Le groupe Sidiaz est né en 2021 sous le souffle de son auteur-interprète Salaheddine Zaïdi, également guitariste et chanteur. Il crée un répertoire de chansons originales qui mêle ses influences sahraouies et sahéliennes au rock psychédélique et au blues. En 2023, il est rejoint par Lucas Zemmour à la basse et Charly Guerin à la batterie – ensemble le trio tisse une musique mystique aux rythmes transes, aux lignes groovies de basse et tintée d’ornementations à la guitare électrique. En 2024, ils sortent leur premier EP, Trig, avec Boucan Record. Le concert se joue à la Cité de la musique et l’artiste revient en 2026 pour une année de résidence dans le cadre du Pôle des Musiques du Monde.
On connait tous Yann- Arthus-Bertrand, photographe et cinéaste dont on a pu apprécier les vues du ciel, et les documentaires engagés autour de l’écologie. Dans son nouveau film, France, une histoire d’amour, il ne filme pas de haut, mais tout près des gens, en France : des hommes, des femmes qui s’engagent et agissent. Avec son ami et fidèle collaborateur, Mickael Pitiot (Planète océan, Terra, L’Algérie vie du ciel), il parcourt le pays à la rencontre de ceux qui ont donné du sens à leur vie : « ‘J’ai passé ma vie à photographier la beauté du monde. Je voulais montrer une France positive, une France heureuse. »
On va croiser, rencontrer beaucoup de gens, très divers, dans ce road- movie de presque deux heures, qui vont parler de ce qu’ils font, de ce qu’il pensent, des anonymes mais aussi des personnes plus connues comme Cédric Herrou, paysan militant pour le principe de fraternité, André Pochon, un des premiers à s’être battu pour une agriculture raisonnée et durable, ou encore Daniel et Denise Vuillon, créateurs des AMAP de France. D’autres qu’on ne connait pas œuvrent, dans leur région, dans leur quartier, à une vie plus libre, plus digne, prenant en compte les souffrances des autres et les aidant à s’en sortir. Ceux qui accueillent des migrants, ceux qui luttent contre l’injustice sociale et la discrimination dans les cités comme l’association « Méditation nomade », ceux qui ont fondé, après une lutte sociale contre Casino, dans les quartiers Nord de Marseille, l’Après M, lieu de partage et de solidarité. On croise à Paris, un chauffeur de la société Phenix fournissant l’aide alimentaire aux associations, qui la distribuent aux plus démunis ; en Bretagne le maire de Langouet qui a lutté jusqu’au bout contre les pesticides.
La France des campagnes n’est pas oubliée. On assiste à une réunion de paysans qui parlent de leur passage au bio et de leurs difficultés ; on est ému devant cet agriculteur que sa femme a quitté, qui aime ses vaches au point qu’il a du mal à s’en séparer ; la plus vieille a 16 ans ! On regrette que cette jeune femme qui a essayé par son abattoir mobile de promouvoir un abattage digne, ait dû déposer son bilan. On partage le rêve de ceux qui tentent l’expérience d’un habitat léger et de la vie collective dans l’association Hameaux légers. Et on se (re)posera la question de la présence des loups en écoutant ceux qui ont créé une réserve de vie sauvage et se réjouissent d’y voir deux loups, et des bergers qui ont perdu un grand nombre de brebis. La séquence avec ces bergers des Alpes maritimes est des plus animée !
« J’ai voulu aussi aller à la rencontre de Yann, ce Français un peu particulier, de montrer sa manière de travailler » précise Mickael Pitiot. On voit Yann- Arthus-Bertrand photographier, aborder les gens, se « disputer » avec son ingénieur du son qu’il trouve trop exigeant, commenter ce qu’il découvre, serrer dans ses bras hommes et femmes qui l’ont ému, ravi, émerveillé…Ceux qui aiment cet homme passionné, humaniste et engagé, apprécieront ces choix de mise en scène. D’autres trouveront peut –être le personnage trop présent, posant, sourire aux lèvres, regards caméra et ne prendront pas la route…
Annie Gava
France, une histoire d’amour sort en salles le 5 novembre
Stéphane Demoustier adapte ici un roman de Laurence Cossé et reprend son titre digne d’un polar. Assumant de mêler la fiction aux faits historiques.
