dimanche 24 novembre 2024
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Quand chacun se court après

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(C) Pyramide Films

« Lyon est le principal lieu de l’histoire. Il se passera des choses là et ailleurs. Vous voyez cet homme- là ? Il sappelle Thomas… » C’est par cette voix off, sur des images de la ville que démarre le nouveau film d’Emmanuel Mouret, Trois amies. Un film qui, comme les précédents, parle d’amour, de désamour. Un film tendre, doux, amer. Il y aura des rires, des larmes, des confidences, des mensonges, des couples qui se forment et d’autres qui se défont.  Il y aura des déambulations dans les rues de Lyon, des intérieurs cosy remplis de livres et de toiles…

Il y a surtout trois amies : Joan Belair, (India Hair), Alice (Camille Cottin) et Rebecca Maillard (Sara Forestier). Joan découvre qu’elle n’est plus amoureuse de Victor (Vincent Macaigne) : un constat qui lui fait peur. Victor n’a rien fait de mal. L’amour a tourné comme le vent parfois. L’amour, ça va, ça vient ! C’est ce qu’elle confie à Alice qui essaie de la rassurer : elle, elle n’est pas amoureuse de son compagnon, Eric (Grégoire Ludig). Quand elle était amoureuse, c’était l’enfer… car c’est très dur d’être synchrone en amour ! Plus que de l’amour, elle préfère la douceur. Mais elle ignore qu’Éric a une relation avec son amie Rebecca…

Une chute après l’autre

Nous suivons les trois jeunes femmes à travers de superbes plans séquences dans les rues de Lyon, dans les cafés ; comme souvent dans les films d’Emmanuel Mouret, les personnages parlent en marchant, marchent pour parler. Nous accompagnons Joan dans son appartement où elle annonce la triste mais évidente nouvelle à Victor : elle n’est plus amoureuse de lui. Elle culpabilise mais n’y peut rien. Une séquence forte où le jeu d’India Hair et de Vincent Macaigne, excellents, nous met en empathie avec les deux protagonistes. « J’aime les personnages qui se trompent, recommencent, mais continuent à se tromper, comme Buster Keaton quand il tombe et se relève, une chute après l’autre, encore et encore, mais qui continuent, sans se retourner, sans accuser personne », explique le réalisateur.

Dans cette histoire, il y aura aussi un peintre, Stéphane (Eric Caravaca) dont le 06 est apparu dans un rêve d’Alice, Thomas (Damien Bonnard), un prof remplaçant Victor qui s’est tué en voiture. Car si Mouret parle encore ici d’amour, c’est un amour plus grave, plus douloureux que dans ses films précédents. Toujours avec légèreté, dans des rues baignées de lumière ou des intérieurs cosys, aux murs peints de couleurs chaudes, tout en harmonie, tels des écrins de douceur même quand l’amour est parti, filmés avec talent par le directeur de la photo, Laurent Desmet, fidèle collaborateur d’Emmanuel Mouret. Sans oublier la musique de Benjamin Esdraffo qui ponctue les moments clés. L’interprétation, aussi bien des actrices que des acteurs, est excellente et on retrouve avec plaisir Sarah Forestier qu’on n’avait pas vue à l’écran depuis Filles de joie (2020) et qui incarne une femme amoureuse qui fait face courageusement à des revers.

Un film réussi à déguster comme un bonbon doux amer.

ANNIE GAVA

Trois amies, d’Emmanuel Mouret
En salles le 6 novembre

Taxi father

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Haut et Court

Jusqu’à récemment au Japon, en cas de divorce, l’autorité parentale était donnée uniquement à un parent, souvent la mère. Une particularité qui a pris fin en mai 2024. Alors qu’il présentait en 2018 à Tokyo son film, Nos défaites, le cinéaste franco-belge Guillaume Senez,choqué par cette situation, a eu envie d’écrire un scénario sur ce problème. Ce sera Une part manquante.

