Créée en 2022 aux Tréteaux de France pour succéder à Bérénice, Britannicus et Andromaque, la Phèdre de Robin Renucci s’épanouit ces jours-ci au Petit Théâtre de La Criée. Le dispositif qui s’y déploie n’est pas nouveau : une scène circulaire bordée de quatre entrées accueille les comédiens, livrés sans ambages à des spectateurs tous proches. Sans aucun autre effet que quelques costumes – malheureusement fort peu seyants – les comédiens s’emparent du texte avec fougue et grâce. Chacun excelle à faire entendre et comprendre ce texte si lointain, dans toute sa richesse, toutes ses ambiguïtés et toute sa profondeur.
Douce stupeur
Texte qui place, une fois n’est pas coutume, son personnage éponyme en son centre, et auquel la mise en scène emboîte le pas : Marilyne Fontaine est une Phèdre inspirée, poussée dans ses retranchements par sa passion interdite, mais aussi et surtout par sa solitude et sa fragilité. Seule l’Oenone douce et maternelle de Nadine Darmon semble prête à lui accorder le pardon et le repos qu’elle implore, mais elle le fait en dépit de toute morale et de toute raison. Thésée a les traits et la voix ouverte et outrée de Julien Tiphaine : il occupe l’espace, tonne, rage. Prompt à condamner sans avoir pris le temps de juger, il disqualifie sans l’entendre non plus son fils Hippolyte – Ulysse Robin, jouant sur le même fil entre douce stupeur et colère. Le parallèle entre l’aveu de l’amour incestueux de Phèdre pour Hippolyte et celui d’Hippolyte pour la tendre et courageuse Aricie – Eugénie Pouillot – se voit lui aussi habilement souligné, dans les inflexions de voix, gestes et jeux de regards qui accompagnent ces scènes jumelles. Car ce n’est certes pas un amour partagé qui unit ces deux personnages, mais bien une parenté dans le tragique.
SUZANNE CANESSA
Phèdre s'est joué jusqu’au 10 mars à La Criée, théâtre national de Marseille.