Il est toujours assez drôle de fouiller du côté des étymologies lorsqu’un titre nous intrigue. Entre la matérialité concrète du pistage et l’impossibilité physique du « fabuleux » qui par ses capacités sort justement de l’ordinaire, nous sommes titillés par l’intitulé de la « conférence performée » proposée par la Compagnie L’Imaginarium, Pister les créatures fabuleuses. « Pister » vient de « broyer, piler » (d’où le célèbre « pistou » provençal), avant de nommer les lignes provoquées par les empreintes des pieds des chevaux sur le sol d’un manège. « Créature » est une « chose créée » (du latin creatura). Enfin, « fabuleux », dérivé de « fabula » (l’ancêtre de la fable), composé à partir du verbe « fari », c’est-à-dire parler puis raconter. Le « fabuleux » est donc quelque chose qui se raconte, bref, déjà littéraire par nature. Les créatures fabuleuses résident d’abord au cœur des récits, créées par eux, malaxées par le langage.
Sur la piste animale
C’est en littéraire et en passionné de l’univers du vivant que Baptiste Morizot, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, réfléchit dans son ouvrage Sur la piste animale (paru en 2018) sur les animaux qui hantent les contes pour enfants, la construction de leurs représentations. Peu de personnes peuvent se vanter d’avoir vu dans leur espace naturel loups, ours polaires ou grizzlys, seules leurs traces restent à la portée des observateurs. Que n’imagine-t-on pas à partir d’elles ? Comment les décrypter, reconstituer physionomies, activités, état d’esprit ? De ce livre passionnant, la compagnie L’Imaginarium a concocté un spectacle prenant dans une adaptation et mise en scène de Pauline Ringeade. Peu à peu, la conférence s’illustre de sons, de courses, d’élans, de détours, d’arrêts brusques, de pas précautionneux, de sauts, de rires, de chuchotements, nimbés des variations de la luminosité. Traces découvertes de jour, exploration des cacas (ah ! que d’informations ne livrent-ils pas !), veilles à l’affut, jumelles de vision nocturne, attentes, échecs, patience, voyages jusqu’au Canada ou en Australie… Tout un paysage se déploie, rend sensible l’invisible en enquêtes que ne renierait pas Sherlock Holmes. L’imagination est rejointe par le raisonnement, l’intuition s’aiguise au filtre de la science, le fantastique est le réel finalement. Eléonore Auzou-Connes nous entraîne à sa suite, voici renards, oiseaux, loups, surtout des loups. On les suit au bord d’une rivière, on les voit pêcher les écrevisses, flirter, jouer, transmettre leur savoir à leurs enfants. Des êtres fabuleux font aussi leur apparition, aujourd’hui, en raison du changement climatique. Croisement entre ours polaire et grizzli, le Pizzli est une nouvelle créature que les Inuits ont baptisée Nanulak (combinaison de Nanuk, ours polaire, et Aklak, grizzli). Quoi ? Eléonore Auzou-Connes est une comédienne ! C’est ce que les enfants de l’assistance découvrent lors du bord de scène au cours duquel ils se passionnent. La magie ne s’éteint pas pour autant. Vive la curiosité !
MARYVONNE COLOMBANI
Conférence performée donnée le 26 octobre au Théâtre Vitez, Aix-en-Provence, dans le cadre de Mômaix