1983 : François Mitterrand, dans le cadre de ses Grands Travaux, lance un concours international pour construire un édifice emblématique prolongeant l’axe parisien historique du Louvre à l’Arc de triomphe. A l’étonnement général, c’est le projet d’un certain Otto von Spreckelsen (interprété par Claes Bang), un architecte danois totalement inconnu, qui est retenu. Un cube évidé, respectant la perspective, célébrant symboliquement une ouverture à la spiritualité.
Le film s’ouvre sur une scène de quasi-comédie : le réalisateur met en scène dans les bureaux de l’Élysée où le Président (Michel Fau) trône, entouré de déférents courtisans, l’incrédulité de tous, puis la fébrilité des conseillers pour essayer de contacter ce lauréat inattendu qui n’a pas de téléphone et dont l’Ambassade danoise n’a jamais entendu parler. Jean-Louis Subilon, (Xavier Dolan) un haut fonctionnaire français, doit partir au Danemark. Il retrouve Otto se baignant près de sa barque, avec sa femme Liv (Sidse Babett Knudsen). D’emblée, l’opposition entre un espace de liberté ouvert et celui des lieux resserrés du pouvoir est suggérée.
Otto enseigne dans une école d’architecture. A plus de 50 ans, il n’a jamais bâti que sa propre maison et quatre églises dans son pays. Le projet parisien est colossal. C’est celui d’une vie.
Très vite, l’architecte danois se heurte à des obstacles. D’abord, un délai très court imposé par l’Élysée qui appuie sa communication politique sur ces grands travaux : le Cube devra être livré pour la commémoration du bicentenaire de la Révolution française. Ensuite, des règlements administratifs, des contraintes budgétaires. Enfin, un certain état d’esprit français frileux -un peu moqué ici : un « c’est impossible » lui étant opposé chaque fois qu’il exige quelque chose.
Le Gestionnaire, le Pragmatique et l’Idéaliste
Otto doit se faire épauler par Paul Andreu (Swann Arlaud). Ce grand architecte expérimenté, concepteur entre autres, de l’aéroport de Roissy, accepte, au nom du projet qu’il admire, le rôle d’architecte d’exécution. Intelligent, efficace, rationnel, diplomate et patient, il a la mission difficile – sans doute impossible, de transformer le rêve d’un autre en réalité. Il affronte la colère d’Otto qui le soupçonne de vouloir le déposséder de son « Cube » et de dénaturer sa vision. Le film avance comme le chantier au fil des rapports conflictuels entre le technocrate Jean -Louis Subilon comptable des dépenses, Paul Andreu, en équilibriste, coordonnateur des équipes et Otto Spreckelsen qui n’accepte aucun compromis. Le Gestionnaire, le Pragmatique et l’Idéaliste désirant chacun à sa façon, la finalisation de l’Edifice.
On s’amuse à voir un François Mitterrand se donnant le rôle d’un Laurent de Médicis et tenant dans ses mains un morceau du marbre de Carrare qui devait initialement recouvrir l’Arche.
Ce projet qui donnait sens à la vie d’Otto von Spreckelsen va le miner, déstabiliser son couple et sa santé mentale. La défaite de Mitterrand aux législatives bouleverse la donne. Otto abandonne le chantier avant la fin et meurt avant l’achèvement de son Cube renommé Arche par Andreu. Son nom sera oublié du public. La boucle étant bouclée, le film reviendra sur le même mode de comédie, au Danemark où Andreu et Subilon chercheront en vain la tombe de l’architecte inconnu sous une pluie battante.
Du Rebelle de King Vidor au Ventre de l’Architecte de Peter Greenaway, ça ne se passe jamais très bien pour les architectes de cinéma. L’Inconnu de la grande Arche est bien sûr un film sur l’Architecture, et sur les architectes, mais pas que… Comme dans les deux œuvres précitées, c’est la réflexion sur les rapports entre architecture et pouvoir, architecture et maîtrise d’ouvrage qui importe, l’éternel conflit entre utopie et réalité.
