lundi 25 novembre 2024
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 9

Revenir » au Mucem : destins et trajectoire en Méditerranée 

0
4_Famille_H_La_route_vers_la_Tunisie_1970-2000_Photographie_Etablissement_public_du_Palais_de_la_Porte_Doree__Collections_du_Musee_national_de_lhistoire_de_limmigration_©_Collections_du_Musee_national_de_lhistoire_de_limmigration

Quels types de liens gardons-nous avec la terre d’origine après l’avoir quittée ? La nouvelle exposition du Mucem, Revenir, s’axe sur l’après de l’exil. Un angle original pour traiter de la question migratoire en Méditerranée, plus souvent abordée sous celui du départ que du retour.

Dès l’entrée, dans la salle principale du bâtiment George Henri Rivière, les mots d’Homère happent le visiteur : « Mais c’est là tout mon souhait, tout mon rêve à jamais : rentrer chez moi, revoir le jour de mon retour » confie Ulysse à la nymphe Calypso. Le plus grand bourlingueur de l’Antiquité aspire à revoir son île natale, dont il est parti guerroyer, plus ou moins à contrecœur selon les versions du mythe. Il y parviendra, retrouvant femme, royaume et héritier après vingt ans d’absence. Ce qui n’est pas toujours possible quand on a connu le déracinement, qu’il soit volontaire ou contraint et forcé. Parfois, le chez-soi tel qu’on l’a connu n’existe plus, détruit par la guerre ou le temps. Parfois on a tellement changé soi-même qu’on ne peut plus l’habiter que dans le souvenir.

Quand la recherche nourrit le propos

Autant de nuances qui se révèlent dans le travail des deux commissaires de l’exposition, Giulia Fabbiano et Camille Faucourt. Les deux femmes se sont intéressées « aux expériences vécues de l’exil, et à la façon dont celles-ci sont transmises de génération en génération ». Un propos sensible qui s’appuie sur un énorme travail de collecte, initié dès 2016, alors que Giulia Fabbiano était doctorante et focalisait ses recherches sur le retour des immigrés en Algérie. Par la suite, un groupe interdisciplinaire de géographes, anthropologues et artistes s’est lancé dans une série d’enquêtes de terrain pour alimenter les fonds du musée, en Italie, Macédoine du Nord, Haute Galilée, Grèce ou Cisjordanie. Dans leurs filets, une foule d’éléments matériels et immatériels, cartographies, correspondances, vêtements, souvenirs, affiches, films, dessins, esquissant destins et trajectoires de personnes déplacées.

En résonance avec l’actualité

Ce n’est pas la moindre qualité de ce travail que de juxtaposer, sans les hiérarchiser, les expériences douloureuses de populations, dont certaines sont prises dans une actualité explosive. La mémoire de la communauté juive de Rhodes, déportée et exterminée en 1944, côtoie ainsi des témoignages rassemblés durant l’été 2023, dans le camp de réfugiés palestiniens d’Aïda. On s’arrête longuement devant une carte, réalisée par le collectif militant De-Colonizer, qui recense les destructions opérées dans les localités palestiniennes, juives et syriennes depuis des décennies. Ou des objets d’artisanat faits à partir de cartouches de gaz lacrymogènes, tirées par l’armée israélienne. Un peu plus loin, une frappante statue de bronze, réalisée par l’artiste Khaled Dawwa en 2022, représente le pouvoir autoritaire en Syrie, sous les traits d’un homme bedonnant en voie de pourrissement. Tout n’est pas aussi brutal : une bonne partie du parcours évoque plutôt les liens entretenus entre pays d’origine et pays d’accueil, tels ces rejetons d’un figuier centenaire, soigneusement plantés sur la terre nouvelle par une famille immigrée. Mais l’ensemble est poignant.

