aux Blancs qui symbolisent la civilisation s’opposent les Noirs, incarnation du désordre et du mal. 

Il ne faut pas seulement renverser la domination, mais mettre à distance la prégnance de l’identité, les phénotypes, nourries par l’héritage colonial et esclavagiste puis chevauchées par le capitalisme… La survalorisation des fermetures identitaires auxquelles nous assistons réactive « les communautés archaïques », fantasmées sur la pureté de la « race » et l’autochtonie alors que la pensée de Glissant nous invite à choisir quelle est notre terre natale.

Ainsi, la lutte se fait principalement dans les imaginaires et l’énonciation, ce qui éclaire l’importance de politiques culturelles pour percevoir la multitude du monde. On s’aperçoit combien dès l’enfance, il y a une influence des œuvres artistiques et littéraires sur l’imaginaire sans que l’on en ait pour autant une connaissance parfaite. Dans Écrire en pays dominé, je considère que je suis un guerrier de l’imaginaire. Mon problème, c’est de pouvoir changer l’imaginaire, non d’effectuer un travail politique. Vouloir être indépendant alors qu’on n’a pas compris le monde, ce serait la pire des catastrophes. Vouloir être indépendant alors que l’on a un imaginaire dominé peut faire craindre le pire. Il faut permettre à chaque enfant d’être en contact à la diversalité du monde.

Vous dites être un créole américain, quels sont les en-communs de cette appartenance ?
Naitre dans la diversité est une alchimie complexe qui peut générer des tentations identitaires de « retour ». Mais je nais au moment où le monde contemporain apparaît. Je suis le résultat d’un processus composite de créolisation, car en-dessous du discours dominant, colonial, je nais dans la créolité héritée du système plantationnaire des Amériques. Je suis un créole américain, je ne suis plus un africain. Avec une conscience monde immédiate faite de tous les langages, les parlers.

De la créolisation émerge un nouveau monde qui nous indique qu’aucune civilisation ne sait faite ex nihilo. Toutes les cultures et civilisations sont créoles, mais dans une temporalité beaucoup plus large et diffuse qu’elle a pu être dans le système plantationnaire où elle a été contrainte et violente.

Comment expliquer l’échec des décolonisations ?
Les jeunes nations ont reproduit toute la formation identitaire États-Nationalistes, en pensant que les indépendances allaient résoudre le problème d’emprise sur le monde de la société occidentale. Dans les faits, la domination s’est poursuive. Les gens ont cru que les décolonisations allaient mener à l’émancipation car ils n’ont pas vu que la globalisation économique et l’économie de marché lui chevauchait le pas. De mon point de vue, lire Fanon seulement sous l’angle de la proto-colonisation n’est pas très intéressant. Par contre le Fanon de la « relation » comprend que nous pouvons effectuer une seconde naissance, et choisir notre terre natale. Par l’engagement qui est le sien et à partir de son expérience fondatrice de la guerre d’Algérie et du projet insurrectionnel, il dessine les contours d’une géopoétique algérienne et entreprend sa désaliénation. Fanon naît martiniquais, quitte la Martinique, s’en va dans la matière du monde et il renaît algérien où il adopte le Nous algérien qui devient déterminant ! Cela illustre que tous les devenirs minoritaires sont les nôtres mais ils sont également transitoires ! 

Comment promouvoir cette pensée de la relation face aux fièvres identitaires ?
Je reconnais que cette complexité de la relation n’est pas très mobilisatrice mais il nous faut la comprendre et rien de ce qui est humain ne nous est étranger. Edgar Morin l’a bien compris : « Le trésor de la diversité humaine c’est l’unité humaine mais le trésor de l’unité humaine c’est la diversité humaine ». Ainsi, la diversalité n’est ni l’universel occidental ni les particularismes. 

Édouard Glissant est un penseur de la complexité. Son esthétique du Tout-monde met en relation la politique, la philosophie et la poésie. Avec ce concept, il questionne la créolisation globale du monde. Dynamique récente, généralisée et accélérée en proie au phénomène de mondialisation. Naître en Créolité, c’est la condition composite de tous les Marseillais·e·s. Mais le fait colonial a survalorisé la question de l’identité, comme source de civilisation (une langue, un territoire, des phénotypes..). L’enjeu des nouvelles politiques culturelles est d’interroger la domination du récit occidental.