ELISE PADOVANI
L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier
Au Cinéma Le César ainsi que dans quelques villages du Pays d’ Apt, on pourra découvrir une quinzaine de longs métrages dont 4 avant –premières et 8 inédits, 8 courts métrages, fictions et documentaires. Des cinéastes nés pour la plupart dans les années 80 et 90 dont plusieurs seront présents après les projections pour parler de leur travail. Un échange qui pourra se poursuivre les lendemains à partir de 10h à la Micro-Folie, animé par Tahar Chikhaoui.. Ces traditionnelles Rencontres du Matin sont l’occasion d’approfondir l’analyse des films vus la veille, d’évoquer d’autres productions de la filmographie des cinéastes et les ressorts de leur création .Et une table ronde « Les pères fondateurs, quel héritage ? » aura lieu le samedi 8 nov à 15h30 à la Micro folie, animée par Olivier Barlet.
Présents par leurs films
Maxime Jean-Baptiste qui appartient à la diaspora guyanaise tisse à partir d’un fait divers un récit de deuil, d’apprentissage et de transmission culturelle dans Koute VwaAkinola Davies Jr suit une réunion de famille lors des élections nigérianes de 1993 dans My Father’s Shadow. Denise Fernandes, née à Lisbonne de parents cap-verdien propose dans Hanami une réflexion sur la condition de l’être capverdien, tiraillé entre les douleurs de l’exil et l’isolement insulaire. Ousmane William Mbaye dans Ndar, Saga Waalo, nom originel de Saint-Louis, qui fut le port de la pénétration coloniale en Afrique, se demande comment on peut penser l’histoire autrement. Raoul Peck dans Haiti 2+2=5 plonge dans les derniers mois de la vie d’Orwell et dans son œuvre visionnaire, 1984. Abdenour Zahzah dans Frantz Fanon met en lumière la genèse de l’engagement anticolonial de l’auteur de Peaux noires, masques blancs. Quant à Denis Kouyaté, dans Katanga, la danse des scorpions (Etalon d’or de Yennenga au Fespaco 2025), il transpose dans un contexte africain, Macbeth de Shakespeare.
Ils seront là
Intagrist El Ansari propose une quête personnelle, une transmission générationnelle dans Ressacs, une histoire touarègue. Le Tunisien Ridha Tlili évoque La Couleur du phosphate, cause et résultat, vie et mort. Tahar Kessi, dans Amsevrid, « celui qui chemine », nous entraîne au cœur de l’Algérie en suivant trois personnages à différentes époques. Ce sont trois femmes que suit la Tunisienne Erige Sehiri dans Promis le ciel et son compatriote, Ala Eddine Slim présente son dernier film, Agora, entre thriller et fable : dans une ville isolée, les disparus reviennent. L’Egyptien Mohamed Rashad dans The Settlement, inspiré d’événements réels, s’attache à la quête de deux frères se demandant si la mort de leur père au travail était vraiment accidentelle. Le Rwandais, Mutiganda wa Nkunda présentera Phiona, la fille de Madrid : Phiona remet en cause les valeurs d’une société qui rejette l’une des siennes, et, plus important que tout, ses futures mères. Quant à Namir Abdel Messeeh, il parlera de La vie après Siham, 3ème volet de sa trilogie familiale
Africapt ce sont aussi un Jury de jeunes, un marathon vidéo, une exposition à la Maison Suet.
6 jours au rythme de l’Afrique de 10h à plus de 23h !
Le public applaudit longuement, très longuement à la magnifique Nuit Transfigurée qui conclut le concert. Si le jeune Schoenberg, au crépuscule du XIXe siècle (1899) n’y est pas encore l’inventeur du dodécaphonisme, son expressionnisme fait apparaître des couleurs subtiles, matérielles, la nuit qui tombe comme les notes descendent, les voix des amoureux qui murmurent dans la fraîcheur sombre, la vie nouvelle qui s’annonce, l’enfant, comme une promesse d’avenir. Déchirante, La Nuit transfigurée s’est affranchie des effets d’orchestre pour ne retenir qu’un petit ensemble de cordes dont le romantisme ne peut être qu’intime, fondé sur le rapport entre les notes.
Du souffle et des vagues
Juste avant cela, la création mondiale de Fabien Cali, compositeur en résidence à l’Orchestre national Avignon Provence, explore un autre versant de la nuit amoureuse. Celui, solitaire, d’un homme privé de celle qui l’aime. Si Stéphane Guillon, récitant, introduit la pièce avec facétie, Le Monde est vide sans toi est profondément triste, un de ces joyaux noirs qui brille pourtant calmement. L’orchestre, au complet, s’y révèle précis et expressif, dirigé de main de maîtresse par Glass Marcano qui n’oublie aucun départ et fait vibrer les sentiments sonores. À la voix parlée, plaintive, de l’homme, répond le chant mélancolique et pur de la soprano Camille Schnor, avant que les cuivres, les bois, les percussions quittent physiquement l’orchestre dans une désertion progressive qui laisse en place seulement les cordes nécessaires à La Nuit transfigurée.