GAËLLE CLOAREC

Revenir
Jusqu'au 16 mars
Mucem, Marseille
À lire
Revenir – Expériences du retour en Méditerranée
Catalogue de l'exposition
Dirigé par Giulia Fabbiano et Camille Faucourt
Éditions Mucem / anamosa, 28 €

Retrouvez nos articles expos et arts visuels ici

Bleue : la Canebière s’incline devant Collapsing Land 

0
un ballet physique et technique sur une structure inclinée à 90°, Cette performance de la compagnie La Tournoyante, photographiée sur la Canebière à Marseille
© Kris Pothano

Il y a quelques semaines, c’est le froid et le vent qui ont perturbé la représentation de Collapsing Land à La-Seyne-sur-Mer dans le cadre du festival Regards sur rue. Ce dimanche sur la Canebière, ce sont les rayons d’un soleil déclinant qui sont venus en partie aveugler les nombreux spectateurs venus assister au spectacle. Pourtant, à travers les rayons, c’est un spectacle aussi beau qu’impressionnant qui a été donné par la compagnie La Tournoyante de Simon Carrot. Une œuvre chorégraphique et circassienne bouleversant nos repères gravitationnels, agitant nos peurs, et nos certitudes. 

90° au soleil 

Beaucoup de monde s’est réuni sur la bas de la Canebière, entre le carrousel et le palais de la Bourse. Au milieu du pavé, une imposante scène est déjà installée. La structure, forgée par les Ateliers Sud Side, laisse deviner des vérins qui promettent de belles surprises à venir. À côté d’elle, un set de piano/machines va assurer la partie musicale en live. Et c’est d’ailleurs sur un vrombissement de basse que s’ouvre Collapsing Land. Cachés sous la scène, les artistes font vibrer la structure, puis montent, un à un ou deux par deux et entament le ballet. Les premiers gestes chorégraphiques sont tantôt lents, tantôt rapides, toujours très dessinés. Mais la première surprise apparaît quand les gestes deviennent de moins en moins naturels. Quand le danseur se penche d’un côté ou d’un autre, que la gravité – malgré toutes les séances de gainage possibles – ne pourrait laisser passer. L’astuce réside sous les pieds, les danseurs ont dans leurs chaussures des aimants, qui seront actionnés tout au long de la pièce par leurs partenaires de jeu, cachés ou non sous la scène. 

Puis la structure se met à s’incliner. D’abord de quelques degrés, puis beaucoup plus franchement, et jusqu’à 90°. Pendant tout le spectacle, les danseurs·euses se joueront de l’inclinaison, d’une performance physique et technique qui ne gâtera que très peu la cohérence artistique. Car dans Collapsing Land, outre le visuel frappant – et la musique électro de bon ton – il faut aussi y voir l’allégorie d’un monde à la dérive, d’un sol qui se dérobe sous les pieds, et de l’opiniâtreté de l’espèce humaine à vouloir le dompter. D’ailleurs, la scène finale montrera tous les danseurs au sommet de la structure totalement inclinée. Les optimistes y verront la réussite de l’être humain face à l’impossible, les pessimistes la folie d’une espèce bien heureuse de dominer un monde pourtant à l’envers. 

Du Bleue plein les yeux

Collapsing Land était le point final d’Au bout, la mer ! Bleue qui a réuni sur la Canebière des milliers de personnes – malgré la concomitance avec La voie est libre plus loin sur la Corniche. À l’initiative de la mairie des 1er et 7e arrondissements et produite par Karwan, cette journée consacrée aux arts et à la science autour des enjeux environnementaux, a proposé une multitude de rendez-vous : les lettres d’amour à la mer clamées par l’artiste Louvalemonde, l’acrobate de l’identité Bahoz Temaux (Cie La Meute), le bateau origamique de Frank Bötler, ou une mise en lecture de témoignages issus du travail des équipes de SOS Méditerranée (des naufragés ou des bénévoles) par les élèves du Groupe Phare

NICOLAS SANTUCCI

Au bout, la mer ! Bleue s’est tenue le 20 octobre sur la Canebière.

