Nacer Hamzaoui (mandole et chant) est né dans la Casbah d’Alger, dans une famille de musiciens chaâbi ; Martin Pardo (piano et chant) est né à Sidi bel Abbes, d’un père qui militait pour l’Indépendance, et jouait de la trompette dans les bals. L’un devenu jazzman (trio Ifriqiya) et l’autre créateur d’un chaâbi contemporain (groupe Nouiba) se retrouvent pour « retisser la bande son des Algéries d’avant 62 » en faisant dialoguer « mélopées berbères et sépharades, échos ottomans » chaâbi, melhoun et malouf, mais aussi « paso doble et boogie, symphonie et nouba des tirailleurs ». Une façon de retisser une relation humaine qui a perduré dans la musique, qui ne se nourrit que de dialogues.
Babel Music XP est « un billet pour faire le tour du monde ». Voilà comment la communication du festival parle de son rendez-vous, et on ne peut pas dire que l’expression soit galvaudée : du 20 au 22 mars à Marseille, il réunit 30 artistes venus de 21 pays, un grand marché international et un salon professionnel (1500 personnes venues de quatre continents). Trois jours et trois nuit pour ressentir les vibrations du monde de la musique. Dans ses rythmes, ses joies mais aussi ses doutes face aux défis qui sont toujours plus nombreux.
La musique d’abord
Objet hybride qui en fait sa singularité, le Babel Music XP s’appuie autant sur ses rencontres professionnelles que sur sa programmation musicale. Une programmation qui se construit suite à un appel à candidatures, qui a recueilli cette année 1908 propositions. Une fois passées au tamis de son jury international, il n’en reste « plus » que 30. « C’est pire que faire médecine » ironise Frédéric André, qui assure la coordination artistique du jury. Ici pas de QCM, les principaux critères sont la qualité de la proposition artistique, avec une attention portée sur le sens de la scène (une vidéo est requise pour s’inscrire), pour un ensemble qui doit aligner diversité musicale, géographique, et de genre.
Force de cette sélection, il en ressort un line-up où figurent beaucoup d’inconnus pour les oreilles marseillaises. Ainsi débarque d’Ukraine The Lazy Jesus, qui propose une transe-électro créolisée de motifs folk de leur pays. D’Algérie, l’électro de Must Rousnam et de La Louuve. D’Iran avec le Rokh Quartet, présenté comme le nouveau visage de la musique classique persane. Des Caraïbes aussi, avec Expéka, entre jazz-hip-hop et gwoka – cette musique traditionnelle guadeloupéenne née à l’époque de l’esclavage. Et bien d’autres artistes, qui viennent d’Estonie, d’Irlande, du Maroc, de Corée du Sud, d’Albanie… de France aussi.
Beaucoup de musique en soirées donc, qui viennent clôturer des journées riches de rencontres et d’échanges. Il faut dire que les sujets ne manquent pas : économie, diversité, inclusion, transition écologique, égalité des genres, accueil des réfugiés… Ce sont 44 rencontres qui aborderont ces différentes thématiques, animées par 180 intervenants. Notons aussi les focus géographiques sur l’Afrique, l’Asie, la Méditerranée… de quoi faire le tour du monde en 72 heures chrono.
NICOLAS SANTUCCI
Babel Music XP Du 20 au 22 mars Divers lieux, Marseille Toute la programmation ici
La der des ders au Dock ?
Événement dans l’événement, les concerts donnés dans le cadre du Babel Music XP viennent clôturer une histoire longue de presque 30 ans. L’association Latinissimo, qui gère le Dock des Suds depuis 1998, a annoncé qu’elle quittera les lieux peu après la fin du festival. L’avenir du Dock des Suds reste donc incertain. Euromediterranée (établissement public propriétaire du lieu) annonçait en décembre dernier vouloir lancer un appel à manifestation d’intérêt « pour une nouvelle occupation temporaire du lieu, faisant une place à une dimension culturelle et festive ». Mais à ce jour, aucun appel n’a été publié, laissant dans le flou l’avenir d’un des plus hauts lieux de la nuit marseillaise.
