vendredi 4 juillet 2025
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La « Discrétion » monte sur scène 

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Faïza Guène © Dar Yumi

Faïza Guène pratique une forme d’écriture qui sait faire profil bas, souvent proche de l’autofiction, mais sans les ressorts nombrilistes habituels. Adoptant une attitude de réserve volontaire et probablement stratégique, elle se distingue par sa grande humilité. L’ouvrage paru en France en août 2020, aux éditions Plon, et sa traduction en anglais publiée ont offert à l’autrice une reconnaissance internationale. 

Néo-marseillaise, elle offre un récit qui explore les rapports familiaux, la transmission, les conflits de loyauté, dans une langue simple et directe, mais subtilement politique. La Discrétion explore la mémoire, l’exil et la transmission. Le roman incarne pleinement cette thématique au travers de la figure de Yamina, mère algérienne, qui incarne la figure invisibilisée mais centrale de la « discrétion » en France. La dédicace remarquable et percutante est adressée à son père « mort de discrétion ». 

La sortie de Discrétion a été saluée dans la presse littéraire anglophone comme une exploration fine et nuancée de l’invisibilité sociale. Le roman a été perçu comme un contre-récit aux représentations médiatiques dominantes des femmes musulmanes en France, tout en conservant l’humour et la tendresse caractéristiques de l’autrice.

Traduction scénique

Entre récit, musique live et projections, l’adaptation scénique participe à la valorisation des récits d’immigrés et de leurs familles en exil. Espace alternatif sous forme de happening, créé à l’occasion du Festival international du livre d’Edimbourg en août 2022 pour célébrer l’indépendance de l’Algérie, le spectacle se produit ensuite à Oran puis Marseille dans le cadre du Festival Oh les beaux jours au Mucem, et revient ce 10 juin au Théâtre de la Sucrière, accueilli par la Mairie des 15 et 16e arrondissements. 

Traductrice du roman, Sarah Ardizonne propose l’adaptation du livre sous forme de spectacle. Elle assure la coproduction avec passion et subtilité, intégrant les langues arabe (darija), amazighe et français. Son parcours est intimement lié à celui de l’autrice dont elle partage la sensibilité féroce sans jamais d’amertume. Pour Sarah, « les traducteurs sont des passeurs qui permettent de découvrir l’hybridité des langues. Le changement d’attitude vis-à-vis de l’acculturation entre les langues est perceptible et leur non hiérarchisation permettent d’expérimenter des univers culturels poreux, hybrides et de plus en plus élargis ». 

La musique originale produite par Hakim Hamadouche et Sylvie Paz, rejoints par la percussionniste Nadia Tighidet et le violoniste Kheireddine Mkachiche ajoute à la spectaculaire interprétation des comédiennes Meriem Medjkane et Amal Kateb, figures contemporaines du théâtre et du cinéma algérien. Projetées sur grand écran, les photographies et vidéos de l’artiste Shiraz Bazin-Moussi donnent au récit sa dimension visuelle à travers un demi-siècle d’histoire. 

D’Edimbourg, à Oran en passant à Marseille, le sillon constitué par ce happening original promet une belle diffusion et l’opportunité de diffuser les cultures et mémoires d’exil.

Un projet développé par le British Council (International Collaboration Grants) en partenariat avec l’Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel (l’AARC), avec le soutien de l’Institut français d’Algérie.

SAMIA CHABANI

La Discrétion
20 juin
Théâtre de la Sucrière, Marseille 

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Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

Les Chroniqu’heureuses  : Mehdi Haddjeri sur le grill

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Medhi Haddjeri et les jeunes chroniqueurs © L.P.B

Guidés à l’année dans l’apprentissage des rouages du journalisme, dans l’analyse de l’information et dans la découverte du milieu artistique, l’équipe de jeunes chroniqueurs issus de l’asso de Noailles ont cette fois étudié le parcours de Temenik Electric. Ils ont pu rencontrer son chanteur, Mehdi Haddjeri, et le questionner avec la plus grande attention sur l’album en cours de sortie et l’accompagnement de la Cité des Minots, dont les concerts se tiendront au Silo ces 18 et 19 juin. 

Les apprentis. Nous avons visionné les deux nouveaux clips de Temenik Electric. Pourquoi as-tu choisi deux thèmes si différents, les tourments et l’amour ? 

Mehdi Haddjeri. Pour moi, ces deux thèmes ne sont pas différents. Dans tout l’album que l’on sortira cet automne, j’ai choisi d’aborder le thème de l’amour dans le sens large. Je parle d’amour dans les deux clips mais dans un sens différent. L’amour, c’est large. 

