lundi 21 avril 2025
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Trois vies en Somalie

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Le Village aux portes du paradis (C) Jour2fête

C’est par extrait de journal télévisé de Channel 4, relatant une attaque de drones en Somalie que démarre Le Village aux portes du paradis, le premier long métrage de Mo Harawe, un jeune cinéaste qui y est né et y a grandi.

Paradis, c’est le village, au bord de la mer, où vit Mamargade (Ahmed Ali Farah). Il élève seul son fils, Cigaal (Ahmed Mohamud Saleban), acceptant tous les boulots : fossoyeur, mécanicien, chauffeur. Sa sœur, Araweelo (Anab Ahmed Ibrahim), habite avec eux depuis qu’elle a divorcé : comme elle ne parvenait pas à avoir d’enfant, son mari voulait lui imposer une seconde épouse. Tenace, elle économise, essaie de récupérer de l’argent prêté, d’obtenir un prêt bancaire, pour s’acheter une petite échoppe.

La vie s’écoule lentement, au rythme des transports que fait Mamargade, des bêtes ou d’autres marchandises moins licites. Ou des trous qu’il creuse pour enterrer ceux que la guerre tue comme cette jeune fille, dont la mère, sous le choc, constate : « Ca ne sert à rien d’avoir des enfants ! Ils meurent jeunes ! »  

Mamargade, lui, est certain de vouloir une vie meilleure pour Cigaal, un enfant sensible, plein d’imagination, et aux dires de la directrice de l’école très, intelligent. Une école qui, faute de maitres, va fermer. Une solution est proposée : envoyer Cigaal en ville dans un internat. Un vrai dilemme : Mamargade va prendre le temps d’y réfléchir d’autant que l’idée ne plait pas du tout à son fils. Quand il prend sa décision, la vie change pour tous les trois… Peu de paroles, peu de discours dans ce film où ce sont les regards qui parlent.

Le directeur de la photographie Mostafa el-Kashef filme avec un grand talent le quotidien de ces trois personnages, dans une région où la guerre est là, toujours. Une palette chromatique à dominante bleue, évitant les traditionnels jaune, ocre, et donnant à voir les paysages désertiques, les rivages où s’activent des pêcheurs, les intérieurs modestes, soignant chaque détail.

La caméra s’attarde sur les visages, sur ces regards où, tour à tour, se lisent l’amour, l’incompréhension, la culpabilité grâce à l’interprétation magistrale des comédiens non professionnels à l’exception d’Anab Ahmed Ibrahim qui incarne Araweelo. Pour Mo Harawe, c’est elle l’héroïne du film. « Les spectateurs s’imaginent qu’on raconte son histoire à lui… et en fait, c’est son histoire à elle. C’est la seule qui accomplit ce qu’elle veut. »

Un film pudique à la mise en scène très maitrisée, au rythme lent, dans lequel le spectateur peut se laisser embarquer (ou pas) mais dont la beauté est incontestable.

ANNIE GAVA

Le Village aux portes du paradis, de Mo Harawe
En salles le 9 avril

« La Cocina », le capitalisme sur le gril

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La Cocina Pays : MEX, USA 2024 Réalisateur : Alonso Ruizpalacios © Juan Pablo Ramírez / Filmadora

Nous sommes à New York dans la cuisine du Gril, resto populaire près de Time Square. On y entre par un long couloir, à la suite d’Estela (Anna Diaz), jeune immigrée, mexicaine comme le réalisateur. Elle connaît Pablo (Raúl Briones Carmona) un gars de son village, devenu cuisinier. Elle espère un job qu’elle obtient sur un malentendu.

Dès lors, on plonge dans le ventre de l’établissement comme les homards ligotés dans leur aquarium. Découvrant comme elle – qui ne parle ni ne comprend l’anglais – la fébrilité du service organisé par catégorisation des tâches et spécialités culinaires. Le ballet incessant des serveuses. La hiérarchie managériale paternaliste et féroce. La diversité des langues des employés, clandestins pour la plupart, qu’on exploite et à qui on promet des papiers et l’Amérique. Une très belle scène les réunit à la pause dans la rue à l’arrière des cuisines, près des poubelles. Chacun révèle son rêve, parfois déjà brisé. Entre eux se nouent des amitiés, des complicités, fermentent des inimitiés, des jalousies. Des drames humains se jouent là, suggérés ou développés. Des fils narratifs comme l’accusation de vol du fantasque Pedro par le gérant. Ou la romance du cuisinier mexicain et de Julia (Rooney Mara) une serveuse américaine. Flirt et jeux amoureux entre deux portes. Fantasme d’une vie possible dans un pays « qui n’existe pas ».

Sauvage

La Cocina d’Alonso Ruizpalacio nous propose de virtuoses plans séquences dans le rythme effréné du travail. L’intensité du film, écrit comme une partition, passe par les syncopes, les ruptures de rythme et de registres, les effets visuels. Et, la violence contenue explose parfois en apothéose. Car le Gril est un ring à l’image de la société. Film en noir et blanc (mention spéciale au directeur de la photographie Juan Pablo Ramirez), La Cocina met en scène le capitalisme sauvage, se rapprochant de films américains comme On achève bien les chevaux. Sa chorégraphie du chaos quand l’ordre du restaurant bascule brusquement dans la folie, rejoint celle des grands burlesques du Muet.

On pense aussi à Ruben Östlund pour la fable politique se libérant du réalisme par l’excès, la stylisation, la métaphore. Inspiré de la pièce du britannique Arnold Wesker, La Cocina est un film sur l’Amérique et sur tant d’autres endroits où « Un peu d’humanité ne  ferait pas de mal » comme le dit une employée du Gril à son patron.

ÉLISE PADOVANI

La Cocina, d’Alonso Ruizpalacio

The Grill, en salles le 2 avril

[Music & Cinéma] Panopticon, « Dieu te voit, il est partout »

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Panopticon (C) Les Alchimistes

Un jeune homme est assis dans un bus, mal dans sa peau, plein de tics, les mains baladeuses Il s’appelle Sandro (Data Chachua, dont c’est le premier rôle). Il a 18 ans et vit avec son père (Malkhaz Abuladze) qui s’apprête à entrer dans la vie monastique et sa grand-mère, dans une maison remplie d’icônes. Sa mère, une chanteuse, est partie vivre à New York. Sandro joue dans un club de football où il fait la connaissance de Lasha (Vakhtang Kedeladze) puis de sa mère Natalia (Ia Sukhitashvili),coiffeuse qui aurait aimé devenir danseuse.

La relation qu’entame Sandro avec la mère de son ami, ambiguë, entre amour et relation maternelle donne lieu à des shampoings et lavages de tête, érotisés, peu vus au cinéma qui nous rappellent ceux du Mari de la Coiffeuse de Patrice Leconte. On découvre que Sandro a une petite amie, Tina (Salome Gelenidze), une jeune femme d’aujourd’hui, libre qui voudrait bien faire l’amour avec lui. Mais ce jeune homme, sous le regard constant de Dieu qui voit tout, veut rester pur jusqu’au mariage. Pour lui, Tina ferait des propositions perverses…

C’est le trajet de ce garçon étrange, tiraillé entre ses pulsions et son désir de pureté que nous fait suivre George Sikharulidze.Un jeune homme fragile qui se sent lâché par sa mère, puis par son père qui quitte la maison pour le monastère. Un jeune homme à qui son père a dit « Dieu te voit, il est partout », obligé donc de vivre honteusement ses pulsions et ses désirs.

Regardant une vidéo qui l’excite, il retourne l’icône de Jésus ornant le mur de l’autel de l’appartement pour se masturber. Un jeune homme qui, entrainé par Lasha, rejoint un groupe de racistes violents. Un jeune homme suivi de près par la caméra du chef opérateur roumain Oleg Mutu qui ne le lâche pas, nous donnant à voir le monde par ses yeux. Data Chachua dont c’est le premier rôle au cinéma a su rendre avec talent l’évolution de ce garçon dont on va découvrir peu à peu les failles et la force.

