jeudi 28 novembre 2024
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Chopin au cœur 

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Marie-Ange Nguci au piano accompagnée par le quatuor Elmire © XDR

« Nous achevons notre deuxième saison de concerts. Un long chemin a été réalisé et c’est grâce à votre soutien ». Agnès Viotollo, présidente de la Société marseillaise des amis de Chopin est émue. La Smac, qu’elle a fondé avec Yann Barbizet, fils du grand pianiste dont le Conservatoire de Marseille porte le nom, a donné en deux ans une vingtaine de concerts avec une programmation dédiée au piano. En clôture de saison à la salle Musicatreize de Marseille, elle accueille Marie-Ange Nguci, accompagnée par un quintette à cordes : le quatuor Elmire. Avec David Petrlik et Yoan Brakha aux violons, lafougueuse Hortense Fourrier à l’alto, le tout jeune violoncelliste Rémi Carlon et Yann Dubost, contrebassiste solo de l’orchestre de Radio France. 

Au programme, du Chopin, avec le Concerto n°1, op. 11 et le Concerto n°2, op. 21 en transcription pour piano et cordes. « Ces transcriptions étaient courantes à l’époque de Chopin, explique Agnès Viotollo, le compositeur les affectionnait car “traqueux” il détestait les grandes salles et préférait la musique de salon ». Ces deux concertos composés en 1829 et 1830 ont été écrits à un moment crucial de sa vie, alors qu’il quitte sa Pologne natale qu’il chérit pour se rendre à Paris. 

Le quatuor introduit la première œuvre suivie par la contrebasse. À l’entrée du piano, les cordes s’arrêtent puis reprennent dans une danse alternant pizzicatos et légatos à l’archet. La jeune pianiste semble faire corps avec son piano et avec le quintette comme un ensemble composé d’un seul cœur, impression amplifiée par le pizzicato métronomique de la contrebasse qui semble des battements. Les moments d’intensité romantiques laissent place à des instants d’alégresse, évocation sans doute de Mazurkas traditionnelles allant même parfois flirter des sonorités tsiganes presque jazz sans doute liés au jeu ténu et exigeant de Yann Dubost. 

Prodigieuse

Née en Albanie, Marie-Ange Nguci est un petit prodige, entré dans la classe de Nicholas Angelich au Conservatoire de Paris à l’âge de 13 ans. Elle a depuis enchaîné les prix et les concerts dans des festivals internationaux prestigieux, elle joue aussi de l’orgue et du violoncelle, parle sept langues et n’a que… 26 ans.

Si on ne devait retenir qu’un adjectif pour décrire son jeu, ce serait « fluidité » qui entraîne son jeu des ruisseaux les plus limpides, aux cascades cristallines en passant par des fleuves déchainés. Les notes, qu’elle retient jusqu’à l’extrême limite de chaque temps comme dans un dernier soupir, touchent droit à l’âme. À La fin de chaque mouvement, le silence est total, les respirations suspendues. Marie-Ange propose un Chopin corporel et engagé bien loin des propositions parfois éthérées voulant refléter l’esprit d’un musicien romantique et souffreteux. Au point d’orgue, la salle est en délire.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Concert donné le 6 juillet à la salle Musicatreize, Marseille. 

Envoûtements musicaux

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Pelléas et Mélisande, Festival d'Aix-en-Provence 2024 © Jean-Louis Fernandez

Le Festival d’Aix a eu l’heureuse idée de reprendre le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy dans une fascinante mise en scène de Katie Mitchell, une nouvelle distribution et une direction magistrale. On retrouve entier le charme envoûtant de ce spectacle qui fait errer une Mélisande démultipliée dans les décors vertigineux dessinés par Lizzie. Laurent Naouri est, comme dans la production de 2016, un immense Golaud, tandis que Chiara Skerath et Huw Montague Rendall forment un couple enthousiasmant d’incarnation vocale et dramatique. Vincent Le Texier (Arkel), Lucile Richardot (Geneviève) et surtout le magnifique et touchant Yniold d’Emma Fekete font de ce Pelléas 2024 l’occasion de belles découvertes. La cheffe Susanna Mälkki assume avec rigueur et lyrisme la direction de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Et on reste fasciné par la dextérité de l’équipe technique qui transforme comme par magie un salon bourgeois en piscine désaffectée et fait surgir du néant un vertigineux escalier métallique. 

