mercredi 27 novembre 2024
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Mäkelämania au Festival d’Aix

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Création

En ouverture des deux soirées de concert, était donnée, en création mondiale, une œuvre commandée conjointement par l’Orchestre de Paris et le Festival d’Aix à la jeune compositrice britannique Charlotte BrayA Sky Too Small. Les premières notes données sur le fil des violons se charpentent avec les graves des cuivres, vibrations pailletées dans une esthétique de l’attente. Le silence se sculpte sur les pizzicati étouffés des violons tandis que s’élabore un tableau sonore constitué de traits en écho avant que l’ensemble s’embrase. L’évocation de la liberté volée, – l’histoire est celle d’une personne injustement emprisonnée-,  trouve des tonalités sombres et glaciales en une construction proche du poème symphonique où la fin est un reflet douloureux du début. Malgré cette tension qui met tout en cage, même le ciel, naissent ici et là des fleurs mélodiques dont la fragile beauté nous donne encore l’espérance d’une possible réconciliation des êtres. 

Le goût du spectaculaire

Lumineuse dans ses grands contrastes, ses crescendos vertigineux, ses entrées aux accords nets, selon le « goût français », d’où le nom de « Paris » qui lui est accolé, la Symphonie n° 31 que Mozart composa en 1778, rompait avec les angoisses précédentes, jouant des ambivalences entre les tonalités majeures et mineures. Les timbales annoncent les orages romantiques tandis que pour la première fois chez Mozart, apparaissent les clarinettes… Après une pause nécessaire, la Symphonie fantastique de Berlioz déployait sa foisonnante instrumentation, ses couleurs, ses accents. La direction d’une précision tranchante apportait un velouté subtil à cette partition révolutionnaire. Le chef, habité, danse, mime, joue, en osmose totale avec son orchestre, ciselant les détails, offrant une liberté vivifiante aux instrumentistes qui épousent avec virtuosité toutes les inflexions du propos. La quintessence du mouvement romantique se voit résumée ici, dans une interprétation d’une fougue, d’une intelligence et d’une poésie rares. 

Post-romantisme

Deuxième volet du diptyque symphonique, le concert du 14 juillet était consacré à la Nuit transfigurée de Schönberg et à la Quatrième Symphonie en sol majeur de Mahler. D’emblée, Klaus Mäkelä sait faire entrer public et orchestre dans la chair de l’œuvre. Le travail subtil des aigus façonne l’invisible et l’indicible. Théâtral, l’orchestre nous emporte dans son rêve nourri des vers de Richard Dehmel où « la lune court au-dessus des grands chênes » et voit un couple sa « trahison », son pardon au cœur de la quiétude des arbres. Suivait cette évocation frémissante l’œuvre mahlérienne, dont le lyrisme intègre danses villageoises, grelots, se plaît aux ruptures, aux amples vagues des cordes éclairées par les sonorités rutilantes des cuivres, utilise les altos et les violoncelles sur les parties mélodiques réservées traditionnellement aux violons, leur accordant une épaisseur veloutée. Dans le mouvement final, la voix de la soprano Christiane Karg énonce les « joies de la vie céleste » avec une aisance et un naturel qui en rendent la beauté évidente. Un art de la joie qui nous transcende…

Deux membres éminents de l’orchestre, Gilles Henry (violon) et Jean-Michel Vinit (cor) faisaient leurs adieux lors des première et seconde soirée, autre moment d’acclamations pour un public dont les applaudissements ont retenti comme rarement au GTP !

MARYVONNE COLOMBANI

Les 13 & 14 juillet, GTP, Aix-en-Provence, Festival d’Aix 

Pas un festival, une politique

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La Veillée de la Cie Opus © Nicolas Joubard

Zébuline. Pourquoi refusez-vous de parler de festival quand vous présentez les Fadas ? 

Florian Salazar-Martin. Parce que, plus qu’une programmation, c’est l’incarnation d’une politique, quelque chose qui se tisse et qui se maille, tout au long de l’année, et se fabrique ici, avec les gens, pour eux. Qui entre en résonance avec les politiques environnementales, sociales et d’éducation. Je suis adjoint à la culture mais aussi à la ville durable et à la biodiversité. Les fadas, c’est une conception durable de la culture.

Vous êtes aussi un adjoint durable !

