samedi 5 juillet 2025
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Petra Magoni : la liberté par le tango

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© A.-M.T.

Rock’n’roll avec sa coupe mulet et ses yeux noirs charbonneux, Petra Magoni est une artiste italienne éclectique, inclassable. Elle s’est formée au chant sacré et baroque, a tâté de l’opéra, du rap, de la pop, du jazz. Sur ses albums, on trouve aussi bien du Bach, du Caccini, que du Brel, du Peggy Lee ou du Gloria Gaynor. Elle ne s’interdit rien, s’empare de la musique qu’elle aime et modèle tout ce qu’elle glane avec une pâte très personnelle. On pense à Grace Jones, Catherine Ringer… mais c’est juste du Petra Magoni, tout un univers. 

Pour son passage à Marseille, elle s’est attaquée au répertoire du tango dans le concert intitulé Libertan’go, tiré du nom de la chanson composée par Astor Piazolla. Elle a trouvé dans la cité phocéenne des compagnons de jeux à sa mesure : l’accordéoniste Grégory Daltin et le mandoliniste Vincent Beer-Demander qui avait emmené avec lui les musiciens de l’Académie de mandolines et guitares de Marseille, une harpiste et une contrebassiste, des plus jeunes aux plus âgés comme Francine qui a fêté en live ses… 98 ans.  

La foule emportée 

Ce trio à l’énergie folle et virtuose, s’empare des célèbres musiques du tanguero, les mâtine de jazz, de rock et offre au public d’un Théâtre de l’Œuvre comble, un spectacle unique. Petra Magoni improvise, interprète, raconte des histoires, habitée par la musique des deux musiciens, qui, facétieux, révèlent tout ce qu’on peut faire avec un instrument : en jouer classiquement mais aussi le caresser, l’effleurer, le tapoter ou le claquer. Les morceaux sont jubilatoires, transmettent une ambiance de douce allégresse à la salle.

On peut entendre le très émouvant et nostalgique Por una Cabeza de Carlos Gardel qui évoque les zones d’ombres de la fragilité humaine, un Ave Maria de toute beauté, composé par Piazzola pour la chanteuse italienne Milva, une version de La Foule reprise en chœur par la salle et trois créations, Sensualità, Passione et Resistenza. Ce dernier morceau dans lequel les mandolines montent en puissance comme une marche de partisans toujours plus nombreux résonne d’un écho tout particulier en cette période de crise mondiale. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Concert donné le 9 mars au Théâtre de l’Œuvre, Marseille

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Quand Carmen passe le détroit 

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Carmen Al Andalus © Mateo Beauche

Une place avec des tapis, des chaises, des personnages en tenue orientale, femmes d’un côté, hommes de l’autre. En fond, une rangée de musiciens en djellaba et caftans et une image de Kasbah aux murs crème transportent le public sur une place qui pourrait être Jemaa el-Fnaa à Marrakech. C’est dans ce décor qu’Olivier Desbordes et la troupe de l’Opéra éclaté ont choisi d’installer Carmen, le personnage de Prosper Mérimée et de l’opéra de Georges Bizet, et de donner à la musique du compositeur une version arabo-andalouse. 

On retrouve dans le spectacle tous les grands airs de l’œuvre comme Tu ne m’aimes pas ou Toréador. La Habanera et Sous les remparts de Séville ont été réorchestrés sur des rythmes orientaux. La production a rajouté à l’œuvre des airs chantés en arabe comme celui de Garcia, mari de Carmen interprété avec brio par Yassine Benameur. L’idée se tient parfaitement puisque l’Espagne fut occupée pendant des siècles par les Arabes chassés au XVe siècle après la Reconquista. Les Bohémiens, communauté de Carmen, deviennent ici des bandits des montagnes de l’Atlas. Jean-François Marras,qui incarne unDon José brigadier amoureux transis rendu fou par cette femme libre et volage, est extrêmement convaincant vocalement. Tragique, il est ovationné par la salle dans le solo La fleur que tu m’avais jeté

Un Orient trop lointain ? 

La mezzo-soprano Ahlmia Mhamdi interprète le rôle-titre. On a d’abord du mal à ressentir de l’émotion et de l’empathie pour cette Carmen dont le jeu scénique est, durant le premier acte, très nerveux, agité. Lorsqu’elle se pose enfin et s’ancre dans plus d’immobilité, elle donne alors toute la puissance à sa voix au timbre rond et sensuel. On a aimé la belle énergie du quatuor Frasquita (Sonia Menen), Mercedes (Sonia Skouri-Robert), Dancaire (Edouard Ferenczi Gurban) et Remendado (Yanis Benabdellah).