Panopticon interroge, à travers ses personnages, la Géorgie d’aujourd’hui : les stéréotypes masculins et féminins – la Vierge, la Mère et la Putain – les pères défaillants. Il pointe la mainmise de la religion, la tentation pour certains jeunes de rejoindre les nationalistes d’extrême droite qui voudraient chasser tous les immigrés en particulier les Arabes.

Un premier film, inspiré en partie à George Sikharulidze par sa propre adolescence, un moment où il se cherchait, un moment décisif pour chacun. Tout comme Les 400 coups pour François Truffaut dont on voit le générique, un clin d’œil du cinéaste géorgien à un film français qu’il a vu à 20 ans et qui l’a beaucoup marqué.

Panopticon est un film âpre, fort, dont les images, en particulier le visage de ce jeune homme particulier, reste longtemps en mémoire.

ANNIE GAVA

Montpellier : le printemps des 13 vents

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Durée d'exposition © Marie MC

Loin des programmations dans lesquelles les spectacles repartent aussi vite qu’ils sont arrivés, les équipes artistiques invitées par le Théâtre des 13 vents sont, d’octobre à mai, présentes chacune pendant un mois. En ce mois d’avril, l’invitation a été adressée à Animal Architecte, compagnie fondée en 2018, à leur sortie de l’école du Théâtre National de Strasbourg, par Camille Dagen et Emma Depoid. Camille Dagen est metteure en scène, autrice, comédienne (pour Julien Gosselin, Vanessa Larré et Joris Lacoste) et performeuse (collectif VIE). Emma Depoid est scénographe, et a signé les scénographies de Triumvirus et Morphine de Nina Villanova, Ivanov de Christian Benedetti, Tiens ta garde du Collectif Marthe. Les créations d’Animal Architecte, au nombre de cinq, marquent un intérêt fort pour des matériaux issus de champs non théâtraux : la photographie, l’architecture, la danse, la philosophie, l’histoire, la critique musicale. 

Révéler

Durée d’exposition, leur premier spectacle, créé en 2018, joue, autour du sujet de la séparation amoureuse, de détournements et d’entremêlements de sens, techniques et métaphoriques, entre les processus de la photographie argentique et le théâtre : « choisir un sujet », « cadrer », « exposer », « révéler »… Sur scène, deux acteurs-opérateurs (Thomas Mardell et Hélène Morelli) suivent pas à pas les instructions précises d’un manuel de photographie, projetées sur un immense écran vidéo en fond de scène, tout en proposant des actes performatifs au milieu de la fumée, sur fond de musique electro, et en faisant se télescoper des tirades de Bérénice avec un monologue de Baisers volés de Truffaut. Un spectacle qui envisage le spectateur comme pellicule témoin « surface sensible qui, au contact d’un rayonnement lumineux, réagit chimiquement ». 

Simone de Beauvoir

LES FORCES VIVES © Simon Gosselin

Les forces vives, leur dernier spectacle, créé en 2024, sont celles qui traversent les œuvres autobiographiques de Simone de Beauvoir (1908 -1986), pionnière de l’émancipation féminine : Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses… Animal Architecte souhaite « montrer comment une vie de femme peut s’écrire, de l’enfance à la vieillesse – c’est-à-dire comment cette vie peut à la fois s’inventer, se comprendre et se raconter elle-même ». Un parcours mis en résonance avec trois des guerres qui scandèrent le XXe siècle en France : la Grande Guerre, la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre d’Algérie, dont Beauvoir décrit les répercussions directes, intime, radicales sur sa vie et son écriture.

Un spectacle d’une durée de 3 h 30, séparé entre deux parties (1ère partie : 1 h 50, entracte 20 mns, 2e partie : 1 h 20) porté par l’énergie de sept actrices et acteurs, à la lisière entre démarche documentaire, scènes dialoguées et méditation plus directement adressée au public.