Les territoires de l’inquiétude 

En marge du genre traditionnel qu’est l’opéra le Festival d’Aix programme deux spectacles musicaux entre théâtre et art lyrique. Un diptyque intitulé Songs and fragments met en miroir Eight Songs for a mad king de Peter Maxwell Davies et Kafka-Fragmente de György Kurtág. Deux œuvres nées dans ce 20e siècle qui a exploré plus que d’autres ces territoires inquiétants, reflets des grandes catastrophes qui l’ont ensanglanté. Eight songs fait parler la folie du roi George III d’Angleterre. Kafka-Fragmente compile une quarantaine de miniatures dont certain de quelques secondes, extraites du journal de l’écrivain pragois. Le baryton allemand Johannes Martin Kränzle offre une performance vocale et scénique qui percute le spectateur à l’estomac. En slip blanc, maquillé entre deux genres mal définis, il est le corps et l’âme torturés du roi fou qui hurle, brandissant les dérisoires clefs du royaume. La partition violente et contrastée, patchwork musical, est emportée par la direction énergique de Pierre Bleuse à la tête de l’Ensemble Intercontemporain. Un choc au sens fort du terme ! Le duo voix violon des Kafka-Fragmente joue en ombre double deux autres prouesses musicales. La soprano Anna Prohaska sait souligner la profonde ironie d’un texte. Tour à tour clownesque et touchante elle est le parfait reflet du texte musical âpre et serré transcendé par la violoniste Patricia Kopatchinskaja. Pour lier l’ensemble, la mise en espace de Barrie Kosky joue le minimalisme pendant que les géniales lumières d’Urs Schönebaum font surgir une intense émotion. 

Un grand oui pour Kentridge 

Le vidéaste et plasticien sud-africain William Kentridge revient à Aix pour une création mondiale à LUMA Arles. The Great Yes, The Great No évoque la traversée en 1941 sur un cargo vers la Martinique d’artistes fuyant la France de Vichy. Sont ainsi convoquées, sur des compositions de Nhlanhla Mahlangu, le surréaliste André Breton, le couple Suzanne et Aimé Césaire et les grandes figures de l’anticolonialisme Frantz Fanon et Léon-Gontran Damas. Montage vidéo, cinématographie et lumières créent un univers visuel tournoyant. Le génie plastique et imaginatif de Kentridge est à son meilleur. Il convient d’ailleurs de visiter l’exposition Je n’attends plus en marge du spectacle (à voir jusqu’au 12 janvier 2025). Accompagnés aux percussions, piano, violoncelle, banjo et accordéon, danseurs et chanteurs, menés par le coryphée Hamilton Dhamini, scandent sur des rythmes de gospel l’histoire de la négritude et les combats de la décolonisation dans un spectacle total, d’une grande beauté vocale, esthétique et théâtrale. 

PATRICK DI MARIA

Pelléas et Mélisande
Les 12, 15 et 17 juillet 
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Songs and fragments 
Les 10,12 et 14 juillet
Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence

The Great Yes, The Great No
Jusqu’au 10 juillet
LUMA, Arles

Un été à Maison Blanche

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Cumbia Chicharra © Fred Bouteille

Maison Blanche c’est à l’automne le festival Photo Marseille et au printemps les Arts Éphémères. L’été ce sont Les rendez-vous du lac, qui proposent tous les jeudis (du 11 juillet au 22 août) des moments qui associent spectacles jeune-public, pique-nique et concerts. Les familles ne boudent pas leur plaisir puisque l’été dernier certaines soirées ont accueilli jusqu’à 2 500 personnes. Au cours de cette 5e édition, au-delà de ces soirées conviviales, une cérémonie va être organisée : le parc Maison Blanche va être rebaptisée « Maison Blanche – Charles Aznavour », en lien avec les 100 ans de la naissance du chanteur décédé en 2018, qui venait volontiers depuis sa maison de Mouriès pour passer des moments avec ses amis à Maison Blanche. 

Tribute bands

Les tribute bands étant à la mode, Les rendez-vous du lac ne vont pas s’en priver. Premier tribute à Charles Aznavour donc, le 11 juillet. Au chant Philippe Cavaillé, dont la voix présente une ressemblance si troublante avec la voix d’Aznavour, qu’Éric Wilms, le chef d’orchestre qui a travaillé pendant 25 ans avec le « Grand Charles » est tombé sous son charme, et a eu envie de l’accompagner sur scène, en compagnie des musiciens du dernier orchestre de l’artiste. C’est le lendemain qu’aura lieu la cérémonie de dénomination du parc à 17 h, en présence de la famille d’Aznavour, accompagnée d’une émission de radio en direct sur RCF, de livres sur l’Arménie offerts au public, et d’un concert de la chorale du Chœur arménien de Marseille Sahak-Mesrop.