Oui ! Mon premier mandat date de 1995, j’ai eu le temps de construire une politique ! Pour moi, une politique culturelle ne se conçoit vraiment que si elle bouscule tout le reste et permet de mieux vivre ensemble. Les Fadas, c’est l’idée que l’on peut créer un espace commun en proposant des projets un peu fous, décalés, gratuits, en allant dans tous les quartiers, en construisant des projets ensemble, en les ajustant avec le temps, en les actualisant. Aujourd’hui par exemple, le Comptoir des fadas qui aura lieu le 16 juillet avec Nora Hamadi parlera des élections, européennes et législatives, sur le principe d’une parole partagée et respectueuse. Ca n’était, évidemment, pas prévu avant les élections.

Mais pourquoi ces Fadas sont ils « du monde » ?

Parce qu’évidemment il s’agit d’ouvrir la ville aux cultures du monde. En accueillant des artistes en résidence, comme Nausicaa Favart Amouroux qui vient exposer ses photographies des salines de Cotonou, au Bénin, et les mettre en résonance avec des images des salines de Martigues. La mémoire de Martigues, celle de toutes les villes méditerranéennes d’ailleurs, repose sur des apports extérieurs, des gestes communs qui nous relient avec d’autres villes côtières, d’autres savoir-faire. Le Tout-Monde, dirait Glissant. On aurait pu l’appeler les Fadas du Tout-Monde ! On est conscients de cette créolisation que vivent toutes les villes méditerranéennes ouvrières, aujourd’hui en transition, mais fortes de leur culture populaire, celle qu’on transmet en parlant, en tchatchant, en mangeant ensemble, et en voyant ensemble des films, des concerts, en rencontrant des artistes, des scientifiques, des écrivains…

Il est difficile de se retrouver dans cette programmation…

Oui, parce qu’elle évolue tout le temps, mais les gens ont l’habitude, ils savent que tous les lundis pendant l’été il y a des concerts, on a déjà eu Jo Corbeau et Nevché qui a présenté son nouvel album, on a 25 séances de cinéma en plein air gratuites, avec des films sur la question sportive cette année, au musée Ziem on a refait l’accrochage avec une exposition Vivant, faune et flore, qui procède de décisions collectives du personnel et des usagers, et qui offre un regard nouveau, lié à la biodiversité, sur les peintres comme Ziem, Derain, Guigou, Soarès… On cherche à prendre, à reprendre contact avec les gens pour qu’ils contribuent à l’espace commun. C’est une espèce de bouillabaisse, ça n’est pas évident à communiquer, mais ça marche. Il faut venir voir.  

Il y a un temps fort tout de même, dans cette politique continue, ce sont les 9 jours du Village des Fadas… 

Oui, cette année on le fait à la base nautique, un site extraordinaire, qu’on transforme en lieu de vie continue, où on peut se restaurer, et où les concerts et spectacles, mais aussi les discussions, se succèdent. Yan Madé, auteur de BD, y sera présent toute la semaine. Il s’est installé dans le Tétrodon pour y créer une œuvre…

Le Tétrodon ? 

Oui, c’est un habitat modulaire conçu pour être produit en masse pour installer des villages collectifs. Dans les années 1970, avant la crise pétrolière. Olivier Bedu a restauré ce Tétrodon retrouvé à Fos-sur-Mer, c’est aujourd’hui un exemplaire unique, classé, le Tétrodon de Martigues, témoin de toute une histoire, et revisité…  

ENTRETIEN REALISE PAR AGNES FRESCHEL

Les Fadas du Monde
Du 13 au 21 juillet
Martigues

Exquises Escales 

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Les Escales du Cargo © Victor Picon

La ville d’Arles, au-delà d’une charge historique visible et palpable la dotant d’un charme singulier, ajoute à ces atours séducteurs une proposition culturelle estivale très large, en juillet tout particulièrement. Les classieuses Rencontres de la Photographie lancent la valse des chemises en lin et des soirées huppées, tandis que les rues s’emplissent en journée d’une foule hétéroclite qui se lime la semelle sur du bon vieux pavé romain.

