mercredi 2 octobre 2024
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Tous les corps dansent

Les trois jours d’ouverture du Festival de Marseille ont sublimé le magnifique visage de la ville et de ses habitants

En ce week-end de juin la Citadelle de Marseille était ouverte. Ce qui est en soi un événement, tant cette immense forteresse qui fut dressée contre la ville demeure, sauf exception, inaccessible. Le point de vue qu’elle offre sur la baie et sur Marseille n’a pas d’équivalent : il a été choisi par les armées successives pour surveiller et punir la ville rebelle, et éventuellement l’admirer. Le public époustouflé, a autant photographié la ville que le spectacle, Parades & Désobéissances, qui venait lui aussi en contrepoint de ces pierres immobiles, lui opposant la chair vivante, les paillettes, le bleu profond, la fantaisie.

Ce sont cent marseillais, de 17 à 80 ans, qui ont dansé jusqu’au bout de leur souffle. Une chorégraphie subtile et précise, rythmée, haletante, joyeuse, conçue par Aina Alègre, qui magnifiait les êtres. Essoufflante, exigeante, elle révélait peu à peu ce que les corps savent dire : la fatigue des plus âgés qui peinent à aller au bout des gestes mais persistent, en souriant, la raideur d’un homme qui s’essaie à déhancher, ceux qui jouent avec les assignations de genre, et les diverses techniques de danse qui ont marqué les plus pros, un port de bras classique, un porté circassien, un ancrage de danse africaine, un peu de hip-hop, et beaucoup de virtuosité contemporaine. Une superbe démonstration de vies, diverses, enthousiastes, pour une pratique universelle et citoyenne de la danse. Forcément désobéissante.

Sous les stéréotypes

Le solo qui ouvrait le festival à La Criée mettait aussi en scène une libération. Celle d’un corps de femme noire disparue sous les épaisseurs de tissus, Slightly disitentified, dit le titre en forme de litote. Mais une fois les couches de burqa épluchées les oppressions demeurent : Cherish Menzo (chorégraphie Benjamin Kahn) cherche son corps, presque nue, en jogging noir de hip-hop, dissimulant à nouveau son visage, rampant, souffrante, ou faussement enjouée, sexuée, portant la mémoire de l’oppression, de l’exil, et de tous les préjugés historiques liées au corps des femmes noires. Insoumise, incarnant tous les stéréotypes, et les détruisant un à un, avec superbe. Une démonstration de vitalité et de conscience politique de son corps, qui s’est poursuivie au Théâtre de la Sucrière.

Notre avenir

Dans les Quartiers Nord de Marseille, au cœur du parc Billoux de la mairie du 15/16. Un endroit magique, dans le quartier abandonné à la pauvreté, aux déchets qui s’accumulent, aux commerces illicites, à une rocade qui n’en finit pas de ne pas se construire, et de tout bloquer.

Sur la scène, une magnifique jeunesse, hip-hop bien sûr. Marina Gomes et la Cie Hylel dansent deux pièces bouleversantes : Asmanti, de midi à minuit, met en scène le quotidien des jeunes des quartiers. Qui parlent, dansent, s’ennuient, font le guet, rient, désœuvrés et solidaires. Puis vient la nuit et tout se durcit, devient tragique, et les regards amusés et rebelles accusent, fermés et durs, une société qui les cantonne et les méprise. Les bras ouverts pour enlacer le vide se tendent, durcissent et les poings surgissent, soulignant les regards acérés comme des couteaux.

Bach Nord (Sortez les guitares) est plus explicite encore. Les cinq danseurs sont rejoints par des jeunes ados qui travaillent en ateliers avec eux. Et deux semaines de résidence leur ont suffi à créer une œuvre bouleversante : Bach Nord oppose au scandaleux BAC Nord la force de l’art. De Bach, dont ils s’emparent savamment, à la guitare, au sample, tissant une pièce sonore qui saisit et modèle sans complexe notre héritage commun. Les exploits dansés se succèdent, sans démonstration cependant, loin de l’esprit d’une battle : Bach Nord tient un discours. Celui d’une magnifique jeunesse, si talentueuse, si énergique, si riche de sa diversité, dirigée par une jeune femme dans une pièce où garçons et filles jouent à égalité.

Sortez les guitares ? Le double sens de l’expression est explicite. Alors que le collectif sort une guitare pour s’approprier magnifiquement Bach, Bac Nord sort les kalachs. La jeunesse des quartiers pauvres de Marseille subit de plein fouet une double peine : une violence quotidienne meurtrière, et les préjugés exercés à leur égard. Frère Bach, où es tu ? lancent-ils comme un appel à la fin. Seul un bruit de rafale semble leur répondre… Mais les applaudissements nourris du public, debout, multipliant les rappels, fait la démonstration qu’une autre réponse est possible !

AGNÈS FRESCHEL

L’ouverture du Festival de Marseille s’est tenue du 16 au 18 juin, dans sa ville.
festivaldemarseille.com

Une semaine au Festival
Le Festival de Marseille a commencé le 17 juin et se poursuit jusqu’au 9 juillet. La première programmation de la nouvelle directrice, Marie Didier, est passionnante et fait la part belle aux artistes de Marseille, et aux habitants. Ainsi cette semaine on pourra voir à La Criée la création du chorégraphe Éric Minh Cuong Castaing (du 22 au 24 juin), qui établit un lien entre Marseille et Kampala, avec le groupe d’ados ougandais Waka Stars, vedettes mondiales du web.

Les enfants de CM1 de la Viste (guidés et entrainés !) s’essaieront à la coiffure sur les têtes des volontaires (24 et 25 juin Salon de coiffure Kenze). Elli Papakonstantinou proposera une version queer des Bacchantes d’Euripide, où la pilosité s’exhibe comme un signe de pouvoir, ou de transgression de genre (21 et 22 juin à la Friche).

Les 22 et 23 juin à La Criée une autre création, autour de l’album de Awir Leon Love You, Drink water, du chorégraphe Amala Dianor, et du réalisateur Grégoire Korganov : Marie Didier sait aussi inviter et produire des valeurs sures de la scène contemporaine non marseillaise, pourvu qu’ils parlent un peu rencontres des arts, transversalité et diversité !

 

 

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