Zébuline. Après les évasions pour les terres lointaines, Pays de Galles, Canada, Chine, l’Ensemble Télémaque effectue un retour à ses sources méditerranéennes. D’où est né ce besoin de revenir à vos origines ?
Raoul Lay. Curieusement, cette envie vient de la Chine ! Lors de notre October lab là-bas, nous avions travaillé avec le sheng, cet orgue à bouche chinois qui date de 1100 avant notre ère. Cet instrument traditionnel très ancien est enseigné dans les conservatoires au même titre que le piano ou le violon. Les musiciens y apprennent lecture et écriture, que ce soit pour la pratique d’instruments traditionnels ou « classiques », ce qui n’existe pas en Europe : l’enseignement de la tradition et de la modernité en même temps ne se voit guère, même si à l’IMM d’Aubagne, par exemple, il y a un essai de poser les musiques « savantes » et les musiques traditionnelles dans un même apprentissage. Est intéressante la question de la relation entre musique traditionnelle et contemporaine, de l’association de musiciens traditionnels et contemporains, artistes « savants » et « non-savants », je mets des guillemets car la différence est liée aux univers musicaux et non aux connaissances ni aux techniques. J’ai souhaité alors me confronter aux traditions de la Méditerranée, puisque c’est chez nous, et voir si l’on pouvait réunir dans une même œuvre des interprètes de musique traditionnelle avec leurs instruments et une composition contemporaine, autrement dit faire vivre ensemble musique de tradition et musique d’écriture.
Comment s’est effectué le choix des musiciens et des compositeurs ?
Au début, j’ai rêvé de toutes les îles, puis, je me suis retourné vers un premier florilège – je compte bien traverser la mer et parcourir le plus grand nombre de modes de composition qui fleurissent en Méditerranée – la Corse, la plus proche, la Sardaigne, sa voisine et Malte (j’ai été directeur artistique du Malta Philharmonic Orchestra en 2019-2020). Mais d’abord, à Marseille, je me suis adressé à Vincent Beer Demander qui, avec un instrument traditionnel, la mandoline, est en même temps enseignant et lecteur, afin qu’il soit soliste du premier concerto. Ensuite, en Sardaigne, je me suis intéressé à la launeddas, une sorte de clarinette polyphonique à triples tuyaux et anche simple dont les sonorités peuvent faire penser à la cornemuse et qui est jouée principalement au cours d’instants ritualisés. J’ai donc passé commande pour ces deux instruments et ceux de l’Ensemble Télémaque de trois concertos, l’un dédié à la mandoline, auprès de Karl Fiorini (Malte), l’autre à la launeddas (soliste Michele Deiana) auprès de Jérôme Casalonga (Corse) et le dernier, double, à la mandoline et la launeddas à Maria Vincenza Cabizza (Sardaigne). À Marseille, le spectacle sera joué quatre fois, puis au printemps nous serons reçus en Corse à Pigna, en Sardaigne (Cagliari et Sassari), puis à Malte (La Valette). Il y aura neuf représentations en tout, ce qui permettra de faire vraiment vivre ces œuvres.
Pouvez-vous nous en parler en avant-première ?
Il y aura d’abord une œuvre connue ! Aux trois créations s’ajouteront les Folk Songs pour soprano et ensemble que Luciano Berio a écrits en 1964, une manière de montrer que l’histoire des liens entre la musique populaire traditionnelle et la création contemporaine n’est pas si neuve : le compositeur italien puise dans les répertoires folkloriques des Etats-Unis, de l’Arménie, de la France, la Sicile, l’Italie, la Sardaigne, l’Azerbaïdjan et plus précis encore de l’Auvergne ! En ce qui concerne les trois créations, je ne voudrais pas tout déflorer, cependant je peux déjà évoquer les titres et les tonalités de chaque œuvre. Jérôme Casalonga, le plus tellurique, a travaillé sur les bourdons pour Nuraghe qui évoque les tours rondes en forme de cône tronqué, symboles de la culture nuragique sarde apparue entre 1900 et 730 avant J.-C.. Karl Fiorini, le plus méditerranéen et le plus lyrique, a choisi un titre anglais, c’est la langue de Malte, Fighting for Hope, une respiration dont on a plus que besoin ces temps-ci ! Maria Vincenza Cabizza, la plus contemporaine, joue sur le sens et la forme avec Il ballo delle occhiate, (« La danse des regards »). Umberto Eco disait que l’on doit pouvoir tout récupérer. L’ultra-modernité s’était transformée en nouvel académisme lorsqu’elle refusait à tout crin la tonalité avec laquelle il a fallu rompre à une époque. Avec Télémaque, en bientôt trente ans, on a pu constater l’évolution de l’idée de la création et perçu la grande peur de l’Occident de ne pas contrôler l’écriture ! Aujourd’hui en musique on est en synchronie, on a accès à tout ce que l’on veut, ce qui permet des croisements sans fin. Écrire c’est improviser, improviser puis écrire. Il y a toujours un va-et-vient entre l’inconscient et le geste musical. C’est avec ce dernier qu’il faut travailler, sinon on peut déboucher sur des partitions injouables pour tel ou tel instrument !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI
Au programme
18 octobre Mucem Lab, rencontre colloque « Instruments traditionnels et création contemporaine : circulations, échanges et métissages en méditerranée » avec les compositeurs et solistes invités mais aussi avec l’ethnomusicologue Elisabeth Cestor, la fondatrice de l’IMM d’Aubagne, Margaret Dechenaux, le musicologie et organologue André Gabriel, le compositeur Nicoló Terrasi, le compositeur, chanteur, auteur, programmateur Manu Théron.
19 octobre Concert commenté à l’Alcazar.
20 octobre Concertos des trois rives à la Cité de la Musique de Marseille.
21 octobre Concertos des trois rives à l’Espace Tino Rossi, Les Pennes-Mirabeau.
22 octobre Concertos des trois rives au PIC Marseille.
October Lab 04 91 43 10 46 ensemble-telemaque.com