Bise en culture

Quartiers et hauts lieux de la ville deviennent les théâtres de fêtes, concerts et spectacles. L’Antique, de Théâtre, supporte les fessiers de dizaines de milliers de badauds et spectateurs ; il faut dire que le cadre est des plus oniriques et que le mistral tiède des soirées estivales transporte avec grâce les notes mélomanes des artistes conviés par les différents investisseurs culturels du lieu. Une toute petite journée de pause après le festival Les Suds, c’est au tour de la salle de concert arlésienne Le Cargo de Nuit d’installer sa programmation dans le monument historique classé. 

À tous les goûts

Parce que ça leur va si bien de perdurer dans le temps, sans doute, les festivals adorent fêter leurs anniversaires à travers des éditions spéciales. Cette année, Les Escales du Cargo fêtent dix ans de célébration des musiques actuelles, et en profitent pour souffler les trente bougies de leur label complice PIAS, qui devient le pilote d’une partie de la programmation, placées sous le signe de la Belgique. L’occasion d’entendre, le 17, l’album à succès Blow, de Ghinzu, et de découvrir enfin en live le projet Warhaus, mené en solitaire par le chanteur des adulés Balthazar. À peu près tous ses morceaux pourraient se glisser dans la BO de l’excellente série True Detective, pour poser l’ambiance. Une voix chaude qui se complaît dans un bain intriguant de graves, de mélodies envoûtantes et de refrains qui vous serrent le poitrail. Une quasi incantation sur nappes (pop) rock chiadées. 

Le 18, c’est le groupe écossais Texas qui fait un retour (in)attendu, avant que de céder la scène le 19 au très suivi Ibrahim Maalouf, que le public semble adorer plus encore à chaque projet. L’actuel est prometteur, réunissant autour de l’artiste neuf instrumentistes dont cinq autres trompettistes, sur un programme mêlant pop, world et urbain (la soirée affiche complet). Le 20, le célèbre label Ed Banger Records organise une grande fête fomentée par Pedro Winter, son fondateur,entre autres férus d’électro, tandis que la soirée de clôture célèbre les quarante ans de carrière des chouchous des sudistes que sont Massilia Sound System et Raoul Petite. Sans oublier deux artistes locales en premières parties – Minaa et Dinaa

LUCIE PONTHIEUX BERTRAM 

Les Escales du Cargo
Du 17 au 21 juillet
Théâtre Antique, Arles
escales-cargo.com

AVIGNON OFF : Des vies au cœur du printemps

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Portraits fragmentés pour un Drôle de Printemps marocain © Noé Philibert

En février 2011, à la suite d’autres pays de la région, le Maroc entame un mouvement de protestation violemment réprimé par les autorités. Cette société qui se soulève, Youssouf Amine Elalamy la décrit du prisme de l’intimité dans Drôle de printemps, un récit fragmenté que la toute jeune compagnie Sevdim décide alors de mettre en scène, en 2019.

Dans cette pièce aucun dialogue, seulement des prises de parole individuelles qui se succèdent avec des liens plus ou moins évidents entre les différents personnages qui émergent. La narration navigue d’une intimité à une autre, peignant le portrait d’une société frustrée d’un point de vue économique, mais aussi relationnel ou sexuel. La plupart des personnages ne sont pas des révolutionnaires ou des militants, mais des citoyens qui vivent leur vie avec ce moment historique en toile de fond, et pour certains y prennent sporadiquement part. On retrouve également des policiers, une journaliste suédoise ou encore le « leader » du pays, décrit comme un goujat hors-sol adepte des prostituées ukrainiennes. 

La mise en scène par Youssra Mansar est elle aussi fragmentée, et pourtant absolument cohérente. La scénographie d’une grande sobriété – pas de décor, seulement les comédien·ne·s vêtu·e·s de noir – porte toute l’attention sur le jeu corporel millimétré des quatre acteur·ice·s qui agissent, se déplacent, chutent ou se figent tous·tes simultanément pour faire apparaître les différents tableaux. 

La pièce est ponctuée de passages chantés, en français et en arabe,  accompagnés à la guitare par l’un des comédiens (Matteo Duluc). Ces doux interludes musicaux, en plus d’être beaux à l’oreille et parfois même émouvants, permettent comme le travail des corps de créer du commun. 

