Mercredi soir, rendez-vous était donné dans la Cour Sainte Catherine. Manque de chance, la météo menaçante a laissé un doute sur la bonne tenue de ce concert en plein air. Mais c’est finalement un duo singulier qui se présente avec au piano, Patrick Zygmanowsky, qui remplace Florence Belraouti à la dernière minute, et au tuba, Juan Da Silva, musicien d’orchestre et d’ensembles comme Musicatreize. Tous deux, ils vont s’attaquer au répertoire d’Astor Piazzolla, entre musiques de films, jazz et tango.
En prélude au concert, les organisateurs font un appel aux dons pour la rénovation des façades de ce magnifique cloître, puis la musique commence… Quelques notes légères au piano lancent l’Ave Maria, composé pour le film Enrico IV de Bellocchio. Entre ensuite le tuba, avec souplesse et nuance.
Quel souffle dans le tuba ?
Les deux musiciens jouent de manière retenue et touchante, avec de légers crescendos lors des accelerandos. La mélodie est à la fois solennelle et pleine d’espoir, et d’un même élan les musiciens lèvent les yeux au ciel comme optimiste que la pluie allait les attendre. On écoute Milonga Del Angel, avec des articulations legato-staccato – on aperçoit les débuts du rythme en syncope du tango.
Passe ensuite InviernoPorteño, des Quatre Saisons de Buenos Aires oùle tuba tente de trouver sa place sur les passages rapides et le rythme effréné du pianiste. Car l’instrument, malgré la maîtrise du musicien, reste peu disposé à la même clarté et virtuosité que le piano.Les musiciens joueront ensuite le Café 1930, initialement composé pour flûte et guitare, et qui fera sonner le tuba avec une légèreté et une mélancholie que l’on ne lui connaissait pas. Pour finir, et à la joie du public, le fameux Libertango, entraînant, enjoué, le ciel se dégage.
LAVINIA SCOTT
Concert donné le 27 août dans le cadre du festival Musique dans la rue, Aix-en-Provence.
Elles avaient déjà fait sensation l’an dernier sur un programme romantiquissime. Et elles sont revenues cette année au Festival de Quatuors du Lubéron, fortes d’une belle promesse. Le Quatuor Hernani s’est cette fois attelé à trois pièces peu connues du répertoire. Fidèle à l’idée maîtresse d’un festival célébrant cette année sa cinquantième édition, les musiciennes issues de l’Orchestre de l’Opéra de Paris sont remontées dans le temps par blocs de cinquante ans. Du quatorzième quatuor de Chostakovitch, composé peu avant sa mort en 1975, ausingulier et fin-de-siècle Concert d’Ernest Chausson, en passant par Benjamin Britten et ses Trois Divertimenti. Un beau voyage sur lequel les instrumentistes révèlent une complicité étonnante pour un quatuor fondé il y a à peine quatre ans. On a rarement entendu une telle vigueur et une telle finesse de son, doublée d’une entente irréprochable sur des pièces pourtant complexes et mouvantes. Presque aucun regard n’est échangé, et pourtant un sens commun de l’attaque et de la respiration s’impose, comme si quatre voix se fondaient dans un seul corps.
Sublime et grotesque
Le quatuor de Chostakovitch est d’emblée porté avec intensité : œuvre testamentaire où le violoncelle mène la danse, il trouve en l’impressionnante Tatjana Uhde une colonne vertébrale. Dans les Trois Divertimenti de Britten, pièce encore trop rarement jouée, les musiciennes montrent une étonnante maîtrise des contrastes : ironie mordante, moments de légèreté presque grotesques, mais aussi lyrisme tendre. Lise Martel déploie un premier violon souple, ample, qui respire large et donne les impulsions nécessaires. Elle dialogue sans cesse avec le second violon Louise Salmon, d’une précision redoutable. Marion Duchesne, à l’alto, apporte un chant lyrique, une chaleur presque vocale qui enveloppe l’ensemble.
Le Concert pour piano, violon et quatuor à cordesd’Ernest Chausson conclut la soirée. Les Hernani y sont rejoints par le violoniste Julien Dieudegard, – d’une intensité saisissante, son jeu se fondant avec naturel dans la texture – et par Jonas Vitaud, pianiste d’une écoute et d’une sensibilité exemplaires. Ensemble, ils livrent une interprétation incandescente de cette œuvre monumentale, tour à tour fougueuse, méditative, lyrique.
