Difficile de ne pas parler du nouveau roman de Virginie Despentes. Cher connard : dès sa parution, interviews, chroniques et émissions ont déferlé à propos de « l’événement littéraire de la rentrée ». Les uns l’encensent, d’autres le descendent en flèche. Despentes laisse rarement indifférent. Roman épistolaire, Cher connard se lit sous la forme d’un échange de lettres entre Rebecca Latté, une actrice célèbre, et Oscar Jayack, un écrivain en passe de le devenir. Commencé sur le ton de l’insulte, cet échange va très vite prendre un autre tour, pour se muer en amitié. Car avant de devenir un auteur à succès, Oscar a été le petit frère de Corinne, une amie d’enfance de Rebecca. Tous deux viennent de la même région, du même milieu aussi, dans lequel faire des films ou des livres était juste impensable. Leur « dialogue » est régulièrement ponctué par les posts virulents de la blogueuse féministe Zoé Katana (ex-attachée de presse de la maison d’édition d’Oscar, elle vient, au début du roman, de le « metooïser »). L’époque ultra récente circule dans ce texte à trois voix : le confinement, les harcèlements sur les réseaux sociaux, les addictions, l’univers des médias, du cinéma et de l’édition… Ces lettres charrient leur pesant de provocations et de diatribes, mais aussi tout un flot d’émotions et d’empathie pour les personnages, même pour celui que Rebecca appelle « cher connard ». Un homme, deux femmes ; deux trentenaires, une quinqua ; trois hétéros. Et finalement, une réflexion aiguë sur le monde tel qu’il ne va pas, par trois personnages qui le scrutent sans indulgence, mais pas sans amour.
Despentes n’est jamais là où on l’attend. Alors on lui pardonnera certaines envolées douteuses, quelques (rares) passages virant lourdement à la thèse, pour ne garder que ce qu’on aime chez elle depuis le début : sa façon de ne jamais être dans les clous, sa sincérité radicale et souvent à contre-courant, son sens aigu de la formule-choc, son style parfois trash et si drôle, sa capacité inentamée à la révolte, sa recherche perpétuelle de l’émancipation… Pour ses personnages comme pour elle sans doute.
FRED ROBERT
Cher connard, Virginie Despentes Éditions Grasset 22 € Des extraits de Cher connard seront lus par Anna Mouglalis, lors des prochaines Correspondances de Manosque, du 21 au 25 septembre.