Une réplique sèche tombant en couperet dans un échange aimable, une main qui se pose sur un corps et dont on ne sait jamais si elle va frapper ou caresser, des silences étirés, lourds de menaces… Le Pion du général, premier long métrage de Makbul Mubarak, est un thriller psychologique et politique. Inspiré par sa propre histoire – le titre original du film est Autobiography –, le réalisateur indonésien de 34 ans fait le portrait d’un jeune homme dans un pays marqué corps et âme par trente ans de dictature.
Le film s’ouvre sur un retour. Celui d’un général à la retraite dans le vaste manoir familial des Purna, que le jeune Rakib (Kevin Ardiloa) garde et entretient en l’absence du Maître. Le général Purna (Arswendy Bening Swara) appartient à la dynastie des notables, craints, respectés, intouchables depuis longtemps. Rakib à celui des serviteurs, des pions dont on se sert et que l’on peut éventuellement sacrifier. Soutenu par les promoteurs d’un barrage hydroélectrique qui apporterait l’énergie dans cette région rurale mais exproprierait les paysans, le général a décidé de devenir maire du village. Entre le vieux militaire et le jeune homme vont se nouer des relations ambiguës. Une partie d’échecs, d’abord dominée par le Général. Figure du pater familias – que les dictatures ont toujours mis en avant, il se substitue au père de Kib, emprisonné pour le sabotage des bulldozers destructeurs d’exploitations agricoles.
Infusion de violence
Le film met en scène l’emprise de Purna sur Rakib, dressé à la loyauté depuis toujours. Le garçon sera son serviteur fidèle, dévoué jusque dans les basses besognes. Fier de son choix de ne pas émigrer à Singapour comme son frère, de conduire un gros 4/4 luxueux, croyant naïvement être du côté du bien. Le spectateur, placé de son point de vue, ressent la pression sournoise, constante, qui s’exerce sur lui, puis ses doutes quand le dilemme moral finit par se poser, entre obéir à la loi d’un monstre ou faire ce qui est juste. Jeux de miroirs, d’ombres, de reflets, l’angoisse se diffracte par le travail du chef opérateur Wojciech Staron, créant une atmosphère délétère. La violence restera hors-champ mais sera de tous les plans, infusant tous les échanges. Makbul Mubarak a demandé à ses acteurs de jouer en se disant : « maintenant je suis le prédateur, maintenant je suis la proie. »
Les femmes sont quasiment absentes. Celle du Général, restée à la Ville avec ses filles, ne semble pas pressée de le rejoindre. Un monde d’hommes, oppressif, oppressant. Et le tableau sombre d’un fascisme intériorisé.
ÉLISE PADOVANI
Le Pion du général, de Makbul Mubarak
Sorti le 21 février