Retrouvez nos articles et retours spectacles ici et ici

« Cosmos » : Julie Villeneuve retrouve l’animal en soi

0
Cosmos de Julie Villeneuve © X-DR

Sur la scène, un bureau, des photos d’enfants et une grosse couverture posée par terre. Elle représente Cosmo. Cosmo est un chien. Il a été le fidèle compagnon de Julie pendant treize ans. Cosmo a pris toute la place dans sa vie, dans son cœur. Ce Cosmo contre lequel elle n’est jamais en colère, qui ne l’agace jamais alors que le monde des humains la fait souffrir, tempêter, pleurer et lui demande un « effort considérable ». Ce Cosmo qui fait battre son cœur un peu plus fort, qui a veillé sur elle comme elle a veillé sur lui. Cette bête qui n’est que fidélité, tendresse bonheur, et qui, comme elle, pense avec son cœur, avec son ventre avec ses ressentis immédiats plus qu’avec l’intelligence supposée d’un cerveau. Cette bête qui comme Argos le chien d’Ulysse la reconnaîtrait sans l’ombre d’un doute qu’elle soit vieille, ridée, défigurée. Cette bête qui ne juge pas. Cette bête qui l’a aimée comme jamais personne ne l’a aimé. Au public, elle raconte ces années avec Cosmo, « l’histoire de cette femme seule, célibataire et sans enfant qui dort avec son chien et que vous allez sans doute trouver pathétique ».

Cosmo réveille en Julie, l’animalité brute qui a précédé l’humanité, le « sanglier en colère » qu’elle a étouffé durant toutes ses années d’enfance. Julie amorce un strip-tease. Nue sur scène, elle se lance dans une danse folle, une chorégraphie endiablée qui réveille l’animalité en elle. Elle se transforme en chien, gronde, attend que le public lui jette un bouchon en liège pour jouer, se désolidarisant du « clan des humains ».

Chienne de vie !

« Dans toutes les langues, le mot “chien” est toujours une insulte ». Pourquoi s’interroge-t-elle ? Parce qu’il continue à aimer indéfectiblement même celui qui le maltraite ? Comme elle finalement qui, fidèle jusqu’à l’obsession, est parfois restée pour un bifteck, un peu d’argent, un regard, un sourire, une petite caresse, un peu d’amour. 

Au-delà de sa présence, de ses silences éloquents, de son regard éternellement doux, Cosmo répare, console, la Julie enfant au regard triste qui vivait dans une grande maison toute blanche où tout n’était que solitude, colères, brimades. À 18 ans, elle quitte ceux qui lui tiennent lieu de famille humaine et part vivre dans les bas-fonds de Bucarest avec les enfants des rues. Elle y rencontre la meute, les nuits au corps à corps dans des caves, la survie quotidienne pour un peu de nourriture, pour un sourire, un regard, une caresse.

Julie mélange scène live et dialogue avec un reportage vidéo dans lequel apparaît sa grand-mère, à laquelle le spectacle est dédié, la seule qui ait réellement compris la relation qui la liait à son chien et bien sûr sur grand écran Cosmo et son regard saisissant et vibrant.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Cosmos a été donné le 18 octobre à La Criée, Théâtre national de Marseille. 

Retrouvez nos articles et retours spectacles ici et ici

Les Instants Vidéos exposent le monde 

0
François Lejault, Après la durance

Les Instants Vidéos est un festival qui se déploie dans de multiples temporalités et de multiples espaces : il y a les Rencontres, qui ont eu lieu à La Friche La Belle de Mai du 17 au 19 octobre, les Échappées belles en Région Sud et dans le monde (Italie, Iran). Et une exposition (20 installations vidéo) jusqu’au 19 janvier prochain, au 3e étage de la Tour Panorama. Un festival sans thématique, mais cette année un titre issu de l’Opéra de Quat’Sous, écrit en 1928 par Bertold Brecht : « Car de quoi vit l’humain ? ». 

Un état du monde et des corps

Les réponses à la question sont variées, poétiques et politiques. Parmi les œuvres exposées, le triptyque Après la Durance, où le Français François Lejault filme, tel le dernier survivant d’une catastrophe totale, les paysages désolés ou enchanteurs qu’il rencontre de la confluence du Rhône et de la Durance à la source à Montgenèvre. Dans Comment tenir le vide la Canadienne Rachel Echenberg regarde du côté de la perte, à travers des performances où elle tente de s’accrocher à des éléments cassables et intangibles : le verre, le vent, le sable. Du côté du corps, des violences qu’il subit, ou de ses réinventions, on trouve notamment Broken Eyes de l’Argentine Gabriela Golder qui s’interroge sur les mutilations des yeux infligées dans les manifestations de ces dernières années par les polices (entre autres) du Chili, de Colombie, de France, du Liban, de Hong Kong. Dans Soma, la Française Clara Lemercier Gemptel fait incarner à d’étranges silhouettes blanches granuleuses aux yeux oblitérés des témoignages décrivant diverses violences dans le monde du travail, qui les ont amenés à développer une multitude de symptômes physiques. Et dans On the other side of , l’Estonienne Mia Felić, met en lien le processus de révélation photographique par le mordançage, procédé chimique du XIXe siècle, et l’émergence de corps transgenres. 

