jeudi 6 novembre 2025
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Bourreaux en héritage

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La réalité dépasse souvent la fiction. L’adage se vérifie dans cette histoire rocambolesque racontée par Matthieu Niango dans Le Fardeau. Après Mon vrai nom est Elisabeth dAdèle Yon (Éditions du Sous-sol), grand succès du début de l’année 2025, cette nouvelle enquête familiale s’annonce comme l’un des textes les plus palpitants de cette rentrée littéraire. Normalien, agrégé et docteur en philosophie, l’auteur met sa rigueur intellectuelle au service d’un récit où l’Histoire, la mémoire et l’intime s’entremêlent.

Tout commence par une révélation familiale : à 23 ans, le narrateur métis franco-ivoirienapprend que sa mère a été adoptée. En cherchant à reconstituer le puzzle de ses origines, il découvre l’impensable. Sa mère est née en 1943 dans un Lebensborn, une maternité créée par le régime nazi pour « produire » des enfants répondant à ses critères raciaux de pureté aryenne. Derrière cette naissance se cache une histoire que l’on croirait inventée : un grand-père officier SS, une grand-mère juive hongroise réfugiée en Belgique. De cette mosaïque de filiations, naît une question obsédante : comment vivre avec un héritage où se côtoient victime et bourreau, colonisé et colonisateur ? « Il y a dans mon sang du Noir, du nazi et peut-être du Juif ». 

Il n’y a pas d’immigration heureuse

Niango ne se contente pas de dérouler une généalogie inédite. Il entraîne le lecteur dans une enquête qui traverse l’Europe, des archives officielles aux souvenirs familiaux les plus ténus, explorant les zones d’ombre de la mémoire. Chaque page interroge la manière dont l’Histoire imprime sa marque sur les corps et les consciences. Mais si le titre évoque un poids, le roman ne se complaît pas dans la fatalité. Bien au contraire, il trace, dans ses derniers chapitres, une ligne d’horizon : celle de la libération, de la possibilité de se réapproprier son récit, et de le transmettre à la génération suivante, incarnée par la fille du narrateur.

Avec une écriture précise mais toujours vibrante, Le Fardeau dépasse le simple témoignage pour devenir une réflexion universelle sur la filiation, l’identité et la liberté, mais aussi sur le sentiment qu’il n’y a pas d’immigration heureuse. « On ne se remet pas d’avoir quitté les siens, ni de l’impression de les avoir trahis », écrit-il. On y sent à la fois la douleur de l’héritage et la force de l’affranchissement. À l’heure où les débats sur la mémoire et les origines traversent nos sociétés, Le Fardeau offre une réflexion singulière et nécessaire. On en ressort ébranlé et éclairé, conscient que les histoires les plus personnelles sont parfois les plus politiques.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le Fardeau, de Matthieu Niango
Mialet-Barrault - 22 €
Paru le 20 août

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Voilà qu’ils accaparent nos marronniers !!

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L’année scolaire va reprendre, le temps des marronniers, des poèmes d’automne, des feuilles qui jaunissent et s’amollissent dans la pluie tombée. « Tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide », écrivait Francis Ponge. Après les canicules et les feux, attendons nous ces « ciels d’automne attiédis » que Verlaine désirait et redoutait pourtant ? Si pour nos enfants les premières fois vont se succéder, quels recommencements allons-nous vivre ? Combats, inondations, catastrophes, dissolution, interminable attente d’un gouvernement jusqu’à nous faire accepter le pire ? 

Un « marronnier », dans la presse, désigne un sujet bateau qui revient tous les ans, inchangé, que les journalistes tentent de traiter en renouvelant les angles. La rentrée des luttes syndicales et sociales est un marronnier courant de la presse de gauche, agrémenté de rentrée politique et parlementaire, et d’un peu de Fête de l’Huma selon la couleur de la gauche. 

Mais on n’y attendait pas la Une du JDNews. 

