mercredi 2 octobre 2024
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Racine populaire ?

Robin Renucci, le nouveau directeur du Centre dramatique national de Marseille, présentait au Chêne Noir d’Avignon Andromaque de Racine

Après ses mises en scène de Bérénice et Britannicus, et avant de créer Phèdre en mars 2023 à La Criée, Robin Renucci poursuit son exploration de la tragédie racinienne. Sa mise en scène d’Andromaque repose sur un dispositif scénographique extrêmement simple : des bancs, un gong pour marquer la fin des actes, et le texte nu, porté par des acteurs qui disent merveilleusement les alexandrins classiques. Ils montent sur le ring pour combattre, et cette allégorie de la boxe sonne juste : les coups sont portés par les mots, les dos qui se tournent, les regards, les menaces qui sont autant d’uppercuts assénés à celles et ceux qui n’aiment pas.
Car la tragédie de Racine ne raconte que cela : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, qui est mort. Si l’on ajoute au début de cette chaîne amoureuse Pylade qui se comporte en amoureux d’Oreste, et Astyanax fils d’Andromaque qui voit en lui le portrait de son père Hector, la tragédie est nouée : chez Racine il n’y a pas d’issue, on aime sans faiblir, sans se laisser convaincre, absolument. La séduction se raconte, la passion s’énonce, mais l’amour n’est jamais vécu, tout comme la mort : tout se déroule hors champ, par bienséance. Avant, entre les actes, ailleurs.
Que s’est-il donc passé avant ? Pyrrhus, porté par son ubris, sa démesure, son orgueil, a massacré les Troyens vaincus, passant les enfants, les femmes et les vieillards par le fil de son épée. C’est Hermione délaissée qui rappelle cette cruauté qui a effaré jusqu’aux Grecs victorieux.

Une actualité en question

La tragédie de Racine raconte donc combien il est difficile de se relever de la cruauté de la guerre. Question qui demeure d’une telle actualité qu’elle ne peut que résonner avec notre présent. Mais faire entendre le texte, sa prosodie, laisser monter sa violence, cadrer les regards et les gestes au millimètre, suffit-il à construire un point de vue, une interprétation ? Marilyne Fontaine (Hermione) marque indéniablement les esprits avec sa voix grave, sa façon différente de rythmer ses tirades, sa colère et sa douleur qui donnent une force toute contemporaine à chacune de ses répliques. Mais que nous dit-elle, que nous disent-ils, toutes et tous ? 

Andromaque, depuis sa création devant la cour de Louis XIV, n’a connu qu’un long et constant succès. Pourtant ce roi tout puissant refuse qu’Andromaque, sa prisonnière, son butin, lui dise non : il veut la faire venir dans sa couche. Il a tué son mari, détruit sa ville, et menace de tuer son fils si elle ne cède pas. Or Sylvain Méallet interprète le violeur comme un amoureux transi qui ne songe qu’à la sauver, à l’élever à la dignité de reine, à adopter ce fils dont il a tué le père. 

Faut-il continuer à monter Andromaque, avec ses serviteurs serviles, ses violeurs et ses assassins par « amour » ? Certainement. Mais doit-on, pour respecter le texte, ne pas interroger son sens, et les rapports de domination qui le sous-tendent, avec un regard contemporain ? Les rapports maître/valet, le mariage forcé par la menace, le meurtre passionnel, peuvent-ils apparaître sur scène, aujourd’hui, sans signe de réprobation, ou du moins de distance ? 

SARAH LYNCH

Andromaque a été joué du 7 au 17 juillet, au théâtre du Chêne Noir, à Avignon, dans le cadre du festival Off.

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