Sillonner la ville

Un homme parcourt en voiture les rues de Tokyo, la nuit. Son visage, en gros plan, montre un être rongé de l’intérieur. C’est un français, Jay, incarné par Romain Duris. Il rentre chez lui où il retrouve son petit singe, Hamza-San. Il est dans une grande solitude, rompue seulement par les appels vidéo de son père qui se réjouit de la vente prévue de sa maison à Tokyo et de son retour en France. La route de Jay va croiser celle de Jessica (Judith Chemla) une jeune mère française en souffrance que son mari japonais et la loi, empêchent de voir son enfant. Elle manifeste en hurlant sa douleur, ignorant qu’au Japon, il faut être patient, ne pas entrer en conflit. Jay s’est imprégné de tous ces codes : il parle japonais, connaît la ville qu’il parcourt sans cesse dans son taxi, se rend au sento (bain public). Ancien chef cuisinier, il est devenu chauffeur de taxi pour sillonner la ville dans l’espoir de retrouver sa fille, Lily, dont il est privé depuis 9 ans – il refuse de divorcer ce qui signifierait qu’il renonce à l’autorité parentale… Là, il est à bout, prêt à renoncer, à quitter le Japon, à tourner la page, à ne plus jamais revoir Lily. Sa rencontre avec Jessica, si déterminée va le faire changer d’avis.

Une mise en scène soignée, les images réussies de la talentueuse directrice de la photographie Elin kirschfink. Une interprétation parfaite des personnages que ce soit Romain Duris, qui s’exprime en japonais, Judith Chemla, qui donne toute son énergie désespérée au personnage de Jessica ou la jeune Mei Cirne-Masuki dont c’est le premier rôle. Guillaume Senez réussit un film touchant qui évite les clichés et l’exotisme. « J’avais peur de tomber dans des images d’Epinal. Je souhaitais une vraie immersion. » Un seul bémol : la musique d’Olivier Marguerit, qui souligne parfois un peu trop les images… à chacun de se faire son avis.

ANNIE GAVA

Une part manquante, de Guillaume Senez
En salles le 13 novembre

« Good one », un trek en trio

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Good One @Le Pacte

Il ne se passe pas grand chose de spectaculaire dans le premier long métrage d’India Donaldson. C’est pourtant un film qui laisse trace dans la mémoire et sur la rétine. Sam (Lily Collias) a 17 ans, sur le point d’intégrer la fac. Elle a une petite amie et même si elle préférerait rester ce weekend-là avec elle et son groupe de copains, elle accepte de faire une randonnée avec son père Chris (James Le Gros). Il est séparé de sa mère. Elle est une bonne fille, « conditionnée » à faire plaisir, une « good one » et elle aime ce quinqua un peu égoïste qui « n’a pas su rendre sa femme heureuse ».

Tensions silencieuses

À l’équipée, se joint le vieux pote de Chris, Matt, (Danny McCarthy) lui aussi divorcé et dont le fils Dylan refuse de venir. Le trek se fera en trio. Et la réalisatrice suivra ses personnages tout au long de leur marche dans le somptueux décor des Catskills, photographié en lumière naturelle par Wilson Cameron. Un scénario ténu où l’événement se résume à une phrase inconvenante adressée à Sam par Matt, où les caractères s’esquissent par touches successives à travers gestes, postures, rapport à la nourriture ou contenu d’un sac à dos. Où la dramaturgie se joue sur les tensions silencieuses mais conduit bien à une modification des rapports de force. Face à deux hommes dont l’amitié vacille, qui parlent de leur vie conjugale ratée, lui laissent « tout naturellement » les tâches genrées de la cuisine et de la vaisselle, Sam semble plus mature. Et son silence, ses expressions traduisent une prise de conscience du gouffre qui la sépare d’eux. Sam à qui son père refusait la conduite de la voiture pour le trajet aller, va prendre les clés sur celui du retour. 