En fond de scène, disposés en long, les instrumentistes de l’orchestre Mare nostrum excellent dans ce mélange de genres musicaux.  Le pari était risqué. Il est grandement réussi même si on aurait aimé que le parti pris « orientaliste » soit poussé jusqu’au bout en donnant plus d’authenticité à cette adaptation. Il y a parfois dans le jeu des acteurs un côté « farce » qui chagrine comme les costumes, très beaux certes, mais qui relèvent du déguisement. C’est dommage. Mention spéciale aux jeux d’éclairages magnifiques qui portent le spectacle de bout en bout et entraînent le spectateur dans l’ambiance tout en clair-obscur des soirées marocaines.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Carmen Al-Andalus a été donné le 6 et 7 mars à l’Odéon (Marseille)

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Martigues : Wim Vandekeybus touche au divin 

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Infamous Offspring © Wim Vandekeybus

Une saison aux Salins sait apporter son lot de moments exceptionnels, et Infamous Offspring,donné ce 4 mars, en fait partie. Le public ne s’est d’ailleurs pas trompé, venu nombreux pour saluer la dernière création du chorégraphe belge Wim Vandekeybus, qui explore les récits de la mythologie grecque.

Infamous offspring, que l’on pourrait traduire par « une descendance tristement célèbre », s’ouvre sur la figure d’Héphaïstos, le dieu forgeron infirme. Il est incarné par une contorsionniste écossaise à l’accent rocailleux, qui se tord sur le plateau tout en inventant un langage, à la fois physique, plastique et auditif. Autour d’elle, ses frères et sœurs divins, Artémis, Apollon, Hermès, Arès, Athéna, Dionysos et Aphrodite, objet de toutes les convoitises, se mettent en mouvement. 

Zeus, Héra, même combat

Ces divinités sont interprétées par des danseur·ses à l’énergie prodigieuse, créant une réécriture moderne et sensuelle des mythes antiques. La chorégraphie impressionne, avec des interprètes qui parviennent à se rattraper en plein vol, et des portés presque surnaturels. Toute cette descendance divine, cruelle, lubrique et criminelle s’agite sous le regard vertical de leurs illustres parents, Zeus et Héra. Le couple royal n’apparait que sur écran, tels des parents lointains et inaccessibles qui se désolent des avatars de leur progéniture. 

Zeus, agresseur sexuel notoire, n’a d’ailleurs rien à envier à ses rejetons. Héra se montre pareillement insensible aux malheurs des humains. Sur un deuxième écran, le danseur de flamenco Israël Galván incarne Tirésias, le devin aveugle qui guida en son temps Ulysse aux enfers, et communique ses prophéties uniquement par le langage corporel. Après une bonne heure de chorégraphies survoltées, les jeunes interprètes se posent à l’avant-scène tandis que Hébé, échanson des dieux, leur sert à boire avant de conclure avec Tirésias cette épopée flamboyante.

ISABELLE RAINALDI

Spectacle donné le 4 mars aux Salins, Scène nationale de Martigues. 

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Ecrire à Pétain

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Le Birgit Ensemble, Les Suppliques © Simon Gosselin
Le Birgit Ensemble, Les Suppliques © Simon Gosselin

ZébulineComment est né votre Birgit Ensemble ? 

Julie Bertin. En 2013 au Conservatoire de Paris. Jade et moi devions monter un spectacle avec notre promo, et nous avons eu immédiatement l’envie d’écrire avec l’équipe, de monter une grande fresque épique historique. Pour montrer que notre génération, qu’on dit dépolitisée, ne l’est pas. 

Jade Herbulot. On est tous et toutes né·e·s autour de 1989, on a posé les fondements esthétiques du Birgit Ensemble autour de la chute du Mur de Berlin, en mêlant l’histoire européenne contemporaine à notre histoire intime.

JB. Et rapidement le spectacle est sorti de l’atelier, on l’a joué au Centre dramatique de Saint-Denis… 

Effectivement le Birgit Ensemble a très rapidement été programmé dans des théâtres nationaux, au Festival d’Avignon… Comment l’avez-vous vécu ? 

JB. C’était vertigineux, c’est arrivé vite, on voulait continuer à présenter de grandes formes, mais sans tout à fait avoir conscience des réalités de la production. 