Comment vous positionnez-vous face au contre-discours décolonial ?

Évacuer tous les vestiges coloniaux qui se terrent dans les imaginaires est long et fastidieux donc le contre-discours décolonial peut devenir inefficace, tout en restant dans la galaxie du discours dominant. Le processus de créolisation se distingue du processus décolonial car il est conscient du problème de la domination invisible du capitalisme. 

La république une et indivisible nie l’histoire des peuples. L’entremêlement de la multitude des récits reste complexe, mais cette complexité est la seule voie possible : les histoires nationales ne donnent qu’une seule possibilité aux peuples comme aux individus. Nos imaginaires sont dominés par l’individualisme, le capitalisme, la face sombre de l’humain… Un récit capitaliste qui a réussi à chevaucher le récit identitariste nationaliste.

Pour vouloir exister, il faut appréhender sa propre existence et définir son rapport au monde, et cela n’est pas évident, nous ne savons pas  comment comprendre les identités, les cultures et les espaces composites. 

La voie de l’émancipation se dessine dans notre manière d’être présent au monde, dans une forme de mobilité, d’émancipation globale qui transmet aux enfants la diversité du monde. C’est ce que développe Achille Mbembe qui propose une lecture de Fanon sous l’angle de « L’éthique du passant », idée selon laquelle un être humain pourrait se définir autrement que par les accidents que sont la naissance, la nationalité ou la citoyenneté. Achille Mbembe défend l’idée que les crises humanitaires sont causées entre autres par « une inégale distribution des capacités de mobilité » et par le fait que la circulation représente la seule chance de survie pour beaucoup de personnes. 

ENTRETIEN REALISE PAR SAMIA CHABANI
à la Friche La Belle de Mai, dans le cadre du Festival La 1ère 

Simón de la montaña, en avant-première à Marseille

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@20/20

Un film dérangeant, à la croisée des genres, sur la jeunesse, ses désirs, ses prises de risque. Un regard singulier sur le handicap, la norme et le hors-norme. Et comme l’a promis Ava Cahen, Déléguée générale de la Sélection cannoise, avant la projection, « une expérience immersive » nous téléportant, dès le prologue, dans l’austère Cordillère des Andes, perdus avec un groupe d’adolescents et jeunes adultes neuro-atypiques, au cœur d’une violente tempête qui gronde et hurle, bouscule les corps, brouille les réseaux et floute l’image de poussière. C’est de cette errance, hautement métaphorique, et de ce trouble que va surgir la figure du protagoniste, Simón que la caméra portée ne lâchera plus guère.

Simón a 22 ans. Il vit, entre sa mère lasse et son beau-père déménageur qu’il aide dans ses tournées. Son domicile se trouve près d’un Centre de jour pour jeunes déficients mentaux, qu’il cherche à intégrer bien que n’ayant aucun trouble cognitif.

Ses motivations demeureront ambiguës. Serait-ce pour rompre sa solitude dans ce coin déshérité du pays sans véritable horizon ? Serait-ce pour se choisir une famille quand la sienne ne lui convient pas ? Serait-ce pour obtenir le certificat d’handicap qui assure une allocation mensuelle et des avantages financiers ? Serait-ce par transgression ou perversion ? Pour jouer avec le feu et tenter d’exister en devenant ce qu’il feint d’être ? Toutes les pistes sont ouvertes par le scénario sans qu’aucune ne soit privilégiée. La complexité du personnage admirablement interprété par Lorenzo Ferro dont le visage se déforme à volonté, est au diapason d’un film funambule. Entre le jeu et la vie. Au Centre, on répète Roméo et Juliette mais l’actrice est vraiment amoureuse de son partenaire. Colo, une jeune handicapée, aime Simon mais ce dernier joue-t-il avec elle ? Se joue-t-il d’elle ? Jamais il n’abusera d’elle malgré les propositions de la jeune fille, restant maître de son rôle, dans les situations limites, mais quels sont ses sentiments réels ? Dans son enfance, le père de Simon lui faisait lire Hamlet – et Colo va frôler la noyade : ce doute adolescent existentiel et fatal, n’est-il pas un des fils conducteurs du film. Comme l’est, plus tangible, le sonotone que Colo lui offre. Source d’amplification et de distorsion du son – prolongée par les effets de saturation des guitares électriques – la prothèse auditive lui fait percevoir le monde comme ceux auxquels il voudrait ressembler. Malgré son âpreté – qui l’éloigne des comédies bienveillantes du box office à l’instar du récent Un p’tit truc en plus  d’Artus, Simon de la montaña est une ode à la vitalité de la jeunesse qui ne cherche pas à être aimable mais s’affirme par une mise en scène et une écriture cinématographique très inspirées.