CHLOÉ MACAIRE 

Drôle de printemps
Jusqu’au 21 juillet, Théâtre des Barriques, Avignon

AVIGNON OFF : Tel père, tel fils

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Denis Come (le père) et Stéphane Metzger (le fils), le calme avant la tempête © XDR

Serge Kribus, l’auteur, a interprété lui-même le rôle du fils, aux côtés de Michel Aumont au Théâtre de l’Œuvre à Paris. Il y a gagné une notoriété couronnée par quatre nominations à la cérémonie des Molières. Comédien, l’auteur a un sens aigu d’un dialogue limpide, sans digressions, où les non-dits jouent les jokers, et refuse toute narration explicative : les confrontations s’affichent dans l’instant même de la représentation, b.a.ba du théâtre de situation. 

Conflit générationnel

Un homme d’âge mûr, Boris, exulte. Comédien oublié, on vient de lui proposer de jouer le Roi Lear, un engagement inespéré. Sans tambour ni trompette il débarque chez son fils. L’intrusion de cet éternel râleur est mal venue car Henri est désespéré :il vient d’être licencié et Charlotte, sa femme, l’a quitté. Difficile d’avouer son amour filial ou paternel…  

Sur un plateau nu, une table et deux chaises, un porte-manteau. Voilà qui suffit pour passer un moment en compagnie de ces deux êtres qui s’adorent mais s’envoient des vacheries. Une façon maladroite de masquer leurs sentiments. On attaque puis on se rétracte, on insulte puis on s’excuse. 

Le père qui, enfant, a connu la Shoah, veut entretenir ses traditions religieuses. Le fils préfère vivre dans le présent, regarder l’avenir en face, même s’il n’est guère réjouissant. Le Grand Retour de Boris S pose la question de cette mémoire. Faut-il, au nom de la lutte contre l’oubli, entretenir la peur de l’autre, sa fragilité, et clamer « Plus jamais ça » ou affirmer comme Henri : « Quand tu es juif tu deviens un peu taré. Alors si mes enfants peuvent oublier et ne pas devenir tarés, qu’ils oublient. » Henri ne pense pas vraiment ce qu’il dit et Boris a cette phrase magnifique : « Dis-leur (à tes enfants) qu’on s’est battus pour un autre monde et qu’il se fait attendre, mais que c’est pas une raison pour qu’on accepte celui-ci. » On comprendra que cette thématique prend aujourd’hui un sens brûlant. 

Stéphane Metzger et Denis Come ne jouent pas, ils sont. Entre silences, phrases lâchées à la volée, vociférations impromptues, leur jeu échappe à toute convention théâtrale. On oublie leur présence, on ne voit, on n’entend qu’un père et un fils englués dans leurs sentiments, dans leurs conflits générationnels. Chacun de nous, à sa façon, y a été déjà confronté. Notre attention, notre empathie pour ces deux-là enfle tandis que Serge Kribus déroule son histoire. « Les enfants ne sont pas responsables des conneries de leurs parents » s’agace Henri. La réciproque est-elle vraie ? Ces deux loosers ont honte de la vie qu’ils ont subie, qu’ils n’ont pas su contrôler. Cette rencontre à fleurets-mouchetés étincelle de vie, d’humour, de mal-être, d’angoisses déguisées, de réflexions contradictoires. Et d’amour.

JEAN-LOUIS CHALES

Le Grand Retour de Boris S
Jusqu’au 21 juillet, Théâtre Au Bout Là-bas, Avignon

Quand Ralite parlait de l’art 

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Christian Gonon, de la Comédie-française, incarne Jack Ralite dans La Pensée, la Poésie, le Politique © Adrian Blancard association Jean Vilar

C’est à l’étage de la Maison Jean Vilar, dans la salle attenante à l’exposition On ne fait jamais relâche consacrée à Alain Crombecque que Christian Gonon de la Comédie-Française donne La Pensée, la Poésie et la Politique, un seul en scène consacré à autre ami des artistes, l’homme politique Jack Ralite. Ministre du deuxième gouvernement Mauroy, maire d’Aubervilliers puis sénateur, ce communiste était jusqu’à sa mort en 2017 un amoureux fou du theâtre et un grand penseur de la culture. 

La pièce, créée il y a  quatre ans à la Comédie-Française, est une adaptation de l’ouvrage éponyme de Karelle Ménine, long dialogue avec l’ancien ministre à propos de la nécessité de l’art, de la création et surtout de la poésie dans la pratique politique. En ressort une lettre d’amour à l’art et aux grands noms de la littérature, comme ses amis Aragon et Jean Vilar, ou encore Victor Hugo, autant qu’un plaidoyer fort sur sa nécessité dans la vie politique. Qui n’est pas pour autant réciproque, puisque  « Le poète n’est nécessaire que s’il demeure profondément inutile et inutilisable ». 