JH. Les Suppliques sont un format plus réduit, avec quatre interprètes, un homme et une femme autour de la vingtaine, et deux autres plus chevronnés. Une autre génération d’acteurs.

Ces suppliques sont des lettres écrites au Maréchal Pétain, ou au commissariat général aux questions juives, pour réclamer des nouvelles des déportés. Comment en avez-vous fait un spectacle ?

JH.  Nous avons conservé six lettres, il en existe des milliers, retrouvées par Laurent Joly [historien ndlr] dans les archives nationales. Nous avons choisi une variété générationnelle donc, mais ausside classe sociale et de situation administrative. 

JB. Ces lettres sont le point de départ de notre enquête, puis de notre écriture. On voulait les faire entendre mais aussi faire voir le hors-champ. Qu’est-ce qui peut conduire des juifs à écrire au maréchal Pétain ? Avec Laurent Joly, avec la documentariste Aude Vassalo qui a complété les lettres avec d’autres archives administratives et généalogiques, nous avons reconstitué le puzzle de ces six histoires. Puis écrit et comblé les blancs.

N’est-il pas délicat, sur un tel sujet, d’ajouter de la fiction à l’histoire ?

JB. Si la fiction ne vient pas trahir le réel, si elle dit qu’elle est de la fiction et qu’elle cherche à éclairer les faits, je ne crois pas. 

Vous avez fait le choix de suppliques entre 1941 et novembre 42. Pourquoi ces dates ?

JH. On déploie les tableaux de façon chronologique, 42 est l’année de bascule du Vel’d’Hiv, mais on retrouve des lettres dès 1940 et tout au long de la déportation les juifs. C’est étrange d’écrire à son bourreau. Ils mettent en avant leur intégration, leur nationalité, leurs faits de guerre, ils cherchent à composer avec l’administration, avec le haut commissariat aux questions juives… 

Comment cela résonne-t-il aujourd’hui ? 

JB. Nous avons repris le spectacle en janvier à Paris, nous ne l’avions pas joué depuis un an. Depuis la montée des nationalismes et l’accès de Trump au pouvoir. Les spectateurs sont sonnés, l’un m’a dit « mais cela parle de notre futur, pas de notre passé … ». Nous nous méfions des analogies faciles, mais dans les archives de Vichy, dans les ordonnances qui sont lues tout au long du spectacle et qui retirent leurs droits aux Juifs, on retrouve des éléments de langage, une rhétorique qui est celle de Trump, de Meloni et de la droite radicale actuelle. 

JH. Aujourd’hui ce spectacle sonne comme un avertissement, une injonction à la vigilance : oui, le pouvoir peut se mettre à persécuter légalement les minorités. 

JB. Et cela va très vite. En deux ans Vichy a fait ce que l’Allemagne nazie avait mis 10 ans à faire.

ENTRETIEN REALISE PAR AGNÈS FRESCHEL

Les Suppliques
12 et 13 mars
Le Zef, Scène nationale de Marseille

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Babel Minots grandit en musique 

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Babel Minots 2024 © naïri
Babel Minots 2024 © naïri

De la musique pour les plus jeunes. C’est la noble cause que tient avec succès le festival Babel Minots depuis 10 ans maintenant. Un événement à vocation nationale, « une sorte de Printemps de Bourges du jeune public » explique l’organisation, qui propose une foule de propositions artistiques à l’adresse à la toute petite enfance – voire même avant la naissance ! –, jusqu’aux bambins qui ont atteint l’âge de raison. Pour répondre à cette belle promesse, 75 artistes sont conviés, pour 62 représentations dans 28 lieux de Marseille et ses alentours. Des chiffres qui confirment la jolie dynamique de ce rendez-vous jeunesse, qui grandit tranquillement, sans crise de croissance. 

Au programme

Une trentaine de spectacles sont à l’affiche de cette nouvelle édition. Une édition qui commence fort, avec la nouvelle création de la Compagnie Rassegna, intitulée Ma vie, mon roman (Théâtre de l’Odéon, 9 h et 14 h). Mise en scène par Laurent Gachet, cette pièce musicale s’écrit autour du personnage de Carlito, avec à la composition musicale Bruno Allary, qui s’inspire, comme souvent, des airs traditionnels du pourtour méditerranéen. Le même jour, au Théâtre de l’Odéon, Caroline Tolla s’entoure du Maluca Beleza trio pour présenter le spectacle Des Rivages (à partir de 6 ans), qui plonge les petits en pleine mer, avec ceux qui l’explorent : pêcheurs, plongeurs et navigateurs. 

