jeudi 28 novembre 2024
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Des fronts populaires et de l’exercice démocratique

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Léon Blum © X-DR

« La marche de l’histoire est parfois facétieuse. Le contexte donne un parfum particulier à cet évènement participatif  » confirmait le producteur Philippe Collin, lors de sa présentation au public.  Né de l’enregistrement d’un podcast original de France Inter, écrit et raconté par le producteur avec Charles Berling dans le rôle de Léon Blum, le spectacle met en scène la production radio et son ballet de signes (Violaine Ballet) commentée par les dessins effectués en direct par Sébastien Goethals. Après Toulon et avant Marseille la saison prochaine,Aix a invité lecteurs, danseurs et choristes de chaque territoire à participer à  une expérience,  où le public est impliqué activement : dans des discussions avec l’historien Nicolas Rousselier, lors d’un bal et d’un banquet républicain partagés dans les grandes tablées installées à l’extérieur du théâtre.

Bref, la conception même de l’évènement qui dure de 14 à 23 heures fait vivre intensément les aspirations démocratiques et populaires, rappelant l’effervescence des « grèves joyeuses » qui ont suivi l’élection de la coalition du Front Populaire de 1936. À 23 heures, on restera encore à discuter, lire dans un coin la tribune d’Ariane Mnouchkine tout juste parue dans Libération… Le théâtre est une agora, un mouvement choral vivant, puissant, et jamais populiste.

Un peu d’histoire

En cinq temps de récit, entrecoupés par des chants et des bals populaires, est retracée la vie de Léon Blum et tout un panorama de son époque, de la fin du XIXe aux années 50. On le suit, brillant, lettré, nourri de l’esprit de justice par son éducation, ayant pour modèles les héros de Stendhal, auxquels il sera souvent comparé, ses amitiés, son essai Du mariage… À son Panthéon brille aussi l’étoile de Barrès avec lequel il rompra au moment de l’affaire Dreyfus C’est alors qu’il prend vraiment conscience de ce qu’est l’injustice. Ce qui compte pour lui c’est la résistance, que ce soit pour Dreyfus ou plus tard dans l’après-Vichy. Sa rencontre avec Jean Jaurès sera déterminante. Homme de l’union et du consensus,  il se présente pourtant au congrès de Tours comme le « gardien de la vieille maison »,  refusant en bloc les 21 mesures de la 3e internationale bolchévique, ce qui amène à la scission SFIO (socialiste), SFIC (communiste), alors majoritaire .

Des parallèles glaçants

Bien sûr, le public est particulièrement attentif à l’élection du Front Populaire : ce gouvernement d’union qui n’a duré qu’un an et a pourtant apporté les congés payés, les 40 heures… plaçant l’État comme arbitre du contrat social. « La réforme est révolutionnaire, la révolution est réformatrice » affirme celui qui scande : « Il y a quelque chose qui ne me manquera jamais c’est la résolution, c’est le courage, c’est la fidélité ».

Des analogies s’instaurent avec notre temps présent : aujourd’hui, les forces de gauche se rassemblent sous le nom de Nouveau Front Populaire. Mais en 36 les droites étaient divisées, ce qui n’est plus le cas en 2024 soupire l’historien qui précise la différence entre la démocratie présidentielle actuelle, concentrée autour d’un chef suprême et celle parlementaire de 36 où les assemblées contrôlent l’essentiel du pouvoir législatif et dominent l’action du gouvernement…

Aux lendemains de la guerre de 39-45, selon Blum, le programme du CNR n’allait pas assez loin. C’était pour lui le moment d’installer un socialisme humaniste permettant à chacun d’oser l’aventure d’être soi-même. Quel écho aujourd’hui ?

MARYVONNE COLOMBANI

Léon Blum, une vie héroïque s’est donné le 15 juin au Bois de l’Aune, Aix-en-Provence

Le Conservatoire fait son Grand Boucan

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L’Orchestre des Colibris © X-DR

Avec Le Grand Boucan, c’est une semaine de folie qui s’annonce. Dès le 23 juin, rendez-vous à 19 heures sur la place Jean Jaurès. Les instrumentistes du Conservatoire se frottent à l’emblématique Boléro de Ravel avec l’orchestre symphonique Vivaldi dirigé par Frédéric Isoletta. Le lendemain à 18h30, la Cour d’honneur du Conservatoire accueillera l’orchestre des Colibris qui réunit des enfants sourds, entendants et des musiciens professionnels. Le même jour à 20 h, trente professeurs feront résonner les notes de Bach, Mozart, Schumann et Prokofiev lors d’un concert qui viendra clore la deuxième saison des Carlissimo, les rendez-vous musicaux du lundi soir,qui ont attiré cette année des centaines de spectateurs. Le mardi 25 juin à 18 heures, toujours dans la Cour d’honneur on pourra applaudir les Voix en herbe, les Graines de voix et le Chœur de jeunes dirigés par Anne Périssé dit Préchacq ainsi que la chorale de premier cycle de Jean-Emmanuel Jacquet. A 20h30 la soirée, jouez jeunesse en partenariat avec Marseille Concerts et parrainée par deux musiciens exceptionnels Florian Caroubi et Bernard d’Ascoli fera découvrir de jeunes musiciens et chanteurs, grands talents de demain.