Un film féministe, dit la jeune réalisatrice « convaincue que tout ce qui parle des nuances et des spécificités d’une expérience vécue par une fille est intrinsèquement féministe ». Servi par l’interprétation remarquable de Lily Collias, Good one prend le parti pris de la délicatesse et de la subtilité. On se tient en équilibre fragile comme les nombreux cairns laissés par d’autres randonneurs, et que la caméra saisit en plan d’ensemble ou de très près pour s’arrêter sur le battement d’aile d’un papillon posé sur une pierre.

ÉLISE PADOVANI

Good one, d’India Donaldson
En salles le 13 novembre

À Marseille, une table ronde pour ne pas oublier les soldats coloniaux

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Goumiers du deuxième groupe de tabors marocains © Nara Washington

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les libérateurs de l’Europe n’avaient pas l’accent américain ou britannique. Beaucoup étaient issus des colonies françaises d’Afrique, défendant un pays qui les considérait pourtant comme des sous-citoyens, si ce n’est des sous-hommes. Le 12 novembre au musée d’Histoire de Marseille, l’association Ancrages propose une table ronde pour revenir sur le parcours de ces soldats oubliés. Autour de Samia Chabani, présidente d’Ancrages et collaboratrice du journal Zébuline (rubrique Diasporik), sont réunis Belkacem Recham (historien et auteur de l’ouvrage Les musulmans algériens dans l’armée française), Grégoire George Picot (historien et membre du Groupe Marat), Kamel Mouellef (auteur de la bande-dessinée Résistants oubliés), et Jérôme Pedarros, directeur de l’Office national des combattants et des victimes de guerre.

N.S.

Le 12 novembre à 18 heures
Musée d’Histoire de Marseille
Entrée libre

« Saison toxique pour les fœtus » : Un monde meilleur ?

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Au commencement, il y a l’été 1995, dans la datcha familiale autour de la grand-mère, de tante Mila et Sveta, des maris, des enfants Jénia, Ilia et de sa sœur Daria. La campagne sensuelle forge les amours enfantines entre cousin et cousines. L’URSS n’existe plus déjà et la Russie d’Eltsine, de Poutine, fait croire à un monde meilleur, au début des années 2000 : on peut réussir, partir étudier en Europe, posséder une voiture, acheter une maison. Le roman est une B.O. des chansons populaires de cette époque, un kaléidoscope des séries télé… Mais c’est aussi le temps des nombreux attentats dans le métro moscovite, des crashs aériens meurtriers, du massacre de l’école de Beslan. Les Tchétchènes sont les ennemis intérieurs, l’on se méfie de tous les Caucasiens, dans les villes. 

Vera Bogdanova © X-DR

Le temps passe

Les trois personnages principaux grandissent, vieillissent et le temps les malmène : leur chronologie romanesque est une expérience fragmentaire brisée, faite des retours en arrière et d’avancées vers un avenir incertain. Les illusions amères se perdent dans la violence des couples, dans l’alcoolisme des hommes et des femmes, des mariages catastrophiques, des échecs professionnels. Sale temps pour l’enfant de Jénia et d’Ilia, qui ne verra pas le jour. La traversée du temps jusqu’en 2013 est aussi un itinéraire illusoire dans l’immense pays, de Moscou jusqu’à Vladivostok. Pourtant malgré toute la noirceur de ces vies, le roman sauve l’amour à la fois maudit et béni des deux cousins, de « celui-qui-comprendrait » et de « celle qui a un petit grain ». Rien n’est parvenu à les séparer définitivement. Alors les Smirnov n’auraient pas pu imaginer que Jénia et Ilia continuent ensemble leur route. Nous, si.

MARIE DU CREST

Saison toxique pour les fœtus de Vera Bogdanova
Traduit du russe par Laurence Foulon
Actes Sud - 23 €

Un premier roman traduit
Décidément la littérature russe a du génie. Ce roman est le second de Vera Bogdanova, publié en 2022 en Russie mais le premier à être traduit à l’étranger. Il figurait dans la première sélection du Fémina étranger 2024 et a disparu, très injustement, de la deuxième liste.