Le public, rassemblé dans l’abbatiale de Silvacane, reste suspendu à ces batailles de la modernité, où réalisme et grotesque côtoyaient le chant le plus pur. Comme un écho au nom choisi par les musiciennes : Hernani, drame de la jeunesse et de l’audace, qui proclame que l’art ne vit que de la tension entre tradition et rupture.
Depuis plus de vingt ans, le Collectif XY interroge l’acrobatie comme langage à part entière. Et particulièrement le porté, vu comme une métaphore du lien social : « porter » comme acte universel, humble et chargé de poésie.
L’aventure des Voyages naît en 2016, lorsque le collectif choisit de déplacer son langage acrobatique hors des chapiteaux et des théâtres pour aller à la rencontre des habitants dans l’espace public. Au fil des années, Les Voyages, qui ont en commencé à Naplouse en Palestine, en 2017, ont ainsi traversé Saint-Ouen, Arras, Valenciennes, Maubeuge, Douai, Bologne, Gand (chaque étape portant un numéro – Expérience 1, 2, 3…). À chaque fois, la même démarche : habiter un quartier pendant plusieurs jours, investir ses places, ses parcs, ses façades, et y faire émerger une poésie physique visant à transformer le regard quotidien.
Une création collective ancrée dans la ville
Des interventions et une création collective qui, pour cette 34e « Expérience » au Pont-du-Las,mobilise 18 acrobates, accompagné par le regard d’Olivier Comte (fondateur du collectif Les Souffleurs) et par un solide réseau de partenariats dont Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, coproducteur du projet et Lieux Publics, centre national de création en espace public.
Les habitant·es et associations du quartier sont également parties prenantes. Du mercredi 10 au samedi 13, plusieurs interventions quotidiennes vont se déployer en divers points du quartier (avenue du XVe Corps, devant le collège Georges Sand, place Martin Bidouré, rue Bossuet, parc des Cèdres, parc des Oiseaux…). Et le dimanche 14, à 17 h, ce sera le Grand Rendez-vous, sur la place Martin Bidouré, point d’orgue d’une semaine de traversées sensibles, où les corps vont converger et s’élancer ensemble dans un final participatif. Gratuit, en accès libre.
MARC VOIRY
Les Voyages – Expérience 34 10 au 14 septembre Pont du Las, divers lieux, Toulon
À Marseille, la fin du mois d’août a désormais le goût du couscous. Depuis plusieurs années, le Kouss·Kouss festival a imposé sa signature gourmande et culturelle dans le calendrier de la ville. Pensé comme une fête populaire et métissée, l’événement fédère restaurateurs, collectifs associatifs et musiciens autour de ce plat commun aux rives de la Méditerranée avec des déclinaisons mondiales. Bien plus qu’une manifestation culinaire, ce rendez-vous est devenu un symbole de convivialité et d’hospitalité marseillaise, où la cuisine sert de langage universel et de passerelle entre cultures locales et migrantes.
L’édition 2025 a culminé le 30 août avec une soirée particulièrement attendue sur le Vieux-Port autour d’une riche programmation musicale. Le groupe Moussu T e lei Jovents, né des sillons du Massilia Sound System, a ouvert la soirée, dès l’ouverture du buffet et des 4 000 couscous offerts par la ville. On y retrouve son répertoire mêlant chanson occitane, sonorités créoles et accents méditerranéens. Fondé autour de Tatou, figure charismatique du reggae marseillais, le groupedistille depuis près de vingt ans un son métissé où guitares caribéennes, swing et musiques populaires du Sud dialoguent sans frontières. Leur présence s’impose comme une évidence dans ce festival qui revendique l’hybridation culturelle.