Attiser la peur

L’hebdo de Lagardère, sorte de fusion de CNews et du JDD magazine qui parait depuis le 18 septembre 2024, a aligné les couvertures explicites en 11 mois. Consacrées souvent à De Villiers  (quatre couv’ en un an, sur le Mémoricide, le Puy du fou, la Saga des Villiers avec deux de ses fils, ou Notre Dame, l’éternité française ). Pour l’international ? Laurence Ferrari qui dirige la rédaction choisit de valoriser la « Méthode Meloni » et pose une étonnante question rhétorique : « Trump, pourquoi ça marche ? » Quant aux sujets de société, ils se concentrent sur « l’ultraviolence des mineurs » et «  ceux qui veulent tuer l’enseignement privé ». Et se font force de proposition : « enfermons les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon » (sympa pour les 6000 habitants).

D’autres Unes demandent aussi de rétablir le « contrôle des frontières » ou de refuser la loi sur « l’euthanasie ». En photo de couv’ les portraits de Retailleau, Wauquiez et Darmanin alternent régulièrement avec leurs modèles, Marine le Pen et Bardella.  

Ces couvertures, contrairement aux articles d’un journal qu’on n’est pas obligé d’acheter, s’étalent dans l’espace public et s’imposent à la vue des passants, travaillant clairement pour « l’union des droites » extrêmes en imposant des messages sans ambiguïté. 

Appropriation grossière

La Une du 17 août est plus surprenante. Au moment où l’appel du 10 septembre et le vote de confiance au gouvernement prévu le 8 septembre agrègent les colères du peuple – qu’il vote à gauche ou s’égare vers l’extrême-droite – cette couverture est clairement destinée à attirer le regard de ceux qui manifestent et des opprimés. 

Elle reprend tous les codes de la rentrée sociale que les journaux de gauche déclinent depuis des décennies. Une photo de manif. En gros titre Le Réveil des peuples, et une devise, Vive la liberté d’expression !,déclinée deux fois, sous le titre et au bas de l’affiche exhibée dans les kiosques. Sur le côté, le JDNews du 17 août souligne aussi la « colère des vignerons », etle mégafeu de l’Aude. Des accroches qui visent sans ambiguïté à attirer l’attention des classes populaires et à appeler à l’action, dans la rue.

« Plus le mensonge est gros, plus il passe » déclarait Goebbels, qui l’assortissait d’un « Si on répète un message assez longtemps il devient vérité ». L’entourloupe est grossière : la photo de Une est une manif anti-migrants anglaise, où les banderoles revendicatives se résument à des drapeaux nationaux. Le réveil des peuples ne se fait pas contre le capital, la casse sociale ou la crise climatique, mais contre « l’immigration massive ». L’imagerie de gauche, de lutte, est mise au service d’un refus de la circulation des peuples, et de la solidarité humaine. 

Rétablir les faits

C’est le système capitaliste qui est responsable de l’appauvrissement du peuple et de l’enrichissement des milliardaires. Pas l’immigration. C’est l’économie du profit qui est responsable du dérèglement climatique et les restrictions des financements publics qui sont responsables des mégafeux, pas les immigrés. C’est la baisse des cotisations sociales due aux délocalisations et au chômage qui sont responsables de la dette sociale, pas les abus des malades, des handis, des vieux ou des immigrés. Ce sont les 211 milliards de cadeaux sans contrepartie aux entreprises qui licencient et distribuent des dividendes record aux actionnaires qui sont responsables de la dette publique, pas les racisés et les pauvres. Les assistés du système et des gouvernements Macron successifs, ce sont les riches.

Reste à savoir, aujourd’hui, si l’extrême droite financée par les milliardaires français va réussir à faire croire qu’elle est l’alliée du peuple en tapant sur ses boucs émissaires favoris. Nous sommes tous les descendants de travailleurs étrangers.

AGNÈS FRESCHEL


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Roman d’initiation, miroir d’un pays

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Avec Nos soirées, Alan Hollinghurst confirme son statut d’orfèvre du roman anglais. Lauréat du Booker Prize 2004 pour La Ligne de beautéfresque flamboyante dans le milieu gay du Londres des années Thatcher, l’auteur livre ici un récit ample, sophistiqué, qui traversesoixante ans d’histoire britannique, des années 1960 à l’ère post-Brexit.

