mercredi 27 novembre 2024
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L’âge n’a pas d’âge

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Stéphane Durand, Vinciane Despret et Juliette Rousseau © X-DR

Sur un domaine viticole du Lubéron, Les Davids, les Estivales du Haut-Cavalon font confluer littérature, théâtre, cinéma, philosophie et musique, sans oublier une touche d’œnologie. Dans la foulée des travaux de l’éco-féministe Juliette Rousseau, la manifestation se propose cette année « de reconsidérer les « longivives », nos aînés comme les grands mammifères ou les arbres ; car plus un sujet est âgé, plus il crée des liens, plus il transmet de l’expérience, des connaissances et des informations, et plus il catalyse la biodiversité ». 

Partager la terre (et la mer)

La marraine des Estivales, Vinciane Despret, sera présente sur plusieurs soirées, notamment le 25 juillet, date à laquelle elle échangera sur Les Vénérables avec la jeune activiste, lors d’une table ronde animée par Stéphane Durand, directeur de collections chez Actes Sud. Le 23, auprès du réalisateur Sylvère Petit, elle présentera le film Vivant parmi les vivants, documentaire dont elle partage l’affiche avec un autre philosophe, Baptiste Morizot, et deux « non-humains », sa chienne Alba et une jument sauvage, Stipa. Parmi les autres invités, ne manquez pas l’océanographe Jacques Sarano, dont la personnalité enthousiaste ne manque jamais de contaminer son auditoire : le 24, il assistera au spectacle musical de Nadine Estève, inspiré de son livre Le Retour de Moby Dick. Un plaidoyer intense pour réapprendre à partager la planète « avec nos coloca-Terre sauvages ». Ou encore Hyam Yared, romancière et poétesse libanaise, qui lira des textes féministes le 18, accompagnée de la pianiste Pascale Berthelot. Tant il est vrai que sur le thème du vieillissement, les femmes ont beaucoup à dire : sous la férule du patriarcat, il est souvent prétexte à les minorer ou les invisibiliser de plus belle.

GAËLLE CLOAREC

Estivales du Haut-Cavalon
Du 16 juillet au 1er août
Domaine Les Davids, Viens

Jazz en tête

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Black Lives se produira le 18 juillet à Jazz à Sète © Arnaud Ghys

Quel bonheur d’écouter du jazz au Théâtre de la Mer. Un lieu magique, où la Méditerranée sert de décor de rêve à des mélodies plus inspirées que jamais pour cette 29e édition de Jazz à Sète. Construite avec ferveur par Louis Martinez, fondateur du festival et musicien accompli, cette programmation 2024 est portée par le désir de montrer l’universalité d’un jazz transcendant naturellement tous les courants musicaux qui le traversent. Jazz à Sète est reconnu pour les performances inoubliables distillées en live par les plus grands musiciens de notre époque. Cette édition 2024 n’est pas en reste. Pendant sept jours, c’est un marathon de jazz qui se vie avec passion. 

Au programme 

Le 15 juillet, tout commence par le funk explosif de Scary Pockets, fondé par Jack Conte, aux claviers, et son comparse Ryan Lerman, à la guitare. Le 16, place à Cory Henry, plus connu en tant qu’organiste des Snarky Puppy, pour un solo chant-piano inspiré. Le 17, impossible de rater le chanteur et saxophoniste Thomas de Porquery, lequel a décider pour l’occasion d’inviter la chanteuse à la voix subtilement harmonique Camélia Jordana à enflammer la scène avec lui. Le 18 juillet, Black Lives promet un grand moment de partage autour d’influences musicales venues des États-Unis, des Caraïbes et d’Afrique. Un désir de collectif également porté par les six musiciens de Sixun, le 19 juillet, référence de la fusion européenne dans les années 1980-90, mêlant habilement mélodies et rythmes afro-jazz-funk. Autre groupe mythique : FFF, le 20 juillet, pour une fusion entre rock et funk, de quoi nous faire chalouper toute la soirée. Ce festival vibrant de jazz se termine le 21 juillet, avec le charismatique chanteur et guitariste Chris Isaak, crooner rock par excellence. En première partie : la Montpelliéraine Justine Blue, dont la voix fait résonner avec fraîcheur soul, jazz, blues et pop. Déjà une grande. 

