vendredi 4 juillet 2025
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Culture en lutte

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D’AG en AG, de rassemblement local en rassemblement (pas national) la lutte des travailleurs de la culture prend forme, en particulier dans des villes comme Avignon ou Marseille qui les laissent occuper l’espace public. À Paris les cortèges grossissent, et dans les Pays de Loire, où la région assume ses coupes brutales, spectateurs et artistes s’allongent devant les théâtres et réclament la restitution des subventions nécessaires à leur fonctionnement, et à la vie des cités heureuses. 

Dans la région provençale le combat s’organise de façon inédite. Les organisations professionnelles, musicales, de plasticiens, d’auteurs, d’artistes de la scène, d’étudiants en art… prennent en compte leurs différences de statut et s’allient aux syndicats. Du précaire au directeur, du salarié intermittent au cadre, de l’autoentrepreneur au fonctionnaire, tous les travailleurs de la culture savent qu’ils doivent défendre en bloc leurs intérêts. 

Rappelant qu’ils sont un secteur économique qui rapporte, ils savent que la grève des festivals est une arme. Mais que ses dégâts aujourd’hui peuvent être irréparables, pour les intermittents qui y perdront leurs statuts, les petits et gros festivals qui ne s’en relèveront pas sans rallonge improbable des collectivités. Et pour les spectateurs qui ont besoin d’art et de pensée pour ne pas sombrer dans la gigantesque vague de dépression qui atteint nos sociétés en déroute politique.

Au cœur du combat politique

© A.F.

Plus que jamais, le public a besoin des « repères éblouissants » qui permettent comme disait René Char de survivre à l’« innommable ». Les travailleurs de la culture en ont conscience, et proclamaient le 20 mars à Marseille que leur combat est « antifa et anticapitaliste », contre « l’exploitation des hommes » et pour une société « inclusive, diverse et sans domination systémique ». Les orateurs se succèdent, annonçant moins les baisses que les espoirs, et une interrogation profonde sur les nouveaux moyens de lutte, dans un combat qui est avant tout « celui de la pensée contre le fascisme en marche ».

Car tous sont touchés : depuis les artistes au RSA touchant en moyenne 1 000 euros de droits d’auteur par an, jusqu’aux directeurs de scènes qui ne savent pas comment ils vont boucler l’année et payer leurs salariés. 

L’annonce des coupes budgétaires 2025 arrive peu à peu. La Citadelle perd 300 000 euros de la Région sur 3 ans, et ne sait pas comment elle va mener à bien son projet culturel. Les festivals et lieux de spectacle vivant font face à des baisses de 10 % de la Région, et en attendent d’autres des Départements, et de certaines Villes. Les compagnies voient leurs dates de programmation s’annuler, et vont perdre une « continuité de revenus » que les plasticiens, auteurs et compositeurs n’ont jamais atteinte.

Ils savent, tous et toutes, qu’il ne s’agit plus de remettre en cause des choix économiques, mais de combattre une idéologie en marche. Faire taire les arts, les paroles singulières et libres, ceux qui fabriquent du commun, ceux qui font ressurgir les mémoires, est nécessaire à toute entreprise fasciste. Les priver de moyens de créer n’est que la première étape d’une  disparition annoncée. 

AGNÈS FRESCHEL

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Festo Picho : les enfants comme des papes 

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festo picho
Noircisse ! @ Hugo Daumalin

Cirque, théâtre, musique, danse, marionnettes… le spectacle vivant regorge de propositions artistiques diverses adressées au jeune public. Pour cette 19e édition, le festival Festo Picho, toujours coordonné par le Totem (Scène conventionnée d’intérêt national Art, enfance, jeunesse) se déploie sur Avignon, les communes du Grand Avignon et le département du Vaucluse, avec quinze spectacles à découvrir du 29 mars au 6 avril. 

On se pare de ses plus beaux atours le samedi 29 mars au square Agricole-Perdiguier pour une grande fête d’ouverture : ateliers, spectacles, fanfare et grand bal populaire pour faire danser enfants et parents sur des notes catalanes. 