Est-ce que les « tourments » dont tu parles dans Be Cif sont des tourments vécus ? 

Oh ! Comment tu sais que je parle de tourments ? Ce n’est pas moi d’ailleurs, c’est le chanteur, c’est toujours pareil ! Est-ce que c’est moi ou un personnage ? C’est comme dans les films : on fait parler des personnages mais on parle à travers eux, et ce dont tu parles peut parler à plein de gens : les tourments que je peux avoir, d’autres les ressentent. Bé Cif, ça veut dire « de force ». Je veux exprimer que quoi qu’il arrive il faut s’en sortir. 

Qui sont les personnages blancs étranges qui t’entourent dans le clip de Bé Cif ? Que représentent-ils ? 

Ce sont les différents personnages qu’on peut avoir dans la tête, ceux qui entraînent ton tourment. C’est une image pour montrer que nous sommes plusieurs dans ma tête. 

On retrouve dans les deux clips le peignoir, l’ours en peluche et les éléments du salon, qui font penser à l’intimité du foyer. Est-ce que le foyer a une importance particulière pour vous ? 

J’en ai fait des interviews avec des journalistes, et je n’ai pas eu ce genre de questions. Là, tu me permets de réfléchir à l’importance de mon foyer ! C’est primordial pour moi. Je suis le dernier enfant d’une famille de quinze ! C’est donc un sujet central. Jérôme, le réalisateur et bassiste du groupe, a capté qu’il y avait des endroits et des gens très importants pour moi, dans ma musique.  

Tu as choisi le thème de l’exil algérien pour le grand concert de la Cité des Minots. Qu’est-ce que cet exil représente pour vous ? 

L’histoire familiale ! Parler de l’exil c’est parler de mon histoire et celle de plein d’autres familles. C’est un sujet important, nous, enfants de France qui avons des origines. On arrive par le projet de la Cité des Minots à rejoindre les programmes scolaires, c’était notre souhait. 

Quels ont été vos critères dans le choix du répertoire de la Cité des Minots ? 

On a essayé de regrouper des chansons des années 1050 à d’autres d’aujourd’hui, des chansons de femmes, dans le but de rendre hommage à ces personnes qui dans leurs chansons ont traversé l’histoire de France et leur parcours d’immigrés. 

Quelles ont été les difficultés rencontrées au cours de l’apprentissage des chansons avec les enfants ? 

J’ai la double casquette, celle de chanteur mais aussi de constructeur de la Cité des Minots, travaillant au Nomad’. On s’est rendus compte que les enfants de CE1 et CM2 n’avaient pas de difficultés à apprendre larabe, ou bien le béninois, comme l’an dernier. Ils peuvent apprendre plein de répertoire car ils s’appuient sur les sonorités. C’était plus galère pour les musiciens intervenants, pour les adultes, et pour moi ! Je ne parle pas l’arabe naturellement, je ne le parle qu’en chansons. 

Que vous apporte personnellement le fait de travailler avec des centaines d’enfants ?

Ça me donne beaucoup d’énergie et j’ai l’impression de servir à quelque chose. Parfois, quand tu es artiste ou que tu portes des projets, tu te poses plein de questions sur le sens de ce que tu fais. Travailler avec des enfants donne du sens à ma démarche. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MAM’BOUSSO, HIMDA, IZZA, ALA, MANSOUR ET YAMINA

PROPOS RECCUEILLIS PAR LUCIE PONTHIEUX BERTRAM

La Cité des Minots
Du 16 au 19 juin
Silo, Marseille 

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Mois des Fiertés 

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© Gaelle Matata / Hans Lucas.

Plus d’une cinquantaine d’événements militants, culturels et festifs pour petits et grands sont proposés par la librairie Pantagruel, la Pride Marseille et le centre LGBTQIA+ de Marseille en amont de la Marche des fiertés, qui aura lieu le 5 juillet. Quelques rendez-vous de cette semaine : ce mercredi 18, Queer Comedy Club & Fifi Raconte au Centre LGBTQIA+, qui ouvrira sa scène demain à celleux qui le souhaitent pour des Lectures Queer

Samedi 21, un LGBTOUR organisé depuis la Gare Saint Charles, à la découverte du visage arc-en-ciel de la ville, guidé par Ludovic, guide-conférencier. Dimanche 22, constructions de cabanes en papier mâché au Couvent, destiné aux enfants et aux familles, avec Axel Chadanson, artiste queer engagé. Et mardi 24 un atelier créatif : Soigner nos mémoires au Centre LGBTQIA+.