ALICE ROLLAND

Jazz à Sète
Du 15 au 21 juillet 
Théâtre de la Mer, Sète
Programmation hors les murs jusqu’au 4 septembre

Éternelle Pina Bausch

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Forever, de Boris Charmatz - Photo de répétition © Christophe Raynaud de Lage/Festival d(Avignon

L’héritage de Pina Bausch est considérable. Devenu en 2022 directeur artistique de son Tanztheater Wuppertal, Boris Charmatz en est bien conscient. D’autant que, créée en 1978, la chorégraphie Café Müller sur une musique d’Henry Purcell, signe l’acte fondateur de la compagnie et de ce que l’on a nommé « danse-théâtre ».

Et c’est en assistant aux répétitions de cette pièce mythique que Boris Charmatz a eu l’idée d’une représentation infinie, pour rendre toute l’émotion qui émane de Café Muller. Naît alors Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch), une installation chorégraphique de sept heures, proposée à la FabricA, dans laquelle sont explorées toutes les possibilités de danse qu’offre l’œuvre. Un parcours que les spectateurs peuvent emprunter à travers la salle pour confronter leurs interprétations.

Hommage à Pina Bausch

Dans une démarche renouvelée six fois au cours de la journée, les danseurs se succèdent pour faire revivre, le temps de représentations séquencées d’une heure environ, la célèbre chorégraphie. Tout l’univers de Pina Bausch, dont les parents tenaient un hôtel, est convoqué à nouveau, dans une ambiance bistrot des années 50. Comme dans la première version, le plateau est envahi de chaises et guéridons de café, poussés sans ménagement par un danseur qui cède le passage à ses partenaires, yeux clos. Une femme s’avance, bras tendus, mains tournées vers le ciel, sans rien voir et retrouve un homme lui aussi yeux fermés. Commence alors une relation chaotique entre eux et les quatre autres danseurs au plateau. Les corps se font et se défont. Les témoignages et anecdotes d’auteurs ou d’interprètes sur Pina Bausch que portent à la scène les danseurs s’ajoutent, conférant à la représentation un supplément d’âme.

Éternelle découverte

Les sensations éprouvées ne sont pourtant jamais les mêmes. Au moyen d’un dispositif scénique permettant au public de multiplier les points de vue, de s’asseoir sur les estrades de la scène autour des danseurs, ou de s’installer sur les coursives ou les gradins plus haut, le regard se décale. Le spectateur se réapproprie l’espace en même temps qu’il observe tous les détails et peut arriver ou partir à tout instant. Boris Charmatz parvient à donner davantage de relief à Café Müller en la déclinant dans plusieurs versions, en costumes ou en survêtements, ce qui convient aux danseurs, jeunes ou ayant eu une longue expérience avec Pina Bausch comme Nazareth Panadero ou Jean Laurent Sasportes. La communication lacunaire entre hommes et femmes, l’amour fou et la violence qui s’en dégage n’ont pas pris une ride. Obsédé par l’éphémère de l’instant et la danse qui s’arrête, Boris Charmatz conjure le passé et interroge le futur d’une œuvre et son prolongement dans l’espace et le temps. Elle pourrait se vivre éternellement.

CONSTANCE STREBELLE

Forever
Jusqu’au 21 juillet – La FabricA, Avignon

Le futur, version Babel

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Terminal © Christophe Raynaut de Lage, Festival d’Avignon 2024

Inés Barahoma et Miguel Fragata, respectivement autrice et metteur en scène de Terminal, prônent la résistance, le rapport à la nature et la foi dans les fictions et leurs représentations théâtrales. Terminal invente une fable dystopique, une société qui sombre en déréglant les cycles de la terre et du fleuve, et en accueillant des boas constrictors en son sein. Qui se transforment en capitalistes à peau de serpent, et étouffent ceux qui vivaient jusqu’alors à Era – c’est ainsi que se nomme ce monde- en harmonie, et en souffrance aussi, avec leur environnement. 