De mer, il est question aussi avec la compagnie Okkio et sa Voix de l’eau (17 mars, L’Astronef). Dans cette pièce musicale qui s’adresse aux 18 mois et plus, le public est invité à entrer dans une bulle circulaire et cotonneuse, où le souffle musical rejoint les premiers souffles de vie dans l’eau. 

Autre moment attendu, le spectacle Jazz & Rap de la Compagnie de l’Enelle. Un conte, à cheval entre urbanité et fantastique, qui prend pour décor le quartier de La Plaine à Marseille, que Lamine Diagne a co-écrit avec le jeune rappeur Ilan Couartou. À découvrir le 18 mars sur la Grand Plateau de la Friche la Belle de Mai. 

Citons aussi cette jolie nouveauté 2025. Le Watsu Song propose un atelier de chant prénatal, qui entend « explorer les nouvelles sensations de la grossesse, renforcer le lien avec bébé, lui murmurer des berceuses, chanter, vibrer, célébrer la vie qui grandit en soi. » (15 mars, à 1,2,3 Solène). Une discipline qui a même des vertus musculaires en amont de l’accouchement !

Babel Minots aussi fait des petits 

Preuve de l’intérêt que suscite Babel Minots, le rendez-vous continue de s’exporter en France. Depuis quelques années déjà, se tenait son pendant francilien avec Babel Mômes(Aubervilliers), il essaime désormais jusqu’à Saint-Nazaire, avec le tout nouveau Ty’ Babel, qui sera porté localement par le Centre national de création musicale de l’Athénor. 

NICOLAS SANTUCCI

Babel Minots
Du 12 au 22 mars
Divers lieux, Marseille et alentours 

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Les TG Stan au Bois de L’ Aune

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orphans, tg stan

Occupant la scène vide à la coule, déambulation, échanges, étirements tranquilles, pendant que le public s’installe dans la salle, les quatre interprètes du TG Stan ( Ibtissam Boulbahaiem, Jolente De Keersmaeker, Atta Nasser, Haider Al Timimi) passent d’une seconde à l’autre, au son d’une musique drum’n’ bass déchaînée, à l’installation sans un mot de l’espace de jeu, se saisissant des planches, tabourets, chaises, tréteaux, pour esquisser en deux temps trois mouvements un espace domestique minimal, où la table est mise pour un repas à deux, et le repas prêt à être servi. Pendant qu’un des interprètes se fait asperger d’un rouge sang dégoulinant, sur une bâche en plastique transparent, pour ne pas tâcher le sol. Cette dimension d’un théâtre qui se fabrique à vue va se prolonger pendant tout le spectacle, à travers la présence silencieuse d’une personne qui suit le déroulement du spectacle, en changeant régulièrement de point de vue, script de la pièce à la main, intervenant à de très rares, mais efficaces, occasions. 

Peur partout, société nulle part 

Ce que met en jeu Orphans, à travers cette effraction d’un réel violent dans le cocon domestique, et l’effet à la fois comique et glaçant de dialogues brefs progressant en trébuchant, c’est un crescendo de cas de conscience, apparaissant au fur et à mesure du dévoilement progressif d’une vérité effrayante. Celle qui amène au début du spectacle à l’arrivée de Liam, couvert de sang, interrompant le repas d’Helen, sa sœur et de Denis, son beau-frère. Est-il un criminel, une victime, les deux ? Doit-on le soutenir, le dénoncer ? Et s’il y a « nous » et les « autres », comment choisir entre les siens et les autres ? Et qu’est-ce que ça implique pour tous.tes ? Un crescendo dramatique et moral qui remet en jeu un dilemme ancien et récurrent (Sophocle, Camus, …) porté par des TG Stan en grande forme, dans une mise en scène sobre, vive et puissante.

MARC VOIRY

Orphans était présenté au Bois de L’Aune à Aix-en-Provence les 10 et 11 mars

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Au Pavillon Noir, le corps en lutte 

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kata, Anna Chirescu © X-DR

L’art de la guerre

En préambule de sa pièce maîtresse, Anna Chirescu présente la plus brève et plus intime Kata. Donnée au Pavillon Noir dans une version abrégée – de plus amples développements s’y grefferont par la suite – Kata surprend par sa radicalité. La danseuse y décline les quelque 26 poses et enchaînements issus du karaté avec vigueur, grâce et conviction. 