Au boulot ! de François Ruffin : Feignasse toi-même

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Image du Film Au boulot! de François Ruffin
Au boulot ! de François Ruffin et Gilles Perret © Les 400 clous

Fatigué d’entendre une fois de plus Sarah Saldmann pester contre les « assistés » et les « feignasses », François Ruffin propose à cette invitée récurrente des Grandes Gueules un drôle de marché. Se mettre dans la peau, quelques mois, d’un smicard. L’avocate médiatique accepte, pour la seule durée d’une semaine. Agréablement surpris par un tel aplomb, le député embarque sa jeune recrue dans une exploration de ces métiers et tâches qu’elle avouera elle-même méconnaître. Et ce malgré le manque d’enthousiasme de son partenaire, Gilles Perret, en compagnie duquel François Ruffin a déjà réalisé deux documentaires. Le duo s’était en effet intéressé, avec J’veux du soleil, au mouvement des Gilets Jaunes ; puis avec Debout les femmes ! aux emplois les plus précarisés, toujours féminins : auxiliaires de vie sociale, accompagnantes d’élèves en situation de handicap, femmes de ménage… 

Avec humour et générosité, le député ex-LFI donne au documentaire une fonction politique : celle de faire entendre une parole rare et pourtant indispensable. Y compris si celle-ci est relayée par d’inhabituels interlocuteurs. Malgré leur  clivage politique le député En Marche ! Bruno Bonnell était ainsi quasiment de tous les plans de Debout les femmes !, lui qui savait la valeur des « métiers du lien ». François Ruffin espérait-il, avec cette entreprise de « réinsertion des riches », faire opérer un virage à gauche à Sarah Saldmann ?

De guerre lasse

Les prises de position politique et les odes à la surconsommation et au luxe de la très droitière polémiste sont, et c’est heureux, systématiquement tournées en ridicule. Mais la caméra de Perret et Ruffin ne force heureusement pas le trait : elle saisit, par bribes, ces brefs instants de prise de conscience, de remise en question. L’avocate promet de « nuancer » à l’avenir ses avis à l’emporte-pièce. S’émeut aux larmes des conditions de travail d’aides à la personne. Rit elle-même de son décalage lorsqu’elle livre avec force retard et des talons vertigineux des colis à des particuliers à qui elle fait la causette, pour « créer un lien avec le client ». 

Mais le « carnaval » qui opére un  renversement des rôles, devait se terminer… De retour dans son environnement, Sarah Saldmann montera d’un cran dans l’ignominie quelques mois après le tournage : propulsée chroniqueuse chez CNews, elle y rivalise de déclarations ahurissantes, notamment à l’égard des civils palestiniens. 

Cette guerre-là, celle des idées, était-elle perdue d’avance ? Elle aura permis de donner de la voix à ceux que les médias bolloréens ont transformés en statistiques mensongères. Et de montrer la France au travail, dans des conditions que beaucoup se refusent encore à envisager. 

SUZANNE CANESSA

Au Boulot ! de François Ruffin et Gilles Perret
Sorti le 6 novembre

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Salon du Livre Métropolitain : L’Espagne a pris la Citadelle

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Le Salon du Livre Métropolitain à la Citadelle de Marseille couronne Alana S Portero, autrice trans, pour son roman La Mauvaise habitude
Alana S. Portero lors du Salon du livre metropolitain - Citadelle de Marseille © François Moura / MAMP.

En arrivant à la Citadelle, on ne peut manquer l’exposition Corto Maltese qui domine la forteresse. L’aventurier a trouvé au fort d’Entrecasteaux, un lieu à sa mesure. Son père Hugo Pratt est décédé en 1995 mais ses périples continuent grâce à Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero qui, depuis 2015, imaginent de nouvelles épopées au marin ténébreux Présents lors du Salon du livre métropolitain qui pour cette première édition a mis l’Espagne à l’honneur, les lecteurs sont venus en nombre pour se faire dédicacer le dernier « Corto » Ligne de vie, (Casterman). 