Cette première partie de l’histoire, celle du cataclysme, se raconte à plusieurs voix narratives, accompagnées de musique live.  Ce qui génère forcement de l’inconfort pour le spectateur non lusophone : le texte est bavard et les surtitres, en français et en anglais, sont projetés en haut du mur du Cloître, hors du champ de vision si on veut suivre le jeu des acteurs. Ou les évolutions d’une scénographie et de lumières particulièrement soignées : les racines sortent de terre, les platanes de la cour semblent avancer, des fumées changent le cloître religieux en ruines futuristes, tendance BD. 

Bonheur futur

On espère donc, au terme de cette partie si narrative, entrer dans une action, des dialogues, des situations de lecture moins inconfortables, qui permettront de profiter du jeu des acteurs dont la présence, sous les surtitres, semble formidable. 

Ils se retrouvent à quatre, survivants du cataclysme d’Era, dans un lieu terminal, dont ils doivent chercher la sortie qui leur ouvrira la porte d’un futur possible. Et quelques moments de jeu, entre eux, surviennent. Celui qui symbolise le capitalisme embobine la « citoyenne ordinaire » dans un réseau d’achats symboliques qui l’immobilisent et la soumettent. Mais les deux autres personnages disparaissent régulièrement dans des mondes parallèles, des futurs explorés, dont ils reviennent pour faire à nouveau, longuement, le récit de leurs voyages, face au public, dans des halos de lumière. Et le choix s’impose de les regarder jouer, ou de lire ce qu’ils disent en jetant parfois un œil vers eux. 

On comprend, ainsi, que l’un désire un futur de bonheur psychotrope, l’autre un retour à l’ancienne Era, la troisième un rapport étroit avec la flore, le dernier la fin des relations marchandes et de la propriété. Ils n’ont d’autre choix, au terme de Terminal, que d’inventer un futur ensemble, une fable commune. Que les spectateurs lusophones peuvent apprécier à la juste valeur d’un spectacle dont on n’aura perçu que des bribes, faute d’un dispositif plus judicieux de surtitrage.

AGNES FRESCHEL

Terminal
Jusqu’au 21 juillet, 22h – Cloître des Célestins, Avignon 

Arles : d’Est en Ouest

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Cristina de Middel - vue de l'exposition © M.Voiry

Cette édition 2024 des Rencontres d’Arles fait une large place à la photographie japonaise : quatre expositions distinctes sont organisées, autour des « femmes de la mer » photographiées par Uraguchi Kusukazu, la catastrophe nucléaire de Fukushima avec Répliques, 11/03/11, le prix Women in Motion 2024 décerné à Ishiuchi Miyako et l’exposition Quelle joie de vous voir ! réunissant 26 photographes femmes en activité depuis la seconde moitié du XXe siècle au Palais de l’Archevêché. Où l’on apprend qu’en japonais, « photographie », shashin, signifie littéralement « imitation de la réalité » ou « représentation de la vérité ».

Le point de vue de la femme japonaise

Hormis dans la première salle de l’exposition, titrée Les pionnières, dans laquelle sont exposées les photos de manifestations étudiantes à l’université de Tokyo en 1968-1969 de Watanabe Hitomi, et dans la section « extensions et expérimentations », une salle couverte du sol au plafond de photographies noir et blanc de Komatsu Hiroko, explorant la physicalité et la nature industrielle de la photographie, la très grande majorité des photographes exposées tournent le regard vers elles-mêmes. Ainsi que vers leurs familles, leurs proches, dans des approches documentaires ou journal intime (Nishimura TamikoUshioda TokukoNomura SakikoNoguchi Rika), ou conjuguée à une exposition « pop » sur les réseaux sociaux et dans des magazines chez Hiromix

Des regards d’où émanent souvent de la douceur, sans mièvrerie, voire de l’espièglerie chez Sawada Tomoko, qui interroge dans ses autoportraits pince-sans-rire l’individualité,  l’identité, le fait d’être une femme. Frappante chez Okabe Momo qui photographie ses amants Kaori et Yoko, tous deux en transition, à différentes étapes de leur chirurgie d’affirmation de genre. Ou chez Katayama Mari, née avec une atrophie des os de ses jambes, qui a choisi à l’âge de 9 ans de subir une amputation. Pour ses photographies, elle crée des accessoires qu’elle coud ou fabrique à la main, notamment des prothèses décoratives, et se met en scène au milieu d’objets et de décors savamment élaborés. Des tirages couleurs grand format, de l’empowerment impressionnant présenté dans des cadres ornementés de coquillages et de strass.