MARC VOIRY

Les Instants Vidéos
Jusqu’au 19 janvier
Friche La Belle de Mai, Marseille
instantsvideo.com 

Retrouvez nos articles Arts visuels ici

« Article 353 du code pénal » d’Emmanuel Noblet, intime et convaincant 

0
Article 353 du code penal © Jean-Louis Fernandez

C’est une histoire d’homme blessé par un homme cruel et pervers, puis d’un homme compatissant, et d’un enfant trop en colère pour devenir un homme. Une histoire d’homme, en somme, dépliant en un long monologue intérieur la question de l’impossible faiblesse, de l’impossible acceptation de l’échec que les êtres masculins se trimballent. 

Le roman de Tanguy Viel décrit remarquablement la domination de classe dans une province désindustrialisée qui fait face à l’irruption d’une spéculation agressive. « Ceux qui ne sont rien » sont au cœur du roman de Tanguy Viel qui confronte son personnage, Martial Kermeur, à un escroc sans scrupules et sans conscience, complexe au point de chercher à conserver l’amitié de ceux qu’il détruit en les arnaquant.

Face à lui, l’État de droit, un juge, l’absoudra de son crime – l’ouvrier chômeur a noyé l’escroc – au nom de l’article 353, qui fait appel à son « intime conviction ». 

Réalisme paradoxal

Le dispositif narratif – huis clos dans le bureau du juge, soliloque de Kermeur composé de paroles directes et de monologue intérieur – peut paraître une aubaine pour un metteur en scène ; mais la langue, extrêmement écrite et très belle, s’ornemente de digressions narratives. Faire entendre ce monologue intérieur dans chaque nuance de ses chemins de traverse empruntés sans cesse par Kermeur était une gageure. 

Emmanuel Noblet s’empare de ce réalisme contredit par le style en situant le huis clos non dans le bureau du juge mais dans le non-lieu du chantier avorté, du château détruit. Vincent Garanger, lui, reste parfaitement réaliste, incarnant Kermeur dans ses humiliations, ses tendresses, ses ivresses, ses amours, ses regrets – non celui d’avoir tué, mais d’avoir été un mauvais père. Il tient la scène presque seul, sous le regard du juge (Emmanuel Noblet) quasi silencieux, parvenant à nous faire croire à ce personnage criminel d’une troublante humanité, qui manie une langue écrite et poétique comme s’il nous parlait.

AGNÈS FRESCHEL

Article 353 du code pénal a été créé au Théâtre Durance, Château Arnoux le 15 octobre et joué au Bois de l’Aune, Aix, les 17 et 18 octobre

Retrouvez plus d’articles et de retours spectacles ici

Biennale d’Aix : Au Mac Arteum, une « Anatomie du dessin » entre papier et virtuel 

0
© C.P.-P.

Pour cette exposition intitulée Anatomie du dessin, la Biennale d’Aix s’associe à deux autres manifestations culturelles : la Saison du dessin et Chroniques, biennale des imaginaires numériques. Pour la découvrir, direction Châteauneuf-le-Rouge et son Mac Arteum, situé au deuxième étage de l’hôtel de ville.

Les œuvres présentées proposent une réflexion autour du dessin et de son évolution dans l’art contemporain grâce aux technologies numériques. Les cinq artistes y partagent leur cheminement entre monde réel et monde virtuel. Le robot géant d’Emma IKS nous accueille dès le début de la déambulation et, accompagné de dessins, gravures et sculptures, traduit une certaine inquiétude sur notre avenir et sa dépendance à la robotique. Dans la salle adjacente, les feuilles de papier de Marguerite Maréchal deviennent sa peau, et sa cicatrice, un dessin, une sculpture… Sur la toile d’Elias Kurdy, la fresque reproduisant un bas-relief mésopotamien est revisitée, métamorphosée avec l’ajout d’images de migrants dont la sombre actualité fait écho à une même histoire d’exil, à des quelques milliers d’années d’écart.