À l’autre bout de la Citadelle, un évènement se prépare : la remise du premier prix littéraire métropolitain, doté de 10 000 € visant à récompenser un auteur et son traducteur  issu d’un pays du pourtour méditerranéen. 

Sur la tribune, le jury est présent, composé de personnalités du monde du livre. 135 romans avaient été sélectionnés. Le palmarès tombe récompensant quatre livres mixant dimension intime et politique : le prix spécial du jury va à Guerre et pluie de Velibor Colic (Gallimard) qui raconte l’enrôlement du jeune homme d’alors dans l’armée croato-bosniaque lors de la guerre avec l’ex-Yougoslavie, le troisième prix va à Madre Piccola (Zulma) de l’Italo-Somalienne Ubah Cristina Ali Farah, un roman sur la diaspora somalienne et le second au libyen Hisham Matar pour Mes amis (Gallimard), une réflexion sensible sur l’exil. 

Enfance queer

Enfin, les lauréates sont Alana S. Portero et à sa traductrice Margot Nguyen Béraud pour un premier livre La mauvaise habitude (Flammarion). Le récit brise les codes du roman d’apprentissage, très longtemps circonscris dans un monde masculin et aisé, pour déployer une vision féminine ouvrière, urbaine et trans, s’attachant à décrire les difficultés des enfances queer. La romancière se souvient des mots de Pedro Almodovar avant son départ. « La France est exigeante avec la culture et ne se laisse pas séduire facilement, mais si elle te donne son amour, elle ne le te retire jamais ». 

© François Moura / MAMP.

Sous-sols

Avec la Citadelle, deux autres lieux -les locaux de la Métropole au Pharo et des salles de l’hôtel Sofitel-, ont été mobilisés pour les cinquante tables-rondes autour de la littérature et du livre comme transmission de connaissances ; un pari ambitieux mais qui a déconcerté les visiteurs qui avaient parfois du mal à se repérer entre les différents espaces. 

De même si les éditeurs locaux, invités en nombre, une quarantaine, – et parmi eux Alifbata, Bizalion, Chemin des crêtes, les Enfants Rouges, Melmac Cat et l’Écailler- se félicitent de cette première initiative, ils regrettent d’avoir été « relégués » au sous-sol du bâtiment de la Métropole, loin de l’épicentre des animations de la Citadelle et des librairies représentées : Nozika, Vauban, les Voix du Chapitres et la Grande librairie internationale et sans qu’une seule table ronde n’évoque l’édition dans la seconde région éditoriale de France.

Antifascisme au Pharo

Dans l’amphithéâtre du Pharo, une rencontre vient de commencer sur le thème la bande dessinée, un témoignage historique et sociologique sur l’Espagne. Antonio Altrarriba, romancier, scénariste s’est fait connaître en France pour l’Art de voler (Denoël) roman biographique racontant la vie de son père anarchiste, militant antifasciste, exilé, déporté. 

« Il revient en Espagne sous le franquisme pour travailler la terre dans un village d’Aragón. Dès lors son exil est intérieur et il se suicide à l’âge de 90 ans, estimant que sa vie a été un échec » témoigne Antonio. «Transmettre la mémoire de mon père c’était écrire celle de milliers d’Espagnols confrontés au fascisme qui clive encore aujourd’hui le pays en deux blocs ». Le septuagénaire dialogue avec une jeune femme Ana Penyas. Dans Nous allons toutes bien (Éditions Cambourakis)elle déroule l’histoire de ses grand-mères Maruja et Herminia : « Les femmes de leur génération ont toujours été les personnages secondaires d’autres vies que les leurs : épouse de, mère de, ou grand-mère de. Ce livre leur rend hommage et s’attache à leur confier le premier rôle ».