Au plateau pour les moyens pitchos (à partir de 7 ans), La merveilleuse histoire du peintre Wang Fô de la compagnie Okeanos à 15 h au théâtre Le Transversal. Ce conte fantastique et contemplatif, soigné de poésie et de peinture, extrait des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, porte à la scène un théâtre d’ombres narratif et musical. À 20 h, Alice au pays des merveilles twist magie, humour, féerie et fantaisies originelles pour une revisite à l’Opéra d’Avignon. Matteo Franceschini et Caroline Leboutte subliment avec une infinie richesse esthétique l’inquiétante étrangeté que les enfants sont tôt ou tard amenés à interroger.

La toute petite enfance (à partir de 10 mois) rentre dans la ronde avec 2, 3 notes sur un fil du collectif LSC. Un croisement entre discipline scientifique (mécanique) et artistique (musique, théâtre d’objets), qui amène à la découverte du son et de la musique pour les jeunes oreilles (5 avril, Isle 80). 

Une création attendue 

Pour les 3 ans et plus, ça démarre dès dimanche 30 mars avec La montagne magique et l’arrivée des machines au Grenier à Sel. Ce ciné-concert expérimental de quarante minutescrée en live musique et film pour mieux nous raconter l’alliance des animaux contre l’arrivée des machines. Enfin pour les plus grands (11 ans et plus), Noircisse : un texte de Claudine Galéa qui a reçu le grand prix de la littérature dramatique jeunesse. Il met en jeu l’amitié et l’amour qui se tissent entre quatre adolescent·e·s, dont un, Mayo, vient de la mer. En création au Théâtre des Halles le 1er avril, mis en scène par Sophie Lahayville.

C’est donc, espérons-le, l’œil pétillant et le pied au plancher qu’on repart de ces célébrations enchanteresses en attendant l’année prochaine qui fêtera sa 20e édition. Où, il se dit déjà dans les coulisses, qu’une toute nouvelle attention sera portée pour festoyer dignement ce bel anniversaire. 

MICHÈLE GUIQUIAUD 

Festo Picho
Du 29 mars au 6 avril
Divers lieux, Avignon et alentours 

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Henri Florens : la touche étoile  

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Le jazz marseillais est en deuil. Henri Florens était l’un de ces grands passeurs d’une tradition musicale vivifiée par la classe de jazz de Guy Longnon, au conservatoire de Marseille. Son père, guitariste et violoniste, l’avait nourri d’une passion musicale inextinguible, lui confiant une guitare à l’âge six ans. Une cousine lui offre un piano mécanique et le voilà, à treize ans, accompagnant Marcel Zanini autour du Vieux Port. 

Il sera ensuite recruté par le batteur Vincent Séno dans son big band, et se retrouvera, entre autres, à jouer pour la première création de Marcel Maréchal comme metteur en scène au Théâtre du Gymnase pour Le Bourgeois Gentilhomme en 1976. Il sera ensuite associé à Dizzy Gillespie, Lee Konitz et Roy Haynes – soit la crème des créateurs du jazz contemporain. À la fin des années 1970, il enregistre deux albums à Londres avec Chet Baker et la chanteuse Rachel Gould. Son frère Jean-Paul, guitariste, toujours parmi nous, était aussi de la partie. 

Les musiciens de renom de passage dans la cité phocéenne, tel le saxophoniste Barney Wilen, ne désirent rien d’autre que de jouer avec ce pianiste dont on disait qu’il avait intégré tant de solos de Bill Evans qu’il le dépassait dans ses intentions poétiques. Puis viennent ses compagnonnages avec le guitariste Christian Escoudé ou avec les frères Belmondo, à Paris – il retrouvera Stéphane, le trompettiste, au regretté Jam de La Plaine en 2018.

Jamais avare de partage, il avait joué avec la chanteuse Siska à La Mesón en 2013, aux côtés d’un nouveau venu en ville, alors : le trompettiste Christophe Leloil – qu’il retrouvera ensuite pour des duos débordant d’émotion. La salle de la rue Consolat avait produit le sublime Jazz Suite for Chass (2014), son premier et seul album solo. 

Le batteur Gilles Alamel, l’avait convié plusieurs fois au Rouge Belle de Mai, notamment avec la sémillante saxophoniste catalane Lola Stouhammer. Il avait aussi accompagné son fils, le saxophoniste Julien Florens – d’une sensibilité musicale rare. La productrice Hélène Dumez s’apprêtait à produire un album solo pour sa série Paradis Improvisé. Où que soit Henri Florens, sa profondeur artistique ne sera pas oubliée. La terre lui sera assurément légère, comme l’une de ces phrases musicales à la fois évanescente et présente, dont il avait le secret.