ÉLISE PADOVANI

Toujours à la page

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Des livres et des rencontres. Le festival marseillais Oh les beaux jours ! s’est une nouvelle fois distingué par la richesse des échanges qu’il construit. C’était le cas avecColum McCann, auteur irlandais rapidement parti explorer le monde en tant que journaliste, et qui s’est lancé dans une œuvre empathique qui observe les troubles de notre société. Magnifiquement questionné par l’écrivain Christophe Ono-dit-Biot, il nous raconte comment lui sont venus le désir et l’obligation d’écrire l’histoire de James Foley, torturé et décapité par Daech, et de sa rencontre avec sa mère, Diane, qu’il a voulu accompagner au procès de son assassin. Il nous a montré une photo de James en train de lire un de ses livres dans sa prison : ça l’a décidé. Se pose pour lui le problème de ne pas être un voyeur.

Dans un tout autre style, on a été séduit par la lecture que Thomas B. Reverdy a donné de son texte mis en musique par J.P. Nataf. Style rythmé et voix chaleureuse sont au service d’une journée dans un lycée de Bondy : un écrivain doit intervenir dans une classe de français. Un événement vient perturber l’ordinaire, une émeute éclate. L’univers des banlieues avec une note d’espoir.

La place des femmes

On adore retrouver Cécile Coulon, sa simplicité, son naturel, pour une histoire sauvage et intense. Dans son neuvième roman, un jeune guérisseur se rend pour la première fois au chevet d’un jeune malade et prend de la distance avec les enseignements de sa mère. Une histoire sans âge qui plonge au cœur des mystères.

Louée soit Daphné Ticrizenis qui a voulu raconter l’histoire de la littérature des femmes, les difficultés qu’elles ont eu à se faire entendre et qu’on s’est empressé d’oublier ! Deux livres retracent leur histoire du Moyen Âge au XIXe. Le troisième, en préparation, couvrira le XXe siècle et le début du nôtre (attendu pour septembre). Des lectures ont été proposées, accompagnées de musique des mêmes époques interprétées par des élèves du Conservatoire. Au feu, les Lagarde et Michard !

CHRIS BOURGUE

Oh les beaux jours ! s’est tenu du 22 au 26 mai à Marseille.

Le sens de la justice

Parce que la littérature permet encore et toujours d’interroger la société, le festival conviait Joy Sorman et le magistrat-chercheur Denis Salas à une discussion sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, le dimanche 26 mai à la bibliothèque de l’Alcazar. Dans le dernier roman de l’autrice, Le Témoin, un homme abandonne toute sa vie et part dans les entrailles du nouveau palais de justice de Paris pour « vérifier que la justice est juste ». Les observations du protagoniste sont celles réalisées par Joy Sorman durant le long travail documentaire qu’elle a réalisé dans ce même palais de justice, assistant à de nombreux procès sans entrer en contact avec les différentes parties. Selon elle, « un procès, c’est une classe bourgeoise qui juge une classe prolétaire », ce qui est notamment cristallisé par le cérémonial et le langage. Un point de vue qu’appuie Denis Salas pour qui la justice, parce qu’elle est censée exercer une contre-violence, est violente par définition.