Et si vous pouviez regarder plus de 160 films hollywoodiens en 120 minutes ? Écrit par Nicolas Ancion et mis en scène par le Collectif Mensuel, Blockbuster se place entre cinéma et théâtre. Par le biais d’une histoire pleine de péripéties extraordinaires : courses-poursuites, explosions…ils tentent de déconstruire les rouages du néolibéralisme en dénonçant le système de domination, incarner par Mortier un patron de grande entreprise. Le collectif vise à montrer la violence de cette pyramide hiérarchique, qu’il démantèle par l’humour, comme outil libérateur. Dans un montage géant qui emprunte près de 1400 plans au cinéma américain, le scénario parodique est accompagné de musique en live et de bruitages réalisés par les comédiens. Le spectacle est accueilli au Théâtre Jean Vilar, en collaboration avec le Théâtre des 13 vents de Montpellier.
Cocon marseillais de la nouvelle scène chorégraphique, Klap-Maison pour la danse sait mettre en lumière les écritures audacieuses et transgressives. D’autant plus pendant son rendez-vous + de genres, qui interroge l’identité de genre, ses frontières, mais aussi les nouvelles esthétiques dansées, les nouveaux gestes. Et Bonheur de Maurice Broizat (Cie Love Labo) était justement de cette verve-là, plaçant la danse au service d’une performance scénique à tiroirs, emportant avec elle musique, théâtre et humour.
Sans étiquette
C’est le comédien-danseur Jayson Batut qui lance la pièce. Assuré et drôle, il dit aimer voir des sourires dans le public, et spoiler, il en aura beaucoup. Derrière lui, Alexandre Bibia et Silvia Di Rienzo se goinfrent d’une nourriture imaginaire, attablés à une table en plastique. Quant au musicien marseillais Antonin Appaix, il est lui attablé derrière ses machines, etdonnera à manger ses notes aux danseurs pendant toute la durée de la pièce.
Sur le plateau, les scènes se succèdent entre danses loufoques et scènes mimées, ou chuchotées. L’une se meut telle une araignée, langue dehors, l’autre court sur le plateau, rigide comme un I, jusqu’à l’index. Pendant les tableaux, le musicien jette des sons, des bruits, et des notes, que les danseur·euse·s viennent conjuguer de mouvements saccadés oudélicats, toujours avec expressivité. Naissent des moments gracieux, comme la scène amoureuse entre Jayson Batut et Silvia Di Rienzo, ou des moments délicieusement bouffon, quand Alexandre Bibia se bâfre jusqu’à l’outrance, la langue collée au fond du pot de Nutella ( ?).
Viennent aussi des interludes musicaux, voire music-hall, avec Antonin Appaix déboulant sur scène en costume beige, les étiquettes à l’air. Dans le même ton que le reste de la pièce, les qualités musicales n’empêchent pas du second degrés, dans le geste comme dans les paroles : « il faut lâcher prise, lécher la prise ».
La pièce se termine dans un grand éclat de sérénité, après une scène de violence où chaises et tables auront valdingué sur le plateau. Mais musique douce, ronde amicale, vraie nourriture, viennent régler tout ça. Et de beauté, d’humour, de légèreté, le public sortira rassasié.
NICOLAS SANTUCCI
Bonheur a été créé le 13 mars à Klap – Maison pour la danse, Marseille.
Un spectacle touché par les coupes
Créé à Klap à l’occasion du festival + de genres,Bonheur de la compagnie Love Labo aurait dû être créé à l’Antre Peaux (Bourges) en janvier. C’était avant les coupes budgétaires décidées par la Région Pays de la Loire et sa présidente Christelle Morançais [lire notre article sur journalzebuline.fr], rendant impossible l’accueil du spectacle. Des coupes budgétaires aux coupes de programmation, il n’y a qu’un pas.
Ce festival qui met l’accent sur la jeune création cinématographique et la création musicale pour l’image, est unique en France et en Europe. Les projections y sont accompagnées par les cinéastes et les compositeurs/trices, et se poursuivent par des concerts, des rencontres pour tous les publics et tous les goûts.
