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À trente ans, Grenade mène toujours la danse 

Cette année fête les trente ans de la compagnie Grenade, fondée par la danseuse et chorégraphe Josette Baïz en 1992. À cette occasion, le Grand Théâtre de Provence accueille la création de Demain, c’est loin. Entretien avec artiste aux fortes convictions

Formée auprès d’Odile Duboc puis danseuse chez Jean-Claude Gallot, Josette Baïz remporte au 14e Concours international de chorégraphie de Bagnolet le premier prix, celui du public et du ministère de la Culture. Naît alors sa première compagnie, La Place Blanche. Une cinquantaine de spectacles plus tard, elle s’installe dans le Sud et entame une nouvelle aventure qui s’appellera bientôt Grenade.

Zébuline. En 1989, le ministère de la Culture vous propose une résidence d’une année dans une école des quartiers Nord de Marseille, et là, c’est la révélation…

Josette Baïz. Quand on m’a envoyée dans les quartiers, j’ai émis le souhait de travailler avec des enfants. Nous avons visité plusieurs écoles. Mais à celle de La Bricarde dans le 15e arrodissement, s’est opéré un véritable coup de foudre. Il y avait des enfants venus du monde entier. Leur accueil a été fantastique, ils étaient en attente. Leur demande artistique était très forte. Avec le cinéaste Luc Riolon, j’ai passé une année avec eux. Il y avait un métissage total des cultures, ce qui me rappelait mon enfance à Paris où déjà, en rentrant de l’école, j’imaginais des chorégraphies avec les enfants de mon quartier. J’étais un peu « sortie de mon axe » avec la danse contemporaine ; en évoluant avec ces enfants du monde à La Bricarde, je retrouvais mon élément. Certes, la danse contemporaine est pour moi comme un ciment, une terre argileuse qui m’ancre et me permet de planter tout le reste. Je dis toujours qu’on est à cinquante/cinquante : les enfants me donnaient leurs danses et moi la mienne. Ce mélange de cultures et techniques différentes (break dance, smurf, hip-hop, danse orientale, gitane, indienne, africaine) dessine une écriture un peu unique. C’est elle qui m’a poussée à créer la compagnie Grenade avec ces enfants qui avaient grandi. 

Cet assemblage particulier explique la longévité de Grenade ?

Sans doute, car il découle d’une écoute, d’une attention commune à l’autre. Je ne suis pas dans la position de la personne qui apporte tout. Je mêle le terrain qui était le mien et le leur. 

Pourquoi le nom Grenade ?

Les proverbes arabes et chinois se rejoignent ici pour évoquer les grains de la grenade comme « mille enfants ». Je trouvais que cela correspondait à notre envie d’universalité et à l’âge des danseurs ! [rires] On travaille sur les matières, le rythme, l’espace, les voix, le son, le graphisme, c’est ce travail-là qui a permis d’imbriquer les cultures. Le travail sur le mental est toujours lié à celui du corps. Tout s’orchestre autour des sensations spatiales et respiratoires, l’abandon du corps afin de traduire ses états d’âme. Le rapport entre geste et conscience se conjugue aux quatre éléments : air, eau, terre, feu. Cette approche est celle de beaucoup de chorégraphes, je pense en particulier à Odile Duboc qui l’a décrite dans son livre-CD Les mots de la matière. Depuis 2003, les chorégraphes du monde entier (quarante-cinq à ce jour) acceptent de nous offrir des œuvres, voire même écrivent spécialement pour nous et ce sans doute grâce à l’ouverture des corps des danseurs à la compréhension des matières et à la malléabilité de leur travail. Bien sûr, il y a les techniques classiques et contemporaines à la base de tout cela, mais on ne reste pas sur son quant à soi, si bien que quel que soit le chorégraphe qui arrive, on s’adapte. Il n’y a pas de carcan contemporain grâce à l’ouverture du corps et du mental, car le mental aussi doit accepter les gestes que le corps porte. Si quelqu’un est fermé sur une seule technique, il n’a pas sa place à Grenade. 

Josette Baïz, cours de contemporain © Marine Locatelli

C’est pourquoi les enfants irradient sur scène. Ils sont très créatifs, ont envie d’y arriver, d’exécuter et de comprendre ce qu’on leur demande. D’autre part, ils développent eux-mêmes ce qui leur est proposé. On ne lasse jamais ! Je leur répète de ne pas se comparer aux grandes compagnies, mais de chercher leur trajet. Avec leur fraîcheur, leur spontanéité, ils attrapent et s’approprient avec leurs petits moyens ce que les chorégraphes leur donnent et ces derniers en sont souvent très émus. 

Trois temps vont se décliner pour cet anniversaire…

Il y a le film de Luc Riolon, La tête à l’envers. On a repris les mêmes questions que celles posées il y a trente ans pour le premier film (toujours de Luc Riolon) sur les débuts de Grenade, Mansouria. Un livre est publié aux éditions Rive Neuve, Josette Baïz. Enfants, Grenade… et autres danseurs, sous la direction de Philippe Verrièle, qui précise le passage du jeu « naturel » de la danse chez les enfants au travail qui lui accorde le statut d’art. 

Puis, une nouvelle proposition, Demain c’est loin, rassemble trois pièces chorégraphiques. D’abord, sont interprétés de larges extraits de Room with a view de (La) Horde, ma pièce du concours de Bagnolet 1982, 25éme parallèle, sur une musique de Luc Ferrari (en clin d’œil à mes propres débuts), enfin, une création de Lucy Guerin, spécialement écrite pour eux, How can we live together ?, un travail très mature qui suit une géométrie rigoureuse et s’interroge sur la possible reconstruction de la vie sur notre planète. 

Il est amusant de signaler qu’en 2024 à l’occasion des Jeux olympiques, Grenade a été sélectionnée par le Comité olympique pour créer une chorégraphie avec des jeunes enfants des quartiers (quarante) accompagnés par l’orchestre Demos et celui des Ambassadeurs. On a l’impression de retrouver les débuts, comme un départ à zéro. Le spectacle sera joué à Marseille, ville d’accueil des JO et à la Philharmonie de Paris. C’est une belle reconnaissance !

MARYVONNE COLOMBANI

Demain c’est loin été donné du 9 au 11 novembre
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
08 2013 2013 
lestheatres.net 
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