LAURENT DUSSUTOUR 

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Radio Maniok à La Seyne-sur-Mer

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Radio Maniok
Radio Maniok © Romain Philippon

L’histoire des territoires français ultramarins pendant la Seconde Guerre mondiale est bien souvent méconnue. Avec son spectacle Radio Maniok, la compagnie réunionnaise CirquonsFlex aide à comprendre cette période trouble de son île. Administrée par Vichy pendant deux ans, puis libérée par les forces françaises libres, l’île de La Réunion est restée très isolée du reste du monde pendant toutes les années de guerre – ne comptant même aucun ravitaillement pendant deux ans. 

C’est cette histoire d’isolement, et d’autosuffisance, que viennent jouer, et raconter, les circassiens de la compagnie. Car une île isolée, aux lendemains incertains, est-elle pour autant malheureuse ? Radio Maniok donne la parole à un vieil homme qui a connu ces années-là, entre égoïsme, lâcheté mais aussi générosité et courage ; dans un spectacle mêlant acrobaties, danse, musique et narration. 

NICOLAS SANTUCCI

Du 26 au 29 mars
Chapiteaux de la mer, La Seyne-sur-Mer
Un spectacle proposé par Le Pôle, arts en circulation 

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Fanon, une fulgurance politique !

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fanon
Fanon de Jean-Claude Barny © Eurozoom

Diasporik : Vous avez réalisé différents films et séries en lien avec l’histoire comme dans Nèg marron ou Tropiques amers

Jean-Claude Barny : Oui, je produis des contre-récits en m’entourant d’acteurs et de complices, eux-mêmes engagés dans la volonté de bousculer le récit mainstream. Il s’agissait avec Nèg marrons de réhabiliter ma vérité sur les Antilles, au sein d’un cinéma français qui n’est pas déconstruit sur les questions coloniales, voire qui s’inscrit dans le continuum colonial. Ce combat ne consiste pas seulement à revendiquer plus d’acteur.ices noir.e.s dans le cinéma, qui resteraient à la marge, et qui se voient refuser l’opportunité de rôles à la hauteur. Il s’agit du refus des acteurs, réalisateurs, scénaristes noir.e.s de participer à cette grande mascarade qui consiste à renforcer des préjugés hérités de l’époque coloniale. Même si certain.e.s y participent toujours. 

Comment avez-vous réalisé le casting ?

Avec la directrice de casting, Sylvie Brocheré, nous avons sollicité Alexandre Bouyer qui est charismatique mais ne correspond pas aux critères, qu’on attend en France, d’un acteur Noir. Comme il n’y a pas de premier rôle écrit pour lui, il est sous-employé. Fanon est son premier grand rôle au cinéma, il est le futur du cinéma français. J’ai eu la chance de m’entourer de grands acteurs, tels que Déborah François qui joue Josie Fanon, Salem Kali qui joue Abane Ramdane et Mehdi Senoussi, Hocine, l’adjoint de Fanon. Le scénario a nourri le casting.

Le film est ponctué par de nombreux morceaux de jazz, Fanon était-il amateur ? 
Fanon aimait la biguine et le jazz qui incarnaient sa douleur. Dans le film Fanon interroge Hocine sur la musique châabi et le sens des paroles, il perçoit la dimension spirituelle des combats des peuples au travers de leur expression musicale. 

Vous avez intégré des passages des Damnés de la terre, ce qui participe à éclairer la pensée de Fanon en contexte. Avez-vous une intention pédagogique ?

Avec Philippe Bernard co-scénariste, nous étions évidemment portés par l’enjeu de rendre la pensée de Fanon, accessible au plus grand nombre. Notre complicité a permis cette sélection, sans paraphrase, avec toute la nuance de cette pensée.

La figure de Josie Fanon apparaît comme centrale auprès de son mari mais aussi en tant que militante et assistante dans la production intellectuelle de Fanon. Avez-vous voulu réhabiliter sa place ? 