Tout commence en 1968, lorsqu’un garçon de treize ans, Dave Win, fils d’une mère solo et métis d’origine birmane, obtient une bourse pour rejoindre la prestigieuse Bampton Schoolavant d’intégrer Oxford – où Hollinghurst a lui-même étudié – comme boursier. Invité un week-end au domaine des Hadlow, bienfaiteurs de sa scolarité, il découvre la distinction –apparente – d’un monde qui n’est pas le sien. Ce premier séjour est marqué par la bienveillance et la philanthropie de ses hôtes, mais aussi par l’ombre violente du fils de son âge Giles Hadlow, héritier imprévisible, méprisant et caractériel.

Chronique intime et politique

Hollinghurst déploie le fil des décennies : Dave, homosexuel dans une Angleterre pudibonde, devient un acteur reconnu, engagé dans le théâtre d’avant-garde, Giles politicien très trèsconservateur sera l’un des artisans du Brexit. Au-delà de leurs destins croisés, c’est toute une société qui se métamorphose sous nos yeux : fracture des classes, tensions raciales, émancipation sexuelle, celle de Dave mais aussi celle de sa mère qui décide de s’installeravec une autre femme Esme, ravages et séductions du pouvoir.

Dans une langue somptueuse souvent comparée à celle de Proust ou d’Henri James, l’écrivain capte chaque nuance dans les comportements, les non-dits des salons feutrés comme des loges de théâtre. L’humour acide affleure, la mélancolie aussi. 

Nos soirées est à la fois une chronique intime et un miroir tendu à ce pays qui, sous la surface des convenances, de la bien-pensance, se révèle traversé par les passions, l’injustice, le racisme et les désirs irrépressibles. Un grand roman de mœurs, un grand roman d’initiation. Un grand roman tout court.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Nos soirées, d’Alan Hollinghurst 
Albin Michel 24,90 €
Paru le 20 août

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Lignes de fuite

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Qui pourrait davantage aspirer à la liberté que le fils, bâtard, d’un mollah violent dans un village afghan terrorisé par les talibans ? Après un prologue qui informe de son départ définitif vers Kaboul, la première partie du roman, écrite à la troisième personne, décrit sa vie d’adolescent au village : la terreur exercée par les talibans et par le mollah qui le maltraite, son éveil à la vie, le lien au monde qu’il construit grâce à sa radio, à son mentor l’ingénieur, à quelques livres, à la sexualité. 

La peur, la mort, la merde et leurs odeurs, la violence sont omniprésentes, la dissimulation aussi, le mensonge, les non-dits, de l’homosexualité de son seul ami à sa propre bâtardise. Avec virtuosité, l’auteur suggère ce dont le personnage prend peu à peu conscience, laissant les faits se dévoiler d’eux-mêmes, mêlant courts dialogues, points de vue interne et externe, éblouissement et brouillard. Le contexte historique est présent et discret, entre soldats russes et moudjahidines puis domination des talibans, jusqu’aux attentats du 11-Septembre et aux bombardements américains de 2001. Qui entrainent la libération de Kaboul et ouvrent aussi la possibilité de sa fuite vers la capitale. 

Ivresse, exil et culpabilité

La deuxième partie du roman, écrite à la première personne, diffère sensiblement. Il décrit une errance dans de longs flots de mots qui libèrent, disent franchement le refus de la religion et de l’emprise des pères. Avec deux comparses, deux fiers voyous, le jeune homme goûte à la jouissance. Constamment saoul, couchant avec des putes qu’il affectionne, jouant, volant, il reste tourmenté pourtant par ceux, et celle, qu’il a laissés derrière lui. Conscient de ses fautes et de sa responsabilité. Jusqu’à son nouveau départ, loin de Kaboul et de l’Afghanistan, dernier chapitre écrit dans un parallélisme étroit avec le prologue.

Roman d’apprentissage qui se réfère explicitement à Don Quichotte, Petchorine et Huckleberry Finn, Rattraper l’horizon est à la fois très afghan et très universel. Il dit, quatre ans après la nouvelle chute de Kaboul, l’échec d’une génération qui s’est enivrée mais n’a pas su construire un avenir politique, ni protéger les femmes, les homosexuels, les intellectuels. Khosraw Mani y raconte à la fois l’histoire de son père, qui a fui son village, et la sienne, exilé à Paris, fuyant Kaboul en 2013 et y laissant jusqu’à sa langue. Il écrit désormais dans une autre, étrangère, tout en gardant à l’évidence des rythmes poétiques persans. A-t-il rattrapé l’horizon ? 