Le second tribute sera dédié à Céline Dion le 15 août, par Flo Bellon, sosie de la star canadienne, dans un show où elle interprète ses plus grands tubes. Enfin Abba sera mis à l’honneur dans le cadre de la tournée La Marseillaise – France Bleu avec le groupe Abba Story le 22 août.

Caliente

Les autres rendez-vous proposent notamment de se déhancher sur les rythmes des musiques sud-américaines. Comme le 18 juillet avec le groupe Pablo y su Charanga, au répertoire cubain très varié, et la présence de plusieurs écoles de salsa. Le jeudi 1er août c’est La Cumbia Chicharra, collectif franco-chilien, basé à Marseille, huit multi-instrumentistes qui assaisonnent la cumbia originelle d’accents afro-beat, funk, hip-hop, dub – un concert programmé par La Mesón. Dans un autre registre, le chanteur Jean Menconi, à l’affiche du concert du 25 juillet, allie chant traditionnel corse et pop rock. Le 8 août, White Feet – Nasser Ben Dadoo, notamment finaliste de l’International Blues Challenge de Memphis 2023, chanteur-guitariste à la voix grave et puissante, jouera son blues se promenant aussi bien du côté de l’Afrique que du Mississippi. Il laissera place à une séance de ciné en plein air avec La mouette et le chat de Enzo D’Alò.

MARC VOIRY

Les rendez-vous du lac
Du 11 juillet au 22 août
Parc de Maison Blanche, Marseille

Être ici, dans le présent

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Plans fixes d’immeubles en chantier, vides de toute présence humaine à Bruxelles. Des ouvriers prennent leur pause-repas. Parmi eux, Stefan (Stefan Gota), un travailleur roumain s’apprête  à prendre ses quatre semaines de vacances. Il va donc vider son frigo et préparer de la soupe avec les légumes qui restent. Une soupe qu’on va le voir distribuer tout au long du film de Bas Devos, Here. Un cadeau pour tous ceux qu’il apprécie : un ami qui travaille de nuit dans un hôtel, des garagistes, roumains comme lui qui lui réparent une voiture pour la route vers Navodari. L’un d’eux, Mihai (Teodor Corban à qui le film est dédié) lui parle de son opération, de l’anesthésie et de ses peurs et de ses larmes. « Ils ont touché ton cœur et ce n’est pas rien ! » commente Stefan, à l’écoute, présent aux autres et à l’instant présent. Lui a reçu un coup de téléphone d’un ami d’enfance qu’il n’a pas vu depuis quelques années. En prison, il lui demande de lui rendre visite. Tous les souvenirs reviennent, les bois, l’été, les lucioles… Avant de partir, il déambule, surtout la nuit – il est insomniaque – et prend des chemins de traverse, dans la ville, ou dans la campagne environnante. Il rend visite à sa sœur, Anca, (Alina Constantin) et lui confie sa vie, monotone : cuisiner est la seule chose qu’il sache faire.

Avec Shuxiu

Une voix off : « Ce matin, je me suis réveillée d’un sommeil très, très profond. » C’est la voix d’une femme d’origine chinoise qui dit être perdue, ne plus savoir le nom des choses. C’est Shuxiu (Liyo Gong), une bryologue qui fait de la recherche botanique sur les mousses. Quand leurs chemins se croisent, dans une forêt entre Bruxelles et Vilvorde, le regard de Stefan va changer et le nôtre aussi. Shuxiu lui apprend à observer ces « micro forêts dans nos mains », qu’on ne voit jamais, qui ont tant de choses à nous apprendre. « Je vois tout le temps des nouvelles choses », précise-t-elle à Stefan, qui s’étonne de la voir prendre des notes dans son carnet.

Des mousses filmées en très gros plans par Grimm Vandekerckhove,superbes, éclatantes de vert, entre ombre et lumière. Des plans qui incitent à s’arrêter, à regarder, à méditer. Une ode à s’attarder et voir les gens que l’on croise. Un film contemplatif qui fait du bien en ces temps agités. « Ce film parle de boîtes de soupe, de graines, de racines et de mousse douce sous nos pieds. Il s’agit donc d’un film sur ce que signifie être humain » explique Bas Devos. Here, son quatrième long métrage, a remporté le Prix du meilleur film de la section « Encounters » de la dernière Berlinale.