Voyage en enfer

À l’inverse de la dimension intime de ces photographes japonaises, le Voyage au centre de l’Espagnole Cristina de Middel, exposé à l’église des Frères Prêcheurs, se focalise sur la traversée migratoire que tentent des personnes, portées par l’espoir d’une vie meilleure, du sud du Mexique à la Californie, à travers le désert de Sonora. Organisée en constellation autour d’une clôture panoramique photographique placée au centre, l’exposition distribue dans l’espace des agrandissements des cartes du jeu Lotería, associées à des portraits mis en scène, souvent costumés, masqués, accompagnés de textes informatifs brefs, qui décrivent les différentes situations auxquels les personnes migrant·e·s doivent faire face lors de leurs tentatives de passage. Se retrouvant quelquefois soutenus par des gestes de solidarité, la plupart du temps à la merci des cartels de la drogue, qui trouvent là de quoi augmenter de façon exponentielle leurs revenus. Des photographies de paysages grand format sont également présentées, ainsi que divers objets exposés dans des vitrines-tables, à la fois pièces à conviction et reliques, objets, photographies personnelles et documents, retrouvés dans le désert. Une bande-son diffusée en sourdine, versions cheap et ralenties de tubes tels que Hôtel CaliforniaBorn in the USA accompagne ce voyage aux résonnances mythologiques et tragiques, dans les cercles d’un enfer à la lumière plombante, habité principalement par la barrière construite par Trump, les cactus, les conditions extrêmes du désert, et la prédation sauvage des narcotrafiquants. Et attendant à l’arrivée, une bourgade kitsch, Felicity, où se trouve le centre officiel du monde, muni d’une pyramide de granit rose et de verre de plus de 6 mètres de hauteur.

Humanisme

Rencontres (Encounters) est la rétrospective que les RIP consacrent à la photographe américaine Mary Ellen Mark, à l’Espace Van Gogh. Première rétrospective mondiale du travail de cette photographe au regard humaniste, que l’on découvre aussi beau et puissant que celui de Diane Arbus, qu’elle a d’ailleurs photographiée en action dans Central Park à la fin des années 1960. Des photographies majoritairement réalisées en noir et blanc, couvrant la période du début des années 1970 à 2014 (Mary Ellen Mark est décédée en 2015). Une rétrospective axée sur cinq de ses séries emblématiques, mais qui présente aussi des travaux de commandes de grands magazines tels que LifeVogueRolling StoneThe New Yorker et Vanity Fair

Les cinq séries concernent des femmes placées en institution dans un hôpital de l’Oregon, des enfants des rues de Seattle, des travailleurs et travailleuses du sexe de Mumbai, des personnes aidées par les associations de Mère Teresa, et des familles de cirques itinérants en Inde. Photographies témoignant d’un regard à l’empathie palpable, aussi virtuose en mode poses qu’en mode « instant décisif ». À côté de ces projets emblématiques, se trouvent des séries tout aussi belles sur la vie new-yorkaise, les familles appalachiennes, Jeanette Alejandro (15 ans, qui attend un enfant de son petit ami Victor Orellanes, 14 ans), la pauvreté rurale aux États-Unis, les suprémacistes blancs, que Mary Ellen Mark photographie pour la première fois en 1986 lors d’un Congrès des nations aryennes. Également des séries sur la pédiatrie, les jumeaux, les bals de promo, ou encore le quartier de South Beach de Miami. Également des portraits de célébrités, Marlon Brando en capitaine Kurtz, Patti Smith, Patrick Swayze en robe, Nicholson sur le tournage de Vol au-dessus d’un nid de coucou et d’anonymes.