MARC VOIRY

Durée d’exposition
3 et 4 avril

Les forces vives
Du 8 au 10 avril

Théâtre des 13 vents, centre dramatique de Montpellier

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[Music & Cinéma] Nos jours sauvages : Sur la route

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Nos jours sauvages

C’est dans une station service que se produit pour Chloé une rencontre qui va changer sa vie dans le film de Vasilis Kekatos : un lieu que le cinéaste doit apprécier : le même que dans son court métrage, La distance entre le ciel et nous, Palme d’Or du court métrage à Cannes en 2019. Chloe (lumineuse Daphné Patakia)  la vingtaine, quitte la maison, de nuit, après une grave dispute familiale. Elle décide d’aller voir sa sœur à Evros  Elle est prise en voiture par un homme qui ne lui veut pas vraiment du bien. Enfermée dans le véhicule, lors d’une pause, elle est sauvée par Sofia  (Eva Samioti) et ses amis qui vivent dans un mobil home.

Elle s’embarque avec eux le long des routes grecques. Ils sont jeunes, font la fête, boivent, dansent. Ils sont libres et au fil des villages traversés, lavent le linge des pauvres dans les machines qu’ils ont installées dans leur camping-car. Chloé apprend peu à peu les rituels de cette tribu qui devient la sienne : faire les loups dans la forêt, subtiliser des objets dans des maisons inhabitées, se baigner nus. Tombée amoureuse de l’un des garçons, Aris (Nikolakis Zegkinoglou) elle va vivre un premier chagrin d’amour. Sa sœur, enceinte, qu’elle retrouve à Evros, désapprouve complètement la vie qu’elle s’est choisie.

Un film à la fois joyeux grâce aux images remplies de couleurs, à la chaleur du groupe, à la force de l’amitié, à la musique de Kostis Maraveyas mais aussi plein de la mélancolie d’un road movie qui va se terminer un jour.

Annie  Gava

[Music & Cinema] « Cassandre »,  échappée belle

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Cassandre, dans la mythologie grecque, reçoit d’Apollon le don de prédire l’avenir si elle s’offre à lui. Elle refuse ce marché et ses prédictions ne seront crues de personne. Cassandre ou la mécanique des ombres est le titre du premier long métrage d’Hélène Merlin, inspiré par sa propre histoire. Cassandre est aussi le nom de son personnage principal, une jeune fille de quatorze ans. On est en 1998. C’est l’été et, après une année scolaire dans une école militaire, Cassandre revient dans la grande maison familiale, à la campagne, dont l’escalier est orné des portraits et photos de plusieurs générations.

Elle y retrouve son père (Eric Ru) un colonel psychorigide, tyrannique, sa mère (Zabou Breitman) qui se dit libérée de tous les tabous et un frère, Philippe, (Florian Lesieur), écrasé par son père « un mâle alpha ! », sur couvé par sa mère, mal dans sa peau et malsain. Une chance pour la jeune fille: le père fâché avec le moniteur du centre militaire d’équitation où elle s’entraine, l’inscrit dans un centre équestre aux méthodes très différentes, où l’énergie de vie circule librement aussi bien pour les humains que pour les chevaux.

Le moniteur (Guillaume Gouix) lui semble le père idéal. Elle va ainsi pouvoir, peu à peu, échapper à sa famille fusionnelle et  toxique, à l’autorité du père, à la « folie » de la mère et surtout à son frère qui ayant constaté que le corps de sa sœur a changé, va peu à peu en profiter. Lors qu’elle aborde le sujet, « Il ne faut pas en faire un plat ! La promiscuité c’est normal en famille ! » s’entend-elle répondre.  Heureusement, elle a nouvelle amie au centre équestre, Laetitia, (Laika Blanc Francard) qui lui redonne le sourire et un peu de légèreté.