AGNÈS FRESCHEL

Rattraper l’horizon, de Khosraw Mani
Actes Sud
Paru le 20 août

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Aristorock marseillais 

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La scène rock marseillaise a une longue histoire, dense, riche, mais qui demeure assez confidentielle. Elle gravite depuis des décennies dans le quartier de la Plaine, du cours Ju et s’exprime dans quelques salles que sont la Salle Gueule, la Maison Hantée, l’Intermédiaire ou Lollipop, magasin de disques au référencement pointu, qui propose régulièrement des concerts pour les initiés. Parmi les stars rock’n rolleuses locales, Kino Frontera se situe entrès bonne place. 

Celui-ci a grandi à Marseille, dans une famille de musiciens. Sa mère, professeure de piano, lui forme l’oreille à la mélodie et à l’harmonie. Il en gardera le goût pour les compositions ciselées, sophistiquées, « glams » à l’image de ses premiers amours auxquels il reste fidèle, comme Roxy Music et David Bowie. À l’adolescence, Kino navigue entre claviers et cordeset multiplie les aventures musicales au sein de groupes marseillais comme Jet Courier avant de fonder les Lemon Cars avec Michel Basly (Cowboys From Outerspace).

Avec Twice Upon a Time (Closer Records), Kino se lance dans un projet solo mais pas tout seul. Le style Frontera, c’est la puissance, l’efficacité mélangée à la retenue, à la pudeur aussi. L’album conjugue des influences multiples : un rock énergique aux riffs affirmés, à la rythmique intransigeante, flirtant avec une esthétique trash comme dans les titres Follow me home ou Autumn mais n’y tombant jamais totalement, dansant avec élégance sur le fil d’unepop anglaise élégante et raffinée sur laquelle il pose une voix de velours ; une pop parfoisenjouée comme dans Normal boys ou flirtant avec les Stones dans What you see, titre sur lequel Jules Henriel, le charismatique chanteur et guitariste du groupe Parade, l’accompagneKino le dandy aime aussi les ballades – avec un ou deux « L » – poétiques, brumeuses comme I can’t stand umbrellas

Kino et sa dream team

Pour donner corps à cet album, Kino s’est entouré de piliers de la scène rock locale. Michel Basly, bien sûr, et Paul Milhaud alias Sonic Polo et cofondateur de Lollipop, viennent enrichir les guitares. Jean-Philippe Méresse (batterie) et Robert Lanfranca (basse) apportent leur fondation à l’édifice. Unn, chanteuse de Piédebiche est aussi de la partie pour les chœurs. Une dream team qui ne se contente pas d’accompagner mais contribue à sculpter la richesse sonore. La production signée Jearc (Local 54 Studio) apporte une patine new-yorkaise à un univers très british. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Twice Upon a Time, de Kino Frontera 
(Closer Records)

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Hacker le greenwashing macroniste

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Myriam Rabah-Konaté, Non-Noyées. Maya Mihindou

Le 15 août 2025, le collectif Politic Social Club publie une lettre ouverte adressée au invité•es et participant•es du festival, intitulée Dérèglement Politique, Agir pour le vivant, un festival qui gâche la forêt. Un appel au boycott qui dénonce un festival financé par un mécénat d’entreprises (Décathlon, Hermès…) participant activement à l’éradication du vivant.

Pourtant Mabeuko Oberty, Myriam Rabah-Konaté et Emma Bigé participaient ensemble le 25 août  à une performance autour du livre d’Alexis Pauline Gumbs, dont iels sont les co-traductrices : Non noyées, Leçon féministes Noires apprises auprès des mammifères marines. 