CHLOÉ MACAIRE

La Terre à hauteur d’enfant

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Le Zef a organisé, pour la quatrième fois, son temps fort printanier Nature & biens communs, sur le thème de l’eau. Outre une belle variété de balades, lectures, rencontres et ateliers à la Gare Franche ou dans les jardins partagés du Plan d’Aou, la Cie Marizibill donnait à voir son spectacle One (titre provisoire pour planète provisoire), pour les 4 ans et plus. Dans la grande salle du théâtre, pleine à craquer, une bille bleue qui tourne : c’est notre Terre, toute belle et si tentante. Deux panneaux vidéos, des jeux de suspension, tout un bestiaire de papier… Sur un air de saxophone velouté, un banc de poissons s’anime, des papillons s’envolent, quelques pingouins jouent sur la glace. Irrésistiblement, les humains que nous sommes, enfants ou restés jeunes, ont envie de toucher, de manipuler, de jouer. Voire… de bousculer, de démonter pour voir comment ça marche. Sur scène, c’est exactement ce que font les comédiennes, et exactement comme dans la vraie vie, l’histoire s’emballe, à force de la tirer à hue et à dia, la planète ne va plus très bien. Dans les océans, des flacons en plastique flottent, un sachet de supermarché dévore un
poisson. Sur terre, ça chauffe, ça surchauffe, ça carbonise ! Même les étoiles sont éteintes, rien ne va plus. Tout l’art de Cyrille Louge, metteur en scène de Marizibill, est d’amener son jeune public à prendre conscience des conséquences de nos actions, tout en leur donnant les clefs pour comprendre que rien n’est inéluctable. S’il est difficile de revenir en arrière, de redonner à la Terre ses belles couleurs vertes et bleues, sans doute est-il possible de s’abstenir de tout gâcher. Prendre soin, cela s’apprend, et cela s’apprend peut-être ainsi, par la grâce du spectacle vivant, qui ne donne pas de leçons mais transmet l’attention au monde.

GAËLLE CLOAREC

One (titre provisoire pour planète provisoire) a été vu le 23 mai lors d'une représentation scolaire au Zef, Marseille

Les paysages intimes du Mac Arteum

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La grande forme est le deuxième volet du projet Picturalités, qui s’intéresse à toutes les formes et pratiques des artistes du XXIe siècle : peinture, vidéo, installation, photographie… Mais Christiane Courbon, directrice du Mac Arteum, rappelle que « la peinture reste le point de départ ». Et pour cause : « le musée Arteum a été fondé par le peintre Paul Allé et nous sommes à deux pas du pays de Cézanne »

Cette nouvelle exposition s’inscrit dans le partenariat instauré avec l’École d’Art d’Aix-en-Provence depuis deux ans, et avec son professeur de peinture, Jérémie Setton. Il a suggéré aux trois jeunes diplômés choisis, Cédric Caprio, Haeun Jo et Gabriel Siino, de réfléchir à quels artistes de l’histoire récente de la peinture ils souhaiteraient s’associer. Les associations qui rythment les 200 m2 de l’exposition sont d’une éloquence et d’une pertinence rares.

En regards

Le travail de coloriste des formes que propose Gabriel Siino, avec des miniatures en cascade, trouve un écho particulier dans les travaux de Sonia Delaunay, dont les toiles semblent créer le mouvement par une subtile orchestration des contrastes. Changeant de style, Siino choisit un monde monochrome dont l’hypnotique blancheur modelée avec délicatesse, accorde à la toile d’incroyables reliefs. Et semble donner la réplique aux bâtons de ski aux couleurs finement scandées de Cédric Caprio et à la Méditation sur carré blanc de Véra Pagava dont la Nature morte aux poissons vibre d’une dimension métaphysique jouant avec la trinité des plans, des objets et des couleurs.

Si le premier peintre interroge le temps, le deuxième, invite à la contemplation : géométrie irrégulière d’un vitrail dont le bleu se mêle au vert des feuilles des arbres ; ou jette le doute sur les « nouvelles croyances » instituées par les nouvelles technologies vertes dites salvatrices. Puis d’Haeun Jo se déploient des espaces intérieurs dénués de personnage, comme pour souligner les absences. Avec humour la jeune artiste se met en scène en incrustations vidéo, ici funambule, là se relaxant dans une chambre d’étudiante. En regard, les grandes toiles sensibles et puissantes de Damien Cabanes vibrent de leurs juxtapositions de couleurs et de leur capacité à émerger du néant. 

