mercredi 2 octobre 2024
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Richard Bona : une musique monde

Le Grand Théâtre de Provence a l’habitude d’accueillir des légendes. Le public ne s’y est pas trompé lors de la venue de Richard Bona qui jouait un concert unique en formation de quintet. Plus une place de libre !

Il est vrai que le parcours même de Richard Bona tient de la légende. Bona Penda Nya Yuma Elolo naît dans une famille de musiciens au Cameroun et joue très vite du balafon mais aussi d’instruments qu’il se fabrique : flûte, percussions, avec du bois qu’il trouvait autour de son village, Minta, et une guitare avec des câbles de freins « empruntés » dans un magasin de cycles. Dès cinq ans, l’enfant chante avec sa mère et ses sœurs à l’église de la Paroisse Sainte-Croix de Minta. Sa famille déménage à Douala où il sèche régulièrement les cours pour s’entraîner et faire le bœuf dans les clubs de la ville… En 1990 son premier orchestre est fondé pour un club de jazz de Douala dont le propriétaire lui fait découvrir Jaco Pastorius. C’est décidé, il sera bassiste lui aussi ! Il part en Allemagne puis en France, sera instrumentiste à Paris, perdra son titre de séjour, retournera au Cameroun puis, grâce à Harry Belafonte, chanteur, acteur et militant des droits civiques américains, il se rend à New York. Les récompenses se succèdent, Victoires du Jazz en 2004, nomination au Grammy Awards pour son album Tiki en 2005 (il sera nominé trois fois et obtiendra une récompense), grand prix jazz de la Sacem en 2012…

Fluidité

Entouré de ses complices, Alexandre Herichon (trompette), Ciro Manna (guitare), Michael Lecocq (claviers), Nicolas Viccaro (batterie), cet immense bassiste joue avec le public, raconte des histoires, multiplie les anecdotes, dont une à propos du voyage effectué par son guitariste « venu en jet privé de Naples ». Plus sérieusement, mais toujours sur le mode potache, il nous parlera de la magie vaudou de la musique, tout en mettant à distance le snobisme décidément bien post colonial du « j’adooore la musique vaudou ! ». La magie est là cependant, palpable au cœur des improvisations des instrumentistes. De fulgurants solos sont confiés à la trompette. Le guitariste qui règle les problèmes de sono au début du concert enchaîne comme si de rien n’était et déploie ses contre-chants. La batterie se déchaîne, les claviers murmurent puis se livrent à la fluidité mélodique de rêveries inspirées. La fluidité est le maître mot des compositions et adaptations de Richard Bona.

Tout prend un air d’évidence, la virtuosité est dissimulée par une aisance époustouflante. Il n’est pas besoin de forcer les effets, la musique vagabonde fusionne les influences, ici, un rythme de jazz, là un élan de bossa, un éclat d’afro-beat, un détour par la pop, le funk, une réminiscence de chants traditionnels… Tout est musique. La salle est invitée à se lever pour danser, le GTP quitte ses habitudes sages pour une manifestation au cours de laquelle chaque participant retrouve son âme adolescente, crie, chante, fredonne, encourage les musiciens sur scène, tente des sauts juste contenus par les fauteuils… L’artiste reviendra pour une reprise de la chanson composée par le pianiste Ariel Ramirez et l’écrivain Félix Luna, et tant chantée par Mercédès Sosa, Alfonsina y el mar en hommage à la poétesse argentine Alfonsina Storni qui se suicida en entrant dans la mer à la playa de La Perla à Mar del Plata un sombre 25 octobre 1938. La voix au fantastique ambitus de Richard Bona aborde avec une délicatesse extrême ce chant poignant, lui offre des aigus aériens, des pauses délicates, un cocon onirique dans lequel les vagues qui emportent la poétesse se peuplent de coquillages et de songes.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 21 mars au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.

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