Plus tôt dans la journée, Emma Bigé, comme certain•es autres invité•es, avait déjà choisi d’altérer son intervention sur les écologies transféministes en lisant à la place un texte de soutien au Politic Social Club. L’après midi sur l’estrade de la chapelle Mejan, le public des éditions Actes Sud est invité à s’asseoir sur des coussins mous, des fatboys, des tapis, des chaises, partageant l’espace des performeureuses. La lecture de Non noyé•es.a été fragmentée, Myriam Rabah-Konaté interpelle directement l’auditoire, par une série de questions extraites du livre :

« De quoi avons nous besoin de nous souvenir, pour résister à l’oubli encouragé par la culture de la consommation et son temps linéaire ? » 

Le public, invité à fermer les yeux, digère ce qui vient d’être demandé.

 « Qu’ai je raté quand j’ai regardé le monde de haut en bas comme on me l’avait enseigné ? »

Ecoute du trouble

L’invitation à l’écoute est un  fil conducteur de la pensée d’Alexis Pauline Gumbs. Elle y interroge notamment les discours produits par une écologie de la surveillance et de la domination sur les mammifères marines, et prête une oreille attentive à ce qu’elles ont à nous apprendre. 

Et c’est une écoute du silence, du trouble et de la gêne qui ouvre la performance. Celle d’une écrasante majorité blanche, venue entendre « des leçons féministes noires ». 

« Sachez reconnaître quand il faudra dire non, sachez vous priver d’une chose aujourd’hui, cette semaine, cette année, toute la vie ».

Que faire, lorsqu’on est invité par un festival qu’on réprouve ? 

Il s’agit de reprendre l’espace, justement. D’utiliser ce rare moment de visibilité pour donner à entendre les contradictions du festival, explique Myriam Rabah-Konaté. 

Les questions suspendues, déposées, les trois performeureuses lisent collectivement, en canon, en échos, un extrait sur les dauphins tachetées d’Atlantique. Difficiles à identifier, elles ont été capturées, marquées, et malgré tout elles « ne sont pas populaires auprès de l’industrie du spectacle ». Artistes-auteurices et dauphins tachetées se posent la même question : « Comment perdre en popularité auprès de celleux qui veulent faire de moi leur esclave ? ».

Hacker l’évènement, transformer ce qui est censé être dit pour faire apparaître autre chose, c’est la pratique de désertion que les performeureuses avaient choisie. Mabeuko Oberty lit, entre traduction et réécritures, des extraits variées d’Alexis Pauline Gumbs, métraduits, détournés délibérément. Son caviardage devient un processus d’écriture poétique. Alexis écrit :« Écoutez, nous n’avons pas l’intention de crier, pour l’instant. ». « Écoutez, nous n’aurons pas besoin de crier », ajoute Mabeuko. 

NEMO TURBANT

Non noyé•es  a été détourné le 25 août à Arles dans le cadre d’Agir pour le Vivant, renommé Vagir pour le néant par le Politic Social Club 

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Au-delà du crayon

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Frederic Pajak Le Monde Encre sur papier Courtesy de l'artiste

Zebuline. Quelles sont les principales évolutions de Paréidolie depuis sa création ?

Martine Robin. Le nombre de galeries invitées, il y en avait neuf à la création en 2014, puis on est passé à quatorze, avec une extension de notre espace d’exposition, tout en proposant une programmation de dessin vidéographique. C’était intéressant mais on s’est rendu compte que le public et les acteurs de l’art contemporain viennent avant tout voir les dessins présentés par les galeries, et n’avaient pas trop de temps pour ce type de propositions. On a préféré arrêter et rajouter une galerie. Puis on a pu encore aménager d’autres espaces et cette année, on arrive à 17 galeries. On ne pourra pas plus !

Il y a eu aussi un espace thématisé, auquel participait l’ensemble des galeries, une salle érotique. On a constaté que, malgré la qualité des œuvres exposées, il n’était pas tant visité que ça. Pour cette édition, on a décidé de lui donner une autre fonction : ce sera l’espace des discussions et des remises de prix.

Quelles sont les nouvelles galeries présentes cette année ?

Sur les 17, il y en a dix qui étaient là l’année dernière, trois lors de précédentes éditions et quatre qui n’ont jamais été présentes à Paréidolie : Cable depot, qui présente un artiste en solo, Amikam Toren, qui fait notamment des dessins insomniaques, pratique nocturne automatique.