Car Le Monde est vide sans toi est écrit précisément comme une transition musicale et nocturne entre Wagner et Schoenberg. L’orchestre national d’Avignon, composé d’à peine 35 musiciens, sait se faire magnifiquement lyrique pour porter la mort orgasmique d’Isolde devant le corps de Tristan, recueillant le dernier souffle de son aimé avant de disparaître. Le timbre doux et pourtant ample de la soprano passe sans effort par-dessus les fortissimi, accompagne les vagues, ouvre la voie de la nuit absolue de l’amour. Vibrante, pompeuse, magnifique. Wagnérienne !
AGNES FRESCHEL
Le programme Ode à la Nuit a été créé le 24 octobre à l’Opéra d’Avignon
Sur la Canebière, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d'Histoire de Marseille.
« Vous êtes sûrs qu’on va ouvrir vendredi ? » À quelques jours de l’inauguration de Marseille vue par les Detaille, les derniers préparatifs s’accumulent et font joyeusement trembler Hélène Detaille, épouse de Gérard, tous deux présents sur place pour donner de précieux conseils aux équipes du Musée d’histoire de Marseille.
« C’est la même équipe qui est venue déménager le fonds. Des gens formidables », se rassure-t-elle. Ce déménagement, ce sont les vingt camions qui ont quitté la rue Marius Jauffret vers le centre de conservation du musée marseillais fin 2021. Vingt camions qui emportaient avec eux le fonds Detaille, et ses 160 ans d’histoire de la photographie à Marseille.
Quatre ans plus tard, le Musée d’Histoire de Marseille dévoile avec cette exposition une première vue sur l’immensité de ce fonds, riche de plusieurs centaines de milliers de clichés, témoin de l’histoire de Marseille depuis le Second Empire jusqu’à nos jours. Et acte ainsi « une nouvelle page de l’histoire des collections pour les musées de Marseille », se réjouit Fabrice Denise, directeur du Musée d’histoire.
Le pont transbordeur, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.
Au départ, il y a Nadar
Cette histoire commence avec l’installation du grand photographe Nadar à Marseille en 1897. « Après une très belle carrière à Paris, il est venu ici pour sa femme, qui en avait besoin pour des raisons de santé », explique Gérard Detaille. Il s’installe au 21 rue de Noailles, devenu plus tard le 77, La Canebière. Tout sauf un hasard. Il est en face d’un grand hôtel où « descend » la bourgeoisie du monde, qui n’a qu’à traverser la rue pour se faire tirer le portrait chez l’illustre photographe.
Ainsi naît le fonds, qui n’en a pas encore la forme, ni le nom. Mais toutes les plaques de verre sont conservées, et sur elles les milliers de personnes qui ont franchi les portes de l’Atelier Nadar, bourgeois ou non.
Albert Detaille, autoportrait, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille
Quelques années plus tard, le photographe vieillissant doit quitter son studio marseillais et cherche un repreneur. Il demande à son ami photographe suisse Boissonnas s’il ne connaît pas quelqu’un : il lui envoie son talentueux assistant, un certain Fernand Detaille. L’histoire des Detaille à Marseille commence.
Fernand poursuit le travail de Nadar dans son studio, et découvre aussi une ville qu’il aime photographier. Il passe du temps avec les Marseillais, dans la rue ou au bord de mer, et saisit discrètement des instants de la vie quotidienne, armé de sa chambre photographique. Les archives s’accumulent dans la maison de La Canebière, même si l’incendie des Galeries Lafayette mitoyennes réduira en cendre, ou en eau, une bonne partie.