MARC VOIRY

Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, jusqu’au 29 septembre – Divers lieux, Arles

Écouter l’autre, vibrer ensemble

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La Muchacha y le proprio Junte © Florent Gardin, Les Suds 2024

Les journées se parent de quelque “apéro découverte” musical gratuit tous les midis (dans tous les sens du terme, le tout venant se voyant offrir un verre ou plus d’anisette Cristal, en version alcoolisée ou non), dans la si jolie cour de l’Espace Van Gogh, où la fontaine centrale sait faire redescendre la température corporelle chauffée à coup de canicule. Une bonne raison de traîner jusqu’à la fameuse “sieste musicale” offerte au même endroit, un peu plus tard. Le public peut ainsi, à la carte, choisir ses temps d’écoute, de balade, de rencontres ou de fête. Incontournables, les “moments précieux” – concerts intimes et découvreurs de tout début de soirée – étaient donnés en partie dans le cadre très charmant des Alyscamps, cette année ; on avait découvert ce site historique en extérieur et sous les platanes centenaires lors de l’ère covid, parfait alors pour respecter les distances imposées à la culture… 

Migrations sonores

Dans ce fourmillant programme, une sensation domine : celle que, dans un territoire pourtant si marqué par les moins inclusifs penchants politiques (razzia générale du RN lors des dernières législatives), Les Suds redonnent des couleurs à la mixité, grâce à une programmation qui mêle rythmes et cultures sans distinction aucune, si ce ne sont celles de la découverte et de la qualité. Et ça fait un bien fou au moral, en ces temps humainement angoissants. 

Divers en étaient

En témoigne le plateau des Soirées Suds du 11 juillet, qui réunissait en un seul concert au Théâtre Antique le ponte de la techno Jeff Mills, le pianiste claviériste jazz Jean-Philippe Dary et le percussionniste indien Prabhu Edouard. Leur proposition, rythmiquement très improvisée, fut une expérience assez déroutante, où les tablas et les machines construisent ensemble une musique portée sur la trance. Parfois dur à suivre, le trio a tout de même offert de très beaux moments d’alliance rythmique, avec une nette montée en puissance au fil du concert. 

Proposition plus accessible, les Makoto San ont quant à eux offert une prestation au cordeau :  le quatuor marseillais soigne son image à coups de masques, de chorégraphie scénique rodée et d’instruments en bois impressionnants. Leur expertise n’en souffre en rien ; il faut reconnaître qu’ils arrivent, à bout de bras et de bois, à tenir des rythmes frénétiques habituellement sortis de machines ou d’ordis. Une électro organique agréable et une suite logique de programmation. 

Sans compter sur l’after qui, ce soir-là, a complété l’accession totale à la trance dans la Cour de l’Archevêché, grâce à l’énergie du quatuor Twende Pamoja et de son bouillon d’électro-jazz-rap intempestif et très rassembleur : les deux MC se donnent twerk et âme afin d’emporter un public conquis ! 

Nougaro vivant

La soirée du 12 n’a pas manqué de pluralité, puisque fut donné au Théâtre Antique un concert hommage à Claude Nougaro, réunissant un superbe orchestre mené par Fred Pallem. Se sont succédé sur scène une multitude d’artistes, dont l’on retient surtout les prestations de Marion Rampal, dont la voix semble se glisser dans tous les costumes sans problème, et honorer les textes du grand Claude avec une aisance jalousée. Thomas de Pourquery, malgré une apparente crève, justifie sans problème son virage vers la chanson, de tous ses graves vibrants. L’on se demande cependant si ces plateaux hommage ne tirent pas un peu parfois vers des formes trop floues ou trop peu répétées, qui font sortir légèrement la tête de l’impression d’unicité et d’exception. On retient cependant un after assez génial, qui a réuni le public autour d’un Fest Noz moderne offert par Fleuve

En clôture des Soirées Suds, le 13, un très bon concert de La Muchacha y le proprio Junte, trio colombien ultra efficace. On réalise à leur écoute comme la simplicité d’orchestration fait du bien. Ainsi, Isabel Ramírez Ocampo offre des compositions entre rock et reggaeton, ancrées et directes, accompagnée d’une contrebasse et de percussions entraînantes. On aurait adoré les écouter plus, d’autant que le chanteur flamenco Israel Fernandez semble, lui, s’être tellement ennuyé qu’il a écourté son concert d’une bonne moitié. 