ANNIE GAVA

Here, de Bas Devos
En salles le 10 juillet

Avant le soir : de la terre au ciel…

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Bulle-Julie Alamelle.© J.Luc Woodman

Le public est installé sur des chaises ou des tapis formant un cercle. Au centre, un autre cercle de terre tamisée et ratissée. L’artiste s’y installe, entière et discrète, par petits mouvements imperceptibles, s’offrant au public qui rentre peu à peu en contact avec elle. C’est un moment de partage que l’on s’apprête à vivre, même si certains peuvent être déconcertés par cette danse très lente. Le geste est ample et délicat, jusqu’au bout des doigts qui montrent le ciel, jusqu’aux talons qui s’enfoncent, aux orteils qui se crispent. Le regard est intérieur mais présent avec bienveillance. L’extérieur est intégré et absorbé. Les tours de l’église des Réformés lancent leurs lances blanches vers le ciel à travers la dentelle métallique du kiosque. On oublie les bruits de la circulation tout autour… Avec cette Bulle(s) chorégraphique(s) de Julie Alamelle de la Cie Mouvimento, le temps est suspendu.

Une dimension spirituelle

De ce jeu entre l’équilibre et la grâce naît une sensation de calme et de sérénité. C’est une statue vivante que nous avons devant les yeux, une prêtresse qui relie la terre au ciel, qui communique avec le vivant et tente une communion avec l’univers. Le geste se fait de plus en plus ample, allant jusqu’au sol, se frottant à la terre, se relevant dans une parfaite maîtrise de l’équilibre. L’univers sonore installé par Laurent Pernice ajoute une dimension cosmique avec les enregistrements de sons du magma. Ce spectacle intimiste de Julie Alamelle nous fait accéder à une dimension universelle.

CHRIS BOURGUE

Bulle(s) chorégraphique(s) a été joué au kiosque à musique le 13 juin dans le cadre du festival d’été Avant le soir.
À venir :
2 juillet au Jardin Benedetti (13007)
11 juillet au square Labadié (13001)
Gratuits

Le jour d’après

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Que pouvons-nous opposer à l’immense vague d’extrême droite qui gonfle à l’horizon et va sans doute nous immerger ? 

En trois semaines l’impensable politique est déjà arrivé. On ne résiste pas à l’odeur du pouvoir même quand la tête pue, et la droite républicaine, qui doit nombre de ses sièges au vote de barrage des électeurs de gauche, a vu son chef rejoindre le RN. Marion Maréchal a bien sûr regagné le giron familial, sa tante et Bardella, son cousin par alliance non écrite : dans la famille Le Pen, on fricote goulûment avec les pires des fascistes racistes homophobes et sexistes, mais on rejoint le bercail quand les portes du pouvoir s’entrouvrent, Tatie ayant poussé sous le tapis le grand-père borgne décidément trop antisémite. La troisième génération a le cheveux et le sourire lissés, les mâchoires acérées blanchies et blondies pour étinceler sous les projecteurs. Le côté vampire de leur dentition trop blanche séduit visiblement les adulescents élevés dans l’apologie de l’asepsie et la hantise de la disparition.

Un avenir désirable

Mais en trois semaines un sursaut inespéré s’est également produit : la gauche a scellé l’union que beaucoup attendaient et s’est munie d’un programme solide. Un contrat social renouvelé, reposant sur la solidarité avec les populations précaires et exposées, en est le moteur commun, et démonte enfin les préceptes économiques ultra-libéraux qui jettent la plupart des Français dans la précarité sinon la pauvreté, tandis que la fortune des plus riches explose hors des volumes imaginables. Réalisable et pragmatique, les mesures du NFP se fondent, comme tous les préceptes néo-keynésiens, sur la consommation réactivée des classes moyennes et populaires, et non sur les industries du luxe qui font les grandes fortunes françaises. Bref, le programme du Nouveau Front Populaire semble enfin dessiner les paysages d’un avenir désirable.   