Pas de quoi atténuer la passion pour autant. Le fils de Fernand, Albert, continue le travail, puis Gérard, le petit-fils. C’est d’ailleurs ce dernier qui aura l’idée de construire une photothèque à partir des immenses archives du studio. « J’ai pris conscience de l’importance de l’archive en quittant Marseille, en travaillant chez d’autres photographes, ou dans d’autres institutions, à Genève, Anvers, ou Ivry. » Il se lance dans cette mission pharaonique, malgré les doutes de son père : « Faut faire du neuf » disait-il, lui « qui n’aimait pas beaucoup ranger. »
Avec sa femme Hélène, il constitue, range, classe, et collecte de nouvelles photos pour le fonds en dehors de ses heures de travail. Parfois perché dans un vide depuis un hélicoptère pour un cliché, ou pour saisir les bouleversements de la ville avec le projet Euroméditerranée.
Le quai de Rive Neuve, photographie d’Albert Detaille, vers 1950, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.
Vue du quartier Saint-Jean depuis le pont transbordeur, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille
La place Castellane, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.
Pêcheurs sur le Vieux-Port, photographie d’Albert Detaille, vers 1950, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.
Marins sur le Vieux-Port, photographie de Fernand Detaille, vers 1890, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.
Une « terrible tristesse »
Le fonds se constitue alors que la famille Detaille, et tous les Marseillais, perdent une grande partie de l’histoire de Nadar et des Detaille à Marseille. Après un imbroglio administratif et immobilier, l’Atelier Nadar de La Canebière est vendu, avant de s’effondrer en 2014. « Une terrible tristesse », glisse aujourd’hui Gérard qui a grandi entre ces murs – murs qui n’avaient même pas été classés.
Heureusement, l’appareil à soufflet de Nadar, le fauteuil sur lequel s’asseyaient ses sujets, son armoire, et les centaines de milliers de photos sont à l’abri, rue Marius Jauffret, où Gérard Detaille s’est déplacé. Reste à savoir quoi faire de ce fonds : Gérard Detaille veut le céder à la Ville, quand certains l’encouragent à le vendre aux enchères pour augmenter son profit. Mais pour lui, pas question « de disperser le fonds. » Il faut « maintenir son unité dans une même institution. Et quoi de mieux que le rayonnant Musée d’histoire de Marseille ? »
Le directeur du musée d’Histoire salue d’ailleurs cette « généreuse idée de ne pas se tourner vers le secteur marchand, de vendre à la pièce et à la découpe ce fonds. » Et rappelle que l’acquisition est aussi « un geste très fort de la Ville de Marseille » puisqu’en « accueillant l’intégralité du fonds dans ses collections », il devient juridiquement « inaliénable. » À la Ville désormais d’« entreprendre tout ce qui est en [son] pouvoir pour assurer la conservation et la transmission de ce fonds. »
L’affaire s’est conclue le 8 février 2021 en conseil municipal. Le fonds est cédé à la ville pour 216 000 euros. Quelques mois plus tard, vingt camions quittent la rue Marius Jauffret pour les collections des Musées de Marseille. « Au premier camion j’ai versé de chaudes larmes. Au deuxième, je me suis demandé si je faisais bien ou mal. Au troisième, c’était une grande joie », se rappelle Gérard Detaille aujourd’hui.
Après l’acquisition du fonds par la Ville, l’exposition Marseille vue par les Detaille est la première utilisation de ce fonds par les musées municipaux, mais certainement pas la dernière. « Cette exposition est une première étape. C’est l’ouverture d’un site archéologique dont on ne connaît pas encore l’étendu ni toutes les lignes de forces. Malgré le travail déjà réalisé par les Detaille », explique Fabrice Denise.
Des projets sont d’ailleurs déjà sur la table. « Nous prévoyons pour l’année prochaine des aménagements dans le parcours permanent du musée pour intégrer la photographie d’une manière plus forte. » Fabrice Denise ajoute qu’avec cette première exposition, « le rayonnement du fonds sera certainement supérieure à que ce qu’il est déjà aujourd’hui », et « va sans doute susciter l’intérêt d’autres musées qui demanderont des prêts. »
Un vieux rêve continue aussi d’animer Gérard Detaille. Depuis plusieurs décennies, il milite pour la création d’une grande maison de la photographie patrimoniale à Marseille, avec le fonds Detaille en pièce maitresse, mais aussi les autres richesses détenues dans les collections de la Ville. L’exposition à venir, qui s’étalera jusqu’en octobre 2026, en sera peut-être son plus bel argument.