Marc Voiry

Jusqu’au 5 juillet
Divers lieux, Marseille

Flâneries d’art contemporain

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cintrage k soclage haut © Fabrice Magnée

À Aix, année Cezanne oblige, les Flâneries d’Art Contemporain rendent cette année hommage au grand peintre. Les plus beaux jardins privés du quartier Mazarin ouvriront leurs portes pour des hommages dans une ambiance à la fois intimiste et festive. Tout un florilège de lecture musicale, conférence, concerts, spectacles accompagneront des expositions à ciel ouvert. 

On y verra notamment les personnages porteurs de la mémoire ouvrière créés par Fabrice Magnée, poète du métal. Les petits elfes baroques semblant sortis d’un tableau de Jérôme Bosch de la peintre arménienne Evgenia Saré. Les sculptures textiles touchantes et vivantes de Rebecca Campeau. Et les oliviers de la dessinatrice aixoise Véronique Lecoq, aux œuvres épurées.

Du 20 au 22 juin
Divers jardins, Aix-en-Provence

Lézardons dans la rue 

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Une Jungle © Philippe Benaquista

Lézardons dans la rue investit les ruelles ombragées de Pertuis avec plusieurs propositions d’arts de la rue très recommandables. Notamment Deux secondes de la compagnie Petit monsieur qui met aux prises Paul Durand, héros tatiesque engoncé dans son costume trois pièces, avec une sournoise tente 2 secondes. Ou l’incontournable Une jungle de la Compagnie Chao.squirevisite l’allégorie dansée du nomadisme, une femme et un homme, bousculés par les événements de la vie, tour à tour rivaux ou soutiens l’un de l’autre, véhiculant une émotion brute. Et les maîtres ès-pyrotechnie Karnavires avec Feu de tout bois

En ce week-end de Fête de la musique, plusieurs rendez-vous musicaux auront également lieu dans l’espace public, fédérateurs et transgénérationnels, organisés par le Conservatoire de Pertuis.

Du 20 au 22 juin
Divers lieux, Pertuis

« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise. »

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Cette phrase de Brecht le condamna aux yeux des démocraties occidentales comme antidémocrate stalinien. Elle dit pourtant son expérience d’artiste victime du nazisme, qui a vu et décrit l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Et elle est hélas, au vu des attaques que subit le monde culturel, un avertissement sinon un présage : la démocratie, qui est bien le seul régime souhaitable, est aussi le plus fragile face aux assauts des fascistes, c’est à dire de ceux qui nient les droits humains, pratiquent la répression violente de leurs opposants, la persécution catégorielle et la guerre de conquête.

Force est de constater qu’il existe une continuité entre les attaques culturelles libérales et celles de l’extrême droite, aujourd’hui aux portes du pouvoir en France, et à l’œuvre aux États-Unis.

Le capitalisme libéral veut rentabiliser la culture, et refuse de la considérer comme un service public. Contre elle, la gauche et les syndicats, se battent pour maintenir les conquis sociaux du secteur, du régime de l’intermittence, des financements croisés concertés. 

Ils luttent pour des avancées nécessaires, comme garantir la rémunération des travailleurs de la culture et non de ceux qui exploitent leurs contenus : les droits des artistes-auteurs et la continuité de leur revenus pourraient être assurés par une taxation des Gafam sur les contenus artistiques qu’ils diffusent, et leur redistribution en droits d’auteurs directs et indirects. Et la décentralisation effective des moyens du ministère de la Culture est urgente, et ne peut se résumer à de ridicules financements estivaux dans les campings…  

Mais cette crise libérale se double aujourd’hui d’une inquiétante avancée des idées de l’extrême droite, jusque dans les discours et les pratiques de collectivités de gauche.

« Quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver »

La phrase célèbre est celle d’un écrivain nazi, Hanns Johnst, dans une pièce écrite en 1933 pour l’anniversaire d’Hitler.

La violence de la suppression des financements culturels par la Région Pays de la Loire (LR) ou par le Département de l’Hérault (PS) relève bien d’une volonté de destruction. Il s’agit bien d’armer un revolver plus que symbolique.