Demain viendra

Car quel avenir désirons-nous ? Contre quelle absence de futur devront nous lutter si le RN l’emporte ?  Les cadres de l’éducation nationale ont prévenu de leur future désobéissance, les journalistes des médias publics se préparent à démissionner, la magistrature à résister, comme les fonctionnaires territoriaux et les agences régionales de santé qui refuseront, demain, de laisser mourir les étrangers sans couverture sociale. 

Au premier rang de la révolte, les artistes et festivals appellent à la mobilisation. Dans ce dernier hebdo avant le premier tour de législatives où nos vies peuvent s’effondrer, le maire de Vitrolles et le fondateur d’une association d’entraide trans et queer rappellent les ravages que produit l’extrême droite au pouvoir. Les festivals de l’été seront l’occasion de fêter leur défaite, ou d’armer ensemble nos imaginaires pour les dégager. 

AGNÈS FRESCHEL

Le crépuscule de Naïs

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Nais © M.M.

C’était la dernière fois que la dynamique compagnie Dans la cour des Grandsfoulait les chemins de la garrigue pour interpréter Naïs, pièce adaptée et mise en scène par Sandra Trambouze et Géraldine Bascou à partir du film de Pagnol (1945), lui-même inspiré d’une nouvelle de Zola. Plus de 200 spectateurs participaient à cette randonnée théâtrale dans le domaine de Pichauris à Allauch, et notamment devant ce lieu gravé dans toutes les mémoires qu’est la Propriété Luc, la bastide aux volets bleus dans laquelle Pagnol passait ses vacances d’enfance. Dans ce décor naturel où résonnaient le pépiement des oiseaux et le rythme du swing des Saltimband, les spectateurs ont suivi les aventures de la belle Naïs, « fleur sauvage » interprétée avec justesse et sensibilité par Louise Desmullier, étroitement surveillée par le violent père Micoulain (Jacques Maury). Mais il suffira de la vue de Frédéric (Nicolas Rochette), noceur et séducteur au charme mutin pour que les deux jeunes gens entament des amours ancillaires dans la propriété de M. et Mme Rastaing (Franck Libert et Alice Mora), les parents du jeune homme. Le rôle le plus complexe revient à Toine, magistralement incarné par Olivier Cesaro, qui donne à cette comédie l’étoffe du drame. Amoureux transi de Naïs, il souffre de sa bosse, mais « les petits bossus sont des petits anges qui cachent leurs ailes sous leur pardessus ». Il déjoue alors le piège mortel que le père Micoulain veut tendre à Frédéric, mais s’inquiète pour l’avenir de Naïs qui porte un enfant que ne reconnaîtra sans doute jamais Frédéric, pressé de retourner à la ville pour terminer son droit.

« Je ne veux pas qu’on fasse du théâtre, je veux qu’on fasse des bulles d’émotion », déclare le co-directeur de la troupe, Emmanuel Fell de Ladurance. Le pari est réussi : à l’émotion du public s’est mêlée celle de la troupe, lors du crépuscule terminant une aventure de cinq ans, marquée par la perte d’Étienne Delfini Michel, ancien interprète de Frédéric, à qui cette pièce était dédiée en hommage.

Mais l’aventure Pagnol, dont on célèbre cette année le cinquantenaire de la mort, est loin d’être terminée : les randonnées de printemps laissent place aux balades théâtrales nocturnes d’été, avec Manon des sources, Souvenirs des collines, ou encore En attendant Marcel. Pour les randonnées théâtrales du printemps prochain, une nouvelle héroïne féminine remplacera Naïs, dont le nom reste encore secret…

MATHILDE MOUGIN

Cet obscur objet qu’est le théâtre

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C’est leur éditeur, Bernard Duperrein qui, après la lecture de ce qui deviendra le premier chapitre du livre, Conversations à Bilbao, demandera aux deux hommes de théâtre que sont Jean-Marie Broucaret et Alain Simon de compléter ce dialogue d’une bonne quarantaine de pages par d’autres essais composés sur le même mode à propos de leur expérience de théâtre et de transmission. Suivant la méthode inspirée d’un travail mené avec deux actrices au Théâtre des Ateliers (Dialogue), il s’agit d’échanger des mails dans un délai de 24 heures après le moment où l’on reçoit le texte de l’autre, « quelle que soit notre disponibilité, ou de notre inspiration », explique Alain Simon en introduction : « Les dates de début et de fin du dialogue sont fixées à l’avance » une lecture à haute voix hors de leurs lieux d’exercice détermine l’intérêt de ce qui est produit. Comme le lieu de rencontre fut un hôtel de Bilbao, le titre était tout trouvé ! La réflexion porte sur la manière de mener « l’option théâtre », le lieu de la représentation, la problématique de la scène et de ses « murs », le moment où le jeu commence, où l’acteur « entre en jeu ». C’est brillant, profond, illustré de références. Le langage technique n’est pas occulté, mais éclairé de façon que tout type de lecteur puisse saisir les enjeux du propos. Le théâtre « porte un espoir dans l’humanité. Plus qu’un art vivant, c’est un art des vivants ». Un ouvrage qui se lit comme un roman. Une pépite !

