Au Théâtre Joliette à Marseille, Frédéric Sonntag imagine la rencontre entre un philosophe, Socrate, et son homonyme Sócrates, célèbre joueur de foot brésilien des années 1980. Trop grand et trop maigre, ce dernier a dû inventer son propre style, innover. Jouer avec le talon était devenu sa marque de fabrique : « Le talon de Sócrates ! Sa force, l’inverse du talon d’Achille ! », s’enthousiasme celui qui incarne Socrate sur scène. Pourtant il n’est pas que question des forces de la légende du football, bien au contraire. Ses faiblesses, ses zones d’ombres sont aussi passées au crible au travers des questions incessantes du philosophe. Pourquoi boit-il ? Que cherche-t-il à fuir ? Pourquoi être parti du Brésil en 1984 alors que la dictature militaire sévissait encore ?
La petite histoire dans la grande
Ce spectacle intimiste nous fait rentrer dans les coulisses de la vie de Sócrates, on y découvre ses gloires, ses échecs, ses peurs et ses espoirs. Socrate pose des questions et même si les réponses ne sont pas toujours au rendez-vous – au grand dam du philosophe – ce n’est pas grave, le tout est de s’interroger. L’histoire de Sócrates fait partie de la grande et le récit s’y pose inéluctablement. « J’ai dix ans et je vois mon père brûler des livres », se remémore-t-il. Son père, grand lecteur de Gramsci et de Marx, dut se résoudre à cet acte pour se protéger de la dictature brésilienne qui s’instaure en 1964 et ne prend fin qu’en 1985, marquant ainsi une grande partie de la vie du footballeur. Socrate questionne philosophiquement son homonyme au sujet de l’autoritarisme et de la démocratie. Lui qui a mené le club de football des Corinthians, dont les maillots étaient floqués du mot « Democracia » en pleine dictature, et où tout était soumis au vote, croit-il pour autant que la démocratie soit parfaite ? La volonté de la majorité est-elle nécessairement la bonne décision ? Lui qui est parti jouer en Italie, aurait-il fait passer sa carrière avant le collectif ? Pendant tout cet échange, les deux boivent et font un barbecue, comme de bons amis. La scène est à l’image de la discussion entre les deux personnages, changeante et libre. Les casiers de bières servent tantôt de chaises, tantôt de supports de table. Les comédiens arpentent les travées du public, proposent des bières – sans alcool – et soumettent certaines choses au vote ! Le jeu d’acteur est impeccable et on ressort du théâtre émus, souriant et en en sachant plus qu’avant.
RENAUD GUISSANI
Sócrates a été joué du 13 au 15 mars au Théâtre Joliette de Marseille