Voilà désormais quinze ans que le festival Présence Compositrices rend justice aux oubliées de l’histoire de la musique. Du 11 au 27 avril, c’est un programme exigeant qui se déroule à l’abbaye de la Celle. La pianiste Juliette Journaux ouvrira le bal avec un récital hommage à la Provence, illuminé entre autres par les notes de Cécile Chaminade et Germaine Tailleferre, ainsi qu’une création d’Emmanuelle Da Costa. En clôture, le Trio Haydéemettra l’œuvre de Joséphine Stephensonen correspondance avec des romantiques et post-romantiques de tout crin.
Les immanquables de ce festival seront nombreuses : on pense notamment au programme Del Cerro, mené par Mandy Lerouge, qui exhumera le 18 avril la mémoire d’Antoinette Paule Pépin-Fitzpatrick, alias Pablo Del Cerro. Ou encore aux Dix-huit pièces d’après une lecture de Dante de Marie Jaëll, interprétées au piano le 19 avril par la formidable Célia Oneto Bensaïd, accompagnée de la comédienne Marie Oppert et des peintures numériques de Jacques Berteaud. On attend également beaucoup des Préludes Jeunes Artistes, qui donneront à voir et à entendre la relève.
SUZANNE CANESSA
Présence Compositrices Du 11 au 27 avril Abbaye de La Celle
Pour accueillir les premiers festivaliers, 25 planches du célèbre dessinateur argentin, Quino, invitent à un moment suspendu, teinté de nostalgie. Le festival Hispanorama a choisi de mettre en avant son personnage emblématique, Mafalda, petite fille malicieuse, qui nous interpelle avec une acuité toujours actuelle et une lucidité désarmante.
Cette sélection de dessins, centrée sur l’environnement, fait écho à un monde en crise : les courtes séquences qui s’enchaînent font sourire, avec un brin d’amertume, et réfléchir, avec beaucoup de tendresse. À la fois critique et profondément humain, le personnage créé par Quino dans les années 1960 incarne une conscience écologique et sociale visionnaire. À son époque, Mafalda s’indignait déjà de la pollution, s’interrogeait sur l’avenir de la planète et se désolait des injustices sociales.
Ces préoccupations résonnent dans Raíz(Racines), film péruvien de Franco García Becerra, qui ouvre le festival. On y suit le quotidien de Feliciano, un petit berger de huit ans et de ses alpagas. À travers lui, le film dépeint les difficultés d’une communauté menacée par la pollution des pâturages et la pression d’une entreprise minière.
Laura González présente Milonga
Le second film d’ouverture, Milonga, retrace l’histoire de Rosa, veuve d’un mari violent, qui apprend peu à peu à reconstruire son quotidien malgré l’éloignement de son fils. Le titre fait référence à une expression argentine : « La vida es una milonga y hay que saberla bailar » (« La vie est une milonga, et il faut savoir la danser »). Présenté pour la première fois en France, le film est accompagné de sa réalisatrice, Laura González, venue spécialement de Londres pour échanger avec le public varois. Elle évoque ses choix artistiques : la présence symbolique des fleurs, la palette de couleurs choisie pour suggérer l’espoir, et les jeux de lumière qui traduisent tour à tour l’enfermement et l’émancipation de son personnage.
Une belle rencontre qui en appelle d’autres jusqu’au 4 avril, pour ce festival de cinéma hispanophone qui rencontre année après année un succès croissant.