La soirée a également mis en lumière un répertoire, produit de l’exil de nombreux artistes algériens et notamment la grande cheikha Remitti auquel le collectif féminin, Les Héritières rend hommage. Portées par des voix puissantes et une instrumentation acoustique sous la co-direction artistique de Mustapha Amokrane et de Nassim Kouti, les interprètes revisitent des chants traditionnels d’Algérie avec quelques incises contemporaines. Les puristes du répertoire raï ont toutefois retrouvés les rythmes trépidants des orchestres traditionnels et la sublime interprétation de Cheikha Hadjla, figure du raï authentique, originaire de Sidi Bel-Abès. Sa voix puissante, ancrée dans la tradition des medahettes fait d’elle une emblématique héritière du raï qui a su toucher le cœur du public marseillais dont une grande partie est originaire de l’Oranie.
Entre revendications d’une mémoire plurielle et recette marseillaise, le festival s’impose comme un manifeste face à tous ceux qui restent figés dans l’illusion d’une culture immuable. Le plaidoyer est claire et sans équivoque, Marseille est une ville de partage et de métissage et sait offrir les plus belles fêtes de France. Autour des assiettes parfumées et des tables collectives, le festival entend rappeler que le couscous, au-delà de ses multiples variantes, est d’abord un geste de partage. Kouss Kouss revendique une identité joyeuse, loin des replis, et affirme Marseille comme une capitale des brassages.
SAMIA CHABANI
Le festivalKouss·Kouss se poursuit jusqu’au 7 septembre, à Marseille.
Zébuline. Comment se font vos premiers pas vers la musique ? Natya. Très tôt, j’ai commencé le chant vers mes 12-13 ans. Chez moi d’abord, mon père est musicien, donc je l’accompagnais sur scène en tant que choriste pour des groupes antillais. Plus tard je me suis dirigée vers la batterie, j’ai fait deux ans de conservatoire et ensuite, j’ai touché à l’ordinateur et j’ai composé moi-même dessus.
Et le rap ? À la base, je n’écoutais pas trop de rap, j’étais plus dans le ragga dancehall, reggae et zouk. Puis le rap américain m’a inspiré : Young Thug, Future… dans la manière dont ils s’exprimaient assez mélodiquement, et ce qu’ils faisaient ressentir. Ensuite, j’ai commencé à écouter du Ninho, c’est à cette période-là que j’ai vraiment aimé le rap, comme un message qui a résonné en moi.
Aujourd’hui, mes origines malgache et martiniquaise sont mes principales influences. Entre le rap de France et celui des îles, il y a une différence, on ne parle pas des mêmes choses, ce ne sont pas les mêmes problématiques même si certaines peuvent se ressembler. Mais je sens qu’en France métropolitaine, on a du mal encore à écouter du rap avec des accents, on ne les prend pas au sérieux. Néanmoins, ça se démocratise beaucoup avec des collaborations qui se créent de plus en plus.
Cette année vous avez sorti un projet intitulé Le Ciel Sèche Ses Larmes, pouvez-vous en parler ? C’est un projet crescendo, avec des premiers morceaux sombres, très introspectifs, dans lesquels je parle de douleur, de trahison, de mal-être profond qui s’intitulent Mortifère et Cauchemar…donc ça annonce la couleur. Mais plus on avance dans le projet, plus je me dirige vers les étoiles. Je commence sous terre, bloquée dans les abysses puis je m’ouvre au monde, où j’ai plus confiance en moi. Je parle principalement d’amour, de déception, de mélancolie, de nostalgie et de tristesse. Tout est mélangé dans ce que j’appelle de la trap mélodieuse.
Hip-Hop Non-Stop est un festival qui se concentre sur de la culture hip-hop dans sa globalité, comment vous caractérisez cette culture ? Je la détermine puissante et d’actualité. Ça fait longtemps qu’elle est là, elle perdure dans le temps et s’élargit à d’autres dimensions. C’est aussi une culture de notre époque, faite pour nous et par nous. C’est une belle culture qu’il faut défendre. Et Hip-Hop Non-Stop c’est aussi un festival qui met en avant les artistes féminines. C’est hyper important, et ce n’est pas tout le monde qui le fait, donc je suis très fière d’y participer.
Justement, comment percevez-vous votre place en tant que femme dans le rap aujourd’hui ? Je ne ressens pas d’inégalité parce que je ne mets pas forcément cette part en avant, je considère que les gens vont d’abord écouter mes paroles. Et puis, dans ma personnalité, il y a autant de masculin que de féminin.