La galerie Annie Gentils avec Jacqueline Peeters qui travaille sur l’identité multiple à travers les titres de ses œuvres notamment, et Yan Freichels qui fait du dessin au fusain, qui s’inspirede Grosz et de Dix. 

Hopstreet avec un très beau travail de Dominique De Beir, perforations de support entre destruction et composition et Fabrice Souvereyns, des paysages végétaux imaginaires au crayon.

Enfin Binome avec un duo : Corinne Mercadier qui travaille sur des visions oniriques entre rêve et réel et Guénaëlle de Carbonnières sur des strates mémorielles en mélangeantnumérique, gravure et dessin. 

Frédéric Pajak est l’invité d’honneur de cette édition.

Le principe de l’invité d’honneur, l’une des nouveautés de cette édition, c’est une invitation, qui soit différente de nos cartes blanches ou artistes invités, lancée à une personnalité qui travaille sur le dessin.

Frédéric Pajak est l’un des précurseurs de l’engouement pour ce médium. Un artiste, dessinateur, qui a notamment créé les éditions Les Cahiers Dessinés et est depuis 2023directeur du Festival du dessin d’Arles. Il y aura une rencontre avec lui, animée par Alain Paire, et la présentation d’une trentaine de ses œuvres.

Quelques mots sur l’artiste invité de cette édition, Jérémie Setton ?

Oui, comme chaque année, l’artiste invité est un artiste de la région dont on trouve qu’il a un potentiel exceptionnel, mais qui n’a pas de galerie. L’idée c’est de le mettre à l’honneur au début du salon pour que aussi l’ensemble des galeries puisse le voir. 

Jérémie Setton explore la représentation et les gestes artistiques, avec un accent sur les rapports colorés, l’ombre et la lumière. Il va présenter deux séries distinctes : l’une basée sur les documents d’identité de son grand-père réfugié, en utilisant la pierre noire pour un dessin mémoriel. Et l’autre impliquant la création de pâte à papier pour capter des empreintes architecturales, un travail autour de la fugacité et de la mobilité à travers des techniques d’ombre et de lumière.

Les dessins qui sont présentés par les galeries se situent dans quelle échelle de prix ?

C’est une autre évolution : le prix des dessins a fortement augmenté par rapport à la créationdu salon. Pour la fourchette basse, on peut avoir des dessins à 300 €, l’année dernière il y en avait quelques-uns, et pour la haute, ça peut monter jusqu’à 40 ou 50 000 €. La moyenne se situe entre 2000 et 3000 €, et ça se vend beaucoup.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARC VOIRY

Paréidolie, salon international du dessin contemporain
Du 29 au 31 août
Château de Servières, Marseille

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Une rentrée Supersonique 

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Image générée par IA

Fini l’été, finie la pop toute fraîche aux accents dancehall édulcorés, place à la rentrée des artistes, et aux nouvelles découvertes. Depuis 2022, le festival Supersonique attend l’oblique des derniers rayons du soleil pour partir vers de nouveaux horizons musicaux. Ainsi, du 30 août au 7 septembre à Marseille, concerts, performances et rencontres viennent décaper nos oreilles encore obstruées de sels, ou de musique commerciale avec sucre ajouté. 

En ouverture le 31 août, le rendez-vous invite Jonathan Prager pour un concert au Module du GMEM où il interprètera deux pièces sonores : Harbinger d’Eric Broitmann et L’invitation au départ de Jacques Lejeune. Quelques jours plus tard, le 4 septembre, le Conservatoire Pierre Barbizet accueille plusieurs rencontres sur le thème du Do it yourself dans la musique, avec notamment une masterclass de Jean-Luc Hervé. Le lendemain, il faut se rendre à la Cité de la Musique, toujours autour du même thème DIY, mais cette fois en compagnie de Louise Barrière et Catherine Guesde, avant que cette dernière ne monte sur scène pour présenter son projet solo intitulé Cigvë.

Fin en apothéose le 7 septembre au GMEM, avec douze heures de musique acousmatique, de midi à minuit. Un concert long de 80 pièces réunies en douze concerts, à découvrir bien installés dans les quelques 47 haut-parleurs de l’acousmonium. Passeront par-là des œuvresde Pierre Schaeffer, Zazie Grasset, Agnès Poisson ou Stéphane Borrel. 

