C’est un public nombreux, divers et enthousiaste qui est venu assister au concert proposé par le Grand Théâtre de Provence, le 22 février. On n’y trouvait à l’affiche que des tubes : le Roméo et Juliette de Prokofiev dans sa version suite, et surtout le Concerto pour piano n°2 en do mineur de Rachmaninov, interprété par l’immense Andrei Korobeinikov. Un programme particulièrement alléchant pour les initiés comme pour le grand public. Loin de se contenter de remplir leur cahier des charges, les musiciens ont très vite outrepassé toutes les attentes. Et ce dès l’ouverture du concert, sur la pièce de Peteris Vasks, Musica Serena, composée en 2015. Car c’est une tout autre star qui se révèle : l’Orchestre national symphonique de Lettonie, dirigé à la perfection par Andris Poga. L’œuvre composée uniquement pour cordes évoque la « tintinnabulation » chère à Arvo Pärt, l’émotion pure d’un Barber. Tâtonnante sur ses premières mesures, elle se fait de plus en plus mélancolique et touffue. Cette partition assez passionnante se voit vite sublimée par la technique ahurissante de la phalange, qui donne de l’épaisseur au moindre trait, et du sens à chaque impulsion.
Goût du chant et de l’épure
Ses qualités d’écoute, d’entente se révèlent encore plus impressionnantes sur le concerto de Rachmaninov. L’œuvre, souvent réduite à son lyrisme échevelé et à ses tonalités sucrées, est ici traitée comme un dialogue à armes égales entre le piano tendre de Korobeinikov et l’orchestre, attentif et précis, et d’une sensibilité tangible. Les vents, absents chez Vasks, se révèlent sur des passages solistes impeccables : le cor, sur le premier mouvement, la flûte sur le second. Le même goût de la simplicité, le même penchant pour la pudeur dominent sur ce concerto qu’on aura rarement entendu aussi bien interprété. Son troisième mouvement, galopant et déchaîné, déploie son fugato avec grâce. En bis, la Valse Triste creuse ce même sillon, que le bis de l’orchestre, la Valse Mélancolique du letton Emīls Dārziņš, explorera de plus belle : le goût du chant et de l’épure qui nous emmène tout droit vers la mer Baltique. Mais aussi et surtout le tragique et l’inquiétude qui pointent dans cette Lettonie encore fragile. Au retour de l’entracte, la terre fait son retour sur Prokofiev et ses danses à des années lumières d’une interprétation germanisante appuyant sa parenté avec le Tristan et Isolde de Wagner. L’amour impossible des amants cède ici le pas au goût de la danse, du mouvement et de l’énergie vitale, auxquels l’orchestre sait prêter sa vélocité et la finesse de ses contours. Une merveille de plus.
SUZANNE CANESSA
Ce concert a été donné le 22 février au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence