jeudi 28 novembre 2024
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Savons-nous qui nous sommes ?

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QUI SOM ? © XDR

Il y a la solennité des artistes en noir qui nous accueillent dès le couloir du lycée Saint-Joseph et des bruits secs et réguliers générés par des mobiles en bois sur des pots de céramique. Et puis il y a l’hilarité déclenchée par la fausse maladresse de Blaï Mateu Trias qui brise un des vases en céramique disposés de part et d’autre de la scène et s’ingénie à en refaire un. La compagnie Baro d’evel a l’art et la manière d’happer le spectateur dans son univers et s’amuse des antipodes. Issue du milieu circassien, dirigée par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, elle rassemble douze artistes, issus de tous les arts, autant pour nous divertir que pour nous confronter à ce que nous croyons être en partant du corps et de ses apparences.

Un spectacle total

Qui som ? est inclassable, polymorphe et plein de vitalité. Convoquant aussi bien les codes du cirque que ceux du théâtre, la danse contemporaine que la performance, le chant que la musique ou les arts plastiques, les artistes glissent avec aisance d’un art à l’autre. Leurs corps habitent la scène dans leurs acrobaties souples, leurs clowneries, leurs chansons et leurs répliques. Le spectateur est embarqué dans un voyage sensible où vue, toucher et ouïe sont stimulés grâce au potentiel sonore de la cour et à son gigantisme : piétinement collectif des bouteilles en plastique jonchant la scène et résonnant comme le ressac de la mer, montagne sombre au centre du plateau qui s’élève soudain en rouleaux de vagues, ou bien visages masqués par des pots d’agile crue modelés à l’envi. Les matières se retravaillent dans les gestes, se détruisent et acquièrent, dans leur reconstruction, un nouveau pouvoir.

Qui sommes-nous vraiment ?

Ne pas regarder son téléphone pour faire attention à l’autre, nous conseille avec le sourire Camille Decourtye au début du spectacle. Se souvenir que l’on fait partie d’un grand tout. Qui som ? explore toutes les possibilités d’existences humaines avec humour et inquiétante étrangeté. Un trio de danseuses expérimente de nouvelles manières de se déplacer et de communiquer. Les artistes tordent leurs identités et interrogent les nôtres. La question, qui n’a d’évidence que l’apparence, est alors ouverte : qui sommes-nous vraiment ? Des êtres de plastique comme le suggère la marée de bouteilles qui vient s’échouer aux rivages du plateau ? Des humanoïdes aux visages d’argile déformés ? Des désespérés ou des engagés ? Après le salut et un discours poétique et politique de Camille Decourtye, les artistes jouant en fanfare, enjoignent les spectateurs à les suivre dans la rue, là où tout a commencé pour la compagnie, et là où commencera la résistance pour l’art et pour un monde meilleur.

CONSTANCE STREBELLE 

Qui som ? a été donné du 3 au 14 juillet dans la cour du lycée Saint-Joseph dans le cadre du Festival d’Avignon.

Quichotte : un joyeux bazar et une réflexion profonde 

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Quichotte © XDR

Artiste invité pour plusieurs années de « permanence artistique » par le Festival, Gwenaêl Morin a pour ambition de Démonter les remparts pour finir le pont ! C’est à dire, entre autres,  de s’attaquer au répertoire pour tisser des liens avec le présent. Quoi de mieux, la langue invitée étant cette année l’espagnol après l’anglais l’an passé, que de s’attaquer au premier roman picaresque ?

Don Quichotte de la Manche est un hidalgo qui, influencé par les romans de chevalerie dont il s’est nourri, rêve de « pratiquer ce qu’il a lu dans les livres » pour changer le monde et trouver sa Dulcinée. Le roman est dense, le metteur en scène Gwenaël Morin décide donc d’y entrer « par effraction », non en lui restant fidèle, mais en tentant d’en extraire l’idéalisme et la philosophie du personnage éponyme. 