Cette violence est rendue possible par un travail préalable d’emprise sur les esprits, poussé à bout par les réseaux d’extrême droite, de Musk ou Bolloré, mais utilisé bien en amont par les industries culturelles et médiatiques. Elles ont appris à utiliser d’autres armes que la violence d’Hitler pour provoquer la crise démocratique nécessaire à leur accès au pouvoir, celles que  Günther Anders décrivait en 1956 comme la continuation du nazisme

« Pour étouffer toute révolte, les méthodes archaïques d’Hitler sont complètement dépassées. Il suffit juste d’user […] de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique, avec du bavardage et une musique incessante. »

C’est pourquoi le combat culturel se mène aujourd’hui sur deux fronts politiques : 

Celui d’une reconquête d’un service public de la culture, des réseaux médiatiques et d’information et de l’espace public.

Celui d’un combat sans merci pour affirmer la liberté de création et valoriser la pluralité des cultures, et en particulier des cultures discriminées, cultures minoritaires et de l’exil, qui permettent de sortir des replis identitaires.

AgnÈs Freschel


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Le Château de notre père

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En cette année Cézanne 2025, l’ouvrage documenté et attachant de William Drea Adams et Thierry Maugenest s’impose comme bien plus qu’un simple catalogue d’exposition. Cézanne à Château Noir n’est pas un simple portfolio ou récit biographique : c’est une enquête sensible et richement documentée sur la relation artistique du peintre à ce lieu singulier, niché au Tholonet. Château Noir, étrange bâtisse aux allures de repaire gothique, hante l’œuvre cézannienne comme un motif récurrent et puissant. C’est là, au pied de la Sainte-Victoire, que Cézanne trouvait un refuge mental, une matrice formelle. Les deux auteurs, qui ont eu accès à la propriété pour nourrir leurs recherches, retracent avec précision l’histoire du site et dévoilent l’ampleur de cette fascination. Et s’attardent sur l’héritage esthétique mais aussi philosophique du rapport unique noué entre le peintre et ses lieux de contemplation.

Paysages intérieurs

L’ouvrage revient aussi, au détour de ses observations, sur des points méconnus, à commencer par l’orthographe même du nom du peintre, évoquée en ouverture : c’est la capitale parisienne qui aurait imposé l’accent, absent en Provence. Plus largement, le livre explore les prolongements de l’héritage cézannien. Marsden Hartley, Léo Marchutz, Tal Coat, André Masson, mais aussi des penseurs comme Merleau-Ponty ou Heidegger : tous se sont confrontés à la modernité de son regard. L’ouvrage donne également la parole à des artistes contemporains – Miriam Hartmann, Alan Roberts, Jill Steenhuis, entre autres – pour montrer à quel point cette œuvre, loin d’être figée dans le mythe, continue d’inspirer. Fabienne Verdier, héritière libre ornant la quatrième de couverture de sa splendide Sainte-Victoire sous la neige, s’y livre notamment dans une interview passionnante.

Porté par une écriture claire et une approche généreuse, ce livre prolonge admirablement les expositions et événements de l’Année Cézanne. Il s’impose comme une lecture essentielle pour qui veut comprendre le lien profond entre un peintre et son paysage intérieur.

Suzanne Canessa

Cezanne à Château Noir, L’histoire d’une fascination, 
William Drea Adams & Thierry Maugenest
Editions Hervé Chopin, 256 pages, 49 €

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« Peacock » : la tragi-comédie des apparences

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Avez-vous besoin d’une mise en scène qui vous fera passer pour un héros aux yeux des autres ? D’un spécialiste de musique contemporaine que vous présenteriez comme votre ami pour éblouir vos invités ? D’un coach en dispute pour tenir tête à un mari autoritaire ? Ou même d’un fils pour faire votre éloge et favoriser votre élection à la tête d’un club huppé ?  Aucun problème, la société  Mon CompagnonAmis à louer, vous procure un professionnel. Pas un comédien, précise-t-on, puisqu’il interviendra dans la vraie vie, mais quelqu’un qui jouera le rôle ! Dans cet emploi, Matthias (excellent Albrecht Schuch) est le meilleur. Il accumule sur le Net les avis favorables. Son patron, David ( Anton Noori) le comble d’éloges et de gros câlins.

Blond, menton rasé, moustache peignée, aussi lisse que son brushing, aussi insipide qu’un animateur de télé-réalité, Matthias endosse la personnalité que ses missions exigent de lui, n’en ayant que très peu dans la sphère privée. Sa maison luxueuse est un univers design, clinique, high-tech, chic et toc, fait pour épater les visiteurs, et dirigé par la domotique. Lui même semble être le robot parfait tel que la science fiction l’a parfois imaginé. Coque vide, sans avis, sans sentiment, passif. Il faudra que sa femme (Julia Franz Richter), lasse de cette inauthenticité chronique et de l’ennui qu’elle génère le plaque, pour que l’humanité revienne peu à peu chez Matthias et déstabilise son petit monde. Le grain de sable introduit dans le mécanisme impeccable de sa vie va déclencher un enchaînement de gags, drôles et grinçants.

