vendredi 29 mars 2024
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Vive la liberté des fictions (et du débat démocratique)

Dans Elles vivent, Antoine Defoort, gentiment moqueur et très sérieusement drôle, a mis le public du Zef en joie, et en écho inattendu avec sa colère

13 avril. C’était un soir de grève au Zef, la buvette solidaire reversait ses recettes à la caisse de grève et les conversations tournaient autour de la manif de l’après-midi, et de la décision du Conseil constitutionnel du lendemain. De ce qui s’écroule et de ce qui tient. L’entrée en salle, plus silencieuse que d’habitude, avait le goût des jours graves. Pourtant le public, jeune, venu d’horizons et de quartiers divers, est immédiatement secoué d’éclats inopinés de rire. Celui de la surprise, de l’absurde. Sofia Teillet, avec précaution et sourires forcés (mais pas trop), se propose, en bonne « médiatrice de la fiction », d’avoir de la considération pour elle. Oui oui, de la considération pour la fiction. Car l’idée centrale (ou périphérique ou finale) d’Elles Vivent, c’est que les idées sont vivantes, et qu’avec les bonnes lunettes, elles sont visibles, audibles, parlantes. 

Pour parvenir à ce constat, une série hilarante d’inventions fantaisistes, qui permettent d’hiberner deux ans dans un pré tout près des vaches, de projeter ses images mémorielles en 3D, de changer ses souvenirs, de sauter dans le temps… se combine à une série de références décalées, des Pokémons à un nanar de John Carpenter. Il est question de magie mais tout se fait à vue, les changements d’accessoires, de personnages, les mannequins grossiers qui les remplacent, les « idées » qui traversent la scène et les airs portés par des mécanismes visibles.

En même temps

L’intrigue est tout autant en toc. Un parti politique qui ne veut parler que contextes et modalités, qui se présente à la présidentielle, puis qui se reconvertit dans la magie, et qui finit par dire qu’une chose et son contraire existent « en même temps », ce n’est pas très sérieux. 

Et pourtant… ces Idées, qui existent hors de la réalité sensible (du moins quand on n’a pas les lunettes), imagent de fait la pensée d’Aristote, mais la contredisent et la dépassent : elles ne sont pas des principes fondamentaux mais des histoires, des humeurs, susceptibles de changer le monde, de nous modifier. Comme les pilules de placébo que les acteurs se distribuent, leur effet n’existe pas et existe, « en même temps ». C’est pourquoi le débat démocratique, qui s’arrête sur des principes sans penser les relations, doit réinventer ses modalités, être accueillant à l’autre, l’écouter. Et apprivoiser les flots de peur qui peuplent notre imaginaire, et notre réel, en même temps. 

En nous quittant, Sophie Teillet nous souhaitait « bonne chance pour la suite ». La nécessité de renouveler les « modalités » et le « contexte » du débat démocratique semblait plus urgente que jamais.

AGNÈS FRESCHEL

Elles Vivent a été joué les 12 et 13 avril au Zef, scène nationale de Marseille.
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