De l’imagination 

Avec Quichotte, Gwenaël Morin revient au théâtre dans ce qu’il a de plus artisanal : Don Quichotte est affublé d’un bouclier et d’un casque en carton, la lance est composée de morceaux de bois maintenus par du gros scotch. Peu de décor, une toile blanche tendue entre les arbres, un synthétiseur reposant sur une souche. Les personnages s’affrontent derrière les arbres du jardin, le public joue les moulins à vents en levant les bras. Il faut s’imaginer, comme dans l’enfance ou le rêve, les réalités que traduisent les mots de Don Quichotte. D’ailleurs, c’est à travers ses yeux que le spectacle se vit, comme dans un univers parallèle. Les acteurs donnent le ton. Jeanne Balibar qui incarne un Don Quichotte émouvant et halluciné, Thierry Dupont, Sancho Panza protecteur et aimant, et Marie-Noëlle, narratrice ironique, forment un trio décalé mais harmonieux. Ils sont accompagnés par Léo Martin qui les assiste, muni du texte.

Et de la réflexion

Pour que le public comprenne la manière dont se fabrique un spectacle, Gwenaël Morin est convaincu qu’il doit l’élaborer avec lui. Voilà que la première partie de Quichotte a des allures de répétition : il s’ouvre sur la lecture de l’introduction du roman de Cervantès par Marie-Noëlle. Elle finit par abandonner ses textes et ponctue la pièce de remarques et de reformulations sur l’œuvre, autant de parenthèses métatextuelles nécessaires à la clarté de l’intrigue. 

Une entreprise au long cours, qui s’enrichira jusqu’au terme du Festival -la première représentation manquait parfois de dynamisme : mettre la vision fantasmée du monde de Don Quichotte à l’épreuve du plateau théâtral et voir ce qui advient, c’est ce que propose Gwenaël Morin. Moqué par tous, Don Quichotte préfère se réfugier dans les promesses d’héroïsme des romans et s’y brûle les ailes. 

Une séquence symbolique où les livres de sa bibliothèque sont jetés un à un par tous les personnages en fond de scène interpelle : le danger se trouve-t-il dans les livres ou dans l’idéologie qu’on croit en tirer ? Que peut encore la littérature face à la violence du monde ? 

CONSTANCE STREBELLE

Quichotte
Jusqu’au 20 juillet, 22h, Jardin de la rue de Mons
Maison Jean Vilar, Avignon

AVIGNON OFF : Rêver peut-être

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Rêveries © Yann Gaillot

Juliet O’Brien a fouillé dans ses journaux intimes, et dans les Rêveries perdues de ses personnages. Ils sont quatre sur scène, flanqués de quatre porte-manteaux couverts de vêtements et d’accessoires, partenaires vivants pour traverser les époques, scruter les cœurs, plonger dans les pensées de personnages très attachants dans leurs excès, leurs heurts et malheurs. La vie ne fait de cadeau à personne, reste seulement à l’affronter comme on peut, sans pleurnicheries ni optimisme béat. Un petit air de musique, un pantalon dont on lâche l’ourlet, un képi ou un calot, un tablier, suffisent à situer l’époque, à camper un personnage dont s’empare chaque comédien avec une agilité qui favorise notre sourire, capte notre attention.

Chacune et chacun feint d’oublier de rêver, se réfugie dans un travail acharné, tente à son petit niveau, de grimper l’échelle sociale, se marie comme on signe un contrat illusoire, en fermant les yeux. 

Rêveries ce sont des coups de chapeau lancés à chaque personnage, homme ou femme, jeunes ou vieux, fiers de leur vie, celle dont ils n’ont jamais rêvée mais qu’ils ont traversée, lèvres gourmandes, larmes contenues, cœur gonflé. Les comédiens insufflent une humanité revigorante à des dialogues légers en apparence, à des non-dits beaucoup plus lourds. Ils virevoltent leurs sentiments, dansent sur leurs espoirs, se divertissent de leurs souvenirs. Ils traversent la vie comme on esquisse un pas de danse. La mise en scène fluide de l’autrice savoure toutes les circonvolutions du texte.

Rêveries met du baume sur nos petites tristesses. Ces gens-là peuvent se vanter d’avoir vécu de tout leur corps et de tout leur crâne. Sans artifice, sans techniques anesthésiantes. Eux, c’est sûr, n’ont jamais eu besoin d’Intelligence Artificielle.