Le 23 octobre, le Grand Théâtre de Provence accueillait Renaud Capuçon et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège pour un programme conçu comme une traversée de l’ombre vers la clarté. En ouverture, La Nuit n’est jamais complète de Camille Pépin, commande de l’Orchestre, prolonge la poésie d’Éluard vers une écriture musicale de la suspension. La compositrice y explore la frontière entre immobilité et mouvement, tissant un tissu orchestral où la densité reste toujours transparente. L’orchestre, attentif à la gestique expressive du violoniste exerçant ici ses fonctions de chef, rend justice à la précision de sa palette et à la subtilité de ses traits, différant subtilement d’un pupitre à l’autre. Une œuvre de tension contenue, sans effet superflu, qui confirme la cohérence d’un langage désormais bien installé dans le paysage français.
Le Concerto pour violon n°4 de Mozart, dirigé du violon par Renaud Capuçon, installe une autre forme de dialogue. L’interprétation, souple et lumineuse, révèle une approche plus chambriste que purement orchestrale. La lecture reste prudente : élégante, parfois trop policée, elle privilégie la ligne et le galbe au risque de perdre un peu de nerf. L’Andante cantabile respire, le Rondeau s’élance, mais l’ensemble demeure dans un confort et une unicité sonores, un sens de l’écoute impeccable.
D’une scène à l’autre
Changement d’échelle avec la Siegfried-Idyll, page d’intimité que Wagner composa pour ses noces avec Cosima, et jouée ici sans emphase ou épanchement. Renaud Capuçon laisse les musiciens s’organiser autour d’un phrasé commun, tendre, presque domestique. Loin de toute monumentalité, le discours avance par respiration, mais manque parfois de tension dramatique et de relief.
Les Interludes symphoniques d’Intermezzo de Strauss referment le concert dans un éclat maîtrisé. L’orchestre s’y montre d’une homogénéité exemplaire, précis jusque dans les changements de climat. Capuçon privilégie ici encore la fluidité du récit à la brillance. Parti pris qui révèle avec d’autant plus de précision l’incursion du théâtre, de l’écriture opératique et même de la danse dans la partition. Un concert sans tapage, fidèle à l’esprit de ses œuvres : clair, équilibré, parfois trop sage, mais profondément musical.
Le 24 octobre, la soirée était gratuite et bouillonnante, oscillant entre open mic et sorties de résidence, et les talents marseillais se sont mesurés au public et à eux-mêmes.
Sous la direction de Yasmina Er Rafass, l’association Ph’art et Balises accompagne depuis 18 ans les artistes émergents de Marseille, les aidant à franchir le pas vers les scènes professionnelles qui leur restent souvent inaccessibles.
Ces ambitions de professionnalisation trouvent aujourd’hui un nouveau souffle grâce à la coopérative Bisou, qui souhaite faire du Petit Cab une véritable fabrique artistique et citoyenne. Récemment inauguré à la Friche Belle de Mai, le lieu accueille les collaborations entre Radio Galère 88.4, L’Embobineuse et Ph’art et Balises, proposant plateau radio, Open Mic et sortie de résidence ART2RUE13. Une opportunité précieuse pour ces jeunes artistes de se roder, de se révéler et de conquérir un public nombreux et varié.
Une jeunesse en effervescence
Le Petit Cab se transforme en tremplin pour ces nouvelles voix, leur offrant visibilité et reconnaissance tout en renforçant leur lien avec leur fan base locale. Cette dynamique collective témoigne de l’énergie créatrice qui anime la jeunesse marseillaise et de la vitalité des cultures populaires urbaines
Parmi les artistes en résidence, Drissa, 28 ans, marseillais d’origine martiniquaise, a captivé le public. Entre rap, dancehall et shatta, l’écrivain et percussionniste de conga a interprété son titre Ibrahim, une dédicace bouleversante à Ibrahim Ali, jeune homme du quartier de La Savine, tué en 1995 par un militant du Front National. Avec Galaktik Métisses, son groupe de musique sabrosa et chaloupée, il célèbre les sons des Caraïbes, d’Amérique Latine autour de leur titre fétiche Sikaglas, composé par Mika Ilves et Drissa.
Autre révélation de la soirée, Issa Naimo, artiste marseillaise d’origine malgache, tisse un répertoire empreint d’Afro RnB et de fiertés noires. Son premier EP attendu en janvier 2026 s’annonce comme une ode à la sororité, à l’afro-féminisme et à l’afropéanité. Entre la tendresse du titre Chouchou, interprété avec Kwezy, et Avec ton allié, qui célèbre la solidarité entre femmes et l’empathie envers soi, elle impose une présence scénique tout en puissance et douceur.