CÉLIANE PERES-PAGÈS
À venir 2 avril 18h15 : L’affaire Nevenka – Icíar Bollaín 21 h : Viridiana – Luis Buñuel 3 avril 18h30 : El ladrón de perros – Vinko Tomičić 20h30 : Marco, l’énigme d’une vie – Aitor Arregi et Jon Garaño 4 avril 18h30 : Sélection de courts-métrages
L’histoire a près de quarante ans : en 1988, Alain Nicolas était nommé conservateur du futur Musée des Arts Africains, Océaniens et Amérindiens (MAAOA), inauguré en 1992 à Marseille. Jusqu’en 2005, le MAAOA a organisé de nombreuses expositions temporaires, notamment Byéri Fang (1992), Batcham, sculptures d’ancêtres en Afrique (1993) et Paysages rêvés, peintres aborigènes australiens de Balgo (2005). Un musée donc, avec une approche artistique qui veut s’éloigner de la seule dimension ethnographique.
La principale collection du MAAOA provient de la donation de Léonce-Pierre Guerre (1911-1978), avocat et critique d’art, composée de 87 masques et sculptures, majoritairement d’Afrique de l’Ouest. Le parcours du collectionneur illustre le contexte colonial de la collecte : dès 1922, Pierre Guerre, alors âgé de douze ans, acquiert sa première statue sénoufo à l’Exposition coloniale de Marseille.
D’autres donations enrichissent le fonds : Henri Gastaut (1915-1995) avec 88 objets, principalement d’Océanie, ou encore Marcel Heckenroth (1921-1993), réalisateur ayant collecté des objets lors de ses voyages au Mexique. Ces collections sont complétées par des dépôts de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence, issus des anciens musées coloniaux de la ville.
Mais aujourd’hui l’enjeu de la restitution des œuvres extra-européennes et la critique des musées ethnographiques s’est accentué. Benoît Martin, nouveau directeur du MAAOA, doit relever plusieurs défis, notamment renforcer le dialogue avec les chercheurs et la société civile pour réfléchir à la refondation du musée. L’intérêt pour ces collections s’articule à l’histoire coloniale.
Déconstruire les imaginaires racialistes
La table-ronde du 12 mars 2025 et la visite du 22 mars visaient à réinterroger ces collections. En effet la question de leur mise en (re)circulation est aujourd’hui cruciale. Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain remis en 2018 au président Macron, préconise une restitution massive des œuvres africaines détenues en France, mais son application se heurte encore à différents obstacles à la fois scientifiques, juridiques, politiques et institutionnels.
Claire Bosc Tiessé soulignait le lien avec la colonialité l’influence des musées d’ethnographie : si tous ne visaient pas à justifier le projet colonial, ils ont véhiculé des idéologies racistes et européocentristes. Une cartographie en ligne, « Le Monde en musée » (INHA, 2021), permet aujourd’hui d’identifier les collections concernées. Benoît Martin insistait sur la nécessité d’une polyphonie des récits au sein du MAAOA, notamment en ce qui concerne les objets dont la monstration est désormais exclue, mais présents dans les collections : l’enjeu est bien de déconstruire les imaginaires racialistes entretenus par ces collections pendant plus de deux siècles.
Restitution et recherche de provenance
Le nouveau directeur recommande une approche concertée entre conservateurs, chercheurs et publics pour repenser la présentation des collections, la provenance des objets et leur restitution éventuelle : depuis une vingtaine d’années, les musées européens s’engagent dans la recherche de provenance et dans une réflexion sur les conditions de collecte, et le MAAOA n’y fait pas exception.
Emery Patrick Effiboley, historien de l’art et muséologue au Bénin, voit dans la restitution une opportunité de revitaliser des techniques artisanales perdues. Les réserves des musées européens regorgent d’artefacts, dont beaucoup ne seront jamais exposés. Dans ce contexte, la concentration des collections interroge autant que leur conservation et la restitution constitue une forme de réparation symbolique qui favorise une réintroduction des savoirs locaux.
Vers un musée décolonisé
Ainsi l’historien de l’art se distingue du philosophe Bachir Souleimane Diagne, qui considère que la restitution ne se limite pas à un retour des objets, mais implique une réflexion plus large sur le rôle des musées et le dialogue culturel entre l’Afrique et l’Occident. Une réflexion que repense l’universalisme classique, que les musées ethnographiques proposaient sur le principe de l’inégalité des races.