Hélène Merlin a mis plus de dix ans pour écrire et réaliser ce film sur l’inceste et surtout sur la résilience, sur la joie de vivre retrouvée. Si certaines séquences sont dures, la cinéaste a réussi à montrer par sa mise en scène, ralentis, plongées et contre plongées, plans conçus comme des tableaux et par ses choix de format d’images qu’on peut sortir de cette situation. 

Les marionnettes que manipule Cassandre adulte (Agathe Rousselle), belles séquences récurrentes, jeu qui permet de mettre à distance les traumatismes, offrent aussi au spectateur une respiration. Cassandre a échappé à la « mécanique des ombres » et a su concilier en elle le loup blanc et le loup noir du conte amérindien. Billie Blain incarne à merveille ce personnage qui change et découvre la liberté. La musique de la compositrice Delphine Malaussena contribue à la réussite de ce film nécessaire qui aborde un problème toujours d’actualité.                

A découvrir absolument ! 

ANNIE GAVA

Cassandre ou la mécanique des ombres faisait partie des films en compétition à Music & Cinema.

« Deux Sœurs » : Entre rires et larmes

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54 ans après Bleak Moment (Léopard d’or en 1971), plus de 30 ans après Naked (prix de la mise en scène à Cannes en 1993) et Secrets et mensonges (Palme d’or 1996), Mike Leigh fait l’actualité. Rétrospective à la Cinémathèque et sortie de son dernier film : Deux Sœurs (Hard Truths) dans lequel, une fois de plus, le réalisateur octogénaire explore ce que la spécialiste du cinéma britannique, Anne-Lise Marin-Lamellet, appelle « la psychopathologie de la vie quotidienne ».

Le film nous transporte en banlieue pavillonnaire, dans une famille noire londonienne, et la durée de l’action n’excèdera pas quelques jours. Pansy (Marianne Jean-Baptiste) vit dans une petite maison « moderne » aseptisée : petit carré nu de pelouse rase entouré de palissades, intérieur briqué, à la déco formatée. Un ordre domestique contre le chaos intérieur de Pansy qui a la phobie de la saleté et ne cesse d’éructer sur le monde et les gens. En premier lieu sur son fils Moses (Tuwaine Barett), obèse, désœuvré, triste, mutique, et sur Curtley (David Webber) son mari plombier qui la laisse crier sans jamais rien lui opposer. Pansy est en colère. Toujours. Contre tout, contre tous·tes. Elle hurle sa rage et sa douleur. L’univers lui semble hostile et, si elle ne rit jamais, son agressivité nourrie par un verbe imagé, génère des scènes hilarantes.

Une histoire de profondeur

Chantelle (Michele Austin) est sa sœur cadette et son contraire. Rieuse, empathique, dynamique, patiente. Elle vit seule avec ses deux filles, dans un appartement chaleureux qui s’ouvre sur le parc et le chant des oiseaux. Elle est coiffeuse, à l’écoute de ses clientes et de Pansy qu’elle aime mais ne comprend pas. Ces deux-là vont se retrouver à l’occasion de la fête des mères sur la tombe de la leur, malgré les tergiversations de Pansy. On comprend en quelques mots que l’enfance sans père n’a pas été simple, que Pansy s’est sentie malaimée, s’est occupée de Chantelle la « préférée » après le décès de la mère, qu’il y a eu un traumatisme. Mais rien ne sera ni exposé, ni résolu. Si Pansy finit par éclater de rire lors du repas familial organisé par Chantelle, ce sera un rire-sanglots, de ceux dont on ne sait plus ce qu’ils signifient, ni sur quoi ils se fondent. « Ce qui importe, dit Mike Leigh, c’est la profondeur de ce qui se joue », qui trouve écho dans la sonorité feutrée de la viole d’amour choisie pour la BO par Gary Yershon.