Le texte met notamment l’accent sur l’usage et le travail du langage, et fustigeant dans le même temps les politiciens qui dévoient les mots et les vident de leur sens. La pièce est rythmée par l’écriture de lettres aux présidents de la République successifs, de Mitterrand à Macron, s’arrêtant longuement sur la politique culturelle de Sarkozy, contre-exemple absolu de ce que plaide Ralite. 

Assis à son bureau

La mise en scène  est d’une grande simplicité. Sur scène, un bureau couvert de papier, une lampe, une chaise. Christian Gonon est assis là, puis se déplace autour du meuble. Seuls les jeux de lumière et par moment la musique viennent troubler ce qui ressemble finalement à un entretien ou à une conférence, afin de mettre en exergue un propos ou la lecture d’un poème. Un procédé qui donne un aspect trop mélodramatique à des passages, comme la lecture de « L’affiche rouge » dont la beauté et la force se suffisent pourtant à elles-mêmes.

La modestie de cette scénographie permet cependant de mettre en valeur non seulement le texte et l’argumentaire, mais aussi le jeu d’une immense justesse de Christian Gonon. Proche d’un travail de théâtre documentaire, le comédien-français s’attache à faire vivre un personnage proche de Ralite dans la gestuelle et dans le parlé, faisant transparaître et éprouver l’attachement émotionnel de l’homme politique aux questions culturelles. 

CHLOÉ MACAIRE 

La Pensée, la Poésie et la Politique a été présenté du 14 au 16 juillet à la Maison Jean Vilar, Avignon

Oser toujours plus haut !

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Noémie Boutin © Alex Crestey

Le Festival de Chaillol c’est d’abord la rencontre entre des lieux, des musiques et ceux qui les portent et les écoutent. Il ne s’agit pas de semer des séries de concerts ici ou là mais d’effectuer un réel travail en osmose avec les habitants, grâce à un jeu de résidences, de stages ouverts à tous, d’écoute des sonorités de chaque lieu, de chaque dialecte particulier. Les gestes musicaux se retrouvent, se façonnent, se transmettent, dialoguent entre tradition et création. L’art se vit. Les « pas de côté » du festival ajoutent aux propositions musicales le « petit plus » qui donne aux participants l’occasion de vivre une expérience et non juste de consommer du spectacle. 

En regard des représentations on pourra suivre une balade accompagnée par Corinne Stanzer avant le temps de musique avec Isabelle Courroy, une initiation à la méditation par l’expérimentation de la respiration consciente avec Claude Devaux-Pico. Savourer les rapprochements entre créations musicales et espaces du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap, rencontrer les artistes lors des « conversations impromptues ». Participer aux ateliers-découvertes de chant collectif auprès de Cécile Voltz, au stage instrumental de musique Klezmer avec David Brossier, de danse Klezmer avec Joanne Lehmann ou au stage de chant yiddish avec Laura Guitot. Ces pratiques communes scellent fortement l’ancrage du festival. 

Oser l’inattendu 

Le titre de l’édition 2024 du festival, « Aujourd’hui Les Musiques », résonne comme une célébration de toutes les musiques du monde, qu’elles soient traditionnelles, classiques ou jazz et, selon les mots de Michaël Dian, directeur du Festival, « ose l’inattendu ». Les géographies intimes se répondent : les reliefs de l’Afrique, sublimés par le sokou, instrument millénaire monocorde d’Adama Sidibé, sans doute le dernier professionnel aujourd’hui à savoir en jouer, répond au violon de Clément Janinet, sur les mélodies hypnotiques qu’arpentent clarinettes (Hugues Mayot), violoncelle (Clément Petit) et contrebasse (Joachim Florent). Ces entrelacements épousent le cours de la rivière Ourika qui part du Haut Atlas marocain et court vers la vallée qui mène à Marrakech. Clémence Mebsout et Valentin Hoffman composent, improvisent de leurs deux violoncelles, inspirés par une tradition musicale qui n’est pas la leur et fondent le Duo Ourika

