mardi 23 avril 2024
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Tout feu tout flamme

Comiques ou tragiques, les situations évoquées par les objets de Tamar Hirschfeld dialoguent avec les œuvres de la collection du musée des Beaux-arts de Marseille

Née à Jérusalem, installée à Bruxelles et Tel-Aviv, Tamar Hirschfeld a été accueillie durant deux ans au Cirva*. Une résidence ultra fructueuse si l’on en juge par l’exposition Grillée qui redéfinit la notion de chef-d’œuvre. Qui nous fait regarder la « grande » peinture autrement et communiquer avec les objets du quotidien à travers de mini mises en scène. 

Jeu de piste

Imprégnée de culture française, notamment sa propension à parler de gastronomie à l’heure du déjeuner, l’artiste invente un personnage fortement inspiré par sa vie marseillaise, Madame Kebab, dont le corps en terre est un héritage du passé antique de la ville, agrémenté d’aubergines et de tomate en verre coloré. Évocation décalée de la féminité et de la mère nourricière. Plus explicite, la série Les Croissants fertiles aux teintes translucides et multicolores attire la convoitise et la gourmandise, leur brillance pastel faisant écho à la peau diaphane des chérubins peints par Philippe de Champaigne dans L’Assomption de la Vierge. Quant à Monsieur Covid qui marmonne des propos inaudibles, il est encore hébété par la pandémie : il faut donc s’approcher, tendre l’oreille, rester attentif, une démarche que l’artiste aime particulièrement provoquer. De la même manière qu’elle nous invite à décrypter les correspondances entre les objets archéologiques découverts au musée d’Histoire, réinventés par ses incises et ses colorations, les peintures de la Renaissance du musée des Beaux-arts et ses créations réalisées par les maîtres verriers. Il n’y a donc pas de hasard dans l’installation au pied de la toile de Rubens, La Chasse au sanglier, de son Canard guerrier inspiré par une pièce de la collection du musée d’archéologie méditerranéenne. Celui-ci tient dans son bec un bébé lové dans un filet de pêche faisant entendre un discret « coin-coin » ! Pas de hasard non plus dans Le Balai qui balaye ses propres cendres, subrepticement posé entre les portraits austères de deux bourgeois hollandais peints par Jan Van Bylert. Brosse aux mille fils rouges, manche brûlé, cendre éparpillée au sol… Le temps de faire table rase est arrivé.

De la subversion à la révolt

Par l’humour, la dérision ou le décalage, elle insuffle un vent subversif à ses œuvres issues de la culture populaire de masse. Une irrévérence délicieuse que l’on retrouve dans la composition Des larmes de feu, tirée d’un conte pour enfant écrit par le psychiatre allemand Heinrich Hoffmann au XIXe siècle. Retranscription en volume d’une scène où deux chats pleurent abondamment devant un volcan en irruption. Placée à l’entrée du parcours, la saynète moralisatrice sonne comme un avertissement : ne croyez pas tout ce que l’on vous donne à voir, aller au-delà de la surface des choses… Plus du tout ludiques, Les Missiles réalisés à son retour d’Israël. Ou encore Défi : le feu avec une seule allumette !, gravée d’une danse du feu et d’une scène d’émeute qui fait s’interroger le commissaire d’exposition Stanislas Colodiet : « Cette allumette est-elle une métaphore de la création ? Les gestes les plus simples sont parfois réparateurs en vertu du potentiel d’imagination qu’ils véhiculent ». Ou enfin Le Vase triste avec l’inscription « Free Palestine » sur son renflement qui, lui aussi, dit le réel engagement de l’artiste.  

Dans ce labyrinthe éclectique mais totalement cohérent, l’artiste sème de petits cailloux destinés aux yeux experts. Là encore, patience et acuité sont nécessaires pour remarquer, dissimulés çà et là, trois spray parfaitement authentiques. En verre, évidemment ! On les croirait oubliés par une main distraite… 

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

* Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, Marseille

Grillée, Tamar Hirschfeld
Jusqu’au 23 avril
Musée des Beaux-arts, Marseille
musées.marseille.fr
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