JEAN-LOUIS  CHÂLES

Rêveries 

Jusqu’au 21 juillet à 19h45, relâche le lundi 
Théâtre Présence Pasteur, Avignon

Samson ressuscité à Aix

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Samson_Festival d'Aix-en-Provence 2024_© Monika Rittershaus_1

Le chef Raphaël Pichon et le metteur en scène Claus Guth se sont emparés de Samson, opéra perdu de Jean-Philippe Rameau, et le public de la première, au Théâtre de l’Archevêché, ne s’y est pas trompé en réservant à cette production hors du commun un accueil triomphal. 

Rappelons les faits. Voltaire et Rameau envisagent de collaborer à une rénovation du genre lyrique. Ce sera Samson, le héros biblique. Las ! La censure s’en mêle, Voltaire traîne une réputation d’impiété. Le projet capote par deux fois. Rameau gardera les meilleurs morceaux de la partition pour les recycler dans des ouvrages ultérieurs… 

Il ne s’agit pas de ressusciter une œuvre perdue, ni de recomposer une chimère musicale. L’intérêt du travail de Raphaël Pichon, le chef et Claus Guth, le metteur en scène, s’attache davantage à en restituer l’esprit que la lettre. Ce qui est donné à voir et à entendre est un spectacle total aux images d’une beauté saisissante, d’une profondeur dont les échos bibliques viennent percuter une actualité brûlante. 

La scénographie d’Étienne Pluss installe le drame dans les ruines d’une demeure que l’on devine cossue. Plafonds effondrés, murs éventrés, sol jonché de gravats… livrées aux promoteurs qui viennent établir un état des lieux. C’est le présent d’un drame qu’une mère (l’actrice Andréa Ferréol) vient évoquer. Comment être la mère d’un terroriste ? Samson, le massacreur des Philistins, est un kamikaze fou de Dieu. « Quel est son nom, je ne peux prononcer son nom ! », hurle-t-elle. 

Siècles en résonance

Le formidable pari est réussi au-delà de toute attente. La conjonction entre la musique et le drame se fait sans solution de continuité. L’esprit des créateurs de notre siècle fait naître une œuvre venue d’un autre siècle, plus dense plus ramassée, plus intensément dramatique, plus travaillée de préoccupations qui sont les nôtres. Ce Rameau nous est d’une proximité étonnante. D’une vérité que Claus Guth veille toujours à ce qu’elle ne colle pas littéralement à l’actualité. Samson, c’est la force fanatique au service de la mort… Comment ne pas  songer aujourd’hui au 7 octobre et à Gaza ? 

La figure herculéenne de Samson est incarnée par l’imposant baryton Jarrett Ott. Entre la vocation prophétique du libérateur et ses appétits sexuels, il est déchiré entre la figure fragile de Mitta, excellente et touchante Léa Desandre et la force de Dalila, troublante Jacquelyn Stucker. Il nous offre une figure dont toutes les ambiguïtés dramatiques  (est-il un monstre sanguinaire, une voix divine ?) s’incarnent en ambiguïté vocale, qui joue entre un vérisme âpre et un arioso proprement baroque. Tout contribue à en faire un personnage trouble, aux élans mortifères, une figure de la Passion christique, tombant avec lenteur du ciel vers le gouffre , accompagné par Julie Roset, ange annonciateur aux accents séraphiques, et Nahuel di Pierro basse brillante et ductile, figure maléfique du Philistin Achisch. 

Raphaël Pichon remet le chœur, formidable ensemble Pygmalion, au centre de la tragédie, peuple hébreu de blanc vêtu, Philistins jouisseurs en noir. Un cliché ? le vrai protagoniste c’est la musique de Rameau. Qu’on la reconnaisse dans tel ou tel numéro ou qu’on la redécouvre, elle est le ciment du spectacle. Raphaël Pichon en livre une lecture qui ose les collisions brutales. Elégies de la déploration de Dalila et déchaînements électroacoustiques sont liés par une profonde acuité du propos. Ici, l’intelligence sert d’un bout à l’autre un spectacle riche d’intentions, d’une beauté plastique à couper le souffle et d’une inspiration musicale sans égale. Un grand moment de ce Festival 2024. 