MARYVONNE COLOMBANI

La grand forme
6 juillet
Arteum Museum, Châteauneuf-le-Rouge

Ridicule particule

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GEORGE de Moliere © Anoek Luyten

Clinic Orgasm Society c’est le nom que s’est choisi cette compagnie belge fondée en 2001 à Bruxelles, qui se considère « plutôt comme un laboratoire dont les chercheurs tentent de donner vie à des actes scéniques conçus comme des créatures monstrueuses et délibérément mal recousues ». Et cherche « à effleurer la beauté étrange et absurde, tragique et ridicule, du ballet des gigotements humains pour que le monde ait un sens. » Le Théâtre du Gymnase, pour son dernier spectacle hors les murs de la saison, l’invitait à La Criée, pour sa version de George Dandin ou le Mari confondu de Molière, rebaptisé George de Molière : George Dandin est un riche paysan, qui obtient, contre son argent, un titre de noblesse grâce à un mariage arrangé avec Angélique, fille des Sotenville, nobles désargentés. Mais George Dandin devenu George de la Dandinière va continuer à payer cher sa particule : déconvenues multiples et humiliations nombreuses.

Comédie de l’humiliation

On est accueilli à l’entrée de la salle par des créatures masquées en costume blanc, coiffe végétale et tout un assortiment serré de cloches de pâturages accrochés dans le dos. Sur scène une voiture, des instruments de musique, un abri clos et des panneaux colorés. Ça commence en comédie musicale champêtre, deux jeunes paysannes convoitées par deux bergers, entourés d’une dizaine de moutons aux perruques bouclées, à l’esprit de troupeau et aux bêlements parfaits. Puis George va apparaître, lunettes, dégarni, l’air obtus, rencontrant Lubin, intermédiaire bavard, chevelu et étourdi, lui dévoilant l’intérêt de Clitandre, quinqua relooké jeune, pour Angélique, à la mauvaise foi déterminée.

La comédie de l’humiliation de George de la Dandinière commence, et va suivre son cours et ses péripéties comiques et cruelles, dans des costumes, attitudes, façons de se mouvoir sur scène, et de dire le texte semblant sortir d’un mix de carnaval belge, soirée disco, cabaret burlesque et guignol queer. Le tout se terminant en battle musicale de groupe, amour domestique contre amour libre, équilibre contre désordre, Apollon contre Bacchus. C’est ce dernier qui l’emportera, dans une bacchanale au son amplifié brouillon, puis une dernière et brève apparition de George se dandinant en chantonnant.

MARC VOIRY

Georges de Molière était présenté du 29 mai au 1er juin à La Criée par le Théâtre du Gymnase hors les murs.

L’espace public est peu publique

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Randa Maroufi © X_DR

Les femmes et les hommes ne sont pas présent·e·s dans les mêmes espaces d’une ville : les femmes sont repérables aux sorties d’école, dans les squares et parcs avec les enfants, et en mouvement près des commerces. Les hommes investissent davantage les places centrales, les bancs, les infrastructures de sport, les terrasses de bars et cafés. Les femmes traversent l’espace public, d’un point A à un point B, et les hommes l’occupent et en profitent, en s’y sentant en sécurité.

C’est ce déséquilibre et cette domination que Randa Maroufi met en scène et documente, revendiquant une démarche sociale et politique, et une certaine ambiguïté des images et des  représentations. « Je dis souvent que je fais de la peinture avec des moyens cinématographiques. La photographie est un moyen pour moi de saisir le moment, l’ici et le maintenant.» 