M.C.

Conversations à Bilbao, de Jean-Marie Broucaret et Alain Simon
Éditions La ligne d’encre - 12 €

Croquer les êtres et leurs mots

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Olivier Mariotti nous invite à découvrirLe génie des élèves, quatre opuscules, un volume par saison, au format de poche au sens propre, sous-titrés « cinq questions majeures en mode mineur ». Face à chaque portrait au crayon noir d’un·e adolescent·e (issu·e d’une classe de collège ou de lycée), se déclinent ses réponses sur cinq thèmes, toujours les mêmes : L’amour, L’école, La mode, L’art, Les réseaux sociaux. S’esquissent des réminiscences rimbaldiennes avec les poings dans les poches, un penchant pour la révolte avec des poings serrés, ou une angoisse existentielle lorsqu’ils se plaquent des deux côtés du front… Sept minutes de pause par dessin, c’est la contrainte que s’est posée le professeur, qui, à la fin de la séance pose les questions précitées, toujours dans le même ordre. L’écrit validé par l’élève viendra s’imprimer en regard de son portrait. Les questions ne font pas appel à des connaissances mais à une expérience, explique en préface l’auteur. Cette inscription dans le temps de l’autre, dans sa présence, est touchante de sincérité. Certaines réponses sont d’une profondeur émouvante. L’ensemble donne un panorama tendre et présente une vision sensible, nuancée et intelligente de la jeunesse actuelle. Une bouffée d’air frais alors que les dystopies rôdent…

M.C.

Le génie des élèves, de Olivier Mariotti
Éditions Les Enfants Rouges – 10 €

Entre traditions occidentales et orientales

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Il y a quelque chose qui relève de la gageure que de vouloir donner un portrait de l’auteur génialement prolifique qu’est Salman Rushdie. Guy Astic part de leur rencontre aux Écritures Croisées dont l’écrivain avait été l’invité d’honneur en 2008 grâce à la « fée littéraire d’Aix-en-Provence », Annie Terrier. Malgré la fatwa qui pesait déjà sur lui sous le prétexte que Les Versets Sataniques, paru en 1988 ridiculiseraient le Coran et Mahomet, il avait séduit l’auditoire par sa verve, son détachement, son sens de l’humour, sa finesse, son élégance, sa faculté à faire de tout un récit. « Il est resté, affirme Guy Astic, cette force qui va, vouée à l’art sans bornes du roman, foncièrement transgressif, qu’il ne cesse de régénérer ». Le critique, en une étude aussi passionnée que subtile, établit un ample réseau de références qui inscrivent Salman Rushdie dans la grande tradition de la littérature mondiale. On passe de « la lignée du poète ourdou pakistanais Faiz Ahmed Faiz (1911-1984) » à Pablo Neruda, Conrad, Tchekhov, Cervantès. Si « la littérature est un territoire de controverses », elle est aussi lieu de brassages. L’écrivain né dans l’Inde indépendante dans une ville bâtie par les Britanniques, elle-même « mélange d’Orient et d’Occident », a vu sa famille subir de plein fouet la partition entre les États du Pakistan et de l’Inde. Auteur post-colonial de fait, il mettra en pratique une écriture kaléidoscopique affirmant « qu’aucun ensemble d’idées n’est intouchable ». En neuf chapitres, l’œuvre est parcourue avec une gourmandise sans cesse renouvelée, de la « pollinisation croisée » à « l’imagination fractale », de « la langue sous la langue, ou l’anglais sens dessus dessous » au « roman protéen » puis « effervescent ». Les télescopages linguistiques, les collisions entre les langues et les histoires, nourrissent une « jubilation romanesque » dans laquelle on a hâte de se replonger.

MARYVONNE COLOMBANI

Salman Rushdie, La fièvre du roman, de Guy Astic
Éditions Rouge Profond – 20 €