Une expo peut en cacher une autre…
Avant de partir, il est possible de faire un détour par le parc du château pour rencontrer quelques-unes des œuvres proposées dans le cadre de la 16e édition du festival des Arts Ephémères. Depuis leur exposition au Parc Maison Blanche à Marseille au mois de juin dernier, elles voyagent sur l’ensemble de la Région grâce au programme Itinérance. Ainsi, des artistes invités comme Brontë Scott, Richard Otparlic, Philippe Chea Oum côtoient des étudiants diplômés des Beaux-Arts de Marseille, ici, Yahnis Rocailleux et Rafael Garcia-Lara pour proposer une nouvelle lecture de leurs œuvres à un nouveau public. C.P.P.

Papier et numérique

On retrouve également les robots chiens hybrides de France Cadet qui utilise l’outil informatique à la fois comme instrument de recherche et étape préalable à ses dessins. Renaud Grizard, lui, a travaillé à partir de photos de ses esquisses de platanes. Il les a mises en couleur sur iPad utilisant calques et superpositions, et présente les différentes étapes de la construction de ses tableaux. Pour terminer la visite, l’expérience immersive de Boris Labbé nous fait voyager, grâce à un casque VR, dans un univers virtuel autour de références de l’art japonais. Près de 2000 dessins ont été réalisés pour ce projet.

CÉLIANE PERES-PAGÈS

Anatomie du dessin, en co-production Mac Arteum et Arts Vivants Aix, est visible jusqu’au 6 décembre 2024, du mercredi au samedi de 14h à 18h. Entrée libre. 

Le pourquoi du Coran

0

Traduit et paru aux éditions du Bruit du Monde l’année dernière, Poubelle, récit choral s’étendant autour de la décharge de Ciudad Juárez, avait fait découvrir la plume, la langue et l’univers de Sylvia Aguilar Zéleny. L’autrice mexicaine est de nouveau mise à l’honneur par la maison marseillaise, cette fois-ci en pleine rentrée littéraire d’automne. Le Livre d’Aïcha impressionne lui aussi par la vigueur de sa forme fragmentaire, et par sa langue acérée, entre brute oralité et amère poésie. Les liens avec le réel y demeurent très présents et pourtant s’y voient continuellement remis en question, ou du moins mis en perspective. Ce n’est pas uniquement l’histoire d’Aïcha que sa sœur a décidé de poser sur le papier. Plutôt celle de sa famille, et d’elle-même, confrontées à la brutale et inexplicable disparition d’une jeune femme née sous le nom de Patricia. Lors d’un voyage d’étude à Londres, la vive et émancipée Patricia rencontre Sayeb et bascule : elle coupe peu à peu tout contact avec sa famille et devient Aïcha, épouse soumise à la volonté et à la violence de son mari. L’écriture devient pour sa jeune sœur Sylvia un refuge, un autel où s’accumulent des questions toujours insolubles.

Du sel et des plaies

Ils sont nombreux, au fil de ce récit composite, à prendre la parole : les parents, oscillant entre un irrépressible besoin de comprendre cette soif d’absolu et une volonté d’entretenir, coûte que coûte, la présence fantomatique de leur aînée au sein de leur famille. Les frères, n’ayant trouvé que la colère pour admettre que leur grande sœur, cette pasionaria « le profil type de la fille de prof », ait troqué les idéaux de la gauche marxiste pour ceux de l’islam le plus rigoriste. Et Sylvia, hantée par des bribes de souvenirs de plus en plus lointaines : « Les montagnes de sel qu’elle mettait dans son assiette avant même de goûter un plat, ses sourcils relevés quand elle se regardait dans le miroir »… Déroulé sur des années d’attente, Le Livre d’Aïcha se fait moins cri de colère que chant d’amertume résigné : un roman doux et hanté. 