Le festival Supersonique est né en 2022 à l’initiative des enseignants des classes de composition électroacoustique du Conservatoire et de la Cité de la Musique de Marseille, et des associations l’Art de Vivre et Dedans Dehors. 

NICOLAS SANTUCCI

Supersonique
Du 31 août au 7 septembre
Divers lieux, Marseille

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Des voix et des rencontres

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Constantinople AFiletta © Armand Luciani

L’édition précédente était exceptionnelle à bien des endroits. Pour ses 20 ans, le rendez-vous avait concocté une programmation tout au long de l’année, emmenant avec lui ses artistes complices, et de nouvelles trouvailles. Cette année retour à la normalité, le festival De Vives Voix, toujours porté par la Maison du chant, invite les oreilles curieuses à une série d’escapades musicales à Marseille, du 31 août au 7 septembre. 

Top départ en plein air et toute la journée dans les jardins du palais Longchamp avec Les Chanteurs de jardin. Les voix de la Maison du chant se réunissent, dans les chœurs etensembles vocaux dirigés par Caroline TollaAnnie Maltinti et Lisa Masal, ou en petits groupes épars pour occuper les espaces verts comme sonores des jardins. Un événement ouvert et gratuit, dont l’idée est apparue à Odile Lecour, directrice de la Maison du chant, lors d’un voyage à Pékin, où les groupes de chanteurs se réunissent en extérieur pour jouer ensemble, souvent dans les parcs, au bord des lacs…

De voyages, il est largement question pour le cœur du festival qui se tient du 5 au 7 septembre dans la cour du palais Carli (Conservatoire de Marseille). Il y a d’abord la cumbia du groupe Médusa, formation marseillaise composée de neuf musiciennes. Percussions, cuivres et accordéon invitent le public à une balade en Amérique du Sud, en Colombie, bien sûr, mais se permet aussi quelques écarts vers le jazz et le folk. 

Le lendemain, retour en Europe, quelque part entre la Corse et Istanbul. Les ensembles A Filettta et Constantinople se réunissent une nouvelle fois pour leur création Clair-obscur, qui a séduit pour son heureux mariage de polyphonies corses et musique savante persane. 

On change de jour, mais pas de rivages. Le 6 septembre, la Méditerranée est une nouvelle fois mise à l’honneur avec le duo LEÏ, composé de Laurène Barnel et Carine Habauzit. Elles y présentent leur programme Amares, « un dialogue polyphonique qui explore un répertoire lié à l’imaginaire des eaux. » Le même soir, De Vives Voix s’en va vers l’Orient et l’Afrique. Pour ce voyage, c’est Ablaye Cissoko et Kiya Tabassian – que l’on aura déjà vu plus tôt avec l’ensemble Constantinople – qui viennent présenter leur pièce musicale Traversées. Du sétar, de la kora, et des chants pour une parenthèse poétique dans les profondeurs des temps musicaux. 

La messe est dite, en occitan

Missa Monica, messe universelle et ouverte, voilà le titre donné à la dernière création de Baltazar MontanaroZabou Guérin et Lionel Ginoux, trois noms bien connus des mélomanes de la région. Sur scène, ils sont cinq. Deux instruments (violon baryton, accordéon) et trois voix féminines (Cati DelolmeGabrielle Varbetian et Zoé Perret). Ensemble, ils donnent une pièce en forme de messe – qui suit le schéma classique de la lithurgie chrétienne – mais, heureusement, « en intégrant des pièces instrumentales, des moments d’improvisation des chants contemporains en occitan ».  

De Vives Voix
Du 31 aout au 7 septembre
Jardins du palais Longchamp
Cour du palais Carli
Marseille 

NICOLAS SANTUCCI

Et aussi

Outre les concerts, le festival De Vives Voix c’est aussi une série d’échanges, de rencontres, de transmission. Tous les soirs, le « Comptoir » du festival – installé au palais Carli – invite le  public et les artistes à passer un moment de convivialité. Les 6 et 7 septembre sont également proposées des journées en compagnie d’artistes invités : le samedi pour un stage de chant afro-caribéen avec Alex Satger, le dimanche pour une journée avec Ablaye Cissoko. N.S.

