Sélectionné à la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes, La Grâce d’Ilya Povolotsky, nous embarque dans un voyage du nord au sud de la Russie
Des paysages de montagnes puis de steppes désertiques, un van rouge sur une route cahotante. À son bord, un homme au visage fermé et une adolescente qui mâche bruyamment un chewing-gum. Qui sont-ils ? Que font-ils là ? On ne sait pas grand-chose des protagonistes du premier long métrage de fiction d’Ilya Povolotsky. Taiseux, ils vivent dans ce van qui contient toutes leurs affaires, en particulier le matériel d’un petit cinéma itinérant et une urne funéraire. Il faut accepter de ne pas tout comprendre immédiatement, de se demander ce qui se passe, fasciné par ces paysages qu’ils traversent. Accepter de partager le voyage de ce père (Gela Chitava) et de sa fille (Maria Lukyanova) du sud au nord de la Russie, de la frontière géorgienne jusqu’aux rives de la mer de Barents. Chercher de l’eau, se ravitailler en essence, monter un écran de fortune dans des lieux improbables, montrer à des villageois, sortis de nulle part, Le Frère, un film culte d’Alexeï Balabanov. Le père vend sous le manteau des DVD pornos et se fait poursuivre par des villageois furieux. Avec son polaroid, la fille prend des photos des gens qu’elle croise, des paysages et même de dos, nu, le premier garçon avec qui elle a couché mais qui ne doit pas la suivre.
L’histoire d’un passage
Tourné en pellicule, en longs plans séquences, panoramiques et plans fixes, le film d’Ilya Povolotskynous donne à voir des paysages désolés, un monde fantôme aux couleurs de l’hiver, où « l’été semble avoir été annulé », d’immenses bâtisses aux murs lépreux. Parfois, père et fille ne peuvent poursuivre leur voyage ; la route est coupée. Des gens en combinaison blanche ramassent des poissons morts, décimés par la peste. Au fur et à mesure que l’on va vers le nord, les couleurs deviennent de plus en plus minérales, le temps semble se dilater jusqu’à la mer qui emporte les cendres. « Le film a l’air d’être un road-movie mais c’est inexact. C’est une histoire de passage à l’âge adulte, de maturité »,explique sa réalisatrice. Tourné dans l’ordre chronologique en 42 jours sur 5000 km, La Grâce est un superbe film, âpre, dont les images restent en mémoire comme ces albums anciens qu’on feuillette au fil du temps.
ANNIE GAVA
La Grâce, Ilya Povolotsky En salles le 24 janvier