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Écrire à l’italienne

Jean-Baptiste Andrea était ce jeudi 16 novembre à la librairie Un Point Un Trait (Lodève) pour présenter son roman Veiller sur elle, tout juste couronné du prix Goncourt

Le nom de Jean-Baptiste Andrea, déjà primé par différentes institutions célébrant la littérature exigeante et grand public – le Femina des lycéens, le Grand Prix RTL-Lire – se faisait déjà familier ces dernières années. Et ce même si la carrière de romancier de cet auteur touche-à-tout demeure assez récente : quatre romans parus entre 2017 et 2023, tous aux très réputées éditions de l’Iconoclaste. Repéré par la fondatrice et directrice de la maison, Sophie de Sivry, décédée au printemps dernier, il était devenu le premier et ultime primo-romancier consacré par ses soins. Mais avant de se lancer en littérature, l’ex-diplômé de Sciences Po et de l’ESCP aura pris son temps. Né en 1971, il abandonne tout au tournant de la vingtaine pour des petits boulots de traduction aux éditions Harlequin, avant de se dédier à l’écriture de scénarios et à la réalisation de films proches du cinéma de genre. Voire même de l’horreur, ou du moins le fantastique, au cœur de son premier film Dead End, qu’il tourne en 2002 à Los Angeles. Il explore également les ressorts de la comédie policière, versant noir, dans Big Nothing, sorti en 2006 et comptant notamment David Schwimmer à son casting. Suivront en France la comédie horrifique très « teen » Hellphone réalisée par James Huth en 2007, avec un Jean-Baptiste Maunier à peine sorti de l’enfance, puis La Confrérie des larmes en 2013, thriller paranoïaque porté par Jérémie Rénier et Audrey Fleurot. C’est toujours la solidité de l’écriture que l’on salue, et l’efficacité d’un dispositif fait de rebondissements et révélations tenant le spectateur en haleine, à défaut de le convaincre complètement. 

Poser le décor

Dans chacun de ces récits, c’est également le goût cinématographique du décor et le penchant pour l’immersion qui emportent. Cette Italie et ses palais génois tant admirés par le jeune et désargenté Mimo, personnage central de Veiller sur elle, en constitue plus que le cadre : le centre, l’identité même. Celle de ces ancêtres, qui ont si bien connue l’Italie où « orangers, citronniers et bigaradiers s’étendaient à perte de vue. […] Impossible de ne pas s’arrêter, frappé par le paysage coloré, pointilliste, un feu d’artifice mandarine, melon, abricot, mimosa, fleur de soufre, qui ne s’éteignait jamais. » Le goût du style et de la langue passe, pour Andrea, avant tout par l’image. Saturé de paysages aussi somptueux que l’histoire qui se dessine se fera tortueuse, Veiller sur elle se traverse comme autant de scènes de reconstitution soignées. Les personnages s’y font eux aussi hauts en couleur : Mimo Vitaliano, sculpteur en herbe à peine haut d’1 mètre 40 et né sans le sou, croisera le chemin de Viola Orsini, riche héritière à qui l’on aura que trop rappelé que son genre l’assigne au silence. La petite histoire, celle d’un amour d’enfance trop pur et trop à rebours des conventions sociales pour triompher, est sans doute ce qui marquera le plus durablement dans Veiller sur elle, plus encore que la grande accompagnant l’Italie de l’entre-deux-guerres aux années 1980, un peu plus convenue. Depuis Ma Reine, c’est encore et toujours de ces liens inaltérables d’amour et d’amitié que veut nous parler Jean-Baptiste Andrea, lui qui a à cœur de « parler de la beauté du monde », y compris en se frottant à l’histoire du fascisme.

Une œuvre sans auteur ?

C’est au grand bonheur du président du jury Didier Lecoin, qui lui aura accordé son double vote, que le prix Goncourt s’est vu attribuer à cet auteur dont le goût du romanesque et de la fresque tranche quelque peu avec l’autofiction intime et âpre primée l’an dernier – Vivre vite, qui consacrait l’autrice Brigitte Giraud. Quitte à faire grincer quelques dents : devrait-on y voir le triomphe d’un académisme suranné, au détriment du style, de l’expérimentation, en bref, de tout ce qui fait la littérature ? Quelques phrases lâchées çà et là par Andrea desservent allègrement sa cause : « Ce qui m’intéresse, c’est de disparaître de mes livres. Des anecdotes que je distille dans la narration jusqu’au style : il ne faut pas qu’on me sente écrire. » À moins qu’on y lise avant tout des gages de pudeur et de modestie : deux qualités bien trop rares pour qu’on les disqualifie d’un revers de la manche.

SUZANNE CANESSA

Jean-Baptiste Andrea était présent à la librairie Un Point Un Trait à Lodève le jeudi 16 novembre.
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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