jeudi 25 avril 2024
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Quand Proust rencontre les Monty Python

Dans Scandale et décadence, Anaïs Muller et Bertrand Poncet se jouent des codes de la société contemporaine avec humour et finesse

Dès le titre, et même si l’on n’a pas lu la feuille de salle, on sent l’imposture. Le doublet des noms Scandale et décadence convoque « grandeur et décadence », cette expression issue d’une partie du titre complet du roman de Balzac, César Birotteau, fertile dans les imaginaires (elle sera reprise par Buster Keaton, Raymond Bernard, Evelyn Waugh, Gibbon, Kurt Weill…). Cependant il s’agit de Marcel Proust, non pas une reprise scrupuleuse de La Recherche, mais l’utilisation du procédé de l’analepse, ce fameux « retour en arrière » qui éclot alors que l’auteur mange une madeleine trempée dans une tasse de thé. Les souvenirs personnels rendent comptent aussi des mœurs d’une classe révolue dont les derniers moments affleurent au seuil d’une époque nouvelle (thématique analysée dans la thèse de Marjolaine Morin parue aux éditions Orion, Grandeur et décadence de l’aristocratie chez Marcel Proust). 

Anaïs Muller et Bertrand Poncet, alias Ange et Bert (paronymie voulue avec Hebert, le père révolutionnaire de l’hébertisme ?), poursuivent, avec le troisième « tome » de leurs Traités de la perdition, l’exploration des mécanismes du désir et de la fiction. Musique de fête, bruits de conversations précèdent l’entrée des deux comédiens annoncés par un comparse, ballet à la main qui rythme avec enthousiasme leur arrivée dansante et cocasse (les mouvements de Bert font penser à ceux de Berthold dans le film Les aventures du baron de Münchausen de Terry Gilliam – d’ailleurs Bert/ Berthold, une autre clé ?). 

Le Congo à Paris
On les voit d’abord filmés lors d’un périple donquichottesque dans les Alpes, en quête d’une fontaine d’eau censée les « requinquer » et ne trouver que des sources taries. Les deux personnages, snobs au possible, médisent avec délectation de leurs connaissances, se trouvent des liens de parenté remontant aux croisades, flirtent un peu à la manière d’un vaudeville, se regardent dans une vidéo en Afrique, attendre à Kinshasa un sorcier qui leur a donné rendez-vous en fait au bar Le Kinshasa, dans le quartier Barbès à Paris ! 

On rit beaucoup dans ce spectacle qui ne cesse de jouer avec les codes et les formes. Certains dialogues semblent nés du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert : la vacuité va de pair avec la fin de ce « monde perdu » que la littérature permet de retrouver… Le salon dans lequel tout se joue est tour à tour, dans l’intelligente scénographie de Charles Chauvet, une pièce d’apparat, une chambre, un lieu où s’exercent des pratiques sadomasochistes, exacerbant le duel verbal. Les mots joutent, les corps se cherchent et se repoussent. Le regard de chacun est vide sans le concours de l’autre, les paroles de l’un ne prennent du relief que confrontées au cœur du dialogue. Les faits énoncés prennent leur envol parce qu’il y a un auditeur. Le quatrième mur s’efface parfois, le public est pris à parti, se transformant lui-même en personnage. La dualité est consacrée en principe essentiel de l’existence. La solitude est stérile, la création a besoin de l’autre pour se concevoir et se réaliser. Du théâtre à l’état pur !

MARYVONNE COLOMBANI

Créé les 27 et 28 février à La Passerelle, scène nationale de Gap-Alpes du Sud, Scandale et décadence a été donné les 2 et 3 mars au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence et le 11 mars au Théâtre des Halles, Avignon.
Le spectacle se jouera les 6 et 7 avril au Théâtre du Briançonnais, Briançon

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