Rebelles, impétueux ? C’est peut-être ainsi que l’on pourrait qualifier la mezzo soprano Léa Dessandre, son compagnon à la scène et à la ville le luthiste Thomas Dunford et l’ensemble instrumental Jupiter. Cette « petite famille » de « baroqueux » qui font corps avec leurs instruments, n’aime pas bien les codes sauf pour les casser. Ils aspirent à se faire plaisir et à partager leur passion avec spontanéité.
Sur la scène du Grand Théâtre de Provence ce 15 avril, ils ont présenté un programme autour du Maître, Haendel, avec des extraits chantés de Theodora, Solomon ou instrumentaux (suites, passacaille, sarabande et autres gigues endiablées).
Vélocité unique
On le sait, Léa Dessandre est un phénomène, à la technique vocale exceptionnelle. Ce soir-là, sa prestation n’a pas failli. Gracile, parfois évanescente, toujours espiègle, elle est tour à tour émouvante dans un morceau comme Guardian Angels, Oh, Protect Me, moment clé de l’oratorio The Triumph of Time and Truth, dans lequel elle implore les anges gardiens de la guider. Ou virtuose dans la complexité technique de No, no, I’ll take no less tiré de l’acte III de l’oratorio Semele avec les vocalises agitées en gamme montantes, descendantes et rendues plus intenses encore avec les sauts d’intervalle. La précision, la rapidité et la vélocité unique de la mezzo conquièrent le public.
Ce qui rend cet ensemble si sympathique, c’est sans doute la liberté que les membres s’autorisent. Léa n’hésite pas à se déchausser pour être à l’aise et à interpréter en bis un morceau de pop. Déjà, lors de la rencontre organisée par le public en amont du concert, Thomas Dunford avait provoqué l’enthousiasme en jouant et chantant – ma foi très bien –Blackbird des Beatles avec son luth.
Un cœur qui bat
Le lendemain, c’est un monument de l’histoire de la musique, Les Vêpres de Monteverdi, qu’Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne ont choisi d’offrir au public aixois avec leur ensemble I Gemelli.
Les Vêpres sont un recueil de psaumes et de motets qui célèbrent la vierge. Ils n’avaient pas vocation à être joués à la suite lors d’un concert mais plutôt par parties, en office. « Ils ont pourtant une même ligne stylistique qui est la pulsation. Elle rappelle les battements d’un cœur » explique Mathilde. Pour Émiliano « Monteverdi a su réunir en une seule œuvre tout ce qui existait déjà musicalement : solo monodique, polyphonie… Avec la Sonata sopra Sancta Maria, il y intègre aussi l’une des premières formes de musique instrumentale sacrée du genre ».
Sur scène au centre, face au public, dans un costume bleu vif, le chef est un concentré d’énergie. Ténor, il chante tout en dirigeant les pupitres de voix et d’instruments : « Contrairement à son Orféo, Monteverdi a donné très peu d’indications sur la partition des Vêpres. Aussi chaque interprète a toute liberté pour y mettre sa pâte. »
L’ensemble est somptueux, chaque choriste est mis en avant. Les solos font place aux duos ou aux quatuors, comme celui de la Sonata dans lequel quatre chanteuses aux voix d’anges répètent douze fois Santa Maria avec une légère variation musicale qui transforme et pendant que l’ensemble instrumental déploie une riche polyphonie. Le mouvement est permanent. La pulsation aussi. Des voix résonnent en échos, en dehors de la scène. La harpe scintille. La puissance de cette ferveur sacrée, pleine d’allégresse captive de bout en bout… Le Nigra sumet le Pulchra es amica mea, un duo de soprane est de toute beauté, le Duo seraphim clamabant entre Emiliano et Zachary Wilder – ovationné – puis rejoints par Jordan Mouaissia est un enchantement.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Les concerts se sont déroulés le 15 et 16 avril au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence).
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