Je suis consciente des problématiques qu’il peut y avoir. Cela reste compliqué parce ce qu’on n’a pas encore la reconnaissance que l’on mérite, et en tant que femme, il faut toujours se battre un peu plus. Mais il y a de plus en plus de femmes qui osent faire des choses, convaincues qu’elles ont autant leur place que les hommes dans l’industrie, dans la musique, dans le rap.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LILLI BERTON FOUCHET
Hip-hop Non-Stop 6 septembre Skate-park du Prado, Marseille
Culture hip-hop partout
Du 3 au 7 septembre, le festival Hip-Hop Non-Stop s’empare de Marseille. Une 5e édition à l’image de sa ville, où se mêlent danse, graffiti, djing et rap
Outil de narration et d’émancipation, le hip-hop est né dans la rue, celles du Bronx. Avant de traverser l’Atlantique et de se trouver un nouveau bastion, à Marseille. Omniprésent dans le paysage culturel phocéen, le hip-hop n’avait pas forcément de grands rendez-vous réguliers – comme souvent dans les cultures urbaines. Mais depuis des années, des festivals ont émergé, Impulsion à Aubagne, Hip-Hop Society à Marseille, et bien sûr Hip Hop Non-Stop, bien installé en fin d’été. Toujours porté par le travail d’associations locales, la Ville de Marseille, et avec Urban Prod à la baguette, le festival est de retour du 3 au 7 septembre.
C’est au parc Bougainville que le festival s’ouvre, avec des ateliers de beat-box, de danse, et de graffiti. Avant de poursuivre la soirée avec une série de concerts rap issus de la « Rés1d3nce Art2rue13 », portée par Radio Galère, Ph’art & Balises et l’Embobineuse. Pour clôturer la soirée, trois showcases de rappeur·euses émergent·es : M4uv3, Drissa et Tizi.
Rap encore les jours suivants, dans le centre-ville de Marseille : le 5 sur la Plaine, avec 10 artistes sur scène, dont Kalash l’Afro, Kiki, Eley, BIG D.A. Le 6 au skate-park du Prado avec Natya, Igouh, JMK$ (et bien d’autres) et le 7 sur la Canebière avec Iranya, Grand Bruit ou Jay Moez.
1 vs 1
Le battle est au cœur du programme, entre battle de danse « all styles » (6 septembre au skate-park) avec un prix de 1000 euros et battle de beat-box (7 septembre, Molotov). Dans la culture hip-hop, le battle est un espace d’incarnation et d’émancipation dans lequel chacun est poussé à s’exprimer à son maximum, librement.
LILLI BERTON FOUCHET
Hip-Hop Non-Stop Du 3 au 7 septembre Divers lieux, Marseille
Au programme 3 septembre Parc Bougainville : ateliers de beat-box, de danse, de graffiti et concerts de rap 4 septembre Bibliothèque de l’Alcazar : Rencontre avec DECH et projection du long-métrage « STAR », autour du graffiti, en présence de son réalisateur Marc-Aurèle Vecchione 5 septembre La Plaine : concert 100 % rap 6 septembre Skatepark du Prado : Battle de danse, défilé streetwear et concerts de rap 7 septembre Molotov et Canebière : Battle de beatbox, danse, concerts rap et graff 6 et 7 septembre Urban Prod : Masterclass et rencontres professionnelles
Élevé dans une famille catholique, François-Xavier Drouet est athée. Acquis aux grandes causes révolutionnaires d’Amérique latine, à l’altermondialisme, aux luttes contre les dictatures, animées par une gauche qui, portée au pouvoir, l’a parfois déçu. Suivant la pensée de Marx, longtemps, pour lui, la religion n’a été que « l’opium du peuple ». Le goupillon sanctifiant le sabre, bénissant la colonisation, le génocide indien, l’esclavage et toutes les horreurs qui l’accompagnent, légitimant sans remords un ordre social inique. Pourtant, au Brésil, au Nicaragua, au Mexique, au Salvador, ignorer le rôle de la foi et l’engagement christique des religieux et religieuses dans les mouvements de libération – même armés –, serait une erreur et une offense pour tous ceux qui ont chèrement payé leur soutien aux damnés de la terre.