En ouverture le 24 mars à 20h, au cinéma Artplexe, un film sous tension sur la violence intrafamiliale devant la justice, On vous croit de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys qui seront là, accompagnés par la compositrice Lolita Del Pino et l’actrice Myriem Akheddiou.
On vous croit fait partie des 11 longs métrages en compétition représentant 19 pays. Pour ce film comme pour Mexico 86 de César Diaz, c’est à MCM que cinéastes et compositeurs se sont rencontrés. Concourront aussi Hanami de la Portugaise Denise Fernandes, l’étonnant Panopticon de George Sikharulidze, Prix de La Critique à CINEMED ou Peacock de Bernhard Wenger. Parmi les 1980 courts reçus,64 d’une vingtaine de pays ont été sélectionnés, dont 33 réalisés par des femmes, mais10 compositrices seulement .
Trois invité.e.s d’honneur
Boris Lojkine, « un réalisateur français avec un nom russe qui parle vietnamien et fait des films africains », nous présentera L’Histoire de Souleymane et nous fera (re) découvrir Hope et Camille en présence du compositeur Eric Bentz
Jocelyn Pook, altiste et compositrice anglaise proposera pour sa Carte BlancheEyes Wide Shut et Le Marchandde Venise dont elle a composé les musiques.
L’Islandais Atli Orvasson donnera une master class consacrée à son parcours et à l’art de la composition On pourra entendre son travail musical dans le film Beliers de Grimur Hakonarson.
Accords en duoetIls repasseront par là
Invités pour la section Accords en duo, Jeanne Herry et Pascal Sangla qui présenteront Pupille.
Pour la traditionnelle section Ils repasseront par là, 4 compositeurs /trice, Antoine Glatard,Alexei Aigui, Clovis Schneider et Laetitia Pansanel- Garric avec le film d’animation Hola Frida
Cartes blanches et concérences
Le programme, de 120 projections et 350 films, propose hors compétition des Cartes Blanches à Arte, à Cinéphonies, qui fêtera les 20 ans de la classe de composition pour l’image du Conservatoire de Lyon, à des écoles de cinéma dont la Satis et le Master Doc d’Aix- Marseille, à quatre festivals européens de Bruxelles, Riga, Barcelone et Graz (Autriche)
MCM défend aussi ses Coups de cœur, des films qui ont eu peu de diffusion en salles ou des avant-premières, comme le grec Nos jours sauvages, le coréen Hiver à Sokcho ainsi que les marseillais Fotogenico, Oxana et Dans la peau. Le coup de cœur des jeunes de MCM, Diamant brut est un petit bijou.
Et la musique reste au centre des évènements avec des ciné-concerts, des conférences dont certaines consacrées aux liens entre la composition musicale et l’IA. Et les Concérences de Raphaël Imbert et François Blanchard, voyages improvisés entre cinéma, jazz et musique de films.
La salle a applaudi longtemps. Quand les acteurs entrent enfin en coulisses les spectateurs ne se décident pas à quitter la salle, comme abasourdis. Un d’entre eux reprend les applaudissements qui se sont éteints. Tout seul d’abord, suivi par ses voisines, par un groupe de jeunes en face (le spectacle est bi-frontal), puis par l’ensemble du public.
Il est des spectacles dont on sort tremblants, les jambes mal assurées. Comme celui-ci, aujourd’hui. Parce que Netanyahou écrase Gaza, que LFI laisse passer une affiche antisémite tandis que Musk fait un salut nazi, que des lois restreignant les droits des étrangers ont été adoptées en France, que des propos discriminatoires sont tenus dans les rangs même du gouvernement français. Tout cela, avec évidence, sous-tend la représentation et la réaction du public à ces Suppliques de juifs persécutés, des lettres réelles rassemblées, adaptées et mises en scène par Jade Herbulot et Julie Bertin (Lire notre entretien ici).