Comédie noire, satire sociale dans la lignée de Ruben Öslund et Yórgos Lánthimos, Peacock  se distingue par son écriture au cordeau. Rien n’est laissé au hasard. Rien n’est gratuit. Des couleurs de style publicitaire à la symétrie obsessionnelle des plans. De la topographie de la villa de Matthias où on descend par un large escalier à la piscine trop bleue pour être honnête. D’un plombier-femme appelée par erreur à un chauffe-eau devenu menaçant. D’une performance de peinture corporelle à l’incroyable final dans un château-spa … Tout concourt à une réjouissante efficacité.

A l’instar de la musique du jeune compositeur Lukas Lauermann  qui dialogue avec l’image, épouse les ruptures de ton, compense ou contredit.  Là où les émotions sont en rétention, les cordes vont chercher la vibration. L’orchestration, le décalage.

Le titre : Peacock renvoie à l’irruption d’un paon dans un centre de bien-être pour riches cadres en burn out, où on pratique la méditation sur pelouse et le qi jong nudiste. Le paon et sa roue « pathétique », est accompagné tout au long du film d’un bestiaire tout aussi symbolique : chiens de location décoratifs, ours polaire statufié dans l’entrée glacée de la maison, canard tombé dans le break noir de Matthias.

Le réalisateur autrichien, très pince sans rire,  souligne l’absurdité du théâtre social, s’aventure dans le thriller, le surréalisme. Il brode avec causticité mais sans méchanceté, le fil du vrai et du faux.

Suis-je réel ? se demandera Matthias. Fausses larmes et vraie détresse. Rires jaunes, et final ambigu : le protagoniste se libèrera peut-être mais la société reste empêtrée dans les faux semblants, les faux récits.

ELISE PADOVANI

 Sortie 18 juin

Prix de la mise en scène MCM 2025

Les yeux en Ukraine

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(C) Léopard Films

Des images de la Russie d’il y a 15 ans, et une voix off commente ironiquement. « J’ai pris le Transsibérien par soif de liberté, idée assez farfelue… Le wagon restaurant sert aux heures de Moscou, car on ne contredit pas Moscou surtout quand on est une petite république… » Cette voix qui semble parler tout près de nos oreilles, tantôt moqueuse, tantôt ironique voire sarcastique, mais toujours engagée, va nous accompagner tout au long du documentaire d’Antonin Peretjatko,Voyage au bord de la guerre.

Tout commence le 24 février 2022, quand la Russie envahit l’Ukraine. D’origine ukrainienne, le réalisateur décide d’aller sur-place, et filmer avec une caméra 16mm pour « déjouer le formalisme et la façon de penser » du numérique. Il part donc le 15 mai, 6 h du matin, avec son ami, Fred Karali et Andreî, un instituteur  réfugié ukrainien, retournant à Lviv pour récupérer  quelques affaires. Ils vont traverser l’Europe et arrivent dans un pays en guerre, une guerre « invisible et omniprésente », la nouvelle figure de la guerre « entre Verdun et Star Wars ». 

De longs travellings en voiture en montrent les traces, les cicatrices de plus en plus visibles : immeubles éventrés, façades en dentelles, barrages routiers, rues désertées. On va de ville en ville, Kyiv, Kherson, Marioupol, Boutcha… Les Ukrainiens rencontrés au cours du voyage racontent leur guerre, parlent des soldats russes : Certains tiraient sur les gens pour s’amurer, d’autres volaient des robinets, ou demandaient s’ils pouvaient regarder des VHS.

Ruslan le directeur de l’école de marionnettes de Kiev était à Boutcha au moment de l’attaque et évoque ses élèves qui lui demandaient conseil pour s’échapper de cet enfer. Ella,la poète, traductrice et musicienne partie d’Irpin un jour avant la guerre, évitant ainsi l’exode, n’a retrouvé à son retour que des plantes mortes, de la poussière et la tristesse de ne pouvoir se balader en forêt à cause des mines : « Il reste des photos avec des trous à la place des visages » plan récurent du film.