Les Intruses – Les œuvres

À la jonction de deux pratiques et de deux pays, la photographe née en 1987 à Casablanca (Maroc), vit et travaille à Paris, après avoir été diplômée de l’Institut national des Beaux-Arts de Tétouan et de l’École supérieure des Beaux-Arts d’Angers. Croisant une esthétique cinématographique et la photographie grand format, elle interroge les limites des territoires, et les manières avec lesquelles les individus investissent l’espace public, révélant ainsi ce que ces espaces, réels ou symboliques, produisent sur les corps. Ses photographies et images animées examinent les conflits et les questions d’accès et de sécurité dans les espaces publics, par des mises en scènes où les femmes prennent la place qu’occupent habituellement les hommes dans l’espace public. L’artiste invite ainsi les visiteurs à s’interroger sur la nature et le contenu de l’image qu’ils voient, mais également sur leur propre perception de cette situation d’inversion.

SAMIA CHABANI

Les Intruses
Jusqu’au 22 juin
Vernissage le 7 juin à 18h30
La Criée, Centre dramatique national de Marseille
Un partenariat entre l’Institut des Cultures d’Islam, Ancrages et les Rencontres à l’Échelle.

Quand les jeunes lisent et élisent

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Sandrine Collette mars 2022

Devant le manque d’enthousiasme pour la lecture de nos adolescentes et de nos adolescents, la Région avait créé avec l’Agence Régionale du Livre (ARL), un prix littéraire décerné par les jeunes. Il s’agissait de leur faire découvrir des textes qui parlent de leurs préoccupations, de leurs désirs, du monde qui les entourent et qu’ils ne comprennent pas toujours. De leur faire rencontrer des auteurs vivants qui les changent de ceux que l’on trouve dans les livres de littérature classique, qui utilisent comme eux des termes familiers, des tournures à la mode.

Des êtres qui leur ressemblent davantage. Les leur faire rencontrer, pouvoir dialoguer avec eux. Se rendre compte qu’ils avaient « le droit » de lire des bandes dessinées !

D’année en année, le nombre de lycées et de centres d’apprentissage dans le dispositif a grossi. Les élèves rencontrent aussi des libraires, des bibliothécaires, découvrent les métiers du livre. Des travaux artistiques (musique, vidéos, théâtre, photos…) autour du livre qu’ils ont sélectionné font l’objet de présentations le jour de la remise des prix devant les élèves et les auteurs.

Nos ados n’ont pas froid aux yeux !

Le mardi 28 mai, la cérémonie a eu lieu au 6mic (Aix-en-Provence). Cinq romans et cinq bandes dessinées sélectionnés par un jury d’adultes étaient en lice. Les élèves ont voté pour le roman de Sandrine Collette, On était des loups ; choix étonnant pour un roman qui parle de forêts, de froid et de conditions de vie très rudes dans un univers non daté ni localisé, mais qui soulève la notion de l’amour paternel. Autre lauréat, la bande dessinée, Toutes les morts de Laïla Star (scénario de Ram V et dessins de Felipe Andrade), présente une déesse de la mort licenciée par son patron, confrontée à la naissance d’un enfant destiné à trouver le secret de l’immortalité ! Autant dire que l’aventure est pleine de rebondissements.

CHRIS BOURGUE

Encadré
Les livres primés
On était des loups, de Sandrine Collette
JC Lattès
Toutes les morts de Laïla Star, deRam V et Felipe Andrade
Urban-comics

Ridicule particule

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George de Moliere © Anoek Luyten

Clinic Orgasm Society c’est le nom que s’est choisi cette compagnie belge fondée en 2001 à Bruxelles, qui se considère « plutôt comme un laboratoire dont les chercheurs tentent de donner vie à des actes scéniques conçus comme des créatures monstrueuses et délibérément mal recousues ». Et cherche « à effleurer la beauté étrange et absurde, tragique et ridicule, du ballet des gigotements humains pour que le monde ait un sens. » Le Théâtre du Gymnase, pour son dernier spectacle hors les murs de la saison, l’invitait à La Criée, pour sa version de George Dandin ou le Mari confondu de Molière, rebaptisé George de Molière : George Dandin est un riche paysan, qui obtient, contre son argent, un titre de noblesse grâce à un mariage arrangé avec Angélique, fille des Sotenville, nobles désargentés. Mais George Dandin devenu George de la Dandinière va continuer à payer cher sa particule : déconvenues multiples et humiliations nombreuses.

