Grand bien a pris à Diaphana, distributrice de Showing Up, de ne pas toucher au titre si polysémique choisi par Kelly Reichardt. Car Showing Up évoque une multitude de choses que le film prendra le temps d’explorer, avec délicatesse et précision. Le « show », tout d’abord, c’est-à-dire l’exposition, celle à laquelle s’attelle le personnage de Lizzy. La sculptrice, incarnée par Michelle Williams avec le brio qu’on lui connaît, n’a que ce mot à la bouche. Ce « show » qui, à quelques jours, voire quelques heures du vernissage tant redouté, ne semble jamais achevé. Ce « show » dont personne ne semble percevoir l’ampleur, puisque les imprévus qui se mettront alors sur sa route seront nombreux. Ce « show » auquel elle invite et réinvite ses proches, tout en redoutant leur venue.
Car il y a aussi cette nécessité, cette injonction à littéralement « se pointer », « se présenter » – « showing up », pour l’artiste comme pour ses invités. À commencer par sa famille : ces parents, aimants, jamais déshonorants et pourtant insupportables, campés avec un délice manifeste par Judd Hirsch et Maryann Plunkett ; et ce frère, vraisemblablement borderline ou du moins sérieusement paranoïaque, incarné avec conviction par John Magaro.
À moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’une mise en évidence, d’une apparition : de ces petits riens, ou de ce grand moment en train de se révéler – « showing up », advenir, éclore ?
Minimaliste et habité
Car rares sont les films aptes à dévoiler le geste artistique, et avec lui tout ce qui se révèle du monde, et de ce qui jusqu’alors restait invisible. La réalisatrice Kelly Reichardt, qui signe ici son septième long métrage, et son quatrième en la (très) bonne compagnie de Michelle Williams, connaît très bien le monde dont elle parle, et les lieux qu’elle filme. Cet Oregon dans lequel elle s’est installée, et où elle aura tourné, entre autres, son First Cow. Et cette université d’art qui a, depuis, fermé ses portes, et dont la réalisatrice, qui enseigne également à ses heures, sait retranscrire l’ambiance et le fourmillement. Devenue aujourd’hui la figure de proue du cinéma d’auteur nord-américain, Reichardt sait décidément insuffler ce qu’il faut d’inquiétude à des lieux au premier abord anodins et quotidiens. Et ce milieu aux atours paisibles, niché dans une verdure accueillante, n’échappe pas non plus à ce regard poreux. Les artistes qui y gravitent ont la bonhommie d’André Benjamin ou de Hong Chau : ils se révèlent pourtant à plusieurs reprises, au détour de conversations a priori anodines, plus complexes qu’on ne l’aurait attendu. À l’instar de ce film minimaliste redoutablement habité.
SUZANNE CANESSA
Showing Up, de Kelly Reichardt
En salle depuis le 3 mai