Jusqu’où iront-elles pour garder leur travail ? Face au spectre du chômage, perdre 7 minutes de pause par jour, ce n’est rien. Vraiment ? Le texte de Stefano Massini mis en scène par Maëlle Poésy repose sur un suspense haletant. Les comédiennes, d’abord dix sur le plateau puis onze, sont sous le regard permanent des spectateurs disposés de chaque côté de la scène. Une horloge égrène les secondes, le temps de la pièce est celui de l’action. Les neuf ouvrières et les deux employées ont 95 minutes pour accepter ou refuser les termes de l’accord que les repreneurs, les « cravates », leur imposent. Représentant le personnel, féminin, de cette filature qui change de mains, elles vont se parler, s’affronter, se convaincre, s’accuser, cheminer, jusqu’au vote final, que nous ne connaitrons pas. Car c’est la prise de conscience de chacune qui importe. Syndicale, politique. Dans cet univers de l’usine, qu’est-ce que la dignité du travail ? Faut-il accepter ce deal et permettre davantage de profit à ceux qui les exploitent ? Car l’usine va bien et génère des résultats confortables.
Les onze comédiennes sont époustouflantes, chacune joue sa partition sans répit. On s’attache à chaque visage, à chaque corps qui semble abimé par les années de labeur, et les paroles qu’elles échangent surgissent comme la partie audible d’une réflexion intérieure constante. Même les silences, surtout les silences, sont habités, et les mots se bousculent avec un naturel sidérant, dans leurs chevauchements, leurs tuilages, leurs paroxysmes.
Un théâtre d’une vérité et d’une actualité exceptionnelles, qui remet les pendules à l’heure de la lutte, et de la nécessité d’écrire aujourd’hui l’histoire du peuple et des femmes. Des ouvrières.
SARAH LYNCH
Jusqu’au 5 octobre à la Friche la Belle de Mai Une proposition du Théâtre du Gymnase hors les murs