Comédie de l’humiliation

On est accueilli à l’entrée de la salle par des créatures masquées en costume blanc, coiffe végétale et tout un assortiment serré de cloches de pâturages accrochés dans le dos. Sur scène une voiture, des instruments de musique, un abri clos et des panneaux colorés. Ça commence en comédie musicale champêtre, deux jeunes paysannes convoitées par deux bergers, entourés d’une dizaine de moutons aux perruques bouclées, à l’esprit de troupeau et aux bêlements parfaits. Puis George va apparaître, lunettes, dégarni, l’air obtus, rencontrant Lubin, intermédiaire bavard, chevelu et étourdi, lui dévoilant l’intérêt de Clitandre, quinqua relooké jeune, pour Angélique, à la mauvaise foi déterminée.

La comédie de l’humiliation de George de la Dandinière commence, et va suivre son cours et ses péripéties comiques et cruelles, dans des costumes, attitudes, façons de se mouvoir sur scène, et de dire le texte semblant sortir d’un mix de carnaval belge, soirée disco, cabaret burlesque et guignol queer. Le tout se terminant en battle musicale de groupe, amour domestique contre amour libre, équilibre contre désordre, Apollon contre Bacchus. C’est ce dernier qui l’emportera, dans une bacchanale au son amplifié brouillon, puis une dernière et brève apparition de George se dandinant en chantonnant.

MARC VOIRY

Georges de Molière était présenté du 29 mai au 1er juin à La Criée par le Théâtre du Gymnase hors les murs.

Louis s’en va-t-en guerre

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Artiste compagnonne pour 3 ans du théâtre de la Joliette, Tamara Al Saadi présente à Marseille l’ensemble du répertoire de sa compagnie La Base. Un répertoire influencé par son histoire personnelle d’Irakienne réfugiée en France à 5 ans, et par sa formation en Master d’expérimentation en arts et politique sous la direction de l’anthropologue Bruno Latour. Partie, créé en 2022 à Avignon, spectacle participatif et fabriqué à vue, aborde la mobilisation et le vécu d’un jeune soldat français pendant la première guerre mondiale.

Fort, normal, bas

Le plateau blanc est posé directement sur le gravier de la cour de La Vieille Charité, on prend place face à lui sur un gradin en bois, muni d’un petit livret distribué à l’entrée. L’équipe artistique arrive et Tamara Al Saadi explique : les livrets sont de différentes couleurs correspondant aux cases masquées du panneau de bois. Lorsqu’elle dévoile une couleur, les spectateurs concernés tenant le livret de même couleur doivent lire le texte. De façon forte, normale ou basse selon la seconde case dévoilée. Le spectacle commence.

Eliane, vendeuse de quatre saisons, la mère de Louis, fait la cuisine dans des aller-retours amusants avec la créatrice sonore qui derrière la table réalise avec malice les bruitages de la scène, comme de toutes celles qui vont suivre. Louis se lève, puis part au marché. C’est là qu’il va apprendre, par la rumeur du chœur des spectateurs que la guerre se prépare. Il va passer des guêtres, prendre son paletot, partir avec d’autres, au front dans les tranchées, acclamés par la foule. Et dans ses lettres à sa mère, avec pudeur et retenue, pour ne pas l’inquiéter, raconter la guerre. Dont l’évocation se fabrique sous nos yeux, sonore, en tas de terre, en fumigènes noirs, en texte, où naissent le doute, le silence, la folie. Traversés des témoignages de Louis, de plus en plus déchirants, et du chœur des spectateurs haut, normal ou bas.

Le pire arrive après de multiples horreurs, conclues méloramatiquement par une lettre, pleine d’espoir, d’Eliane à son fils, dont elle n’a plus de nouvelles. Lue à voix basse par tous les spectateurs. En nos temps d’un bellicisme présenté comme désirable, la piqûre de rappel d’un théâtre délicat, inventif et participatif  est bienvenue.

MARC VOIRY

Partie de Tamara Al-Saadi a été présenté du 1er au 4 juin à la Vieille Charité par le Théâtre de la Joliette
A venir
les 12  et 13 juillet

Scène Nationale Châteauvallon-Liberté
Châteauvallon, Ollioules