Des flots lactés s’échappent généreusement de leurs seins. Mères allaitantes de mannequins médicaux à défaut d’enfants, de frères ou d’époux, cinq femmes portent dans leur chair la souffrance infligée par les calamités du monde. On les imagine Palestiniennes mais elles peuvent tout aussi bien incarner les drames d’autres peuples, de l’Ukraine au Yémen. Sans texte, sur un plateau sombre couvert d’épais tapis spongieux et amovibles, l’auteur et metteur en scène Bashar Murkus exprime l’impossibilité du deuil, la permanence de la douleur causée par la perte d’une partie de soi. Avec sa force picturale, ses clairs obscurs et la musique omniprésente de Raymond Haddad, Milk esthétise l’affliction, transforme le supplice en courage. D’âges différents, ces femmes qui pleurent tout le lait de leur corps jusqu’à en imbiber le plateau sont sur un autre front que celui des guerres. Cernées de corps sans vie, elles luttent avec pour seule arme leur pouvoir de transmettre la vie, l’amour et ce breuvage nourricier symbolisant l’espoir d’un renouveau. Lorsque apparait une sixième femme, enceinte celle-là, elles savent que tout n’est pas perdu, que l’existence n’est qu’un éternel recommencement. Le ventre fécond annonce un nouveau cycle, donc de nouvelles joies auxquelles succèderont de nouveaux malheurs. La jeune femme ne survivra pas à l’accouchement. Et le nouveau-né au corps d’adulte comblera, grâce à l’adoration de chacune des mères éplorées, la perte de celle qui n’aura pas eu le temps de l’allaiter.
LUDOVIC TOMAS
Milk a été joué les 10, 11, 12, 14, 15 et 16 juillet à L’Autre scène du Grand Avignon, à Vedène, dans le cadre du Festival d’Avignon.