C’est devant deux salles combles que se sont produits les musiciens conviés cette semaine par Marseille Concerts : la grande salle Déméter de La Criée pour une soirée dédiée à Poulenc, et la salle La Major du Palais du Pharo, pour deux programmes moins éloignés qu’il n’y pourrait paraître.
Nul doute que la présence, le 6 novembre, de la grande Felicity Lott et de François Morel, avait de quoi attirer un public nombreux. Mais on pouvait regretter que cette affiche n’ait pas attiré le public familial attendu, que la célèbre Histoire de Babar avait de quoi allécher. D’autant que l’ex-Deschiens n’a pas son pareil pour donner à ce conte désarmant de simplicité ce qu’il faut de naïveté et d’humour. La soprano de 76 ans s’est également emparée avec émotion et musicalité des textes de Cocteau ou d’Anouilh, qui résonnent chez Poulenc avec une poésie inédite, et que la cantatrice connaît sur le bout des doigts. Mais la vraie star de la soirée était sans conteste le pianiste Ismaël Margain, qui savait certes se faire accompagnateur en retrait pour laisser place à ces deux voix singulières, mais s’est également révélé comme un soliste sans pareil sur les très belles pièces de musique de chambre. Soit la terrassante Sonate pour flûte et piano sur laquelle Juliette Hurel s’est hissée avec grâce ; mais aussi les tout aussi sublimes sonates sur lesquelles le hautbois d’Armel Descotte et la clarinette d’Amaury Duvivier ont laissé l’auditoire sans voix. Un hommage à la hauteur du talent si souvent sous-estimé de ce compositeur à l’immense sensibilité.
On revient avec le Trio Goldberg sur le terrain des classiques, pourtant habilement revisité. Rarement joué, le Divertimento en mi bémol majeur de Mozart se révèle d’une inventivité folle : l’alto de Federico Hood rivaliserait presque de présence avec le violon de Liza Kérob, sur des passages dialogués amenant toujours l’auditeur où il ne s’y attendrait pas. L’opus 54 de Haydn, transcrit de sonates pour piano, semble quant à lui annoncer la mélancolie beethovénienne : le violoncelle redoutablement habile de Thierry Amadi s’y fait main gauche galopante. En bis, l’aria des Variations Goldberg résonne à son tour avec une modernité foudroyante, rappelant l’alchimie assez inouïe de cet ensemble dont on espère vite entendre reparler.
SUZANNE CANESSA
Concert donné le 11 novembre à La Criée, Théâtre national de Marseille