C’est À contre-courant que le violoncelle de Noémie Boutin suit les mots d’Antoine Choplin dans son évocation de la remontée de l’Isère depuis sa confluence avec le Rhône aux rives du torrent de la Séveraissette, puis, sur une commande de l’Espace Culturel de Chaillol plongeront dans les œuvres de Misato Mochizuki, Kaija Saariaho et Jean-François Vrod à la « lisière des tumultes ». Trois « Souffles » répondront aux vents des hauteurs, celui de Samuel Bricault, passionné d’anthropologie, et ses flûtes, traversière irlandaise, bansuri, tin whistle ; puis les flûtes kaval d’Isabelle Courroy qui pétrissent les sonorités avec une inventivité époustouflante, enfin, le galoubet-tambourin de Benjamin Melia

En réponse, le Duò Lavoà Lapò des deux chanteurs-percussionnistes Manu Théron et Damien Toumi réinvente le répertoire de l’Occitanie. Autre géniale spécialiste des musiques du monde, la chanteuse et multiinstrumentiste Éléonore Fourniau arpente avec son quintet Neynik les terres d’Anatolie, du Kurdistan, de Catalogne, de Bretagne, de Macédoine, de Turquie. 

Les instruments se plaisent aux dialogues improbables : la kora de Senny Camara bavarde avec le violon de Sylvain Rabourdin dans Boolo. On part au Portugal et plus loin encore, au Brésil grâce au guitariste Pierrick Hardy et Chloé Breillot qui chante la saudade, la poésie, la vie… Comment tout énumérer tant la programmation est riche ! Les Noces Yiddish du Marine Goldwaser ensemble nous entraînent dans l’univers de la fête yiddish. Le trompettiste Hermon Mehari et le pianiste Alessandro Lanzoni exercent leur liberté dans un Arc Fiction intuitif et virtuose. Le Quintette Calypso tient un « journal de bord » où sont abordés Poulenc, Debussy, Jean Cras, Guy Ropartz et Aurélien Richard sur une co-commande du Festival Supernature et l’ECC. Lucile Dollat joue ses Harmonies poétiques et romantiques sur l’orgue Dunand de la Cathédrale de Gap. La soprano Juliette Raffin-Gay et la pianiste Louise Akili rêvent dans Nature The Gentlest Mother, autour des vers de la poétesse Emily Dickinson et les écrits mystiques de Sainte Thérèse d’Avila par le biais d’œuvres d’Albert Roussel, Lili Boulanger, Fabien Touchard (commande de l’E.C.C.), Mel Bonis, Pauline Viardot, Maurice Ravel et Aaron Copland. Bonheurs ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Chaillol
19 juillet au 11 août
Divers lieux, Gapençais et Hautes-Alpes

Le corps et la nature

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Pierre Audebert, Ile du Levant 1935 Collection Eliane Schoeffert Audebert © Archives Pierre Audebert

L’être humain a une conscience aiguë de son corps, mais entretient avec lui une relation complexe, en partie inconsciente, pétrie de représentations idéales et d’injonctions contradictoires. Vêtu, dissimulé, voilé, exposé, dénudé, retouché, il est éminemment politique. Les six commissaires de la nouvelle exposition du Mucem, Paradis naturistes – Amélie Lavin, Bernard Andrieu, Jean-Pierre Blanc, David Lorenté, Julie Liger et Thomas Lequeu – ont entrepris de documenter l’histoire d’un mouvement né au XIXe siècle. Face aux dégâts de l’industrialisation massive en Europe, les premiers naturistes ont voulu renouer avec la nature, sans la contrainte des vêtements. « En Allemagne et en Suisse, les pionniers appartenaient aux milieux anarchistes, explique Amélie Lavin, conservatrice en chef du musée, notamment au courant Lebensreform, littéralement « réforme de la vie » ». Un élan vers la liberté préoccupé de santé, à une époque où la tuberculose faisait peser une menace constante : bains, air pur, exposition au soleil, alimentation végétarienne sont des pratiques corrélées au naturisme. En France, pays aux mœurs plus puritaines, les premières communautés se sont constituées à l’abri des regards, sur des îles, par exemple, ou des terrains privés. Parmi les 600 photographies, films d’archives, revues, affiches, œuvres d’art réunis dans le parcours, un arrêté pris par le Maire de Noisy-le-Grand en 1926 laisse songeur : « Toute personne qui voudra se baigner dans la rivière de Marne, ne pourra le faire que munie d’un maillot partant des épaules, jusqu’à mi-cuisse […] Il est interdit de se déshabiller sur la berge, de se promener sur le chemin de halage ou de s’étendre sur l’herbe sans être complètement vêtu. »