Film court, à budget limité, Deux Sœurs est encore une fois un exemple réussi de la méthode Leigh : les personnages se créent en amont du scénario en collaboration avec les acteurs·rices, les répétitions nombreuses débutent bien avant le tournage qui repose sur un rapport « organique » entre le personnage et son environnement. Marianne Jean-Baptiste, qui incarnait Hortense Cumberbatch dans Secrets et Mensonges, est prodigieuse.

ELISE PADOVANI

Deux sœurs, de Mike Leigh

En salles le 2 avril

Comme un chant de Victoires

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régis campo
© X-DR

Le 5 mars dernier, le petit monde la musique était en effervescence. Beaucoup d’artistes étaient derrière leurs écrans pour suivre les Victoires de la musique classiqueÀ Marseille, la fébrilité est montée d’un cran au moment de la remise de la distinction au meilleur compositeur de l’année. Le Marseillais Régis Campo était en lice pour son œuvre orchestrale Dancefloor with pulsing, hommage à la musique de Daft Punk et de Björk dont il est friand

Tout à fait originale, cette création utilise le thérémine, tout premier instrument de musique électronique, inventé en 1920 par le physicien russe Leon Theremin, et dont le son produit ne nécessite aucun contact avec l’instrument. Campo concourrait face à deux autres grands noms : l’italien Francesco Flidei pour Squeak Boum ! spectacle absurde basé sur des poésiesmusicales composées durant le confinement et le talentueux Benoît Menut pour La nuit obscure, inspirée du poème mystique La noche oscura écrit au XVIe siècle par Jean de la Croix .

L’enfant de Marseille

Fierté donc pour Marseille et en particulier pour le Conservatoire où Régis Campo a étudié la composition auprès du fécond Georges Boeuf. « Monté » à Paris, celui qui est considéré comme l’un des créateurs les plus doués de sa génération multiplie les compositions et les prix. Des centaines d’artistes comme Chamayou, Casadesus, Equilbey, Escaich ou Petitgirardet les plus grands orchestres ont joué sa musique, adeptes du style Campo qui fait la part belle à l’humour, la gaité, la lumière et la joie.

Fidèle à sa ville d’origine qui le lui rend bien, ses compositions sont régulièrement jouées dans la cité phocéenne comme son dernier opéra, La Petite Sirène, conte d’Andersen revisité,dont il a écrit la musique et le livret. Par-delà la terrible cruauté de cette histoire, c’est une odeà l’amour, à l’accueil de l’autre dans sa différence. La mise en scène réalisée par Bérénice Collet plonge le spectateur dans un univers fantastique à la Tim Burton. Certaines scènes, trèsdrôles, sont dignes d’Offenbach. La musique, fait appel à des registres multiples. 

On touche à la comédie musicale avec des ritournelles, d’autres morceaux font penser au Maurice Ravel de l’Enfant et les sortilègesL’air de la mélancolie que le public adore est d’inspiration baroque. Quant à la chanson d’amour de la petite sirène, c’est un morceau pop, très simple. Donné le 11 janvier dernier par l’Ensemble Télémaque au Théâtre des Salins (Martigues)la petite sirène revient à l’Odéon (Marseille) pour la plus grande joie des petits et des grands. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le 3 et 5 avril, Théâtre de l’Odéon (Marseille).

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Face à l’urgence, une Passion bleue

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passion bleue
© L.B.F.

Le collectif Eskandar, porté par l’écrivain et metteur en scène Samuel Gallet, navigue entre théâtre, écrits, musiques et performances pour interroger les enjeux existentiels d’un monde en crise. Leur cheminement créatif se déroule en trois temps : une phase de rencontre et d’observation, une phase d’écriture et une restitution, intitulée Conjuration. Ce 19 mars, au Théâtre Liberté, était donné leur travail effectué dans la rade de Toulon quelques jours plus tôt, où Zébuline était.  