Dommage ! Les Suds restent une expérience auditive unique et globale à la fois, doublée d’une déconnexion dont il est impossible de se lasser. 

LUCIE PONTHIEUX BERTRAM 

Les Suds, à Arles
Soirées des 11, 12 et 13 juillet 2024
Théâtre Antique et Cour de l’Archevêché, Arles 

Dans le regard des invoyants

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La Gaviota © Barbara Sanchez Palomero, photo de répétition

La metteuse en scène péruvienne Chela de Ferrari aime déplacer l’attention pour transformer la lecture d’une œuvre du répertoire. Après Hamlet avec des comédiens atteints de trisomie, elle donne, à l’Autre Scène de Vedène, La Gaviota, accompagnée par le Centro Dramático Nacional d’Espagne. La pièce est portée cette fois par une troupe de douze acteurs dont onze sont malvoyants ou non-voyants. Du célèbre dramaturge russe, la metteuse en scène reprend l’intrigue. Konstantin, le fils de la grande actrice Arkadina aime Nina qui se rêve actrice, qui aime Boris, homme de lettres qui vit avec Arkadina. Un schéma amoureux à sens unique qui se dénoue par une mort soudaine, et dont elle conserve aussi l’ironie propre à l’auteur et le non-sens des désirs et des ambitions humains.

Rendre visible l’invisible

Une ouvreuse presse d’étranges personnes de s’asseoir avec les spectateurs. Ils font en réalité partie du spectacle, en témoignent les premières répliques qui fusent dans la salle. Le public, guidé par Alicia la régisseuse, va assister à la pièce de Konstantin, mise en abyme dans la mouette de Tchekhov. 

Dramaturge, actrices et écrivain, évoluent, donnant l’occasion d’interroger l’inclusivité des lieux de représentation : « Rendre visible l’invisible », c’est l’expression consacrée par la metteuse en scène, nous informe Alicia. Que le décor de facture XIXe siècle soit bien observé puisqu’il sera démonté aussitôt la pièce commencée. Le public sera défié de s’en souvenir au moyen d’une audiodescription… Ainsi l’oreille rend visible, et le dispositif audio-descriptif remplace les didascalies tout au long de la pièce. La musique, composée en direct par Nacho Bilbao, constitue aussi des repères pour les artistes.

Dans cet espace où les corps des acteurs se touchent, tâtonnent, dans les regards qui dévient, se révèle avec d’autant plus de violence l’absurdité des désirs, des amours, des ambitions aveugles. L’écriture joue avec la sémantique : les verbes voir et regarder prennent d’autres sens : « Le futur existe, je peux le voir » s’emballe Nina qui part faire du théâtre à Madrid et s’y brûlera les ailes. 

Chela De Ferrari fait le choix de ne faire jouer qu’un seul acteur voyant dans la pièce, Boris, l’auteur manipulateur interprété par Agus Ruiz. Le cadavre de la mouette en avant-scène, symbole de la mort prochaine de Konstantin est oublié pendant la pièce, rappelé bien plus tard. Et si cette Gaviota s’appesantit parfois dans la démonstration de messages, elle fait aussi naître une grande poésie.

CONSTANCE STREBELLE

La Gaviota
Jusqu’au 21 juillet, L’autre scène, Vedène

Peut-on détruire le Léviathan ? 

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Léviathan © Christophe Raynaud de Lage, Festival d’Avignon 2024

Fruit d’un long travail documentaire et de recueil de témoignages mené avec Guillaume PoixLéviathan de Lorraine de Sagazan est une critique de la justice punitive autant qu’une proposition de dépassement de celle-ci. 

Tout dans le dispositif scénique renvoie à l’univers du spectacle, de la monstration, explicitement évoqué dans le monologue introductif. Le plateau est couvert de terre et surplombé d’un chapiteau comme dans un cirque. Le visage des comédiens apparaît figé par des masques, ou défiguré par des collants en nylon, à une exception près : un personnage non identifié, sorte de narrateur qui semble se situer hors fiction.