Tous les écrits de Fanon portent cette intention d’égalité. L’exigence de réhabiliter la personnalité de Frantz Fanon ne peut se faire au risque de centraliser sur sa figure romanesque. Il est impossible d’appréhender la construction de cet homme sans décrire son contexte familial, amical et militant. Il est évident qu’il faut rendre à Josie sa place, qui a consisté à documenter par la photographie, à retranscrire les livres de Fanon, à faire circuler les manuscrits, vers son éditeur, Maspero. Josie était personnellement engagée en faveur de l’indépendance de l’Algérie.  Il était important de documenter son propre engagement. 

Une fois nommé chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie, Fanon s’illustre par ses méthodes qui contrastent avec celles des autres…

L’histoire de Fanon et de son équipe éclaire sur l’analyse des traumatismes produits par la violence coloniale. C’est elle qui explique l’état psychologique, émotionnel et physique des patients. 

En 1952 il a rédigé Peau noire, masques blancs à partir de son expérience de noir minoritaire au sein de la société française. Il y dénonçait le racisme et la « colonisation linguistique » dont il s’estimait lui-même être une des victimes en Martinique

D’emblée à Blida sa volonté de désaliénation et de décolonisation du milieu psychiatrique s’oppose de front aux thèses racistes de l’École algérienne de psychiatrie d’Antoine Porot qui décrit l’indigène comme : « Hâbleur, menteur, voleur et fainéant, le Nord-Africain musulman se définit comme un débile hystérique, sujet, de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles ». 

Ainsi, il rappelle que : « La première chose que l’indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites ». 

Le film éclaire le lien avec les révolutionnaires algériens d’Alger à Tunis, notamment avec Abane Ramdane qui sera exécuté dans les luttes internes aux révolutionnaires… Quels échos aujourd’hui ? 

Le cinéma s’inspire de faits réels pour les sublimer comme des échos d’Histoire. Abane Ramdane a été abattu dans sa voiture mais la scène réalisée permet au spectateur d’illustrer la trahison, de comprendre ce qui vit le militant indépendantiste qui a été trahi. Cette séquence montre combien la confiscation de la révolution algérienne a été rapide et violente, dans cette démarche complexe qu’est celle de la recherche de liberté des peuples. 

On retrouve les psychiatres Alice Cherki, Jacques Azoulay et Hocine. Ces compagnons de route révèlent toute la diversité des positions dans l’Algérie coloniale mais la figure du sergent Rolland, qui pratique la torture au nom de la France et finit par souffrir de troubles mentaux, est assez inédite. Quelle était votre intention en valorisant ce personnage ?

Celui qui souffre a des raisons de souffrir. Les troubles psychotiques sont liés à la déshumanisation et la maltraitance liés à la colonisation. Le personnage du sergent Rolland illustre que l’on ne peut pas soigner l’un sans l’autre, le colonisé sans le colon. Celui a qui on demande d’opprimer subit un ordre maléfique. Cette figure systémique à qui le système colonial donne l’ordre d’être tortionnaire est aussi pathologique. Mehdi Senoussi qui joue Hocine, l’acolyte de Fanon, restitue également la participation des algériens à égalité et sans imposture. Il fallait désaliéner jusqu’au bout en remettant chacun à sa juste place. 

© Hervé Remion

Entretien réalisé par SAMIA CHABANI

Fanon
Sortie en salles le 2 avril
Avant-première le 28 mars au Cinéma Le Gyptis, dans le cadre du Festival Printemps du film engagé, en présence des acteurs et du réalisateur

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« Au Pays de nos frères » : trois exils en Iran

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Subir. Se taire. Mentir. C’est le bréviaire des Afghans au pays de leurs frères. Ces « frères » ce sont les Iraniens. Plus de 5 millions d’Afghans fuyant la guerre se sont réfugiés en Iran. Même langue, même religion, une frontière commune, mais le sort universel des immigrés. Exploités, méprisés, sous-citoyens contraints de plier l’échine sous la menace constante d’être renvoyés. Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, tous deux iraniens, mettent en scène le drame de trois d’entre eux, en adoptant leur point de vue.

