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Les femmes dans la musique : et si on changeait de disque ?

Sous-représentées, sous-payées, dévalorisées… Dans la filière musicale, les femmes connaissent relativement le même sort que dans le reste du monde du travail. Pour faire le point, des assises nationales de l’égalité ont lieu à Marseille

Ce jeudi, le Centre national de la musique a choisi Marseille pour la tenue de la 2e édition des Assises de l’égalité femmes-hommes dans la musique. L’occasion de dresser un état des lieux pas toujours réjouissant. Entretien avec Corinne Sadki, conseillère Europe et égalité femmes-hommes au CNM.

Zébuline. Pourquoi des Assises nationales de l’égalité femmes-hommes dans la musique ?
Corinne Sadki. Le rendez-vous des assises nationales est un moment de communication fort autour d’un sujet prioritaire autour duquel toute une filière est mobilisée depuis quelques années. Historiquement, le secteur de la musique avait déjà organisé une première initiative de l’ordre d’assises de l’égalité, en 2019, sous l’égide de TPLM [Tous pour la musique est une association réunissant l’ensemble des représentations professionnelles de la filière musicale française, ndlr] du Prodiss [le syndicat national du spectacle vivant et de variété est organisme patronal, ndlr]. Quand le Centre national de la musique (CNM) a été créé, en 2020, cela semblait évident que son rôle était de mettre en lumière le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes au niveau national. Nous avons donc décidé de pérenniser ce moment d’échanges et d’état des lieux. Une première édition a eu lieu en juin 2021 à Paris.

Pour quelles raisons leur deuxième édition a-t-elle lieu à Marseille ?
Après les premières assises, on avait envie de les délocaliser. Les premiers partenaires avec lesquels nous en avons discuté ont été des acteurs de la région et notamment le Pam [pôle de coopération des acteurs de la filière musicale en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, ndlr] et l’association Orane, organisatrice du festival Marsatac et très impliquée sur ces sujets et avec qui on travaille beaucoup. Le projet a ensuite avancé en menant des ateliers avec d’autres acteurs locaux dont la Ville de Marseille et la Région Sud. La motivation locale est forte.

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres évocateurs quant à la présence des femmes dans la filière musicale ?
Dès la première édition, nous avons pointé le besoin d’avoir des chiffres au niveau national dont on puisse mesurer l’évolution d’année en année. Nous allons présenter l’édition zéro de ce baromètre à Marseille. Sur les formations de musiques actuelles présentes sur les scènes hors festival en 2019, 17% sont menées par des femmes et 62% par des hommes. 21 % ont un genre mixte. En ce qui concerne les artistes enregistré·es, on est à 55 % de production de voix à tonalité masculine, 17 % de tonalité féminine et 28 % de tonalité mixte. Dans ce que les médias diffusent, la tonalité féminine atteint 29 %, ce qui correspond donc à peu près à ce qui est produit. En revanche, au niveau de la consommation (en streaming et sur YouTube), on descend à 14 %.

À quel moment d’un parcours de femme en musique, les inégalités se creusent et pourquoi ?
Dans les emplois permanents à des postes et métiers divers, c’est relativement équilibré avec 46 % de femmes dont 47 à des postes de cadre, cette dernière donnée ayant progressé de 4 % en dix ans. Dans les emplois intermittents, on a 35% de femmes au global, c’est-à-dire aux postes artistiques et techniques. En revanche, les femmes s’évaporent dans les métiers de la filière à partir de 30 ans. Soit à l’âge moyen de la première maternité en France… On ne peut pas affirmer que cela en soit la raison principale mais c’est le constat.
Quand on arrive aux postes de direction, c’est là que les écarts deviennent très importants. Les femmes y ont nettement moins accès. Elles représentent entre 9 et 17% des directions des structures telles que les Smac, les centres nationaux de création musicale, les opéras ou les orchestres.

Y a-t-il des disparités au niveau de la programmation des artistes femmes en fonction du genre musical ?
On s’est rendu compte que les esthétiques où il y a le plus de femmes programmées sur scène sont les musiques du monde et traditionnelles. Le hip-hop est celle pour laquelle elles sont le moins programmées. Du côté des musiques enregistrées, on trouve 32 % de femmes dans la pop. Là où il y en le moins, c’est en rock, métal et rap. Au niveau des musiques classiques et contemporaines, il faut noter qu’il n’y a qu’une seule femme pour dix-sept hommes parmi les chef·fes d’orchestres nationaux. Il y a d’ailleurs un grand travail à mener avec les conservatoires sur les instruments genrés : les femmes veulent toutes jouer du violon et de la harpe.

Trouve-t-on, comme dans le monde du travail en général, des inégalités salariales entre les femmes et les hommes à poste et qualification égaux ?
Eh oui ! Et elles s’intensifient avec l’âge. Sur les moins de 25 ans, dans l’édition ou le spectacle vivant, les disparités sont de l’ordre de 7 à 9 %. Entre 25 et 35 ans, elles sont beaucoup plus faibles, de 2 à 5 %, et c’est plutôt intéressant. Entre 35 et 45 ans, ça se creuse, entre 9 et 16 %. De 45 à 55 ans, on est entre 13 et 20 % d’écart. À plus de 55 ans, la différence de salaire varie entre 14 et 32 % ! C’est concomitant avec le fait que l’on propose très peu de poste de direction aux femmes.
Chez les intermittents, les écarts sont très faibles en ce qui concerne les cachets artistiques (de l’ordre de 3%) mais atteignent 22% aux postes techniques.

En live
Les Assises étaient aussi l’occasion d’écouter des artistes féminines sur scène avec le lancement du festival Les femmes s’en mêlent. Au programme de la soirée du 9 février, Nadine Khoury et Stella Galactica étaient sur la scène du Café de l’Espace Julien.

Le CNM a mis en place une feuille de route en faveur de l’égalité femmes-hommes. Quelles sont les avancées constatées depuis les précédentes assises en 2021 ?
On constate une sensibilisation générale de la filière aux sujets de l’égalité et de la prévention des violences. Même si cela n’a pas fait clairement bouger les lignes, il y a une prise de conscience réelle car impossibilité de passer outre. Nous avons conditionné toutes les aides financières à la mise en œuvre d’un cadre de prévention des violences sexistes et sexuelles. Le nombre de formations a d’ailleurs explosé. C’est l’avancée majeure et également une condition pour que les femmes se sentent en sécurité, restent dans la filière et puissent y développer leur carrière. Il existe une sororité entre actrices de la filière qui se sont mobilisées pour monter des programmes. Une initiative concrète récente : l’Association française des orchestres (Afo) vient d’annoncer qu’elle s’engageait à programmer davantage de compositrices. Les assises servent aussi à cela : mettre en lumière tous les projets développés dans la dernière période et qui permettent d’accompagner les professionnel·les vers le changement. Sur d’autres sujets liés à l’égalité, comme l’inclusion de plus de femmes dans les projets, le CNM a engagé une politique de bonifications, d’incitations financières. D’aucuns trouveront qu’on est bien trop lent et trop tiède mais d’autres trouvent aussi qu’on va beaucoup trop vite…

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Assises organisées en coproduction avec le conservatoire Pierre Barbizet et en partenariat avec le Pam, la Drac Paca, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Ville de Marseille, l’association Orane, France Musique et Radio Grenouille.

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