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« Trinquer À La paix »

Robin Renucci présente sa première création depuis son arrivée à la tête de La Criée en juillet 2022. Une comédie inspirée de l’œuvre d’Aristophane et de son adaptation par Serge Valletti, et dont la résonance vient percuter l’actualité tragique du monde

Zébuline. Pourquoi avez vous choisi ce texte d’Aristophane dans son adaptation par Serge Valletti ? 

Robin Renucci. Pour ma première création, je voulais une œuvre qui résonne avec Marseille. J’ai donc choisi Serge Valletti, dont l’écriture est si ancrée dans sa ville, et plus particulièrement son adaptation, en 2013, de La Paix d’Aristophane. Ecrite quant à elle peu après la fondation de Marseille il y a 26 siècles, et dont l’actualité est frappante. Dans cette production tout a été fait à Marseille, les décors par Sud Side, le titre Paix d’IAM qu’Akhenaton nous a offert, les répétitions dans notre théâtre, ouvertes au public. Être sur place, travailler avec les cinq étudiants de l’Eracm, s’ancrer dans la ville par toutes ces amarres, c’était pour moi essentiel.

À La Paix est une comédie, et l’actualité des nations ne prête pas à rire…

Justement. On évoque Poutine dans le spectacle mais je ne veux pas trop coller à l’actualité. Au moment où nous nous parlons il y a des enfants qui meurent. Je ne veux pas sombrer, être aspiré dans la spirale du Styx. Le théâtre sert à s’élever et à s’éloigner du siphon du drame. Le théâtre réaliste, documentaire souvent aujourd’hui, colle à la réalité. Or un spectacle qui divertit, qui fait rire, n’écarte pas le regard critique, au contraire. 

Rire de la paix pour y parvenir ? 

La paix est une utopie, un état de civilisation qui n’existe pas, mais qui « consiste », une idée donc, qui doit être défendue, et représentée. Le théâtre fait résonner les idées, il ne donne pas de solution. Mais en rapprochant le capitalisme du cacapipitalisme, c’est la domination de l’homme par l’homme que l’on dynamite, par rire. Trinquer À la Paix permet de placer l’utopie pacifiste dans le domaine de la convivance, du souhait, d’une communauté à construire ensemble. C’est le public rassemblé à La Criée qui « crie » depuis Marseille, et qui tire sur une guinde [autre nom d’une corde, mot interdit par superstition au théâtre, ndlr] pour libérer la Paix emprisonnée par des dieux belliqueux… 

Robin Renucci, juillet 2019 © Jean-Christophe Bardot

« Le théâtre sert à s’élever et à éloigner le siphon du drame »

Ce sont donc les hommes qui se libèrent d’une emprise divine ? 

Oui, la métaphore est puissante. C’est un vigneron méditerranéen qui se demande pourquoi le monde est en guerre perpétuelle, ce qui l’empêche de produire son vin. Il décide de demander des comptes aux dieux, construit une machine volante qui marche à la merde, à la bouse chez Aristophane. Ce désir de recyclage est très écologique et contemporain… 

Comment situez vous l’action d’ailleurs, à quelle époque ? 

L’intrigue est contemporaine, les costumes d’aujourd’hui. Le vigneron quitte son entreprise provençale, monte donc au ciel, rencontre Hermès. Un drôle de dieu qui garde la vaisselle et ressemble à un gars du GIGN. Ils trinquent ensemble, puis le vigneron libère la Paix avec l’aide active du public. Le troisième acte redescend sur terre… 

Et la paix y rencontre d’autres problèmes… 

Oui. Les marchands d’armes ne sont pas contents, les influenceurs les aident, les politiques s’attribuent les mérites d’une démarche qui n’est pas la leur… À la fin, un enfant entre et joue à la guerre : la paix n’est jamais gagnée. 

Cette idée d’une paix que nous n’aurions qu’à libérer pour qu’elle advienne n’est elle pas simplificatrice, et contraire aux enjeux contemporains ? 

Nous savons que la paix, pour qu’elle dure un peu, doit se construire. Les hommes et les nations doivent s’attabler pour défaire les conflits. Les grands conflits d’aujourd’hui, en Ukraine, au Karabakh, à Gaza, semblent détruire tout horizon d’une paix possible. Les belligérants commettent erreur sur erreur, dans une dynamique de vengeance sans fin ils veulent gagner la victoire, pas la paix. Il faut arrêter l’enfant qui reprend les armes, les rengaines apprises, les Malbrough s’en va-t-en guerre, l’apologie de l’affrontement.

En décollant de la réalité, donc ? 

Oui. En représentant l’élévation, le rêve, un théâtre émerveillant.

Comment ce principe se traduit-il sur scène ? 

Par la beauté des lumières, de la machine volante, la représentation du ciel, l’étagement de l’espace, mais surtout par la qualité du jeu et du partage. Le théâtre n’est pas une cérémonie bourgeoise, mais une fête dionysiaque, un geste généreux et déraisonnable. Les acteurs y sont des défricheurs reliés à l’Histoire et à la ville, avec une diversité d’accents, de physiques, qui parle de la richesse du peuple de Marseille.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

À la paix 
Du 8 au 26 novembre
La Criée, théâtre national de Marseille
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