lundi 18 mars 2024
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Paroles d’ensembles

Le 31 janvier dernier s’ouvrait le colloque national annuel de la Fevis, fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés, à Toulon, grâce à l’organisation menée par la Fevis Sud qui compte aujourd’hui treize ensembles

Pour la première fois le colloque national de la Fevis se déplaçait en Région Sud. Pour la première fois aussi, des concerts accessibles à tous les publics et gratuits émaillaient ces rencontres, donnant à entendre aux spectateurs lambda comme aux professionnels des extraits de spectacles assortis d’une courte présentation des ensembles (onze répartis en quatre représentations).

La première journée se tenait au théâtre Liberté dont le directeur, Charles Berling, « hôte de la session » donnait le ton : « Une scène nationale et pluridisciplinaire existe pour que l’on y défende des formes hybrides. On ne spécialise pas les endroits mais on suscite l’envie de ces programmations hybrides. Sans aucun doute la musique n’y tient pas une place suffisante ». Virginie Hornus Pin, adjointe au maire de Toulon et vice-Présidente de la Région Sud, en charge de l’Art de vivre en Provence-Alpes-Côte d’Azur, du patrimoine et des traditions, soulignait l’importance des ensembles musicaux indépendants et rappelait les contributions de la Région Sud, la sanctuarisation de son budget culture et l’action de l’agence Arsud (émanation de la Région) tandis que l’Amiral Yann Tainguy, adjoint à la Culture de la ville de Toulon souriait à propos de la « navigation de haute mer » que représente la culture pour la ville de Toulon et que Bénédicte Lefeuvre, directrice régionale des Affaires culturelles de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur saluait la dynamique de la Halle aux musiciens, titre du colloque, au cœur d’un contexte d’urgence alors que la diffusion et son patient travail auprès des publics est au centre des débats : « toute politique territoriale doit avoir un volet culturel, l’État sera toujours aux côtés des artistes, afin d’inventer de nouveaux dispositifs ». L’ancien ministre de la Culture et Président de la Fevis, Jacques Toubon, insista pour sa part sur la « réalité un peu méconnue pour la musique » qui s’articule autour de « trois piliers, les « maisons » (opéras, conservatoires…), les orchestres constitués en formations permanentes et les ensembles indépendants représentés par la Fevis depuis 1999. Ces derniers sont d’une grande diversité et cet « arc-en-ciel » exerce un rôle tout à fait essentiel, cinq mille concerts par an, deux millions de spectateurs, cinq à sept mille actions d’éducation, trois mille disques… Ces ensembles indépendants ne font appel aux fonds publics que pour un tiers de leurs ressources alors qu’il est de plus en plus difficile d’avoir recours au mécénat. La Fevis, au-delà de son importance dans la politique culturelle (les indépendants sont plus présents à l’international que les autres), met en évidence combien il est difficile de faire place à la musique dite savante dans les salles pluridisciplinaires. Nous essayons d’étudier quelle offre et quelle démarche sont à mettre en œuvre pour accompagner cette diffusion. Il faut rappeler que l’on n’est pas là pour ceux qui font de la musique mais pour ceux qui l’écoutent… »

« Encourager la musique dans les territoires et lieux disciplinaires »

L’intitulé de la seule table ronde du colloque qui privilégia un travail en ateliers afin que les divers acteurs se rencontrent, échangent, élaborent, dans une mise en commun stimulante d’intelligence collective, prenait en compte la situation laissée par la crise sanitaire, les modifications des habitudes et la remise en question de ce qui semblait acquis. Nicolas Dambre, journaliste à La Lettre du Spectacle et modérateur de la table ronde évoquait la programmation de la musique dans les scènes nationales pluridisciplinaires : 30% en moyenne, tous genres confondus avec en tête, le jazz et les musiques du monde. « La danse et la musique ne sont pas suffisamment représentées dans les scènes nationales, reprend Francesca Poloniato, vice-présidente de l’Association des Scènes nationales, ce sont des revendications que l’on entend beaucoup, il faudrait une étude précise des programmes pour voir la réelle proportion et formuler un vrai questionnement. Il ne faut pas faire de « fixette » sur une discipline. Si le label « pluridisciplinaire » est attribué, c’est parce qu’il faut croiser les disciplines, d’autre part il est des lieux où il est préférable d’insister sur telle ou telle forme de spectacle… Il faudrait décloisonner les disciplines puisque nous gérons plusieurs labels. Une manière de faire pénétrer la musique dans un lieu est d’en réunir toutes les composantes, au Zef (dont Francesca Poloniato est la directrice) le musicien Loïc Guenin inclut l’équipe des trente personnes du théâtre pour présenter les programmes musicaux, chacun s’en trouve investi !»

Igor Boïko, directeur Culture de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, après avoir repris l’énumération des diverses structures qui aident la culture et sa diffusion (contrats de filières, Arsud, subventions sanctuarisées, Opéra au Sud…), salue la base de travail posée qui met les gens en réseau et insiste sur la nécessité de sortir de la logique de « silo » et de s’appuyer sur le terrain. Dominique Muller, délégué musique au Ministère de la Culture, formule le souhait de réinterroger les pratiques et de mettre en œuvre un travail au long cours avec les professionnels en posant un questionnement précis sur les conditions de l’accompagnement de la musique, de son accueil, des actions de coopération en s’appuyant sur les lieux de création et en s’adaptant aux scènes et aux territoires dont les spécificités sont multiples.

Un accueil des spectacles musicaux serait trop compliqué ? Absolument pas, sourit Francesca Poloniato, la musique, si l’on exclut les musiques actuelles, n’est pas très chère à programmer…

Des directeurs de salles dans le public témoignent à leur tour. Michael Dian, directeur de l’Espace Culturel de Chaillol sourit sur le terme de localisme qui ne doit en aucun cas être enfermé dans l’idée préconçue que sa portée serait moins longue : travailler sur un territoire défini, en osmose avec les populations, autorise une dimension supplémentaire à un simple concert, le « concert sec » ne fonctionne plus pour les publics, si ce n’est lorsqu’il s’agit de noms internationaux. Élodie Presles, directrice du théâtre Durance, revient sur la notion de décloisonnement : « lorsque je fais ma programmation, j’écris un récit destiné à une population. Le geste d’aller vers d’autres formes musicales que celles diffusées par les télés et les radios se travaille, par la question du son, du rythme… »

Les chiffres, sans appel étaient fournis par l’énorme travail effectué par Marthe Lemut du bureau Or Not, mission portée par l’association des scènes nationales (et consultable sur leur site) : les musiques classiques et contemporaines représentent 6,6% des programmations des scènes nationales pluridisciplinaires, alors que l’offre globale musicale sur ces mêmes scènes est de 32%. Si 18% des musiciens ont été artistes associés entre 2019 et 2020, toutes disciplines confondues, seulement 4,7% d’entre eux étaient des musiciens classiques…

Pourtant, malgré les difficultés, les concerts proposés ne cherchaient pas à racoler le public. L’exigence, la profondeur, la qualité du propos, sans concession étaient de mise. L’art ne ment pas, c’est son courage et sa force.

MARYVONNE COLOMBANI

Le colloque national de la Fevis s’est tenu les 31 janvier et 1er février, à Toulon.

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