Ces musées doivent devenir des espaces de dialogue sur le passé colonial et ses blessures. Fondateur des écomusées, Georges-Henri Rivière les considéraient « comme un lieu de libération davantage que de liberté ». Il incarne aujourd’huiune volonté de renouveler le musée et de redéfinir son rapport avec les publics notamment par la médiation. Le MAAOA a désormais l’opportunité de se réinventer en intégrant pleinement les débats contemporains sur la restitution, la décolonisation des collections et la relecture des discours muséographiques. L’implication des publics et des chercheurs sera déterminante pour en faire un musée repensé et ouvert sur le monde.
Mialy Ralijaona. Nous avons fait le constat de la sous représentation des cultures iliennes à Marseille. Il n’y a pas assez de propositions dans ce champ-là, alors que Marseille c’est la cinquième île des Comores par exemple. Il y a des communautés afro-diasporiques dans la population, mais pas dans les propositions culturelles.
Sidney Cadot-Sambosi. Les îles sont des territoires qu’on voit peu, qu’on entend peu, souvent associés à la métropole. On ne les met pas assez en lumière pour ce qu’elles sont, très multiples, résultat d’une histoire mélangée, à la fois heureuse et très malheureuse.
Vous donnez aussi la parole à des artistes femmes.
S.C.-S. Les réalisatrices femmes sont moins nombreuses que les hommes, donc de facto il y a moins de voix de femmes. Pareil dans la musique, où il y a moins de productrices. Donc c’est intéressant de créer des canaux de distribution de leurs œuvres. Que ce soit un moteur encourageant pour elles. Qu’elles puissent se dire qu’il y aura au moins un débouché.
M.R. Quand un cinéma reçoit des propositions de films à mettre à l’affiche, combien y a-t-il de pourcentage de femmes, et combien de pourcentage de femmes de ces territoires-là ? Pour arriver en haut de la liste c’est compliqué. Nous souhaitons mettre en lumière ces regards de femmes.
Vous offrez de la visibilité à la création ilienne, y-a-t-il une singularité qui se dégage de ces artistes ?
S.C.-S. Il y a une pluralité, donc des singularités. Et aussi des choses en commun, comme la colonisation, la violence de l’accaparement d’un territoire, de l’extermination de populations.
M.R. Quand on parle d’accaparement, on aussi a envie d’aborder l’écologie décoloniale, c’est à dire l’accaparement des terres, qui est un sujet très violent et actuel. Comment à travers le cinéma, la littérature, la poésie, on peut trouver une force pour parler de cette violence et comment réagir à cette dépossession ?
Vous avez ouvert le festival avec le film Fahavalo, qui revient l’insurrection et les massacres au Madagascar de 1947. Une histoire très méconnue en France.
M.R. Oui cette histoire est silenciée, et à notre échelle, on participe à sa transmission. C’est pour ça que l’on a choisi la date symbolique du 29 mars pour commencer le festival [date du début du soulèvement à Madagascar, ndlr].
À travers le film de Marie-Clémence Andriamonta-Paes, on entend les voix des derniers insurgés de cette insurrection. C’est un témoignage vivant. Nous souhaitons que les Marseillais·e·s puissent entendre ces voix-là et se sentent concerné·e·s, que ce soit une histoire partagée, qu’elle concerne toutes les communautés à Marseille car c’est notre histoire commune finalement. Pour cela, le cinéma est un média facilitateur : on regarde des images,on écoute, et ensuite on échange.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI
Iliennes Jusqu’au 13 avril Divers lieux, Marseille Le programme à découvrir sur iliennes.org
Avec ses “187 papas et mamans venant de 27 pays” – comme le rappelait avec malice Denis Athimon du Bob Théâtrelors de la cérémonie d’ouverture -, l’ASSITEJ est sous bonne étoile pour veiller au grain de la création jeune public à travers le monde. Réunies par le Théâtre Massalia pour une semaine, ses délégations internationales échangeaient sur l’état du secteur durant cette nouvelle édition de Bright Generations – chaque année accueillies dans une ville différente.