Anne-Marie Thomazeau

Le Salon du Livre Métropolitain a eu lieu du 25 au 27 octobre à la Citadelle et au Pharo, Marseille

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Vision d’Exil : Les traumas de l’exil

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© Thoe Htein

L’enquête sur l’intégration des primo-arrivants (ELIPA) l’a montré : les réfugiés en situation d’exil subissent un déclassement, et leur perte de chance est considérable en comparaison des nationaux, à niveau de compétence et de diplôme égal. Leur accompagnement est un enjeu pour les pouvoirs publics. 

Pourtant, après un article du Monde publié en novembre 2023, l’opprobre avait été jeté sur les modalités d’accompagnement des Artistes en exil. Probablement liée au succès et à la visibilité de l’association, la crise interne a eu le mérite d’orienter les missions vers un accompagnement temporaire qui vise à amorcer une carrière: l’enjeu est bien de favoriser l’égalité des chances, non du résultat, et les artistes en exil sont désormais intégrés au conseil d’administration de l’association.

Volet marseillais intégré

A Marseille, la municipalité a bien compris l’importance de ces enjeux et soutient l’association via le Contrat Territorial d’Accueil et d’Intégration ainsi qu’en lui attribuant un local à Vauban.  

Pour Sarah Gorog et Nicolas Stolypine, responsables du projet à Marseille, il s’agit d’installer le festival en développant des partenariats avec les équipements culturels et les festivals. Ainsi la programmation de la 7e édition décline de nombreuses performances avec des partenaires tels que Provence Art Contemporain, l’AMI, le Château de Servières, le Musée d’Art Contemporain de Marseille [mac], le cinéma La Baleine, la grande librairie internationale,  La Mûrisserie…

Visions d’exil Marseille propose des soirées festives, des concerts, des spectacles, des  performances, des expériences immersives, des expositions, des projections, des rencontres et des tables-rondes, des lectures et des ateliers de pratique artistique. Cette édition est marquée par l’omniprésence de la guerre et la montée en puissance des régimes autoritaires, qui  entraînent des violations des droits humains et des attaques véhémentes contre la démocratie sur lesquels les oeuvres sensibilisent. 

La thématique de la censure a inspiré ces artistes dont le parcours reste lié à l’expérience et au trauma de l’exode, à la fuite de régimes autoritaires et violents. Victimes de guerres et de discriminations raciales ou politiques, ils témoignent de parcours d’oppression et de résistance : la culture d’un peuple en péril se perpétue à travers ses artistes et dans les contextes d’exil, l’artiste doit pouvoir continuer à créer, en tant qu’individu mais aussi en tant que dépositaire d’une culture. 

Ainsi, durant la première semaine de Visions d’exil, Censure expose des artistes originaires de Turquie, d’Ukraine, de Russie, d’Irak, d’Iran, de Syrie et de Colombie, tandis que le FID projette deux films ukrainien et palestinien, et que le Château de Servières expose des artistes birmans.  

SAMIA CHABANI

Censure, exposition collective
Jusqu’au 23 novembre
Vernissage le 7 novembre
de 18h à 21h
Provence Art Contemporain, Marseille 

Voyage au bord de la guerre (Ukraine)
Quatrième étage après la Nakba (Palestine)
Le 8 novembre
Cinéma la Baleine, Marseille

Hsin Hsa
Du 13 novembre au 14 décembre
Château de Servière, Marseille

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Jazz sur la Ville reprend son rythme

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Pat Metheny © DR

Quand la saison des feuilles mortes arrive, le festival Jazz sur la Ville permet de braquer les projecteurs sur des programmations habituellement dispersées, fédérant des lieux, des équipes et des artistes sous la bannière d’un genre musical dont les velléités improvisatrices sont autant de promesses d’émancipation. C’est dans cette même énergie que s’élance cette nouvelle édition, jusqu’au 7 décembre d’Avignon à Marseille, en passant par Vitrolles, La Ciotat ou Aix-en-Provence. 