Ce film, le réalisateur, le voit comme un devoir. Avant que les protagonistes du courant de pensée de la Théologie de la Libération ne disparaissent, il recueille leurs témoignages, éclairant les événements de l’intérieur, leur redonnant perspective.
Au Salvador, le prêtre Roger Ponseele, malgré ses convictions non violentes, rejoint la guérilla après l’assassinat de l’archevêque Oscar Romero, « le porte-voix des sans voix ». Ponseele célébre les mariages des maquisards, leur donne courage, les assiste dans la mort. Au Brésil, le moine dominicain Frei Betto, arrêté en 1969, torturé, emprisonné pendant 5 ans, est un compagnon de route de Lulla, responsable d’un programme contre la faim dans son gouvernement. Toujours au Brésil, Leonardo Boff, théologien, ex-franciscain, est jugé à Rome sur la chaise où on plaça Galilée, condamné au silence par le Vatican en 1985 pour avoir critiqué la structure interne quasi soviétique de l’Eglise romaine. Leonardo proclamant, un brin provocateur, que « les Chrétiens sont les disciples d’un prisonnier politique » et que le christianisme est l’opium non du peuple mais de la bourgeoisie dont il calme la mauvaise conscience. Le réalisateur donne aussi la parole à Júlio Lancelloti, Joel Padrón Gonzáles ou la religieuse cubaine Maria López Vigil…
Une question de foi
L’Evangile de la Révolution n’est pas un bréviaire mais l’utopie chrétienne de la Bonne nouvelle, rejoignant celle d’une gauche qui voulait faire chanter l’avenir. Le réalisateur, en voix off, raconte, écoute, confronte à l’aide d’archives et de souvenirs, passé et présent. Comme ceux qu’il rencontre, malgré les défaites, les répressions, les désillusions, la métamorphose des libérateurs du peuple en nouveaux tyrans, il cherche les traces laissées par les luttes dans les consciences. Si l’imagerie révolutionnaire de l’Amérique latine de cette fin du XXe siècle devient kitch ; si les grandes fresques célébrant les combats pour la liberté et l’équité sont cachées ou défraîchies, ringardes et instagrammables ; si les évangélistes aux comptes en banque bien fournis séduisent les fidèles par leurs shows qui n’oublient jamais le business, François-Xavier Drouet ne perd pas espoir. Son évangile affirme que l’héritage de ces mouvements est riche d’enseignements et que le souffle de ceux qui ont lutté sur la terre plutôt qu’au ciel ne s’éteindra jamais. Une question de foi… en l’humanité.
ÉLISE PADOVANI
L’Evangile de la Révolution de François-Xavier Drouet
L’été touche à sa fin mais pas question de renoncer aux derniers rayons de soleil. Vendredi 29 et samedi 30 août, le festival rock indé La Guinguette sonore revenait pour une huitième édition avec une programmation féroce sur la plage de la Romaniquette à Istres.
Comme souvent pour ce rendez-vous, la scène locale est mise à l’honneur, le groupe Le Bien, originaire de Marseille, ouvre le bal. Le quatuor invite au lâcher prise avec une sonorité punk férocement entraînante. L’atmosphère joyeusement électrique – malgré la panne de courant – est de plus en plus palpable avec le passage de Crache, et son énergie fulgurante tout droit sortie de l’underground marseillais. Le lendemain, on appréciera aussi le groupe lyonnais Irnini Mons, entre grunge et pop, dont la performance était traduite en chansigne.
Inclure et partager
Car pour cette édition encore, le festival promeut l’accessibilité pour tous, avec notamment deux nouveautés dont la mise à disposition de gilets vibrants pour les personnes malentendantes et la venue de chansigneurs. Un travail mené avec la ville d’Istres, dans le but de « rendre le festival de plus en plus accessible et inclusif ». Une initiative qui devrait être « réitérée les prochaines années » selon Nathalie Ferry, responsable des actions satellites sur le festival.
THIBAUT CARCELLER
La Guinguette Sonore s’est tenue les 29 et 30 août sur la plage de la Romaniquette, Istres.