Coupable de quoi
Les quatre acteurs – Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari et Vincent Winterhalter – font vivre tour à tour les personnages, et leurs réactions complexe à la judéité. Une collégienne juive cherche les noms de sa famille au Mémorial de la Shoah, prenant conscience du nombre effarant des victimes, et ouvrant la porte aux scènes élaborées d’après les lettres : une femme catholique ayant épousé un juif étranger, donc apatride et indésirable, plaide coupable (de quoi?) pour garder son commerce ; un héros de la Grande Guerre se révolte contre les mesures discriminatoires prises par le Maréchal qu’il a admiré ; des juifs français cherchent leur fille, une mère qui a vu disparaître ses enfants, son mari, persiste dans son attente ; un apatride de 20 ans refuse de mourir et l’écrit à Pétain ; il est un des seuls qui survivra, dont la chaise ne sera pas, sur scène, renversée, dont le visage ne se couvrira pas d’un voile, parce qu’il s’est caché dans les poubelles et s’est échappé obstinément, à chaque arrestation ; une jeune fille aussi, juive française, survivra, après avoir échappé à la rafle du Vel’d’Hiv qui emporte ses parents, puis après sa déportation en juillet 44 dans le convoi 77, dernier grand convoi (1321 passagers) parti de France vers Auschwitz.
Ces histoires, rendues profondément humaines et touchantes par la fragilité et la terreur diffuse des acteurs qui les incarnent, contrastent avec les réponses froides qu’on leur envoie, abritées derrière les lois scélérates du code juif. On les entend également, égrenant les professions et activités interdites, le port de l’étoile jaune, les spoliations à l’œuvre, les sanctions encourues.
Jusqu’à la déchéance de nationalité et au couvre-feu, qui n’ont pas disparu du paysage législatif français actuel.
AGNÈS FRESCHEL
Les Suppliques a été joué les 12 et 13 mars au Zef, Scène nationale de Marseille
On doit ce Festival haut en couleurs à Magali Villeret. Ses voyages à travers l’Espagne et l’Amérique du Sud lui ont révélé la place essentielle occupée par la musique dans la relation qui unit les humains. Elle a eu envie de créer un festival où les sonorités méditerranéennes se mêleraient aux mélodies lointaines. L’équipe 100 % féminine du festival propose cette année encore une explosion de saveurs qui nous font embarquer pour un périple à travers les flots musicaux du monde. Chaque concert est une escale !
On ouvre le bal au Brésil à l’invitation de La Roda, avec Cristiano Nascimento et sa guitare à 7 cordes, la mandoline de Claire Luzi et le pandeiro d’Icaro Kai (20 mars, Bastide Granet, Aix). Puis, on part en Colombie avec la chanteuse Tattiana Angel qui rend hommage avec poésie aux peuples et aux paysages sud-américains (21 mars, Meyreuil). Pas de vraie fête sans musique cubaine. Le groupe Soneros del Caribe fusionne la tradition des Buena Vista Social Club et d’Ibrahim Ferrer en l’enrichissant de compositions originales. (29 mars La Destrousse).
Du Congo aux Balkans
Direction le continent africain ; au Cap-Vert sur les traces de la légende Cesária Evora avec Radio Mindelo, groupe de cinq musiciens amoureux de Saudade (28 mars, Cabriès). Le Band’l Bong (arrière-petit-fils du monde en langue Punu) nous attend au Congo avec une Pop Sebene qui prend racine dans la rumba congolaise et la métisse avec du slam, du rock et du reggae. Congo toujours avec le Gurumbe Project. Composé de musiciens marseillais, le groupe explore l’influence de l’Afrique sur l’art du flamenco andalou. Cet héritage véhiculé par l’esclavage se reflète dans de nombreux palos (rythmes) comme le Tango, la Rumba, la Milonga ou le Fandango, dont les origines remontent au Golfe de Guinée (3 avril, La Manufacture Aix).
Fin du voyage dans les Balkans. Le trio Tchayok se réapproprie des morceaux traditionnels de la musique slave et tsigane. (28 mars, Correns). De son côté Le Jarava Sextet avec ses voix grecques et bulgares vous feront voyager au pays d’Orphée où vivent des peuples aux influences multiples. Elles seront accompagnées par des instrumentistes qui avec guitares, bouzouki, percussions, accordéon, violon et oud dialoguent avec fantaisie. (22 mars Saint-Cannat).