Embarquement 

19 mars, 9 h30. C’est l’heure d’embarquer sur la navette, et l’équipage s’appelle Samuel GalletPierre Morice et Julie Aminthe, tous du collectif Eskandar. Leur cap, les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. L’objectif est de rencontrer les anciens ouvriers de ces chantiers fermés depuis 1989. Une douzaine d’entre eux attendent déjà sur le quai quand le bateau arrive, et très vite l’échange se fait. En un instant, les trois artistes se fondent dans le public, s’immergent dans leurs récits, captent les émotions. Une émotion omniprésente tant l’histoire de cette industrie reste gravée dans les corps et les cœurs des ex-ouvriers.

© L.B.F.

Il y a les problèmes de santé liés l’amiante, omniprésente à l’époque, qui a déclenché des cancers chez certains. Les conditions de travail aussi, très difficiles : charges lourdes qui cassent les dos, absence de casques sur les oreilles malgré le bruit omniprésent – beaucoup sont aujourd’hui sourds ou malentendants. Et il y a la fermeture des chantiers, d’une telle brutalité qu’elle a causée nombre de dépressions nerveuses, divorces, ou suicides.  

Les artistes, d’une écoute attentive, se sont contentés de poser des questions, et de prendre des notes. Assez pour écrire un spectacle et rendre hommage à ces cabossés de la vie et du capitalisme. Injustement oubliés. 

LILLI BERTON FOUCHET

Cet échange entre l’équipe artistique de Samuel Gallet et les anciens des chantiers navals de La-Seyne-sur-Mer a eu lieu le mercredi 19 mars, dans le cadre de Passion bleue.

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Batsheva : boycotter l’art israélien ?

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BATSHEVA
Naharin’s virus © Ascaf

Naharin virus est programmé au Théâtre Liberté de Toulon, et au Grand Théâtre de Provence. Anafaza, autre reprise d’un chef d’œuvre historique, ouvrira le festival Montpellier danse avant de rejoindre un autre temple, le Théâtre National de Chaillot. 

Ce retour est attendu : la tournée européenne prévue en 2024 avait été annulée par le chorégraphe qui craignait pour la sécurité de ses danseurs. Des appels au boycott sont régulièrement lancés par le BNC palestinien (Boycott National Committee), relayé en France en particulier par le BDS-France (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) et l’UJFP (Union des Juifs Français pour la Paix). 

Ceux-ci disent cibler les institutions israéliennes, et non les artistes. Ohad Naharin se défend et explique qu’il prend les subventions mais reste un opposant du régime. Ses œuvres, et en particulier ce Naharin virus, qui fait danser sur des musiques en arabe et devant un mur où l’anagramme « Plastelina » s’inscrit à la craie, sont peu susceptibles d’être interprétées comme défendant lesuprémacisme juif, ou faisant la promotion d’un gouvernement piloté par un criminel de guerre sous mandat d’arrêt international. 

Elles sont aussi (surtout ?) des chefs d’œuvres, et Naharin un des plus grands chorégraphes du monde, qui a fait des émules à la Batsheva Dance Company, comme Emanuel Gat et Hofesh Shechter. Pourtant… 

Un lourd héritage

Ceux-ci ont quitté Israël et travaillent en France et en Angleterre, en conservant la technique GAGA mise au point par Naharin, la force d’une danse très musicale, calligraphique et terrienne, mais en refusant de travailler au « culture-washing » du gouvernement israélien. Qui régulièrement se targue de l’excellence artistique d’un ballet national qui porte le nom de Batsheva de Rothschild, sa fondatrice. Une grande philanthrope des arts, dans la tradition des milliardaires anglais puis américains qui ont érigé le mécénat artistique en concours de générosité, de Rockefeller à Carnegy (qui préférait l’opéra) en passant par Bill Gates et Jeff Bezos.

Une lourde histoire pour la Batsheva Dance Company, qui reste une des compagnies chorégraphiques les plus fascinantes du monde, et le Virus de Naharin une œuvre de résistance. Efficace ? 

AGNÈS FRESCHEL

Naharin virus
Du 27 au 29 mars
Théâtre Liberté, Scène nationale de Toulon
1er et 2 avril
Grand théâtre de Provence, Aix-en-Provence

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