PATRICK DI MARIA

Samson
Les 6,9,12, 15 et 18 juillet
Cour de l’Archevêché, Aix-en-Provence

Le temps et le sel

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Sous les racines, un chœur de femmes dans un bain de sel

Il y a des propositions que l’on aimerait par dessus tout aimer, en ce contexte politique où près d’un tiers des français voulaient être gouvernés par un parti prônant la préférence nationale, la discrimination active des binationaux et refusant l’égalité salariale homme-femme. Mais Tamara Cubas, intimidée sans doute par l’importance de son propos, la force de ces femmes qui portent leur combat sur scène, a produit un spectacle de moins d’une heure trente qui semble long au bout de 20 minutes. L’artiste, qui a l’habitude aussi de créer des installations et des œuvres plastiques qui ne s’inscrivent pas dans la problématique d’un temps diégétique, narratif ou dramatique, a créé un spectacle dont on devine dès le départ le déroulement, et qui nous apprend très peu sur l’histoire et les conditions de vie de ces femmes, avec lesquelles on ne parvient pas, faute de savoir qui elles sont, à entrer en empathie.

Racontez-nous… 

On apprend, par la feuille de salle, et quelques allusions éparses que Noelia Coñuenao, Karen Daneida, Dani Mara, Ocheipeter Marie, Hadeer Moustafa, Sekar Tri Kusuma et Alejandra Wolff sont des femmes qui toutes parlent des langues d’exils, minoritaires ou natives. mapuche, edo, malais, arabe, didxaza, borum. Mais ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce ne sont pas leurs histoires, mais un chœur de femmes antique chantant, psalmodiant, se déplaçant, se revêtant de blanc, de voiles. Sur le mur du lointain après un long temps passé sans mots compréhensibles, quelques-uns, traduits, poétiques, viennent s’écrire, allusions à la femme de Loth changée en sel parce qu’elle s’est retournée pour regarder la ville qu’elle quittait. 

Le sel, sur la scène, cache d’autres voiles encore qu’elles déterrent pour s’en revêtir, et par moments les chants sont beaux, les gestes, les visages éclatants comme des combats. Dont on aimerait, vraiment, savoir davantage, car rien n’est plus urgent sans doute aujourd’hui que de produire des récits d’exils et de témoignages des ethnocides, en particulier par les femmes qui sont, généralement, les voix porteuses des victimes. 

AGNÈS FRESCHEL

Sea of Silence a été créé au Théâtre Benoit XII du 4 au 9 juillet

AVIGNON OFF : Totem de jouvence

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Sher_Agha_credit_photo_Morteza_Herati.jpeg

20 spectacles, 241 représentations, 13 jours d’exercices, telles sont les mensurations du Totem, pour son festival de juillet. La Scène conventionnée Art-Enfance-Jeunesse d’Avignon souligne la diversité de langues et des langages qui fertilisent les écritures à destination des jeunes publics.

Du zoo de Kaboul (Le dernier lion d’Afghanistan) à l’odyssée d’un phacochère (Fuega), en passant par une fugue sur les routes du Nevada (Enfant sauvage) ou une expédition vers l’Arctique (Grand Nord). Les déplacements et voyages à travers les espaces ou les esprits soutiennent bon nombre de propositions.

Pouvoir de la parole, expression des gestes, En Forme ! En L.S.F., combine français et langue des signes. La proposition ouvre ainsi une porte vers la réflexion et l’abstraction. Les corps sont à l’ouvrage dans Rien, nouvelle création de Monsieur K, le clown-danseur imaginé par Patrice Thibaud, examine ici les attraits de l’ennui. 

Si La Bête déploie une enquête sonore en quête de mémoire, la curiosité est au coeur de La Puce et l’oreille, podcast théâtral [sic], compte rendu d’un tour de France en témoignages, enregistrés par Sarah Carré. Pérégrinations nomades (Ne m’attend pas), parcours d’apprentissage (Sur les pas d’Oodaaq), aventures maritimes (L’Île au trésor),cet été au Totem la jeunesse forge plus que jamais dans les voyages.

Éveil d’intelligence

Dans l’esprit des festins de théâtre à la durée hors-norme, programmés par le Festival d’AvignonLes Abimés désigne un triptyque signé Catherine Verlaguet. En trois fois trente minutes, P’tit Ludo et Ludo se réparent face à la maltraitance, au fil d’une saga qui associe suspense et consolation.