Le son et le souffle y jouent un rôle crucial : la création musicale signée Grégory Joubert s’y greffe en live, et le dispositif rôdé, précis, guerrier se mue peu à peu en une entité nouvelle. La vidéo prend le relais pour rendre compte d’un dialogue empêché, confus, obsédant : le spectre de Ceausescu, le trauma encore prégnant de la dictature s’y manifestent. La figure du père, son émancipation par le geste artistique – et martial – émergent de ce dispositif proche de l’invocation. Les images, les sons, restent gravés dans la rétine.

Martyres

Anna Chirescu, Ordeal by water © Romy Berger

Au retour de l’entracte, l’installation plastique conçue par Grégoire Schaller pour Ordeal by water semble avoir pris possession du plateau. La musique, jouée en live par le guitariste Simon Déliot, se fait plus percutante. Rythmée, épaisse, elle scande la pulsation rapide de cette danse acrobatique inspirée, elle aussi, d’un sport de combat. En combinaison rouge vif, coiffée d’un conséquent masque en grille métallique, Anna Chirescu se plie avec inventivité au langage de l’escrime, et aux tout aussi impressionnants pas de côté dictés par sa chorégraphie. 

On devine, dans ce corps affûté d’une précision et d’une acuité saisissantes, les années passées du côté de chez Cunningham à Angers. L’héritage classique de cette danse encore athlétique se fait sentir, sans pour autant interférer avec la modernité tranchante du geste. Ici encore, le récit prend une autre tournure en chemin. Le corps se dénude, les lumières se tamisent, et la pièce prend un tournant mystique inspiré : celui de l’ordalie, jugement réservé aux sorcières qui se devaient, une fois jetées à l’eau, d’émerger pour prouver leur innocence. Sacrifié, le corps nu de la danseuse semble s’ouvrir, se défaire, s’étirer sous toutes les coutures pour traverser, coûte que coûte, une épreuve entre ciel et terre – ou du moins à la croisée des matières. Créée en 2023 à la Ménagerie de Verre, cette pièce résolument visuelle résonne au Pavillon Noir comme un appel inspiré à une renaissance au féminin. On n’eût pu rêver plus à propos.

SUZANNE CANESSA

Spectacles donnés le 6 mars au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

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Le Cirque Le Roux à l’assaut du GTP

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ENTRE CHIENS ET LOUVES © Le Bon Marché RiveGauche

Créé au Bon Marché, haut lieu du shopping de luxe, Entre chiens et louves a depuis tracé son chemin loin de la rive gauche parisienne. Le dispositif, monumental décor aux atours haussmanniens, s’animant au gré des humeurs et passages de ses habitants, perd peut-être de sa pertinence loin des gravures Art déco et des lustres opulents qui l’ont vu naître. Il gagne cependant en espace et en impact sur un public fasciné de bout en bout par les prouesses de ses circassiens et la grâce de son propos. 

État sauvage

Conçu dans un cadre on ne peut plus bourgeois, le spectacle étonne cependant non seulement par son inventivité, mais également par son anticonformisme. Pensé à destination d’un public familial, Entre chiens et louves raconte l’émancipation de personnages brimés par leurs époques et diktats conjugaux. Louise, contemporaine de la construction du bâtiment – aux alentours de 1870 – ne rêve que d’aller danser, au grand dam de son nigaud de mari ; et Maud, rêveuse des swinging sixties, découvre non sans appréhension son attirance pour les femmes. Alex, installé de nos jours avec son compagnon et un colocataire un brin envahissant, découvre les journaux intimes de ces locataires et reçoit la visite de fantômes plus ou moins bienveillants. 

Portés par de grands classiques et la musique originale subtile d’Alexandra Streliski, les artistes émeuvent sur de tendres duos, impressionnent par l’inventivité de leurs gestes et exploits en tous genres, sous la direction de Charlotte Saliou à la mise en scène, Léonard Kahn à la dramaturgie et Maria Carolina Vieira à ladramaturgie du geste. Portés à quatre étages, barre russe, doubles mâts chinois, mains à mains, contorsions … Si la virtuosité impressionne, elle émeut également dans sa capacité à capter une joie du collectif, notamment dans une très belle scène de bal viennois, joliment déjantée.

SUZANNE CANESSA

Spectacle donné les 4 et 5 mars au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

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Theodora, l’éclectisme musical

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Theodora au Makeda © AMLR_PHOTO

Ses fans l’attendaient avec impatience… C’est l’année dernière que son ascension a commencé avec la sortie de son single KONGOLESE SOUS BBL qui a explosé et a résonné un peu partout depuis. Il a été suivi par la sortie sa mixtape Bad Boy Lovestory (2024), que le jeune public sur place connaissait par cœur. 