Parmi les acteurs à la manœuvre, l’association Charlie Jazz met d’emblée la barre très haut avec ses Rendez-Vous de Charlie à Vitrolles (6 et 7 novembre). Il aligne le légendaire guitariste Pat Metheny, pour une performance solo (déjà complète) et une soirée italienne avec le duo Rita Marticulli (piano)/Luciano Bondini (accordéon) et le sublime quartet du saxophoniste Stefano di Battista dont le dernier répertoire, « La Dolce Vita », enjazze les standards populaires et cinématographiques de la Botte dans un maelstrom de swing et d’émotion. 

D’autres artistes internationaux animeront les scènes régionales. Yes ! Trio notamment est programmé par Marseille Jazz des Cinq Continents à Miramas (16 novembre) dans le cadre de son « parcours métropolitain » : trois maestros américains dans une configuration classique piano au service d’un swing qu’on pourrait croire éternel. Jonathan Kreisberg, guitariste originaire de Miami, s’exprimera quant à lui en trio avec orgue hammond et batterie – une configuration propice aux improvisations les plus électriques – à Salon-de-Provence (15 novembre). Le même lieu accueille le 12 novembre la prestation très attendue de l’octet dirigé par le flûtiste varois Christophe Dal Sasso, qui convie la saxophoniste d’origine portoricaine Shekinah Rodz, ou encore le quartet de la swinguante contrebassiste Naïma Giroud.

Palestine, Arménie, Kabylie…

Dans un registre plus « rappologique », c’est à Toussaint Louverture (figure de l’indépendance d’Haïti dont le nom reste synonyme de décolonisation depuis plus 200 ans, bien qu’il mourût déporté en France) que l’Américain Napoleon Maddox rendra hommage à La Mesòn le 30 novembre aux côtés du beatmaker hexagonal Sorg. La veille, la petite salle du quartier Longchamp (Marseille) convie également la chanteuse Sarah Lenka, dans une formation intimiste, dont le nouveau répertoire donne à entendre les voix des diversités qui la nourrissent – ses origines kabyles notamment, sans oublier quelques références à l’Arménie. 

Sorg & Napoleon Maddox © MS Studio

La Cité de la Musique, à Marseille, accueillera les prestations d’artistes déployant des ondes musicales sans frontières, aux origines joyeusement incontrôlées. Qu’il s’agisse du violoncelliste Gaspar Claus (8 novembre) ou la chanteuse-oudiste d’origine palestinienne Kamilya Jubran (29 novembre), dont les prestations sont autant de saines piqûres de rappel des terribles souffrances infligées à son peuple. Quant à la Maison du Chant, l’un des piliers de l’équipe organisatrice, c’est la formation Maluca Beleza qui s’exprimera sur sa scène le 24 novembre : la chanteuse Caroline Tolla s’est entourée de redoutables musiciens (Wim Welkers, guitare et Pierre Fénichel, contrebasse, notamment) pour un hommage au Brésil, en particulier au choro, fertile terreau pour l’improvisation. 

Tout doucement ?

Signalons enfin la présence des inlassables artistes régionaux comme la contre-diva Cathy Heiting (accompagnée ici par le guitariste Loïs Coeurdeuil), ou bien le trompettiste Christophe Leloil au Fort Napoléon, à La Seyne-sur-Mer, lieu emblématique du jazz sur la côte varoise. Gageons que Marion Rampal ne dédaignerait pas d’être considérée comme une « régionale de l’étape » : plus blueswoman que jamais, c’est sur la scène du Forum de Berre que cette provençale-désormais-parisienne-largement-créolisée donnera son tour de chant. 

Il y aurait encore bien des pièces à rajouter à ce patchwork musical sous lequel il fera bon se lover afin de profiter de la saison des feuilles mortes… « Tout doucement », comme dit la chanson ? Peut-être. « Sans faire de bruit » ? C’est moins sûr et c’est tant mieux !