SUZANNE CANESSA

Le livre d'Aïcha, de Sylvia Aguilar Zéleny
Bruit du Monde, 21 €
Traduit de l'espagnol (Mexique) par Julia Chardavoine

Retrouvez notre rubrique livres et littérature ici

Arles : du jaune pour Vincent van Gogh

0
Claude Cahun, Je tends les bras, 1931 (avant 1932). Monochrome négatif avec une teinte rose,11 x 9 cm. Courtesy : Jersey Heritage Collection

Dans une lettre datée de mars 1889 adressée à son frère Théo, Vincent van Gogh mentionne le travail nécessaire pour « atteindre la haute note jaune ». Formule énigmatique, à laquelle Bice Curiger et Margaux Bonopera consacre la nouvelle exposition de la Fondation van Gogh.  

Dès l’entrée de l’exposition, un grand panneau informe le visiteur que, loin de se résumer à la seule couleur ou même à un objectif technique, la haute note jaune est « un désir d’expressivité qui jouerait avec ses propres limites sur les plans formel, idéel ou émotionnel ». L’exposition met donc en avant des artistes qui « explorent le réel afin d’y puiser les intuitions et les émotions nécessaires à leur art ». Vaste sujet. 

Traversée artistique 

Une seule œuvre de van Gogh est présentée, Le Lieur de gerbe, peint en septembre 1889. Il s’agit d’une des nombreuses reproductions de gravure de Jean-François Millet réalisée par van Gogh pendant son internement à Saint-Rémy-de-Provence.

Pour chacun·e des 21 autres artistes, plusieurs œuvres sont exposées, permettant au visiteur de s’immerger dans leur univers. L’exploration du réel annoncée en début de parcours prend des formes variées, tantôt figuratives, tantôt conceptuelles, et mobilise un grand nombre de médiums. Surtout, elle couvre un très large panel de sujets comme la question du « moi » avec les autoportraits photos de Claude Cahun, la représentation de la nature si chère à van Gogh ou encore la pop culture avec Nina Childress ou Vittorio Brodman. Cela peut donner l’impression d’un manque de cohésion globale, d’autant que le parcours ne semble répondre à aucune logique chronologique ou thématique. Pourtant, l’émotion esthétique est au rendez-vous grâce au savant agencement des œuvres. On pense notamment à la mise en regard des œuvres géométriques en trompe l’œil de Pierre Schwerzmann avec le travail tout aussi minimal mais d’apparence plus intuitive de Hyunn-Sook Song.

CHLOÉ MACAIRE 

La Haute Note Jaune
Jusqu’au 2 février 2025 
Fondation Vincent van Gogh, Arles 

Retrouvez plus d’articles dans notre rubrique Arts visuels

FESTIVAL MEHFIL : L’Inde et ses classicismes

0
© ANTHONY BISCH

Depuis 10 ans, grâce à des spectacles, des projections et des stages, le festival Mehfil organisé par l’association TAAL TARANG – Indian Arts Academy immerge le public dans les arts classiques de l’Inde. Cette édition qui se tiendra dans plusieurs lieux d’Aix et de Marseille met l’art face au défi des déplacements. Au-delà du plaisir esthétique, l’art n’exprime-t-il pas une nécessité de survie et de préservation de l’intégrité identitaire d’un peuple ? 

Pour réfléchir à cette question, chaque date du festival ouvrira une fenêtre sur un voyage, un déracinement, une migration dont résulte une confluence de chemins artistiques. 

Pour l’inauguration au musée Granet le 2 novembre, le grand Maître des tablas Pandit Anindo Chatterjee présentera l’art de la musique hindoustanie dans sa forme traditionnelle qu’il partagera aussi lors de  stages au théâtre du Centaure. Le 8 novembre il sera le soliste du spectacle kaléidoscope, qui aborde les différents chemins que la tradition artistique indienne a pu prendre au sein de ses pérégrinations depuis l’Inde jusqu’en occident en suivant les errances gitanes. (6MIC Aix en Provence). 