Au-delà des représentations dans les salles ou dans la cour, les pratiques artistiques ne sont pas en reste. Dans Foule d’imaginaires, Pablito Zago plasticien et Clément Puig photographe animent une résidence collective axée sur la transmission. De son côté, la comédienne Sarah Nedjoum orchestre une immersion festivalière pour les spectateurs de 8 à 12 ans. 

Enfin Création et handicaps (15 juillet), Création musicale jeune public (17 juillet), tels sont les thèmes des rencontres professionnelles incluses dans la programmation de ce lieu de référence, acquis aux écritures adultes à l’adresse du jeune public. Car, en ces temps d’accélération et de schématismes effrénés, l’éveil de l’intelligence ne doit pas attendre le nombre des années.

MICHEL FLANDRIN

Le Off d’Avignon au Totem : du 6 au 20 juillet. Relâche le dimanche.

L’art pour faire le deuil

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WAYQEYCUNA Festival d Avignon

Le son irrégulier des clochettes enveloppe les spectateurs d’une atmosphère apaisante. Sur des toiles tendues, une chaîne de massifs montagneux. Derrière ces toiles, Tiziano Cruz s’avance accroupi, semblant traverser la vallée. Une corbeille de pains côté cour. En une mise en scène sobre, l’artiste transpose avec sensibilité au gymnase du lycée Mistral les paysages et la culture de son enfance. Issu de la communauté autochtone Wayqeycuna, qui, en quechua, signifie « mes frères à moi », Tiziano Cruz conclut sa trilogie de spectacles sur la mort de sa sœur, commencée avec Adios Matepac et Soliloquio, par un chant de paix et de réconciliation avec ses racines, et un retour au nord de l’Argentine, dans les hauts-alpages où il a grandi.

Paroles d’autochtone

Tiziano de Cruz porte à la scène une parole que les spectateurs occidentaux n’ont pas pour habitude d’entendre : celle des autochtones. Et elle est éminemment politique puisqu’ils sont pauvres et que l’art leur est refusé. Il s’interrompt d’ailleurs souvent pour se faire spectateur des images de ses proches, filmés dans leur quotidien. Tiziano Cruz a joué le jeu de l’acculturation. Sous son poncho traditionnel, une simple combinaison blanche, signe de l’effacement de sa culture. Mais les couleurs reviennent peu à peu sur le plateau neutre : les drapés aux pompons multicolores sur la table dressée ou les vivres dans les paniers. Avec ce spectacle, l’artiste se sépare de la culture européenne et de la langue espagnole et revient aux rituels ancestraux dont il investit la scène : les pains assemblés qui représentent la cosmogonie andine en sont un exemple.

Spectacle de la guérison

Tiziano Cruz a passé deux années à explorer le monde artistique et théâtral. Dans l’art, il a trouvé refuge et créé un nouvel espace cathartique au sein duquel il a pu déverser ses souffrances. Comment, en effet, revenir dans des lieux chargés de traumatismes, des lieux où est décédée une sœur bien-aimée ? À présent, l’art et le théâtre lui sont-ils encore nécessaires ? Tiziano Cruz fait part de sa volonté de se retirer de cet univers. « Je fais mes adieux à ce monde. Je retourne à la montagne qui m’a vu naître […] qui m’a vu partir », est-il possible de lire à l’écran où défilent ses mots poignants. Les pains distribués à la fin du spectacle perpétuent le lien entre l’artiste et les spectateurs, et ses chants et ses saluts se poursuivent jusqu’à la sortie du public. Si les deuils ne finissent pas, l’amour non plus.

CONSTANCE STREBELLE

Wayqeycuna a été donné du 10 au 14 juillet au gymnase du lycée Mistral, Avignon.