LAURENT DUSSUTOUR

Jazz sur la Ville
Jusqu’au 7 décembre
Divers lieux, Région Sud

Le Rendez-vous de Charlie
6 et 7 novembre
Divers lieux, Vitrolles
charlie-jazz.com

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Ces prix que nous gagnons

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Malgré le résultat des élections américaines et même si cela peut changer le monde, des chapes d’oppression ont été levées et des horizons, dégagés, apparaissent. À chaque pas dans la ville, chaque #metoo révélé, chaque roman effeuillé, chaque applaudissement de théâtre, nous le constatons : le monde a déjà changé. 

Le bouleversement culturel que nous vivons est profond, même si les forces réactionnaires, puissantes, sont en marche pour endiguer la vague et protéger leurs acquis rancis et leurs terres stériles. Les monstres de Gramsci sont là, ceux qui surgissent dans le clair-obscur des transitions politiques, lorsque les idées ont germé puis fleuri mais que la moisson se fait attendre. Des zombis presque oubliés ressortent de leur naphtaline et censurent les universités américaines, les télés russes, les librairies algériennes. Confrontés à la fin d’une domination qui leur semblait naturelle les plus dangereux des vieux charognards s’éveillent et étrillent le monde de leurs actes terroristes, leurs massacres de civils et leurs urbicides. 

Toute cette violence n’est plus un danger mais un fait, en actes, irréversible dans ses douleurs infligées aux humains et aux peuples. Mais les avancées des idées, les progrès civilisationnels, sont tout aussi irrévocables. 

Récits d’opprimé.e.s

Kamel Daoud emporte le prix Goncourt, avec Houris, un roman qui met en question le régime algérien, sa loi du silence sur la décennie noire, sa main mise sur le corps des femmes, son rapport aliénant à la langue imposée. Un roman qui est pourtant un chant d’amour à l’Algérie, à ses combats et à ses souffrances, dans une langue française marquée à chaque pas, chaque syllabe, de la musicalité et de la force imagée de l’arabe poétique. 

À l’heure où une loi réactionnaire brise l’égalité de droit des binationaux français, ce prix Goncourt franco-algérien se double d’un Renaudot attribué à Gaël Faye [lire notre article ici], autre auteur binational, porteur de l’histoire du génocide Tutsi. 

Plus inattendu encore, à Marseille, le premier prix du Salon du Livre métropolitain est attribué à Alana S.Portero, autrice espagnole trans, pour un roman magnifique, La Mauvaise habitude, paru en 2023. Sa langue flamboyante happe le lecteur de la première à la dernière ligne et emmène à la rencontre de femmes magnifiques, populaires et libres, et de queers qui ouvrent à tous·tes le chemin de la liberté, loin des assignations sociales et genrées. 

Liberté sur les écrans, les scènes, les cimaises

Ces reconnaissances littéraires sont le fruit de programmations culturelles publiques qui affirment de plus en plus fort la force politique et subversive des arts. Ainsi, cette semaine, les Artistes en exil ouvrent leur expo collective Censures, la biennale numérique investit le virtuel comme un espace créateur d’imaginaire, Africapt projette Bye Bye Tibériade sur la Palestine  et Dahomey sur la restitution des œuvres pillées par la colonisation française. Les racisés, les femmes artistes au [MAC], les queers, les exilés, se font entendre, et portent enfin, d’une voix faite de chacun de leurs chants parfois imparfaits, l’idée d’une culture plurielle, d’une histoire des libertés acquises et des luttes. 

Ces voix multiples et complexes, lorsque les zombies réactionnaires seront retournés à leurs tombes, devront aussi se sortir des champs de mines où ils les ont laissés. Toute domination ne se maintient qu’en opposant et divisant les dominés : les femmes, les arabes, les juifs et les amazighs, tous les LGBTQI que le sigle suppose, tous les discriminé·e·s physiques et sociaux, devront à leur tour renoncer à dominer les plus fragiles qu’eux. Jusqu’à ce qu’enfin les derniers arrivés ne ferment plus la porte, et que l’humanité libérée circule. 

Agnès Freschel