Chroniques d’Haïfa, histoires palestiniennes est un film intense. Parce que les caméras portées placent le spectateur au plus près des personnages, que l’authenticité des scènes est renforcée par l’absence de projecteurs. Parce que les acteurs non professionnels jouent leurs rôles comme un prolongement d’eux-mêmes. Parce que le tournage chronologique colle à leur évolution au fil des événements. Parce que la subtilité narrative et la temporalité élastique brouillent les repères et les points de vue. Parce que les sirènes d’alerte ponctuent la vie quotidienne. Et parce qu’enfin, au travers de sujets banals et privés, à l’intérieur d’une famille palestinienne bourgeoise, toutes les tensions de la société israélo-palestinienne transparaissent dans des drames imbriqués qui excluent l’épanouissement individuel.
C’est Fifi, qui mène une double vie : étudiante libre de son corps et de ses relations devenant au foyer la fille sage, docile et pudique, promise à un mariage conventionnel. C’est Walid, le médecin amoureux de Fifi qui renoncera à cet amour parce que Fifi n’est pas « un bonbon encore dans son emballage. » C’est Rami, son frère, qui refuse que la femme qu’il aime,Shirley, hôtesse de l’air juive, garde le bébé qu’elle porte. Un bébé inenvisageable pour leurs parents, comme pour les organisations israéliennes qui œuvrent par la violence et l’intimidation à briser toute possibilité de mixité. Les non-dits, les dissimulations, les mensonges, le croisement des points de vue tisonnent le malaise dans un crescendo savamment orchestré, en quatre mouvements.
Oppression perpétuelle
Arabes et hébreux s’entendent dans le film. Haïfa est une ville cosmopolite réputée pour la coexistence apaisée entre eux. Le film, en filigrane, montre que c’est illusoire. Une séquence saisissante dans une classe primaire où Fifi fait un stage montre comment on conditionne les enfants dès leur plus jeune âge à respecter Dieu et les soldats qui protègent l’unité du peuple élu. Les grandes fêtes juives rythment le calendrier s’imposant à tous les citoyens, dans une suprématie de fait.
Le titre arabe du film, Yinad Aleykou peut se traduire par : « Que cela se répète pour toi ». Une formule de vœux pour un avenir plus heureux qui prend ici un sens littéral avec le retour à la séquence du début pour Fifi, suggérant selon le réalisateur, un cycle vicieux d’oppression perpétuel.
Mon film, dit-il, « souligne le fait que la liberté est une question collective. Personne n’est libre si tout le monde ne s’est pas émancipé des formes d’oppression, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles. Le film vise à nous rappeler que nos luttes pour la liberté et l’égalité sont profondément liées. » Tourné en 2020, avant la pandémie, Chroniques d’Haïfa a pu concourir à la Mostra de Venise en 2024 où il a remporté le prix du meilleur scénario section Orizzonti.
ÉLISE PADOVANI
Chroniques d’Haïfa, histoires palestiniennes de Scandar Copti En salles le 3 septembre
Belle initiative que celle des Archives départementales 13 d’aller piocher dans leurs fonds des documents – du parchemin à la photographie contemporaine – sur les femmes et d’en faire une exposition en quatre thèmes : être femme dans une société traditionnelle patriarcale, les premières luttes au XIXe siècle pour la citoyenneté politique, le droit à l’éducation et l’égalité civique et enfin le combat pour la liberté de disposer de leur corps et pour la parité.
Militantes et Résistantes
On y retrouve des femmes célèbres : la Reine Jeanne comtesse de Provence, la communarde Louise Michel – décédée à Marseille lors d’une tournée de conférence et dont on peut découvrir la lettre de surveillance de la Préfecture –, Simone de Beauvoir – dont est exposé le texte de sa nomination comme professeur de philosophie au lycée Montgrand –, l’historienne Yvonne Kniebiehler, à l’origine de la création du Centre d’études Féminines de l’Université de Provence, l’avocate Germaine-Poinso-Chapuis, fondatrice en 1929 du club soroptimist de Marseille luttant pour les droits civiques et sociaux, les Résistantes Fifi Turin, Mireille Lauze et Bertie Albrecht ou la chanteuse de music-hall Gaby Deslys.