Enfin, les cinq garçons du Radio Babel Marseille sous la direction de Gil Aniorte Paz interpréteront des chants dédiés à la mer. Marseillais, bretons, galiciens ou corses, tous vibrent d’une quête d’horizons, parfois peuplés de monstres et de bateaux fantômes mais aussi de trésors (30 mars le Tholonet).
Le public adore Thierry Malandain et ses ballets élégants, graphiques, tout en subtilité diaphane. Les Saisons n’échappe pas à la règle. Le rideau ouvre sur un décor composéd’une fresque de feuilles noires – elles changeront de couleurs à chaque rotation de scènes –, à moins que ce ne soient de grandes plumes…
Plantes ou animaux, le rapport de l’homme à la nature, au vivant, à l’avenir de la planète, ce sont les sujets de prédilection du chorégraphe. Il en a fait le thème de ses précédents ballets : La Pastorale, Sinfonia,Le Sacre du printemps. C’est le cas encore avec Les Saisons, représentation à la fois inquiète d’un monde en décrépitude et lumineuse d’un avenir meilleur possible.
Le ballet est construit autour de trois ambiances qui s’entremêlent tout au long du spectacle. La première déploie dans des rondes endiablées la troupe des danseurs du Malandain Ballet Biarritz qui comme des elfes gracieux en costumes noirs, semblent annoncés le désastre à venir. Elle laisse régulièrement place à une seconde vision ; celle de tableaux baroques aux arabesques dorées dans lesquels deux couples évoluent en quadrille dans de magnifiques costumes de lumières, rouge flamboyant, bleus diamants ou violet profond. L’alternance des saisons ? Probablement.
Les saisons passent
À intervalles réguliers, une troisième série s’entrelace et dévoile des personnages en justaucorps de couleur chair. Ils ont l’allure de spectres nus, souffreteux. Un danseur d’abord puis, plus tard, deux, puis trois, puis quatre… On y entrevoit la disparition des saisons ou leur lente agonie. On reconnait dans le premier solo de l’homme nu les notes de l’Hiver d’Antonio Vivaldi. Car c’est sur Les quatre saisons du compositeur que le chorégraphe a construit ce ballet qui mêle avec bonheur fluidité de l’ensemble contemporain et postures toute en verticalité des menuets de danse baroque.
Malandain est aussi allé puiser dans une partition peu connue du grand public : Les quatre saisons de l’année de Giovanni Antonio Guido. Publiées à Versailles autour de 1726, elles pourraient avoir été écrites vers 1716 pour le vernissage de quatre tableaux peints en ovales par Jean-Antoine Watteau. Les mouvements des danseurs font corps avec ces œuvres musicales qui font la part belle aux violons qui allègrement ou avec désespérance déroulent le temps qui passe.
La main humaine a accompagné toutes les évolutions de notre espèce, et a créé des représentations depuis l’art pariétal préhistorique. L’exposition thématique conçue par Muriel Enjalran au Frac Sud se vit comme un parcours dans les divers étages du bâtiment.
La main est figure d’elle-même comme dans le dessin mural de Stéphanie Naval, transmettre, tisser, joindre qui célèbre l’art des travaux manuels comme celui du travail de la laine. Elle se représente dans l’œuvre Hand du suisse Roman Signer, ou dans Si et seulement si de Sandra Lecoq où main enlace les corps en couleurs.
La main invente aussi en se cachant : elle peut peindre, modeler, tisser, sculpter, photographier, coller… Elle est une technicienne hors pair, en vérité. Raphaël Emin travaille le grès émaillé et en fait surgir des troncs d’arbre (Tree). Eléonore False invente une sirène à partir d’un peigne, imagine un recto verso. Et un peu à la façon de l’art brut, le Lyonnais Armand Avril compose une mosaïque charmante, rêveuse à partir de divers matériaux de quotidien : La mer à Cassis.Seulgi Lee s’amuse avec les couleurs, les formes géométriques et ses titres ironiques : la parole aux lèvressalées =Mensonge.