Au terme d’une dizaine de rencontres professionnelles quotidiennes – tables rondes, conférences, ateliers – de furtives impressions se dégagent. Premier constat : à l’œuvre, une joie tenace, moteur d’une combativité nécessaire pour un secteur parfois mésestimé et encore sous-doté. Une belle parité, avec des femmes souvent sur le pont. Une vivacité, indéniable, contagieuse, présente aussi dans la quinzaine de spectacles, toutes nationalités confondues, présentées de La Friche au ZEF en passant par la Criée et la Joliette.
Résilience et inclusivité
Certaines thématiques ont traversé toute la la semaine : peut-on créer pour les jeunes… sans les jeunes ? Par ricochet, son corollaire : peut-on programmer des spectacles qui leur sont dédiés, sans les consulter ?
Trépidantes, des expériences témoignaient de créations artistiques partagées d’une part, et d’implication des jeunes dans la gouvernance des lieux de l’autre. Ayant confié les clés de sa programmation adolescente à un groupe de 11 Jeunes prog’, Marie-Hélène Félix, du Théâtre Renaissance, en périphérie lyonnaise, n’en démord pas : “comme souvent quand on délègue à des amateurs, l’intérêt général est mieux pris en compte !”
Ecumant Marseille durant le festival, des groupes de jeunes, membres de réseaux internationaux tels que New Voices ou Fores-TEEN – misant sur la métaphore de forêt comme écosystème de l’adolescence – faisaient montre de cette implication dans le spectacle vivant, côté production ou réception.
Du Népal à l’Ukaine
L’inclusivité, c’était un autre mot d’ordre de la semaine. De protocoles de formation dans des zones en situation de crise ou d’urgence sanitaire, à du théâtre communautaire développé dans un Népal ravagé par le séisme de 2015, le théâtre peut s’avérer un puissant outil d’inclusion. Il peut littéralement aider à survivre, quand il se pratique en Ukraine dans des abris anti aériens, ou encore dans des containers post séisme – “le fardeau émotionnels’allège à mesure qu’il se partage”, commente la metteuse en scène népalaise Sunaina Panthy.
En France, le réseau ASSITEJ oeuvre à développer un éthic’otest, permettant d’auto évaluer ses pratiques en matière d’inclusivité. Mais comme les vertus émotionnelles du spectacle jeune public – tout à la fois “fenêtre sur le monde et miroir introspectif” selon Vicky Ireland, membre de l’International Inclusive Arts Network – sont parfois difficilement quantifiables dans des études, la recherche doit continuer à mettre en valeur ces aspects pour les faire valoir, notamment auprès des financeurs.
JULIE BORDENAVE
Bright Generations s’est tenu du 24 au 29 mars au Théâtre Massalia et dans d’autres lieux de Marseille,
L’entrée se fait par un vaste jardin arboré. De grands bancs en bois invitent à s’asseoir, des nattes multicolores à s’allonger sous les feuillages. Face au public une maison blanche aux volets verts donne l’impression de revenir pour l’été dans une grande maison de famille.
Le Tiers-lab des Transitions est un endroit original, un lieu de 6000 m2 situé à Marseille, et dédié à l’intelligence collective, au partage, à la création. C’est ici que Nathalie Négro, fondatrice de Piano and Co a eu l’idée d’organiser la première manifestation de la quatrième saison des concerts En Ap[p]arté. « L’idée est de donner de la visibilité aux femmes en musique en proposant des moments de rencontre dans des lieux originaux », explique-t-elle.