Culs nus et culs bronzés

Le naturisme a traversé les décennies, jusqu’à converger avec le mouvement hippie et ses slogans revendicatifs. « Faites l’amour, pas la guerre », clamaient les gauchistes d’antan. Si elle traite de ces aspects sans fausse pudeur, et tout en exposant nombre de postérieurs, Paradis naturistes « n’a rien d’explicitement sexuel, elle n’a donc pas de raison d’être interdite aux mineurs », souligne Amélie Lavin. Au contraire, la visiter en famille peut ouvrir une réflexion bienvenue sur le culte du corps « instagramable », ferme et impeccablement bronzé. Il n’est que de voir le magnifique portrait de Christiane Lecocq, fondatrice du Centre Hélio-Marin de Montalivet, haut lieu du naturisme dans les années 1950, pour mesurer la désirabilité de la libération des corps. Photographiée à l’âge de 90 ans par Hervé Szydlowski, avec sa canne pour seul habit, son éclatant sourire, ses plis et ses poils blancs, elle incarne l’émancipation.

GAËLLE CLOAREC

Paradis naturistes
Jusqu'au 9 décembre
Mucem, Marseille
À lire
Paradis naturistes
Catalogue de l'exposition
Sous la direction de Bernard Andrieu et Amélie Lavin
Co-édition La Martinière/Mucem, 35 €

Avec le temps

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Katja Novitskova, Annual Report (Rate of Extinction) (III), 2018. © Katja Novitskova & Kraupa-Tuskany Zeidler (Berlin)

Inaugurées en avril pendant la première édition de la Contemporaine de Nîmes, triennale d’art contemporain, les deux expositions organisées par Le Carré d’Art – musée d’art contemporain de Nîmes Oracle Museum de Hugo Laporte et Katja Novitskova (avec la participation de jeunes de l’École de la 2e chance), et Partitions sédimentaires de Zineb Sedira et Alassan Diawara (avec la participation d’habitant·e·s de Nîmes et des environs) sont à voir jusqu’au 22 septembre dans les espaces du bâtiment dessiné par Norman Foster.

Science-fiction

Depuis 1990, Hugo Laporte est artiste et DJ : il a étudié dans les écoles d’art à Nîmes et Annecy et dans les conservatoires de musique de ces deux villes. Sa pratique artistique plastique et musicale mixe high-tech, mid-tech et low-tech, se nourrissant de collaborations choisies ou subies avec les machines et outils technologiques (intelligences artificielles, impression 3D fait-main, logiciels de MAO…). Quant à Katja Novitskova, estonienne, qui vit et travaille à Amsterdam, elle est une figure majeure du mouvement artistique « post-internet ». Les artistes de ce mouvement ont grandi avec le web et le considèrent tant comme un outil de travail qu’une ressource esthétique. Dans son travail plastique, Katja Novitskova étudie les transformations écologiques et technologiques en cours dans le monde actuel, pour interpréter leurs formes complexes. 

Dans Oracle Muséum, les deux artistes évoquent ce qui pourrait être les traces et artefacts d’une humanité à venir, aux prises avec des enjeux écologiques, technologiques, géopolitiques et culturels de plus en plus troublants. Le tout, objets, images, sons, mythologies et personnages sont fabriqués par les deux artistes avec des machines et des intelligences artificielles.

Transmissions


Pour Partitions sédimentaires, la française Zineb Sedira (qui a représenté la France à la Biennale de Venise en 2022) et le jeune photographe belge Alassan Diawara, tous deux traversés par une double culture, ont eu envie de se pencher sur les questions liées aux cultures familiales, et à leurs transmissions, de génération en génération. Alassan Diawara a parcouru Nîmes et ses environs pendant plusieurs mois, en faisant de nombreuses rencontres, posant son regard sur la jeunesse, les liens au sein de familles ou de communautés, tout en cherchant à saisir une certaine essence de l’imaginaire du Gard et de la Camargue. Les photographies qu’il a réalisées sont mises en dialogue avec un corpus d’œuvres de Zineb Sedira, qui a accompagné Alassan Diawara dans la construction de son projet, sous la forme d’un mentorat. L’installation présentée au Carré d’Art, pensée en commun par les deux artistes, propose ainsi de nouvelles perspectives sur les manières dont se construisent les histoires et les cultures au fil des générations.

