« Dans mon expérience, la seule façon de changer les choses, c’est de viser les individus, qu’ils soient un chef d’État comme Pinochet, ou un dirigeant d’entreprise. Car les sociétés se fichent des procès, elles paient une amende et voilà tout. Ce sont les individus qui prennent les décisions. » Ainsi s’exprimait l’avocat international Philippe Sands, en ce début d’année au Mucem. Des mots forts, dans la bouche de ce spécialiste des droits de l’Homme et de l’environnement, invité par le journaliste Thomas Legrand avec la réalisatrice et militante Thuy-Tiên Hô, auteure du documentaire Agent orange : une bombe à retardement.
Droits humains et de la nature, même combat
Dans sa 3e saison, intitulée « Luttes en partage », les Procès du siècle s’intéressent aux rapports entre les droits humains et les droits pour la Terre. Cette session inaugurale de 2024 avait donc pour but de s’interroger sur les liens entre écocides et crimes coloniaux. La notion d’écocide, portée par des juristes tel Philippe Sands, ne fait pas encore partie des crimes reconnus par la Cour Pénale Internationale. Pourtant une définition juridique réalisée par le comité d’experts de Stop Ecocid Foundation existe déjà. Selon ce dernier, un écocide est un « acte illégal ou arbitraire commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». Si l’avocat est optimiste quant à l’inscription de cette notion dans le droit, il pense néanmoins que cela prendra du temps. Or, du temps, certaines victimes n’en ont pas. C’est le cas de Tran To Nga, une journaliste franco-vietnamienne de 82 ans à l’origine des poursuites contre 14 multinationales accusées d’avoir fabriqué l’agent orange, herbicide déversé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, responsable de nombreuses pathologies. « Pour les victimes, la guerre n’est pas terminée », explique Thuy-Tiên Hô. La documentariste garde toutefois espoir. Après tout, la victoire est possible, comme le démontre l’histoire des Chagossiens que raconte Philippe Sand. Ces derniers avaient été déplacés de force hors de leurs îles, par des Britanniques désireux d’y installer une base militaire. Les Chagossiens obtiendront finalement gain de cause devant la Cour internationale, l’Angleterre étant sommée de se retirer de l’archipel.
Concluant la session par des échanges avec le public, les deux invités remarquaient avec plaisir à quel point l’assemblée était nombreuse, malgré le froid de janvier. « Cela montre un changement générationnel, disait l’un. Militez, militez, militez ! En militant, vous faites le droit, qui évolue sous votre pression. – Oui, il faut faire du droit, renchérissait l’autre, et du journalisme, et aller dans la rue, etc. Il faut tout faire pour que les choses bougent ! »
GAËLLE CLOAREC ET RENAUD GUISSANI
Le Procès du siècle Écocides et crimes coloniaux a eu lieu le 8 janvier au Mucem, Marseille. Pour aller plus loin : Lire La Dernière Colonie (Albin Michel, 2022), Philippe Sands Voir Agent orange : une bombe à retardement (Imago TV, 2012), Thuy-Tiên Hô