Une pie s’invite
Pour cette soirée, cette dernière a choisi d’inviter Patricia Dallio. La compositrice développe un univers musical organique grâce à un set nomade, assemblage de pédales d’effets, de micros et de petits objets sonores acoustiques – un verre, tire-bouchons, un diapason thérapeutique, des fils, des chaînes, une cloche et autres objets insolites non identifiés. Elle joue avec tout cette petite machinerie avec jubilation. Elle manipule en temps réel de matières sonores qu’elle déploie en improvisation.
La compositrice a appelé ce moment « la teneur de l’air ». Suivre Patricia Dallio, c’est se laisser porter dans un univers sonore intense. Certains fixent les mains et la bouche de la performeuse qui font évoluer les sons. D’autres ferment les yeux et imaginent… chacun avec son vécu, ses émotions, son ressenti : gémissement d’un animal, mastication, respirations haletantes, avion qui décolle, marche militaire… ou n’est-ce pas plutôt des bruits d’une machine qui tournent imperturbablement comme dans les Temps modernes de Charlie Chaplin ? C’est sans doute la grande force de Patricia Dallio : offrir des moments de liberté immense, permettre des rêves éveillés riches de sens cachés. Et quand une pie, une vraie, s’en mêle, c’est un instant de grâce.
Le théâtre de Martigues affiche complet ce samedi 27 mars pour une unique représentation, on peut le regretter, de On ne paie pas ! de Dario Fo et Franca Rame. Car cette satire politique écrite en 1974 dans un contexte de luttes ouvrières à Milan et réactualisée en 2008, en pleine crise dessubprimes, reste encore peu connue en France. Pourtant, Il s’agit là d’un des grands classiques comiques du théâtre italien. Dario Fo et Franca Rame mettent en exergue l’absurdité humaine ainsi que le rapport au travail et au pouvoir.
On découvre, au centre du plateau, un logement ouvrier de la fin des années 1960 : une pièce, cuisine équipée, salle à manger, chambre. Cependant les proportions bizarres de la scénographie, en particulier des portes qui vont ménager entrées et sorties tonitruantes, nous placent d’entrée de jeu dans les codes de la comédie grinçante. Le plateau devient une machine de guerre où les acteur·ice·s vont délivrer à bride abattue une comédie truculente et virtuose pendant une heure et demie.
Ancrée dans notre époque
Le spectacle débute d’ailleurs par une course-poursuite, qui rappelle les films de Laurel et Hardy. Deux ouvrières s’enfuient après le pillage d’un supermarché. En révolte contre une inflation galopante, elles dissimulent leur butin sous leurs manteaux, déclenchant une série de quiproquos en voulant échapper à la fois à la police et à la surveillance de leurs maris. La précision de la mécanique comique du texte est terriblement efficace. D’autant plus que la résonance sociale et politique de l’œuvre reste plus que jamais ancrée dans notre époque, caricaturant les dysfonctionnements de notre société occidentale.
Soudé par un rire libérateur, qui depuis Aristophane permet aux humains de se moquer de l’absurdité de leur condition, le public explose en applaudissements et finit « debout pour la culture », à la demande de la troupe.
ISABELLE RAINALDI
On ne paie pas ! On ne paie pas ! a été donné le 29 mars au Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues.
Les recueils de nouvelles, dans lesquels on peut piocher au grès de nos envies et de nos disponibilités ont le vent en poupe. Ces lectures courtes ou plus longues, ces petits moments de bonheur, d’intrigues ou de suspens se prêtent bien à nos vies trépidantes et à nos emplois du temps morcelés. En la matière, l’Américain Ben Shattuckexcelle. Avec La forme et la couleur des sons, c’est aussi une ode à Henry David Thoreau, philosophe, naturaliste et poète américain, dont il est l’un des spécialistes.