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Une vie de luttes 

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SORJ CHALANDON © JF PAGA

À dix-sept ans, le héros qui se fait appeler Kells – en référence à un manuscrit irlandais enluminé du IXe siècle – et qui ressemble en tout point à Chalandon a tout quitté : Lyon, le lycée, une mère effacée et soumise aux ordres d’un père raciste et violent, ce « Minotaure »qui menace de le dévorer. Dans son nouveau roman, Le Livre de Kells, l’écrivain-journaliste revisite cette fuite en avant, marquée par la misère et la rue, avant la rencontre déterminante avec des militants de la gauche prolétarienne.

Le roman plonge dans la faim, le froid, la peur : « plus de maison, plus de toit, plus de refuge», Chalandon ne masque rien de son effondrement intérieur « J’ai peur, je pleure. Seul, je n’y arriverai pas. […] Il me faut ma maman dans la nuit. » La confession brute, lapidaire de la première partie du livre, dit l’urgence de survivre autant que l’absence de repères. D’une vulnérabilité déchirante, elle rappelle que derrière la légende du militant, du grand journaliste, de l’écrivain renommé il y eut d’abord un enfant perdu, une jeunesse fracassée par l’errance dans les rues et des squats – qui ne portent pas encore ce nom – de Paris. 

On retrouve dans ce parcours un peu de la Teigne, ce héros de l’Enragé, avant-dernier roman de l’auteur, qui racontait la rage et la lutte désespérée de liberté de ce jeune garçon emprisonné dans la colonie pénitentiaire pour enfants de Belle-Île-en-Mer au début des années 1930, victime de violence et d’humiliation. Si La Teigne va croiser sur sa route des adultes bienveillants, facteurs de résilience, Kells-Chalandon rencontre fortuitement des hommes et des femmes engagées, figures fraternelles qui vont lui offrir une seconde naissance. 

Jusqu’à l’embourgeoisement ?

L’intime cède la place au politique, la rue à l’utopie révolutionnaire. Chalandon raconte l’apprentissage de la solidarité, la ferveur militante, mais aussi les dérives idéologiques, l’aveuglement, le jusqu’au-boutisme et l’action directe désordonnée et violente qui va traverser la vieille France des années 1970. L’événement pivot est la mort de Pierre Overney, ouvrier maoïste abattu en 1972 devant l’usine Renault. Sa disparition précipite la dissolution de la gauche prolétarienne et marque un basculement : « Certains ne s’en remettront jamais, d’autres chercheront une issue différente à leur combat. »

Pour l’auteur, ce sera l’écriture, puis le journalisme. En 1973, il rejoint Libération qui vient de naître ; projet enthousiasmant bien sûr que la création de ce journal issu des mouvements gauchistes où chacun va apprendre le métier en le faisant. Pour Kells, le dessin politique puis l’écriture sera cette « autre façon » de poursuivre son engagement. A travers les lignesaffleurent, la culpabilité de l’« embourgeoisement », le sentiment d’imposteur de celui qui n’a jamais étudié mais manie la plume et les idées, de trahison aussi envers ses camarades de terrain, qui pour la plupart ont vu leurs destins révolutionnaires et leurs rêves d’un monde plus juste brisés. Ce livre – que l’on a hâte d’offrir à tous nos moins de trente ans – leur est dédié.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le Livre de Kells, de Sorj Chalandon
Grasset – 23 €
Paru le 13 août
Chalandon en tournée

Dans le cadre de ses Tournées générales, l’association Libraires du Sud a convié l’auteur à venir parler du Livre de Kells dans la région. On pourra retrouver l’auteur le 27 août à la librairie Lettres Vives à Tarascon, le 28 août au Couvent des Prêcheurs d'Aix-en-Provence en partenariat avec la librairie Goulard, le 29 août à la médiathèque Pôle culturel Chabrande Draguignan et enfin le 30 août à la Librairie La Pléiade à Cagnes-sur-Mer. A.-M.T.

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