Une enclave africaine dans le Luberon

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Exposition Bandiagara © X-DR

Bandiagara est le nom d’une ville historique malienne, accrochée à une vertigineuse falaise qui porte le même nom. C’est dans cette région, le pays Dogon, que Jean-Paul Blachère, riche industriel, eut une « révélation initiatique ». En 2004, il fonde la fondation qui porte son nom – et celui de son entreprise – dédié à l’art contemporain africain. Avec Bandiagara, c’est quelques-unes des plus belles pièces qui sont données à voir aux visiteurs. Fruit du travail d’artistes emblématiques d’Afrique de l’Ouest – parmi lesquels Sokey Edorth, Jems Robert Kokobi ou Hassan Slaoui – durant les trois dernières décennies, à cheval entre tradition et modernité…

Entre les cigales, les lavandes et l’Afrique il n’y a qu’un pas. Celui de la porte de cette Fondation, sise à quelques mètres de l’ancienne gare de Bonnieux, désormais point de passage pour la véloroute du Luberon. Dès la première – et principale – salle, c’est d’abord un immense éléphant, prostré, qui accroche le regard du visiteur : il s’agit d’une œuvre d’Andries Botha, réalisée avec des centaines de planches de bois, et intitulée The fallen elephant. À côté, une série de neuf toiles signées Sokey Edorth Les naufragés de l’espoir, narrant la tragédie de ceux qui prennent tous les risques pour chercher dans l’ailleurs un avenir. Traits fins, composition déstructurée, il faut rester de longues minutes – ou heures – pour apprécier à sa juste valeur le talent de cet artiste togolais engagé. Plus loin, on appréciera l’impressionnant masque de trois mètres de haut de Jems Robert Kokobi, Hommage à Zahouli, qui s’inspire ici de l’ensemble des masques des communautés Gouro (en Côte d’Ivoire).

Stigmates de la guerre

Dans la deuxième pièce, ce sont les œuvres d’Hassan Slaoui qui accueillent le public : céramiste et ébéniste de formation, il sculpte des objets, les patine, les vieillit, et leur confère une valeur patrimoniale : c’est le cas de ces deux tablettes en bois, reliées par une armature métallique tel un cahier à spirale. Le parcours se termine à l’étage, avec une série de Freddy Tsimba : des dizaines de sculptures en bronze, qui laissent apparaître les stigmates de la guerre qu’a connue son pays de la République Démocratique du Congo : sur le mur, trois corps s’évanouissent, uniquement réalisés à partir de douilles de balles soudées entre elles. Puis un douzaine de statues en bronze, à l’écriture spatiale qui saisit le mouvement : brutal et poétique. 

De cette belle exposition, on regrette tout de même le manque d’acompagnement du visiteur. Les cartels sont minimalistes, et nécessitent un smartphone, via QR code, pour accéder aux informations. 

NICOLAS SANTUCCI 

Bandiagara
Jusqu’au 21 septembre
Fondation Blachère, Bonnieux

Baignade Borély

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Julia Pirotte, Marseille, vers 1940. Marseille, Musée d’Histoire, inv.2007.2.1 et 90

À l’occasion de cet été olympique au cours duquel Marseille accueille les épreuves de voile des JO, le Château Borély invite le bord de mer pour Le Grand Bain, une exposition dédiée à l’histoire du maillot de bain et du vêtement de plage. Les trois commissaires, Marie-Josée Linou, Laurence Donnay et Caroline Baujard, ont pioché une centaine de pièces dans l’importante collection de “beachwear” des archives de mode de la ville pour proposer un voyage dans le temps sur les plages du sud-est. L’exposition met ainsi particulièrement en avant les créateurs et marques françaises, ainsi que les modes spécifiques à la Côte bleue et surtout à la Côté d’Azur comme la mode Riviera ou Saint-Tropez. La scénographie en partie chronologique permet d’apprécier les évolutions des matières et de formes, et de fait celle des canons de beauté et de la libération des corps.

Importable

Située au premier étage de la bastide, le trajet du Grand Bain traverse par moment des parties de l’exposition permanente, dans laquelle on retrouve des archives du Cirva, dont des vases avant-gardistes d’Ettore Sottsass. Marie-Josée Linou y voit un dialogue, une référence à la liberté formelle et de mœurs des années 80, que l’on retrouve dans les maillots de bain de la même époque, et notamment ceux conçus par Jean Remy Daumas. Ce créateur, qui lègue en 1989 toutes ses collections aux archives de la ville de Marseille, est le plus représenté dans l’exposition. Ses créations de prêt-à-porter haut de gamme, pleines d’humour et de de clins d’œil à la haute couture où il a fait ses armes, font parties des pièces “importables” (ou en tout cas difficilement) de la collection, davantage pensées comme des œuvres d’arts ou des coquetteries fantaisistes pour clientèle bourgeoise que comme réel vêtement de baignade. C’est également le cas d’un maillot d’Inès de la Fressange agrémenté de petits tubes de verre, ou du maillot en fourrure de Corinne Cobson