On y croise un grand pingouin, un cygne de la toundra, une forêt diabolique, le tableau d’un oiseau libre et pourtant attaché et de multiples personnages bouleversants : David, pianiste qui traverse les contrées américaines pour collecter auprès des vieilles personnes des chants traditionnels ; Will le peintre qui va connaître un immense succès à Terre-neuve et son mariage contrarié avec la douce Laurel exilée sur l’île de Nantucket dans le Massachussetts à la fin du XVIIIe siècle ; ou encore Elisabeth et August, deux jeunes gens originaires de Concord (New Hampshire) qui doivent l’expression de leur amour au tronc d’un vieux sapin témoin de drames anciens.
Tous ont en commun des rendez-vous manqués, des histoires qui aurait pu être si… Des si qui font le sel, les rebondissements, les drames et les beautés de la vie. Dans ses douze courts récits, on voyage dans le temps dans des paysages américains grandioses. Et si on y prête attention, des détails se glissent d’une nouvelle à l’autre comme le fil tenu des âmes qui circulent.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Les formes et la couleur des sons de Ben Shattuck Albin Michel - 23,90 €
Audrey Sabardeil est marseillaise. Professeur de lettres, elle a grandi dans les quartiers Nordde cette ville, sa ville, qu’elle aime mais dont elle connait aussi tous les zones d’ombres, les lieux interlopes où se développent les trafics en tout genre : drogues, êtres humains, proxénétisme, contrats juteux, appels d’offres truqués. Comme dans tout bon polar, Cargo blues nous embarque sur les traces de politiques corrompus flirtant avec des hommesd’affaires prêts à tout pour conquérir de nouveaux marchés, d’avocats véreux magouillant sans vergogne avec des policiers ripoux, de proxénètes abusant de la faiblesse de jeunes et belles réfugiées…
Il y a du Fabio Montale
Nul doute que les deux héros d’Audrey, Fab, baroudeur bourru au grand cœur qui navigue entre Marseille et la Corse et Angélica l’assistante sociale qui tente avec énergie d’aider les jeunes et familles des quartiers défavorisés, auraient plu à Jean-Claude Izzo, le premier maîtredu « polar aïoli ». D’ailleurs le Fab de Sabardeil et le Fabio Montale ont en commun un cabanon qui donne sur la mer et voisine avec les gabians.
La jeune écrivaine, qui avait déjà publié deux premiers romans dans une maison confidentielle et gagné plusieurs prix de nouvelles comme celui du Cercle des Polardeux(Melmac, 2024), entre de plain-pied dans ce monde du polar marseillais jusqu’à maintenant – et en dehors de Marie Neuser– presque exclusivement masculin.
En la prenant dans son écurie, Marie-Pierre Gracedieufondatrice de la maison d’édition LeBruit du Monde féminise son catalogue d’auteurs locaux. Audrey rejoint les très remarqués Rémi Baille(Les enfants de la crique, 2024) et Christian Astolfi (De notre monde emporté 2023, L’œil de la perdrix 2024). Son polar est prenant, plein de finesse, de précision, documenté, haletant de bout en bout. En refermant le livre, Fab et Angelica, comme deux vieux copains avec lesquels on aurait grandi au quartier nous manquent déjà. À quand une saison 2 ?
Avec ses 21 concerts prestigieux et ses manifestations gratuites dans 35 lieux, le Festival de Pâques s’impose comme le plus grand rendez-vous printanier d’Europe en musique classique. Pour cette édition, le directeur artistique – et célèbre violoniste – Renaud Capuçon a souhaité mettre en avant le violoncelle. Grand moment attendu avec les 12 violoncelles du Philarmonique de Berlin. Ces instrumentistes, parmi les meilleurs d’Europe, ont concocté un programme classique et jazz (22 avril). On pourra aussi entendreKian Soltani (accompagné par Renaud Capuçon au violon et Mao Fujita au piano) dans les trios N°1 de Schubert et de Brahms (14 avril).