MARC VOIRY

Oracle Muséum 
Partitions sédimentaires 
Jusqu’au 22 septembre
Carré d’Art – musée d’art contemporain de Nîmes

Anatomie d’un crime

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Deux femmes blondes, la cinquantaine, côte à côte dans un transat. Des ongles vernis de rouge. Le temps arrêté d’une sieste estivale près d’une rivière. Victor Iriarte affirme que c’est à partir de cette image rêvée qu’est né son premier long métrage de fiction Dos Madres (titre original : Sobre todo de Noche). Tout autant que le projet plus politique de parler de l’Espagne vue par la génération née après le franquisme et à laquelle il appartient. Raconter les persistances de la dictature dans les structures institutionnelles, et celles de la douleur dans la vie de ses victimes.

Vera (Lola Dueñas) est l’une d’elles. Elle a accouché trop jeune d’un fils, Egoz (Manuel Egozkue), dont elle ne pouvait pas s’occuper. Quand elle a voulu le retrouver, on lui a dit qu’il était mort et tous les documents autour de cette naissance avaient disparu. On l’a donné (vendu ?) à une femme stérile, Cora (Ana Torrent), en le prétendant orphelin. 300 000 bébés ont ainsi été volés sous le régime du Caudillo comme le rappelle un flash d’archives, au cœur de la fiction. 20 ans après son accouchement, Vera n’a renoncé ni à retrouver Egoz ni à se venger des responsables de la transaction. Son travail au tribunal facilite ses recherches. À partir de ce sujet, le réalisateur aurait pu proposer un film réaliste proche du documentaire, ou un mélo jouant sur les sentiments et l’empathie, il choisit une certaine mise à distance, le mélange des formes et des formats d’images, la concentration sur le trio de personnages excluant les pères (jamais évoqués) et une liberté narrative qui nous entraîne dans un jeu de pistes et de reconstitution ludique.

Ce sera une « histoire d’horreur et de violence » comme l’annonce la citation de Roberto Bolaño, mise en exergue, « mais c’en n’en aura pas l’air ». Ce sera un film d’enquête dans la lignée du cinéma politique des années 1970, démontant les mécanismes d’un scandale. Un film noir agrémenté de cadavres, de chantage, d’effractions. Un récit de voyage et d’itinéraires, émaillé de cartes et de plans, sous l’égide de Jules Verne. Une quête intime au plus près des personnages. Et par dessus-tout, une histoire solaire de retrouvailles, de réhabilitation, de résilience, d’amitié et d’amour.

Une machine de précision

Ni la diversité ni les ruptures formelles ne désorienteront jamais le spectateur, tant l’objet cinématographique s’identifie parfaitement. Précis, minutieux, le film de Victor Iriarte se structure en trois chapitres chronologiques suivis d’un post scriptum inattendu. Le premier se centre sur Vera. En voix off, elle lit la lettre qu’elle a écrite à son fils. Elle raconte et se raconte. Est saisie dans son quotidien de sténotypiste judiciaire, un métier méconnu où on écoute tout, où on retranscrit tout, où « comme pour le piano, ça rentre par l’oreille et ça sort par les mains ». Dans son activité de détective aussi, au volant de sa voiture. Le deuxième  met en lumière Cora et Egoz, on les suit dans leur vie harmonieuse de pianistes, soudain désaccordée par le courrier de Vera. Filmés, dans une longue séquence, comme au bout d’un tunnel, dans un rond de lumière qui délimiterait un champ opératoire. Le troisième met en scène la rencontre des trois protagonistes et les gestes encore à inventer pour passer avec tact et délicatesse, de l’angoisse à la complicité. Entre ces différentes parties, se tissent des correspondances visuelles et sonores.

Avec, dans les rôles des deux mères, deux actrices majeures qui ont traversé l’histoire du cinéma espagnol, et ont été dirigées par les plus grands, Victor Iriarte se place dans une continuité pour mieux s’en distinguer.

ÉLISE PADOVANI

Dos Madres, de Victor Iriarte
En salles le 17 juillet

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