Albert-Jean Morazzani
Membre du collectif La Culture, ça urge ! (CCU)
Zébuline. Comment cette mobilisation est-elle née ?
Albert-Jean Morazzani. Déjà, lors de la campagne municipale 2020, le programme de la mairie actuelle prévoyait de fermer le cinéma Lumière et de le remplacer par une bodega et des commerces. Le collectif a demandé la création d’une commission extra-municipale pour en discuter. Les projets de la mairie ne cessent de varier, halle alimentaire, musée du Cinéma, halles commerciales… Nous nous en sommes émus. Le prétexte serait un différend entre le gérant actuel, Jean-Christophe Ben Bakir, et la municipalité. Il y aurait un problème autour du bail commercial, incompatible avec la gestion publique. L’argument est qu’il y a déjà une salle de cinéma d’art et d’essai à L’Éden, mais le Lumière en propose trois, ce qui permet une programmation plus variée. À la sortie de la ville, il y a un multiplexe [CGR Le spot, ndlr] doté de huit salles, mais qui ne marche pas. Ici, c’est un cinéma de centre-ville, d’art et essai, les spectateurs peuvent s’y rendre à pied. Conserver ce lieu permet d’y préserver une vie culturelle réelle. Nous avons donc établi un projet culturel pour ce « monstre » de l’époque Eiffel : à côté du Lumière, il y avait aussi une médiathèque qui a été déplacée (200 m2 à l’abandon depuis huit ans), nous voudrions convertir ces locaux en MJC, créer des lieux pour des artistes en résidence et garder au moins deux salles de cinéma sur les trois.
Malheureusement on n’arrive pas à dialoguer avec la mairie, elle ne communique pas. Il est clair que juridiquement il n’y aurait jamais dû y avoir de bail commercial sur du domaine public (L’Éden, c’est une délégation de service public pour une association). Cette fermeture est sans aucun doute liée au multiplexe, elle coïncide tout au moins. Monsieur Ben Bakir avait évoqué ce projet avec la mairie, puis n’a pas eu l’argent pour le mener à bien et c’est CGR qui le gère actuellement. Le commerce a ses limites, on ne peut installer des magasins partout ! Pour le moment, le Conseil d’État a mis un point final au procès qui opposait la Ville et Jean-Christophe Ben Bakir. Quant à nous, en tant que CCU, nous ne sommes à la solde de personne, mais nous souhaitons défendre la culture.
Jean-Louis Tixier
Adjoint à la culture sous la précédente mandature et actuellement délégué à l’éducation, au périscolaire, à la petite enfance, à la transmission de la mémoire, au cinéma et aux archives
Zébuline. Comment la municipalité gère-t-elle les difficultés autour du Lumière ?
Jean-Louis Tixier. Pour faire court, le problème vient d’un différend avec l’exploitant du Lumière. Il y a toujours eu une exploitation familiale de ce cinéma, générations après générations. Pour la dernière, les filles des exploitants n’ont pas souhaité reprendre et ont vendu le bail à Jean-Christophe Ben Bakir en 2000. En 2010, ce dernier vient me voir dans mon bureau (j’étais à l’époque adjoint délégué à la Culture) et me dit que les trois salles du Lumière ne sont plus rentables mais qu’il a les moyens en revanche de créer un multiplexe, arguant que celui prévu à Aubagne rencontre des difficultés judiciaires d’installation et que les gagner de vitesse permettrait de fixer la jeunesse sur La Ciotat. Comme le sujet n’était pas de mon ressort, et que je n’étais pas très emballé par ce projet, on voit le maire [Patrick Boré (LR), ndlr] qu’il convainc pour cette création de multiplexe assorti d’activités de divertissement pour les jeunes. Pendant deux ans, le maire cherche un terrain, en trouve un à l’entrée de l’autoroute, le préempte, et propose de le revendre au même prix. Le conseil municipal vote à l’unanimité la fondation du multiplexe, ce qui signifie restituer le Lumière à la Ville. Donc la fermeture du Lumière a été décidée il y a douze ans afin que l’activité rebondisse dans le multiplexe. C’est à ce moment que Patrick Boré a amorcé une réflexion sur l’avenir du Lumière. Comme il cherchait à relancer l’activité commerciale en centre-ville, il a d’abord songé à une halle dédiée à cette activité. Les années passent, les compromis de vente sont repoussés sans cesse, le temps que monsieur Ben Bakir trouve les fonds, mais il n’y parvient pas et le CGR reprend le projet. Le procès opposant monsieur Ben Bakir, à l’issue de ces négociations avortées, a été gagné par la Mairie. Madame la Maire [Arlette Salvo (LR), ndlr] a été très correcte en lui affirmant qu’il ne serait pas mis dehors et que l’on attendait qu’il parte volontairement.
Je suis en contact avec le CCU (je suis même en très bon termes avec certains de ses membres). Ils souhaiteraient que soit préservée une solution de cinéma, mais cette activité, surreprésentée ne rapporte pas. Les chiffres dont je dispose prouvent que le Lumière n’est pas rentable : il faut une moyenne de 25 personnes par séance pour qu’un cinéma s’en sorte. L’Éden affiche 32 personnes par séance, le multiplex environ 20 et le Lumière 6 !
La Ville a un autre projet 100% culturel – et l’action du CCU m’a bien aidé pour que j’avance mes arguments. Nous souhaitons investir la grande salle pour la convertir en salle de concert et de café-théâtre, installer deux ou trois studios de répétition qui manquent à La Ciotat, faire de la salle du haut un lieu de stockage et de bureaux, conserver la salle du milieu en salle de projection sur des thématiques artistiques (musique et danse), conserver la cave à jazz et sa gestion par l’Association Jazz Convergences. Le besoin d’aujourd’hui sur La Ciotat est musical, il y a une vingtaine de groupes qui n’ont pas de lieu. Le Lumière sera donc toujours un lieu culturel, j’y tiens absolument, adapté aux nécessités actuelles.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARYVONNE COLOMBANI
Un peu d’histoire
Le 7 août 1890, le maire de La Ciotat, Évariste Gras, décide d’acheter pour sa ville un enclos de terre battue afin d’y faire construire un hôtel des postes et un marché couvert. L’ingénieur chargé de la conception du bâtiment, monsieur Delestrade, s’inspire du style mis à l’honneur par Gustave Eiffel dont la fameuse tour fait sensation à Paris. La fête d’inauguration rassemble une foule en liesse le 31 janvier 1892. Mais les forains, habitués aux places des Fruits (Sadi Carnot) et des Servites (Esquiros), boudent le lieu. Au vu du succès du cinéma de l’Éden, un deuxième cinéma baptisé le Kursaal (mot tiré de l’allemand, « salle de cure », bâtiment de loisirs dans les pays du nord de l’Europe au XIXe siècle) y prendra place. La municipalité accorde un bail commercial à Léon Pardos qui fait construire l’entrée aux escaliers de marbre. La première séance aura lieu le 29 mars 1913 avec la projection des Misérables, film muet réalisé par Albert Capellani (Mistinguett y jouait le rôle d’Éponine). Les familles de gérants se succèdent et, après six mois de travaux, le Kursaal, rebaptisé Lumière ouvre ses portes le 7 juillet 1987 sur le Festival du film d’aventure. Cent-dix ans, pour une aventure, c’est un record !
MARYVONNE COLOMBANI