Pablo Fernandez se produira, lui, pour la première fois au Festival avec le pianiste Luis del Valle. Ils interpréteront la Sonate op 69 de Beethoven et la n°1 de Brahms (18 avril). Julia Hagen, fidèle d’Aix, sera l’invitée de l’Orchestre de chambre du Festival de Verbier pour Le concerto pour violoncelle d’Elgar (21 avril). Enfin, l’Orchestre de chambre du Festival Pablo Casals fera résonner au Grand Théâtre de Provence la « Grande » Symphonie de Schubert en compagnie de Gauthier Capuçon qui interprètera le Concerto pour violoncelle n° 1 de Chostakovitch (25 avril).
Du piano aussi
Pour autant, le festival reste fidèle à ses premières amours. Les Leçons de piano réuniront les grands interprètes de l’instrument et tout d’abord la légende Martha Argerich en ouverture de l’édition 2025, accompagnée de l’Orchestre du Capitole Toulouse pour le Concerto n°1 de Beethoven (11 avril). Le lendemain Rudolf Buchbinder donnera vie au Concerto pour piano n°1 de Brahms.
Bertrand Chamayou quant à lui emmènera le public dans l’aventure d’une intégrale de la musique pour piano de Ravel (13 avril). Enfin, pianiste prodige, la jeune Alexandra Dovgan, révélée il y a dix ans à Moscou, articulera son programme autour de trois sonates : Op 11 de Beethoven, Op 22 de Schumann et Op 1 de Prokofiev (17 avril).
Le festival met aussi à l’honneur deux instruments moins célébrés, la flûte et la harpe défendues par Mathilde Calderini et Anneleen Lenaerts. La première fait la part belle aux femmes dans le programme Avec Elles qui mêle pièces écrites par des compositrices commeCécile Chaminade ou Mel Bonis (17 avril). La seconde, qui sera la marraine du traditionnel concert Génération@Aix qui promeut de jeunes talents, est la huitième femme à avoir rejointle prestigieux – et ô combien machiste – Philarmonique de Vienne. Le programme qu’elle défend sera français : Ravel, Fauré, Debussy… (19 avril)
Le baroque ne sera pas oublié. La mezzo-soprano Léa Dessandre revient au festival avec un programme Haendel (15 avril) et le chef Emiliano Gonzales Toro dirigera Les Vêpres de la vierge de Monteverdi, œuvre charnière entre Renaissance et baroque (16 avril).
Sacrée musique
Week-end de pâque oblige, le Festival, programme comme tous les ans sa « Passion » de Bach. Cette année ce sera celle Selon saint Mathieu servie par l’ensemble Les Ambassadeurs- La Grande écurie. Les Talens Lyriques emmenés par Christophe Rousset interprèteront pour leur part l’Oratorio de Pâques, 300 ans après sa première audition le dimanche de Pâques1725 (20 avril).
Musique en partage
« On ne peut pas réserver un festival comme celui-ci à un petit nombre de personnes. Nous souhaitons que tous ceux qui ne peuvent pas se déplacer, qui pensent que la musique classique n’est pas pour eux, qui peuvent rencontrer des problèmes financiers puissent partager avec nous » déclare Dominique Bluzet, directeur du Festival.
Dans le cadre de la programmation « Musique en partage », un grand concert sera offert aux Aixois le jour de Pâques avec l’Orchestre du festival de Verbier qui interprétera des extraits des Sept dernières paroles du Christ en Croix de Haydn. Quatre masterclass publiques, des ateliers pour enfants et des concerts gratuits seront organisés en ville, dans des hôpitaux et des Ehpad.
En partenariat avec le Carnegie Hall de New-York, le projet Une chanson douce sera mené avec des familles aixoises en difficulté suivies dans l’unité de périnatalité de l’hôpital Montperrin. Nouveauté cette année avec la création de La petite académie de Pâques qui permettra à de jeunes élèves de conservatoires ruraux de venir, travailler, au côté des plus grands. Un festival qui prouve qu’exigence et partage peuvent cohabiter avec bonheur.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le Festival de Pâques se déroule du 11 au 27 avril à Aix-en-Provence.