Les scènes de procès en comparution immédiate qui se succèdent mettent en évidence des critiques communément énoncées à l’endroit de la justice : les contrôles policiers arbitraires, la violence qui s’exerce sur les corps, les peines disproportionnées. Mais le personnage non-masqué apporte quant à lui des éléments d’analyse plus précis et plus rares, qu’ils soient d’ordre philosophico-politique ou structurels, comme la gestion déléguée des prisons à des entreprises privées. Ses interventions permettent à la pièce de s’extraire de cas individuels – si dramatiques soient-ils – pour entrer dans une forme presque dialectique qui rend d’autant plus évidente la nécessité d’une réforme de l’institution. Un propos appuyé par l’évolution de la mise en scène. 

Le théâtre comme alternative

Les trois prévenus présentent des situations humaines de plus en plus graves au fur et à mesure des procès, et les infractions qui leur sont reprochées semblent de fait de plus en plus dérisoires. Les prévenus deviennent les victimes d’un système qui les dépasse et les opprime, comme le suggère la mise en mouvements du chapiteau qui reproduit ceux d’une digestion. Peut-être est-ce celle du Léviathan, ce monstre biblique qui impose la soumission par la peur, et est utilisé comme métaphore du pouvoir étatique dans la pensée de Hobbes. 

Pour finir d’enraciner l’importance d’un dépassement de la justice punitive, Lorraine  de Sagazan a recours une accumulation de procédés scéniques impressionnants plus ou moins inventifs. Leur intérêt n’est pas toujours évident à première vue, et ils tendent à distraire le spectateur du propos qui est pourtant d’une grande pertinence.

CHLOÉ MACAIRE 

Jusqu’au 21 juillet, Gymnase du lycée Aubanel, Avignon 

Chansons d’Arménie

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Trio Sayat © XDR

18h30, jardin Benedetti. Ils sont déjà nombreux installés sur des chaises au cœur de cet écrin de verdure en surplomb de la mer. Il y a des fidèles comme Gérard : « À mon âge, je ne sors plus le soir. C’est une heure parfaite. Et puis, je n’ai pas de gros moyens à consacrer aux spectacles, alors ces représentations gratuites c’est super ». À quelques mètres, il y a Stéphanie. Elle est venue avec ses deux enfants : « C’est formidable d’écouter un concert en famille, au milieu des arbres et de découvrir des styles de musique que l’on ne connaît pas ». Avant le soir, est une programmation estivale qui se déroule dans les parcs du 1er et 7e arrondissements : le jardin Benedetti (7e), le square Bertie Albrecht (7e), le square Labadié (1er) et, depuis cette année, au Musée d’Histoire de Marseille. Les propositions – plus de quarante – sont éclectiques : danse, théâtre, musique. Elles ont été concoctées par Renaud Marie Leblanc, directeur de la compagnie Didascalies and Co. Il a convié cet après-midi-là le trio Sayat, composé de trois musiciens de l’Ensemble Télémaque « qui emportent dans un voyage entre classique, jazz et musique arménienne ». 

« Arménisation »
Les notes du violoncelle de Jean Florent Gabriel s’élèvent dans le jardin, rejointes par celles de cloches du percussionniste Christian Bini et du pianiste Nicolas Mazmanian. Le batteur donne le rythme sur lequel vient se poser l’instrument à cordes dont les pizzicatos fragmentés et les envolées dans les aigus transportent en Orient. En fermant les yeux, on imagine aisément un désert immense, un serpent qui ondule mais aussi des gens qui marchent, comme poussés par l’urgence. Cette urgence, c’est l’exode des arméniens, celui des familles de Nicolas Mazmanian et de Jean Florent Gabriel qui ont trouvé refuge à Marseille lors du génocide : « Le morceau porte le nom du village de mes ancêtres » explique ce dernier et « nous jouerons un peu plus tard Arabkir, du nom du lieu de naissance des aïeux de Nicolas ».  Si les instruments n’ont rien d’orientaux, les musiciens en restituent le style. Jean Florent utilise parfois le bois du violoncelle comme un tambour qu’il fouette et Christian rivalise d’imagination avec ses percussions. Montées en puissance exaltantes et retombées, comme des havres de douceur après une course éreintante, s’entrelacent. Cette tension dramatique, c’est un peu la marque de fabrique de Sayat qui enchaîne sur une nuit étoilée composition de Nicolas qui fait dialoguer piano et violoncelle dans un jeu de questions-réponses. Le trio conclut le concert avec une pièce de Claude Debussy, La mer, hypnotique dans son mouvement répétitif perpétuel que l’on a souhaité « arméniser » explique Nicolas Mazmanian dans un sourire. Le festival Avant le soir se poursuit tout l’été. Cerise sur le gâteau : chaque spectacle est précédé d’un prologue, une carte blanche confiée à de jeunes acteurs de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille (Eracm). Ils écrivent leur texte le matin et performent l’après-midi dans de courtes prestations interactives et drôles. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU 