Sur scène, la chanteuse était accompagnée de son frère, Jeez Suave, aux platines et au chant.

La Boss Lady bouge les lignes 

Originaire de la diaspora congolaise, elle amène sur la scène une musique qui transcende les frontières musicales avec une voix qui sonne comme de la variété française, des textes qui s’inspirent du franc-parler du rap et des sonorités afrocaribéennes et électroniques. Elle se frotte même au Rnb, au rock et joue avec la pop – hyperpop, indie pop…

Pour sa deuxième fois à Marseille, elle a opté pour une scénographie plus sobre qu’à son habitude. Cela  a suffi à son public pour l’acclamer toute la soirée : on entendait « Boss Lady », son pseudo, en écho résonnant dans la petite salle du Makeda.

L’artiste de 22 ans affiche une féminité sans complexe et affirmée, qui donne à la jeune génération, de femmes afrodescendantes notamment, un nouvel élan d’émancipation. Un concert qui a permis de célébrer la journée des droits des femmes. 

LILLI BERTON FOUCHET 

Concert donné le 8 mars au Makeda, à Marseille

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Des bleus à l’âme

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À Marseille, les arts décoratifs déclinent leurs collections et leurs différents pigments bleus, sur le corps, la faïence, la peinture. Plus allégorique la Passion bleue à Toulon est celle de la mer, jusque dans ses tragédies. Et tandis qu’à la Friche on cherche à verdir la ville pour la rendre, par bribes, habitable, à Gap le Cercle de Midi avance que la ruralité a des modèles de production culturelle inédits. Un avenir en vert, un avenir en bleu ? 

Les couleurs n’ont de réalité physique que notre perception, notre regard qui saisit les fréquences lumineuses et en transmet le message, à décoder. Produit de notre cerveau, sujet de nos subjectivités, la couleur est difficilement dissociable de sa symbolique. Le vert, couleur écologique, s’affranchit peu à peu de la verdeur des pousses et de la naïveté de la jeunesse mais y reste, inconsciemment, associé. Le rouge, couleur du combat et de la vivacité, est aussi celui du sang, de la violence effrayante. Mais le bleu ? 

Couleur de l’infini du ciel et de la mer se reflétant l’un l’autre, est aussi celui des uniformes et de la douleur, des bleus à l’âme, des mots bleus, du blues et du spleen. Et des petits garçons, construits sur une opposition binaire avec les petites filles en rose. Que les suffragettes anglaises refusèrent en adoptant le violet féministe comme une alliance, en elles, des deux genres. 

Rainbow warrior

Décrétée « couleur incontournable en 2024 » par les magazines de mode et de déco d’intérieur, la résurgence de la couleur bleue aurait-elle à voir avec le retour de la droite, voire du masculinisme, sur la scène internationale ? Les différentes nuances de bleu, surtout marine, s’affichent aujourd’hui comme un symbole d’apaisement face au mélange des genres, aux revendications féministes, au rainbow flag LGBTQI+, au rouge communiste, au vert écologiste, bref, à toutes les couleurs woke. 

Comme une force sourde, imposant leur robustesse, les artistes aujourd’hui rappellent que le bleu est aussi la couleur que les coups laissent sur les corps. Stanislas Nordey incarne Henri Alleg qui imposa ses convictions communistes face à l’armée tortionnaire pendant la bataille d’Alger. Les Suppliques rappellent que l’horreur du Vél’d’Hiv était légale et perpétrée par 9 000 Français en uniforme aux ordres de l’État français. Que le bleu de la loi a quelquefois viré au brun. 

Face à cet azur sombre, celui du Flamenco Azul se revendique inclusif, mondial et populaire. Marseille ouvre le portail Mars Imperium et explore sans complaisance sa mémoire impériale,  coloniale et post-coloniale. Et le Dictionnaire des Marseillaises convoque une autre histoire qui tarde à s’écrire dans l’espace public. 

L’ouverture sur le monde d’un Babel Minots s’exerce dès le plus jeune âge : la joie bigarrée de la jeunesse, rebelle à l’uniforme qu’on veut lui imposer dans les écoles, reste étrangère à la couleur dominante de l’apaisement, tourne le dos au ciel qui s’assombrit. Dans sa diversité inclusive elle ouvre un autre chemin, vers un ciel strié d’un arc-en-ciel triomphant.

AGNES FRESCHEL


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