Les notes du poète
Les images féminines hantent la musique de Brahms : la bienveillante attention de Clara Schumann n’est pas un mystère, ni son influence créatrice sur le musicien. Pourtant le XIXème siècle ne fut pas plus que les précédents, enclin à mettre en avant et soutenir les femmes artistes. George Sand, amie et admiratrice de Pauline Viardot, s’en inspire pour camper le personnage de Consuelo, « la plus grande, la plus prophétique de ses héroïnes » (Michelle Perrot in George Sand à Nohant). Elle écrivait à la musicienne : « ah ! que je voudrais parfois avoir quinze ans, un maître intelligent, et toute ma vie à moi seule ! Je donnerais mon être tout entier à la musique, et c’est dans cette langue-là, la plus parfaite de toutes, que je voudrais exprimer mes sentiments et mes émotions. Je voudrais faire les paroles et la musique en même temps » (ibidem). En hommage, le violoncelliste et chef d’orchestre Victor Julien-Laferrière fonde l’Orchestre Consuelo, musiciens amis qui se cooptent, d’où une magnifique unité. C’est cet ensemble, surnommé par son fondateur « l’Orchestre des Amis de Brahms », qui accordera la souplesse et la vivacité de ses interprétations aux œuvres brahmsiennes dans l’écrin familier de la conque du parc de Florans. La virtuosité sobre et élégante d’Adam Laloum s’attachait à l’un des plus longs concertos du répertoire, le Concerto pour piano en ré mineur opus 15 (une cinquantaine de minutes d’exécution). Si les premières représentations en janvier 1895 à Hanovre puis à Leipzig ne furent pas couronnées de succès (la représentation de Leipzig fut abondamment sifflée), la musique étant jugée incompréhensible, sa reprise par Clara Schumann rendit grâce aux beautés de l’œuvre, conçue au départ comme une symphonie. La part orchestrale ne laisse pas dominer sans réserve le soliste, mais l’intègre à son climat fantastique où sourdent les légendes. Le spectaculaire est évité, le piano fusionne avec les autres instruments, puis entame un dialogue nourri avant d’introduire de nouvelles atmosphères, les cordes jouent en sourdine soutenues par les cors en un mouvement intimiste puis le piano s’épanche en tournoiements lyriques qui peuvent faire allusion à l’amour que Brahms porte à Clara. La coda et les trilles qui achèvent le deuxième mouvement subjuguent par leur subtile légèreté. Le dernier temps du concerto entremêle les thèmes en une danse vive. La maestria de l’interprète fait oublier l’impressionnante technique nécessaire à l’exécution de l’œuvre. Seule l’émotion reste en une palette nuancée parcourant une gamme qui va du recueillement au triomphe. Adam Laloum offrira en bis le subtil Intermezzo opus 118 n° 2 en la majeur de Brahms puis l’un de ses bis fétiche, Moments musicaux opus 94 n° 2 en la bémol majeur de Franz Schubert. Enchantements !
Sacre d’une étoile
Si la Sérénade pour orchestre n° 2 en la majeur opus 16 donnée la veille n’avait pas convaincu, la Sérénade pour orchestre n° 1 en ré majeur opus 11 nous rendait l’envergure de l’Orchestre Consuelo en six mouvements dessinés comme de délicats tableautins : lyrisme mêlé des échos pittoresques d’une fête villageoise, ciel plus inquiet rendu par les syncopes des cordes, harmonie d’une symphonie pastorale, plénitude, airs allants, mélodie des cors, éclats brillants… introduction enjouée à la pièce maîtresse que fut le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si bémol majeur opus 83, (composé vingt ans après le premier), joué par Marie-Ange Nguci. Dès les premières notes, conversation entre le cor et le piano vite rejoint par les respirations des cordes, la jeune pianiste impose son jeu, clair, puissant, élégant, nuancé. En un exercice de haute voltige, le piano se joue des arabesques, des accords profonds, des couleurs foisonnantes, des trilles aériens, des trémolos, livre l’expression pure du Sturm und Drang, le « Orage et passion » qui a scellé les débuts du romantisme allemand dans ses éclats, ses retournements, ses passages alanguis, ses cadences aux allures d’improvisation, ses échappées oniriques, ses volutes souples, ses effervescences et ses déchaînements. Toute simple face au public, l’ancienne élève du regretté Nicolas Angelich, est souveraine et lumineuse dans son interprétation. En danse, elle serait sacrée étoile sur scène tant elle transcende la musique qu’elle aborde.
En bis elle montrera d’autres facettes de son immense talent en présentant le premier Mouvement du Concerto pour la main gauche en ré majeur de Ravel, l’étude n° 6, Toccata, de Saint-Saëns et Tombeau sur la mort de Monsieur Blancheroche en do mineur FbWV632 de Froberger. Éblouissements !
MARYVONNE COLOMBANI
Concerts donnés les 13 et 14 août au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron
Attention! Le concert de Maria João Pirès du 17 août est malheureusement annulé pour raisons de santé. Marie-Ange Nguci a accepté de remplacer cette immense dame du piano. Son programme comprendra des oeuvres de Bach-Busoni (Chaconne), Ravel (Gaspard de la Nuit), Beethoven (Fantaisie en sol mineur opus 77), Schumann (Kreisleriana opus 16). Une variété d’oeuvres exigeantes qui mettra encore en évidence les qualités rares de la jeune pianiste.