Vedettes

La photographie a aussi sa place dans l’exposition, avec notamment des clichés de mode et de célébrités comme Grace Kelly ou Brigitte Bardot en vacances sur la Côte d’Azur. Elles permettent de mettre en avant le contexte esthétique de l’époque et d’évoquer des modes, comme le vichy avec Bardot, sans pour autant voler la vedette aux pièces présentées. L’un des halls de l’exposition regroupe également des photos de baignades et de bronzette prises par la photographe de guerre Julia Pirotte, qui exerçait à Marseille pendant la Seconde Guerre mondiale. Une jolie touche de quotidien qui, avec des images du Cercle des nageurs plus loin, ancre résolument cette charmante exposition dans l’histoire de la cité phocéenne. 

CHLOÉ MACAIRE 

Le Grand Bain
Jusqu’au 5 janvier 2025 
Château Borély, Marseille

Le Cooksound remet le couvert

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Dhoad © THeo

Il n’était pas certain que cette 13e édition ait lieu. Comme beaucoup dans le secteur culturel, le Cooksound Festival fait face à d’importantes difficultés financières – les deux dernières éditions ont été déficitaires – et il a été question de ne pas reconduire ce projet à la fois familial et artistiquement séduisant. Pour y remédier, l’organisation a décidé d’arrêter la gratuité, et de passer en prix libre, tout en y ajoutant un tarif plancher : il en coutera 10 euros minimum pour accéder à chaque soirée, ou 25 euros, toujours minimum, pour accéder aux trois jours : très, très, accessible donc. D’autant que cette année encore, la programmation artistique est ambitieuse, en invitant des découvertes, comme des artistes confirmés.  

À voir

Pour ouvrir le triptyque, la première soirée accueille le multi-instrumentiste David Walters. De culture antillaise, il propose une musique électro-jazz créolisée et tropicalisée de la plus belle tenue ; un remarquable voyage acoustique auréolé d’un succès public notable depuis 2006. Dans la foulée, le voyage se poursuit avec Amazonité, musicienne et activiste féministe venue d’Équateur, pour un DJ set entre les rythmes de chez elle et de l’Afrique de l’Ouest.  Avant ça, les festivaliers auront pu danser avec Rag n’Swing, soit quatre musiciens qui reprennent des « vieux » standards de jazz manouche ou de musette parisienne. 

Le lendemain, la tête d’affiche s’appelle Temenik Electric. Le collectif marseillais mené par l’hyperactif Mehdi Jaddjeri – il est notamment directeur du Nomad’Café – qui propulse son « arabian rock » puissant depuis 13 ans. À côté d’eux, on va écouter l’excellent nu-reggae du Britannique exilé en France Flox ; et L’arbre à palabres, un conte proposé par l’association Pichaïm avec Soumaïla Zoungrana. Pour terminer la soirée, c’est DJ Kaplan qui s’empare des platines, pour un set entre funk, hip-hop, et trap downtempo. 

Pour terminer le week-end, on a hâte d’entendre encore une fois l’ensemble Dhoad – Les Gitans du Rajasthan. Un merveilleux mélange des cultures gitane, hindoue et musulmane initié par Rahis Bharti, en France, en 2002. On change ensuite d’ambiance avec Nooke, groupe originaire d’Irlande qui trace sa route dans le sillon des années 1970, entre soul, disco et psyché.  

À manger

Comme chaque année, les notes de musique se mêlent à des notes plus épicées dans les assiettes. Pour cette édition, le thème retenu est celui du « Sud d’ici & d’ailleurs »… mais surtout d’ici. Car c’est dans la cité voisine de Sisteron que seront mitonnés la plupart des propositions gastronomiques : des plats cuisinés, réalisés dans la « plus pure tradition provençale », et élaborés à partir de produits issus d’une agriculture raisonnée, biologique et de proximité. 

NICOLAS SANTUCCI

Cooksound Festival
Du 18 au 20 juillet
Couvent des Cordeliers, Forcalquier