Le jeune Mohammad, d’abord (Mohammad Hossel). Lycéen méritant, doué pour ses études, il travaille après les cours avec sa famille et d’autres Afghans dans une exploitation horticole. On est en 2001. Tandis que les bombes américaines tombent sur Kaboul, il cueille des tomates avec Qasem (Bashir Nikzad) et sa sœur, Leila (Hamideh Jafari), dont il est amoureux. Romance sans espoir. Leila est promise à un autre par son père. Mohammad se tait. À quoi bon dire ses sentiments ? À quoi bon raconter plus tard les exactions de policiers iraniens qui réquisitionnent les jeunes afghans pour les faire travailler gratuitement à la réfection de leurs locaux. À quoi bon parler de l’agression qu’il subit parce qu’il est trop mignon ?

Dix ans plus tard, en 2011, c’est Leila qu’on retrouve, teinte en blond, mariée à Hossein et mère d’un garçonnet rieur. Ils sont les gardiens d’une résidence secondaire au bord de la mer Caspienne, appartenant à de riches bourgeois paternalistes et non moins esclavagistes. Hossein, malade, meurt alors que les propriétaires arrivent pour fêter le nouvel an persan. Leila se taira craignant l’expulsion du pays. Elle mentira, enterrera le corps clandestinement sous les yeux d’un chien errant, pendant que les feux d’artifice exploseront sur la plage et que les lampions fragiles s’envoleront dans la nuit.

À quoi bon ?

Le dernier chapitre s’ouvre en 2021. Qasem attend. Il a été convoqué au ministère des Affaires étrangères. Il est en Iran depuis trente ans maintenant. Sa fille cadette fait de la boxe. Son grand fils est parti, croit-il, travailler en Turquie. En fait le jeune homme a été envoyé sur le front syrien dont il ne reviendra pas. L’Iran accorde la nationalité aux familles des « martyres ». C’est ce que veut lui annoncer le fonctionnaire. À quoi bon crier ? Qasem se tait, pleure sans bruit. Il cachera le plus longtemps possible la vérité à sa femme sourde avec laquelle il parle le langage des signes. On les laissera recroquevillés sur leur douleur dans un long couloir blanc. La caméra, pudique, s’éloignera d’eux.

Aucune violence n’est montrée dans ce triptyque dramatique, cruel, habilement construit, qui privilégie l’ellipse et respecte le silence de ses protagonistes. Au Pays de nos frères porte un regard triste et tendre sur ceux, qui au-delà des nationalités, Iraniens, Afghans ou migrants de tous bord, sont juste, faut-il le rappeler, nos frères humains.

ELISE PADOVANI

Au Pays de nos frères, Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi

En salles le 2 avril

Pourquoi faut-il nous réunir ?

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réunification des deux Corées - Joel Pommerat © Agathe Pommerat
réunification des deux Corées © Agathe Pommerat

La reprise de la pièce dans une version frontale, 12 ans après sa création, joue à guichets fermés durant toute la tournée prévue. Elle relève pourtant d’un pari audacieux, celui de reprendre le texte avec la même distribution, qui a vieilli, et dans une frontalité de théâtre qui ne les inclut plus dans un espace commun avec le public, comme en 2013, où les spectateurs se faisaient face. S’interrogeant sur ce qui unit, attire, déchire les couples, La Réunification des deux Corées 2.0 reste tout autant dépressive, à la fois désespérée et drôle, avec un puissant relent de naphtaline qui surgirait de tiroirs anciens brutalement – mais temporairement – rouverts.

Désarrois de l’amour

Les 20 tableaux sont des scènes de genre, inspirées d’un théâtre de boulevard où les excès ne seraient plus ceux des quiproquos absurdes et des infidélités cachées comme chez Labiche ou  Ruquier, mais des crimes et des désespoirs banals, communs comme des faits divers. Joël Pommerat nous demande, à 20 reprises, pourquoi nous cherchons à nous unir, nous réunir, nous désunir, avec tant d’insistance. Jusqu’où nous acceptons d’aimer l’autre et ce que signifie sa perte.

Les scènes les plus drôles – celle où une femme est sur le point d’épouser un homme quand elle apprend qu’il a aimé, avant elle, toutes ses soeurs (4!), celle ou un mari et une femme, voisins, attendent leurs époux respectifs, qui visiblement couchent ensemble – laissent apparaître, au-delà de leurs invraisemblances cumulatives, des désarrois que le boulevard ne connaît pas.