« La recherche de ses racines est un piège où on risque de s’enfermer en cherchant quelque chose qui n’existe plus. L’exode nous coupe de nos origines. On devient étranger partout », confie le cinéaste qui a renoncé à retrouver le village de son grand-père et qui a vu tout au long de son voyage beaucoup de candidats à l’exil forcé ou volontaire.

Des images de guerre, on en voit hélas beaucoup : « Etrange attrait qu’ont les hommes pour les catastrophes, pleurs sang, mort, bombes, destruction ! », mais tout l’intérêt de ce voyage au bord de la guerre est le choix qu’a fait le cinéaste de prendre le public par la main avec tendresse, de nous montrer les traces, de nous faire rencontrer des gens qui ont vécu, vivent encore ce drame, nous incitant à ne pas fermer les yeux

ANNIE GAVA

Voyage au bord de la guerre, Antonin Peretjatko
En salles le 18 juin

« Loveable » : divorce à la norvégienne

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« C’était l ‘été, pendant une fête. J’y étais allée avec une amie… et soudain il était là » : Une jeune femme raconte son histoire d’amour. La cristallisation sur le mode « Ce fut une apparition ». Ses stratégies de séduction pour conquérir ce beau célibataire désirable qui ne s’attarde guère dans une relation  A qui s’adresse-t-elle ? On ne le saura que bien plus tard.  Elle, Maria (Helga Guren) est divorcée, a quarante ans et deux enfants en bas âge. Lui,  Sigmund (Oddgeir Thune) – qui porte le même prénom que Freud, est libre, entouré d’amis et d’amoureuses. La romance-passion commence. Sept ans plus tard, Maria est au supermarché, avec deux enfants en plus. Les deux premiers sont devenus des ados en crise. Conflits avec eux, avec son ex. désinvolte. Tâches domestiques chronophages et ingrates qu’elle assume seule, en l’absence de Sigmund en déplacement depuis deux mois. Elle n’y arrive plus. Ils ont convenu de travailler chacun leur tour. Mais submergée par ses charges et responsabilités, elle ne trouve pas de boulot. Sigmund revient. Sigmund va repartir.  Dispute et premier claquement de porte. Il y en aura de nombreux dans le film.

Maria quitte le foyer. Elle aime toujours Sigmund et souffre de son acceptation tranquille de cette séparation. Ne me quitte pas, chante une artiste de rue. Dans le feutré de la société et des élégants intérieurs scandinaves, dans lesquels nous enferme la mise en scène, on médiatise la violence par la parole et la thérapie.

Rembobiner le film

A ce stade, le spectateur – surtout si c’est une spectatrice, pris.e dans cette histoire des plus banales, entre les deux conjoints-disjoints prend le parti de Maria contre cet égoïste de Sigmund. Sauf que ce n’est pas si simple et que la réalisatrice au fil des conversations entre Maria et sa psychologue, rembobine le film. Au propre comme au figuré : on revoit les scènes conjugales, comme si on revenait sur les lieux du crime dans un polar. Et ça devient plus intéressant. Un peu comme dans Anatomie d’une chute, sans la complexité de ce film, sans chute ni cadavre mais avec la même volonté d’explorer le récit conjugal contradictoire par essence. D’aller jusqu’à une vérité qui fait mal. La réalisatrice ne s’intéressera qu’à Maria, explorant ses rapports avec sa mère (Elisabeth Sand)  avec sa fille aînée (Maja Tothammer-Hruza) laissant dans le flou  Sigmund qui aurait peut-être mérité plus d’attention. Car il faut être deux pour rater un mariage. Et le prince charmant a ses propres névroses. Le mélodrame psychologique se concentre sur elle qui  va devoir calmer sa colère, et surtout en trouver l’origine. Apprivoiser sa peur de l’abandon et comprendre les comportements vicieux qu’elle engendre : repousser pour retenir. Si je fais en sorte que l’autre se sente mal et que je  lui laisse croire que c’est de sa faute, il va penser que je vaux mieux que lui, qu’il est moins bien que moi. Il ne s’apercevra pas que je suis mauvaise et il restera. S’aimer pour pouvoir aimer.  Accepter de recevoir pour pouvoir donner. La leçon n’est pas bien neuve mais par la justesse de son casting, et son style maîtrisé, ce premier film made in Norvège parvient à nous prendre dans ses rets.

ELISE PADOVANI

Loveable de Lija Ingolfsdottir : Grand Prix du Jury, Festival du Film les Arcs / Prix d’Interprétation pour Helga Guren, Festival du Film les Arcs. En salles le 18 juin.