Le concert a été donné le 9 juillet, jardin Benedetti (7e)

À venir
Les 19 juillet et 12 août au square Labadie 

Voici venir l’hiver 

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Rosas-Il-Cimento-dellArmonia-e-dellInventione © Anne-Van-Aerschot

Il Cimento dell’armonia et dell’inventione est une pièce d’abord déroutante. La chorégraphe flamande, qui depuis plus de 40 ans compose l’architecture de ses pièces en donnant  à voir les principes musicaux dans les corps, commence en silence. Par un solo, fait de gestes énigmatiques qui semblent mimer des scènes antiques, la chasse, le tir à l’arc. Immédiatement Boštjan Antončič impose ses gestes précis, placés, son regard, sa lenteur qui n’a rien d’un ralenti, mais tout d’une puissance  déployée. Puis les trois autres danseurs, plus jeunes, des hommes eux aussi, viennent le rejoindre, apportant chacun leur virtuosité particulière, mais évoluant toujours en silence, traçant des cercles, des espaces, des images. 

Puis José Paolo de Santos, au corps élégant et classique,  et Lav Crnčević,incroyable danseur un peu rond, inépuisable, incroyablement émouvant, font entendre le rythme de Vivaldi dans une hallucinante scène de claquettes, et la musique commence enfin. Ecrit avec Radouan Mriziga  Il Cimento renouvelle le vocabulaire chorégraphique de De Keersmaeker, traversé de hip hop, porté essentiellement par Nassim Baddag, le quatrième d’un quatuor masculin dont il se détache souvent, en solo, au sol. Plus hip hop, ce Ciment est aussi fait de figuralismes, d’évocations directes d’un patineur, d’un moustique, d’un cheval, qui sortent de l’abstraction la danse, et font souvent sourire. 

Sans retour

La pièce écoule ses Saisons, orage, chaleur écrasante de l’été, jeux et frimas de l’hiver. Les danseurs se font chasseurs, destructeurs, victime. Rescapés d’un monde insensé, mettant le public en joue, chassant, chassant. Et l’évocation de nos saisons déréglées déraille, sort du cycle, s’inscrivant simplement dans une succession, celle des âges de la vie, printemps été automne hiver, comme des âges d’une civilisation qui n’attendraient plus le retour du  printemps, la renaissance. L’hiver, celui de la mort, de la fin sans réveil, conclut la pièce par un noir brutal.

Si Vivaldi a conçu il y a trois siècles le Ciment de l’harmonie  qui ouvrait la modernité musicale de son invention c’est le poème d’Asmaa Jama, « We, the salvage », qui clôture le chemin linéaire d’une danse qui ne tourne plus en rond, ne revient plus en arrière, mais contemple, sidérée, la fin probable d’un monde. L’hiver final de nos destins, sans échappatoire.

waiting fo the sun

a fragile gazelle hoping fo a new day

last of its kind

AGNÈS FRESCHEL

Il Cimento dell’armonia et dell’inventione a été dansé les 28 et 29 juin, en première française, au ZEF dans le cadre du Festival de Marseille et les 1er et 2 juillet à l’Opéra Comédie dans le cadre de Montpellier danse