Des artistes de diverses générations, issues de cultures différentes témoignent, chacun à leur manière de l’ode la puissance créative universelle de nos mains. Une saison 2 s’annonce cet été, qui accrochera de nouvelles mains et exploits de mains aux murs.
MARIE DU CREST
Ce que pense la main (saison 1) Jusqu’au 15 juin Frac Sud, Marseille
Quand on est le Mucem, avec une collection qui comprend plus de 250 000 objets, 350 000 photographies, 200 000 affiches, estampes et cartes postales, 150 000 ouvrages, la question se pose assez vite : comment faire pour ne pas en laisser ad vitam æternam 99% dans les réserves ?
L’une des réponses est d’inviter des artistes contemporains de toutes disciplines à porter leur regard sur cette collection, pour choisir des objets et imaginer divers projets : spectacles, performances, expositions. Du côté des artistes plasticiens, des invitations ont fait date : l’artiste chinois Ai Wei Wei en 2018, l’américain Jeff Koons en 2021. Aujourd’hui, une autre star de l’art contemporain a été sollicitée : le Sétois Hervé Di Rosa (lire ici)
Une invitation qui tombe sous le sens : le co-fondateur du mouvement de la Figuration Libre dans les années 1980, du Musée International des Arts Modestes à Sète en 2000, membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 2022, par ailleurs grand collectionneur d’images et d’objets « de peu », s’intéresse depuis toujours aux productions plastiques sociétales, sans se préoccuper du « bon goût » officiel.
Hommages
C’est dans un all-over d’aplats ondulants bleu, vert, jaune, rouge, rose, orange, qui recouvre entièrement les socles, cimaises, et estrades de la Galerie de la Méditerranée qu’est scénographiée l’exposition. Signalée au-dessus de la porte d’entrée par un fronton en bas-relief coloré, présentant une foule serrée de visages à la façon Di Rosa – cartoonesque – aux yeux grands ouverts, titré Les Visiteurs.
On retrouve, dans le même style, d’autres visages d’une diversité célébrée en foule compacte, sur une série titrée Marseille, trois toiles grand format peintes à l’acrylique, à l’intérieur de la salle. Un hommage au peuple marseillais, doublé d’un autre à l’architecte Rudy Riciotti, dont Di Rosa admire la résille de béton qui entoure le J4 : trois grandes feuilles verticales de métal découpées, telles de très grands pochoirs, aux dessins « di rosaesques ».
17 îlots
L’exposition se décline en 17 îlots thématiques (Sous l’eau, À table ! Armoires, Motos…), aux allusions locales nombreuses (pêche, amphores, jeux de boules…) associant à chaque fois un ou des objets de la collection du Mucem avec des objets ou des œuvres de l’artiste. Notons parmi ceux-ci, à l’entrée, une armoire d’ébéniste, d’où sort une foule spectaculaire de figurines, monstres, super-héros… appartenant à l’artiste.
L’espace central de la galerie est occupé par la sculpture d’une vache grandeur nature, peinte, coupée longitudinalement en deux, surplombée par une cascade descendante d’une quinzaine de jougs de cornes. Plus loin, une canardière, fusil de chasseurs d’oiseaux, au canon de près de 3 m de long, surplombe deux vitrines exposant des leurres peints et sculptés par le père de Di Rosa, Marius. Une machine à laver de 1910 est mise en relation avec trois robots-totems en bois garnis de perles, de métal, peinture, etc…
Une maquette monumentale d’une mine du Nord, l’art brut d’un mineur, Louis Garde, associée à une armoire ouverte peinte par Di Rosa et son frère Richard représentant La vie des pauvres. Et une confrontation à l’histoire de l’Art avec un grand A, par un ensemble de tableaux guerriers aux bestioles mono-œil aux lèvres pulpeuses, réalisés à partir de la fameuse Bataille de San Romano de Paolo Uccello, face à une estrade où des pupi, marionnettes siciliennes, rangées en ordre de bataille, sont prêtes à en découdre.
MARC VOIRY
Un air de famille Jusqu’au 1er septembre Mucem, Marseille