Elles côtoient des suffragettes, faiseuses d’anges, féministes du MLF (Mouvement de libération des femmes) des années 1970, des femmes au foyer anonymes, des religieuses –comme Saint Douceline –, des prostituées, des ouvrières comme celles de l’usine Cuisenier ou de la Compagnie générale transatlantique.
Sorcières et prostituées
Plusieurs documents originaux donnent de la force à l’exposition comme le testament de Marie Talabot (1886), cette orpheline, domestique à Marseille, qui devint l’épouse du grand industriel Paulin Talabot, dont on peut encore voir l’imposante bastide sur les hauteurs du Roucas-blanc. Des actes juridiques contre des prétendues sorcières, comme la note de frais pour l’exécution d’Alaète Hospitalier brulée à Apt en 1429, un rapport de police sur le meeting féministe de la Ligue pour les droits des femmes de 1923 à Marseille ou encore des dossiers de procédure et des lettres de femmes pénalisées pour avoir avorté.
On regrettera une scénographie fouillis où l’on peine à se retrouver. Elle ne perturbera pas celles et ceux qui ont déjà une bonne connaissance de la conquête des droits des femmes. Pour les autres – et même si une fresque chronologique et des panneaux aident à resituer les grandes avancées –, on ne saurait trop conseiller de suivre les visites guidées gratuitesproposées sur réservation.
Des balades à thèmes sont aussi organisées. Chaque mercredi, place aux familles avec un moment ludique et pédagogique orchestré par un médiateur. Les 13 et 17 septembre, Mathis Ben Achour invite à une balade au Panier autour de l’histoire de la prostitution. On aurait aimé d’autres promenades dans le Marseille des militantes, ouvrières, Résistantes mais on pourra entendre des voix de femmes chantantes le 30 septembre lors du concert Elles en scène.Les Dames de la Joliette partageront la scène avec le choeur Tutte Quante.
Tommy Orange, écrivain américain d’origine cheyenne et arapaho, a marqué la scène littéraire avec son premier roman There There (paru en français sous le titre Ici n’est plus ici). Ce second livre, Les étoiles errantes, prolonge et approfondit ses thèmes de prédilection : l’héritage historique, culturel et psychologique des peuples autochtones, notamment les ravages du colonialisme, la transmission familiale et la quête d’identité.
Une œuvre chorale
Ce roman tisse une narration multigénérationnelle, entremêlant les récits de plusieurs personnages issus de la même lignée. La saga débute avec l’histoire de Jude Star, jeune indien, qui se retrouve au cœur d’un moment crucial de l’histoire des peuples indiens : le massacre de Sand Creek en 1864, où des centaines de Cheyennes et d’Arapahos furent tués par l’armée américaine. Sa famille est décimée. Il parvient à s’échapper mais est placé de force dans l’un de ces internats créés pour « civiliser », les enfants amérindiens, les assimiler à la culture blanche.
Ces événements traumatiques marquent le point de départ d’une lignée maudite, suivie à travers les décennies et six générations – l’arbre généalogique en début de roman est le bienvenu. Tommy Orange opte pour une narration fragmentée, alternant les voix, les époques.Ce dispositif stylistique permet de montrer la complexité des ressorts psychologiques d’une lignée écartelée entre fierté culturelle, souffrance historique et marginalisation sociale ; des héritiers en proie à la drogue, l’alcoolisme, la ségrégation mais aussi pour certains capables de résilience. Orange, fidèle à son écriture incisive, mêle la tendresse à la brutalité, la colère à la poésie. Son roman est une invitation à écouter ceux qu’on a trop souvent réduits au silence, des étoiles errantes, certes, mais bien présentes dans notre ciel littéraire.
Un auteur engagé et singulier
Né à Oakland en 1982, Tommy Orange a grandi dans un environnement urbain, loin des stéréotypes de la « Réserve ». Son expérience de l’identité amérindienne marquée d’abord par l’effacement puis par la reconquête culturelle, à laquelle il participe grandement, irrigue toute son œuvre. Diplômé de l’Institute of American Indian Arts, il milite pour une reconnaissance des peuples autochtones contemporains.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Les étoiles errantes, de Tommy Orange Éditions Albin Michel - 22,90 € Paru le 20 août