Maharajas et Romanis

Pour les nostalgiques de l’Inde des Maharajas, du temps où les darbars (cours royales) dans les palais somptueux résonnaient de chant et de musique, le spectacle Mehfil ! L’Ensemble Taaltarang voyage au 16e siècle pour une soirée réunissant la musique, la danse et la poésie (le 13 décembre, cité de la musique). A cette époque la danse Kathak traversa un changement important. Cet art pratiqué par les kathakars (peuple itinérant qui contait l’histoire des dieux et des héros hindous dans les temples) se retrouva au sein des palais, dirigés par les empereurs Moghols. La danse Kathak embrassa un nouveau répertoire : les ghazals, poésies d’amour chantées et les taranaschants rythmiques dont les paroles sontdes bols mnémotechniques. 

En conclusion de cette 9e édition, Mehfil propose la (re)découverte du film Latcho Drom (bon voyage en langue romani) qui raconte de la migration du peuple gitan depuis l’Inde jusqu’en Europe, emportant avec lui sa culture d’origine qui se modifia au contact des  nouvelles terres où il posa bagages. (le 14 décembre au Vidéodrome).

Anne-Marie Thomazeau

Mehfil
du 2 novembre au 14 décembre 
Marseille, Aix-en-Provence

CITÉ DE LA MUSIQUE : Des Râgas au Tablaboxing

0
Parveen et Ilyas Khan © A.-M.T.

Pour l’anniversaire de ses vingt ans, le Festival De vives voix se promène de pays en pays et embarque les spectateurs en voyage. Après la Tunisie avec le duo Yuma, l’Andalousie avec Luis de la Carrasca, il a mis le cap sur l’Inde, au Rajasthan avec les musiciens franco-indiens Parveen et Ilyas Khan.

Le frère et la sœur arrivent sur scène, lumineux. Elle, dans un sari multicolore, s’installe à genoux avec son sitar. Ilyas est assis en tailleur derrière ses tablas, petits tambours traditionnels. Les enfants du célèbre percussionniste Hameed Khan Kawa et d’une mère bretonne et ont grandi à Jaipur. Depuis sept générations, la musique classique d’Inde du nord est enseignée dans leur famille dès le plus jeune âge pa transmission orale. Parveen avait sept ans lorsqu’elle a commencé à étudier les râgas et les maands, chants traditionnels poétiques et sophistiqués en voie de disparition et dont elle est l’une des dernières garantes. « Nous venons d’une région très aride. Tout ce vide a été remplacé par la culture, la poésie et le chant » 

Ilyas l’accompagne, soutient ses improvisations par sa maîtrise des tablas : « les râgas se réfèrent toujours à un moment de la journée. Celui que nous allons interpréter parle du soir et de l’éveil des sons de la nuit » explique Parveeen.  Au début quelques notes seulement qui se dévoilent avec le sitar. Elle lève élégamment la main, signe fait à son frère qu’il peut introduire les percussions. Regards, sourires, tout au long du concert leur complicité est immense. Le frère et la sœur enchaînent les chansons traditionnelles comme Safran mon amour : « Nous l’utilisons dans tout car il sent bon et nous nous habillons de cette couleur pour les cérémonies » explique Parveen. 

Puis ils interprètent le Bhajan -chant spirituel et philosophique- préféré de Gandhi dont les paroles reflètent les valeurs qu’il défendait : la personne idéale est celle qui donne sans  espérer en retour. Ilyas se lance dans une improvisation aux tablas sur un rythme à seize temps, de plus en plus rapide. Ses doigts volent, tapotent, martèlent, accompagnés par des tours de tête et du cou : « L’enseignement des tablas est oral. Quand je l’ai reçu de mon père et de mon grand-père. Je devais répéter des phrases sur le tambour : tari ta ti ri ti, tam tam, dou dam… A vous ». La salle répète et tente de suivre, sans succès, les rythmes endiablés et ovationne le percussionniste.

Puis les deux musiciens se lèvent. Car Ilyas est un talentueux musicien de beatbox qu’il associe aux rythmes classiquesdans untablaboxing hallucinant. Il maintient la tradition vivante tout en la faisant évoluer. Parveen pose ses mélopées envoûtantes sur la rythmique de basse des bols d’Ilyas au micro qui vibre comme un drone lancé dans l’auditorium et transporte un public médusé !

Anne-Marie Thomazeau

Le concert a eu lieu le 19 octobre à la Cité de la musique, Marseille