« Nous sommes convaincus qu’un musée, c’est un endroit où l’on peut aller mieux », disait Pierre-Olivier Costa, président du Mucem, pour introduire la nouvelle exposition Don Quichotte, Histoire de fou – Histoire d’en rire, et la 2e édition de Bien dans ma tête, un temps fort « Santé mentale et création » qui a eu lieu les 17 et 18 octobre. En effet, les institutions culturelles ont là-dessus un rôle à jouer, comme l’a initié le MO.CO, centre d’art contemporain de Montpellier, précurseur en France de l’« Art sur Ordonnance ». Une équipe de cardiologues de la Pitié Salpêtrière a ainsi établi que contempler une œuvre artistique réduit le rythme cardiaque et libère de la dopamine. Ce qui en fait une activité particulièrement adaptée en cas de symptômes anxieux, de dépression, de maladie chronique, ou suite à l’annonce d’un diagnostic difficile.
Happer par le plaisir
Les deux commissaires de l’exposition, Hélia Paukner et Aude Fanlo, ont quant à elles visé « d’abord à susciter le plaisir, l’enthousiasme, la curiosité », autour de l’incroyable personnage créé par Miguel de Cervantes en 1605. Un homme délirant, en décalage avec son époque, pris par ses fantasmes de chevalerie, qui aurait pu être inquiétant, mais, comme le formule Marie-Charlotte Calafat, directrice scientifique et des collections du Mucem, « nous rappelle plutôt qu’il faut une part de folie pour continuer à croire en la beauté du monde ».
« Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? » semble lui répondre une citation de Paul Valéry, au mur. Don Quichotte, un plat à barbe en guise de heaume sur le chef, est un surgissement d’incongruité déplaçant tout autour de lui. Dans le roman, comme dans ses innombrables représentations peuplant l’histoire de l’art ou la culture populaire depuis quatre siècles. Si la perception du chef d’œuvre a évolué depuis son succès, immédiat, il ne s’est jamais démenti depuis la parution. « À l’origine, explique Aude Fanlo, sa dimension comique était la plus présente. Mais progressivement, son héroïsme désuet est passé du ridicule à l’incarnation des combats impossibles : celui qui tombe et toujours se relève. »
La scénographie, dans une disposition particulièrement généreuse, démontre à quel point chaque époque a fait son miel des aventures donquichottesques. Les visiteurs s’arrêteront bien-sûr devant l’encre de Chine ultra-fameuse de Pablo Picasso, prêtée par le musée Paul Éluard : en trois traits, tout y est, jusqu’au soleil éclatant de la Manche qui tape un peu trop fort. Les gravures de Gustave Doré, sa facétieuse statuette de chevalier jouant à saute-mouton. Ou encore les splendides illustrations de Salvador Dalí montrant, en un tourbillon et une anatomie brinquebalante, la dynamique tendre entre l’hidalgo et son compagnon Sancho.
Puis, de clin d’œil en clin d’œil, les œuvres contemporaines, notamment Asneria, âne empaillé de Pilar Albarracín, juché sur une pile de livres dont… le catalogue de l’exposition. Ou bien la performance d’Abraham Poincheval, filmé parcourant la campagne en armure. Les férus de graphisme et bande dessinée repéreront une édition manga, dans la série One Piece, les interprétations du mythe par Quentin Blake ou Rob Davis. Quant aux fonds du Mucem, ils ont fourni des cartes réclame épiques, pour du cirage, des pansements, du vin… Décidément, l’imaginaire de Cervantès a frappé l’humanité de bien des manières.
GAËLLE CLOAREC
Don Quichotte Histoire de fou – Histoire d'en rire jusqu'au 30 mars Mucem, Marseille
Stéphane Ravier, sénateur RN ex-dissident Zemmour se réjouit que la justice ait rapidement tranché en son sens : Sacré-Cœur ne peut être impunément déprogrammé. Le réalisateur Steven Gunnell, ancien membre d’un boys band converti, après avoir sombré dans l’alcool, au culte de l’organe cardiaque du Christ, ne cache pas, dans son film promotionnel, qu’il a produit le « docu-fiction » « pour la gloire de Dieu » et pour « annoncer le Royaume du Seigneur ». Mais toute déprogrammation d’une œuvre artistique est une censure.