Un effroi qui tourne à l’horreur quand une femme réconforte son mari, tueur en série, lui assurant qu’elle aime ce qu’il y a de bon en lui ; ou quand un instituteur dévoile peu à peu son amour pour un jeune garçon qu’il a (l’a-t-il ?) abusé ; quand une femme demande à sa compagne de lui rendre son cœur, d’effacer ses traces, avant de la quitter. La scène la plus forte demeure celle d’une femme qui oublie son mari chaque jour, et le récit quotidien qu’il lui fait, de leur amour, de leurs enfants, de leur désir, avant de la perdre à nouveau.

Chacune de ces scènes s’inscrit dans des couloirs de lumières projetés au sol, des fantômes d’espaces, des motifs surannés, des perruques et des costumes grisonnants venus d’un temps disparu. Des spectres du passé surgissent parfois, qu’on étreint puis qu’on éconduit. Les voix murmurent, les cris jaillissent comme des exceptions, des tonnerres. Réunir les deux Corées, parties d’un même être irréconciliable, est décidément impossible.

AGNES FRESCHEL

La Réunification des deux Corées
26 et 27 mars
La Garance, Scène nationale de Cavaillon

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Let’s go back to the river 

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Lets go to the river © Robert Charlotte
Lets go to the river © Robert Charlotte

Les pièces de trois heures à Klap ne courent pas la programmation. C’est pourtant ce que propose Annabel Guérédrat ce 1er avril avec sa performance dansée Let’s go back to the river. On y suit « deux performeuses [qui] mêlent les enseignements chamaniques caribéens aux rituels afro-descendants pour embrasser l’histoire collective des femmes et des mères. » 

Avec en filigrane la présence d’Oxun « divinité régnant sur les eaux douces, associée à la richesse spirituelle, matérielle et à l’émancipation des femmes ». Une création qui mêle à la danse une scénographie faite de toiles et d’amulettes suspendues, et d’images projetées. 

NICOLAS SANTUCCI

1er avril
Klap – Maison pour la danse, Marseille

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Sigurd

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Sigurd © Christian DRESSE 2025
Sigurd © Christian DRESSE 2025

Du 1er au 8 avril 2025, l’Opéra de Marseille ressuscite Sigurd, chef-d’œuvre méconnu d’Ernest Reyer, pour célébrer le centenaire du théâtre lyrique marseillais. Inspiré de la Chanson des Nibelungen, cet opéra flamboyant fut créé en 1884 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et inaugurait, en 1924, le nouvel Opéra de Marseille après l’incendie de 1919. 

Dans cette nouvelle production dirigée par Jean-Marie Zeitouni, la mise en scène est confiée à Charles Roubaud. La distribution réunit Florian Laconi (Sigurd), Catherine Hunold (Brünhilde), Alexandre Duhamel (Gunther) et Nicolas Cavallier (Hagen). À l’occasion de cette reprise, plusieurs événements accompagneront les représentations : une conférence chantée le 29 mars sur Reyer et son époque, et une masterclass du baryton Alexandre Duhamel le 3 avril. 

SUZANNE CANESSA

Les 1er,4, 6 et 8 avril
Opéra de Marseille

Alice

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Alice © Roberto Ricci
Alice © Roberto Ricci

Du 29 au 30 mars, l’Opéra Grand Avignon accueille Alice, une réinterprétation audacieuse du chef-d’œuvre de Lewis Carroll, signée par le librettiste Edouard Signolet et le compositeur Matteo Franceschini. Créé en 2016 à la Philharmonie de Paris, Alice sera cette fois mis en scène par Caroline Leboutte, artiste belge passionnée par les formes hybrides et les récits initiatiques. 

Sous la direction musicale de David Greilsammer, c’est une distribution de talent qui promet de briller : Élise Chauvin dans le rôle d’Alice, Kate Combault incarnant la sœur d’Alice, la Chenille, le Chapelier fou et un laquais, Sarah Laulan en Fausse Tortue, Cuisinière, Lièvre de Mars et Reine de Cœur, Rémy Poulakis en Lapin Blanc, Enfant-Porc, Loir et laquais, et Jean-Baptiste Dumora dans les rôles de la Duchesse, du Chat et du Roi.

SUZANNE CANESSA

Les 29 et 30 mars
Opéra Grand Avignon