C’est un fait : la liberté artistique, la liberté de créer, passe par là, et à partir du moment où une œuvre ne contrevient pas à l’ordre public, n’incite pas à la violence et à la haine et ne diffame personne, sa programmation peut être contestée, raillée, critiquée, dénoncée dans la presse et dans l’espace public, mais non empêchée ou annulée. Même dans un équipement public astreint à la laïcité.
Le prosélytisme chrétien, plus spécifiquement catholique version radicale, a donc droit d’écran et de financement public, même lorsqu’il a pour but avoué par son réalisateur d’«éveiller ceux qui se sont endormis dans une foi un peu tiédasse et mollassonne». La RATP a le droit de ne pas accepter sa campagne de pub, mais pas une ville de déprogrammer le film.
Pas très catholique
Steven Gunnell a proclamé dans son clip de promotion : « moi, Steven Gunnell, jusqu’à ma mort, je ferai des films qui annoncent l’amour du Christ, et j’appelle le public chrétien à ne pas hésiter et à faire connaître Sacré-Coeur ». En effet « les experts et historiens »y « montrent, par la chair des témoignages, jusqu’où le Seigneur nous aime ». On est heureux d’apprendre que l’existence de Dieu a enfin été prouvée scientifiquement, mais on n’ose imaginer ce que dirait la fachosphère si Christ et Seigneur étaient remplacés par Yahvé et Elohim, ou mieux encore Mahomet et Allah.
Car la France selon Ravier a « des racines chrétiennes ». Personne ne lui rappelle que le dernier Président qui revendiqué cette histoire exclusive dort aujourd’hui en prison. Mais ceux qui contestent la justice quand Marine Le Pen ou Sarkozy sont condamnés, n’hésitent pas à faire appel à la loi pour promouvoir ces fameuses racines chrétiennes. Y compris dans une ville fondée par un métèque de Phocée accueilli par une princesse ligure pas très catholique près de 600 ans avant que le Christ eut un cœur sacré.
Revendiquer des racines chrétiennes, c’est aussi oublier à quel prix le royaume de France, avant de devenir une nation, s’est construit. C’est par des guerres et persécutions incessantes, des conversions forcées, envers les cathares, les protestants, les juifs, les mahométans, les gaulois animistes, les bouddhistes vietnamiens. Ce culte si français du Sacré Cœur a été mis en place sous Louis XV, et les Vendéens contre révolutionnaires l’arboraient comme emblème de la France éternelle : celle de la monarchie absolue de droit divin, avec loi salique, Tiers-Etat, sang de bourbe et servage. Celle qui resurgit aujourd’hui pour lutter contre « l’halalisation » de la société, comme le soutenait le « journaliste » Jordan Florentin sur CNews.
Production, programmation, propagande
Mais déprogrammer un film est un acte de censure. Peu importe que ce « docu-fiction » à la musique ridicule qui mêle témoignages ébahis et reconstitutions historiques de carton pâte ait été produit par Bolloré, et soutenu dans sa presse comme un grand film alors qu’il sent le navet presque autant que l’encens.
Et peu importe que ce film ait été mis à l’affiche à Marseille par Valérie Fedele, ancienne élue UMP, directrice « générale et artistique » du Château de la Buzine depuis 2013. Peu importe qu’elle ait été qualifiée par Eliane Zayan, alors adjointe au cinéma de Jean-Claude Gaudin, de personne « incompétente à ce poste ». Elle expliquait elle-même en 2013 : « ce n’est pas pour mes qualités culturelles ou artistiques mais managériales que j’ai été recrutée ». Peut-être, aussi, pour ses convictions politiques ? Elle s’est aussi distinguée, dès 2016, en invitant Eric Zemmour dans l’équipement de la ville.
Il y a peu de chances qu’elle soit à l’origine des Rencontres cinématographiques consacrées aux diasporas de Marseille. La Buzine et l’Alcazar accueillent, à partir du 4 novembre, des films qui mettent en scène des Roumains, des Espagnols, des Lettoniens, des Afghans, des Algériens… qui forment aujourd’hui sinon les racines du moins le terreau de la ville. Halalisée pour partie, comme on parfume un délicieux gigot de cinq épices. Sans navet.