Rock et baroque

Les Petits violons des calanques se produiront dans des œuvres de Bach, Schumann, Weber, Mozart, l’orchestre Démos dans l’incroyable épopée de Ferdinand le Gabian et l’orchestre Rameau dans un programme éclectique. Ce sera le 26 juin à 16 h juste avant le Goûter en fanfare à18 hsur le parvis du Conservatoire avec l’école « Jouons ensemble ». À 19 heures 30, place aux cordes, rock et baroque avec un programme bouillonnant et varié : boléro, danse Macabre, chansons rock, concertos pour altos de Telemann et pour 2 mandolines de Vivaldi avec l’orchestre des Minots de Marseille (direction Catherine Arquez et Vincent Beer-Demander), les Petites cordes du Conservatoire (direction Violaine Sultan) et les orchestres Vivaldi et baroque du Conservatoire.

L’orchestre de mandoline des minots de Marseille © X-DR

Le 27 juin, Le grand boucan investit la Friche La Belle de Mai. A 19 h, embarquez avec l’orchestre d’harmonie du Conservatoirepour un voyage qui démarrera avec Cassiopée de Carlos Marqueset finira avec une Bamba latino endiablée. Changement d’ambiance à 20h30 sur le Grand plateau où sera donné Le Messie de Haendel monument choral et sacré avec l’orchestre Baroque et le Chœur Philharmonique de Marseille. Et ce sera déjà le week-end. Le moment idéal pour suivre le 29 juin à 18 heures une déambulation musicale de la fanfare Pompier Poney Club qui partira de la Plaine pour rejoindre le Palais Carli. Leur répertoire de reprises alliant rock, rap et variétés et leurs chorégraphies endiablées devraient faire danser même les plus récalcitrants. Une fois de retour au Conservatoire, l’orchestre d’harmonie dirigé par Sylvain Gargalian proposera des poèmes symphoniques américains : de Gershwin à James Barnes et les Philharmonistes du pays de Vaucluse, des œuvres originales de José Alberto Pina, Naoya Wada et Jan van der Roost. Ils concluront ensemble dans un final festif avec 80 musiciens sur scène.

Et comme tout finit toujours en musique, c’est à 21h30 avec le Big Band O’jazz Amu and Co, composé d’étudiants, de personnels d’Aix-Marseille Université et d’élèves de la classe de jazz du Conservatoire que s’achèvera cette incroyable semaine.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le Grand Boucan
Du 23 au 30 juin 
Conservatoire Pierre Barbizet, place Jean Jaurès,
Friche Belle de mai
Marseille

Palimpsestes urbains

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© G.C

David Poullard est un plasticien, photographe ; il s’intéresse particulièrement aux forêts de signes écrits jalonnant nos déplacements quotidiens. « Les lettres de l’espace urbain sont des indices de nos sociétés », expliquait-il à la vingtaine de personnes qui le suivaient, le 13 juin, dans le centre-ville de Marseille, sur un parcours organisé par le Bureau des Guides dans le cadre du festival Art Explora. Aux murs de la ville, si l’on y est attentif, figurent souvent des inscriptions presque effacées, comme un palimpseste, ces parchemins médiévaux grattés de frais, où les anciennes écritures affleurent. « Ah, ici un lettrage Art nouveau : il date probablement du début XXe  », s’exclame le passionné, pointant tour à tour divers fantômes d’enseignes. Une librairie, un coiffeur, une pâtisserie… autant d’activités disparues qui ont laissé des traces, parfois à hauteur de calèche, lorsqu’elles ont été conçues au temps de la traction animale. Strate après strate, elles composent un décor désuet, tellement plus évocateur que les abominables écrans géants, énergivores, qui focalisent aujourd’hui notre attention sur leurs publicités.

GAËLLE CLOAREC

La balade urbaine du Bureau des Guides a eu lieu le 14 juin dans le cadre de Art explora

Divine Inanna

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Il y avait enfin un peu de monde sur le Vieux-Port en cette fin de vendredi après-midi. Les organisateurs avaient convié l’ensemble Musicatreize pour un long extrait en avant-première d’une œuvre de Zad Moultaka, Inanna, prémisses d’un projet qui devrait aboutir dans un an et demi : « Inanna s’appuie sur des textes sumériens très archaïques qui datent du début de notre civilisation, il y a 4500 ans, explique le compositeur libanais. Le spectacle sera monté avec l’ensemble Musicatreize, quinze musiciens d’instruments traditionnels et des grands chœurs amateurs ». Inanna, déesse Sumérienne de l’amour, de la fertilité et… de la guerre, a inspiré de nombreux mythes mésopotamiens. Sur scène, les musiciens se sont installés. Le concert débute par un solo du ténor Xavier de Lignerolles. Face au public, il incante des mots inconnus mais dont on comprend la signification sacrée mais aussi martiale quand celui-ci se frappe violemment la poitrine avec les mains. Il est rejoint par les instruments d’abord l’oud d’Abderraouf Ouertani puis le qanûn de Khalil Chekir et enfin la flûte anatolienne d’Isabelle Courroy dont les sonorités transportent instantanément dans un paysage d’immensité aride. Enfin le ténor rejoint par l’alto Alice Fagard et sous la direction de Roland Hayrabedian, déclament un poème d’amour, scellant le mariage sacré entre le Roi et son épouse rituelle, l’une des prêtresses de la divine Inanna.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le concert de Musicatreize s’est tenu le 14 juin dans le cadre du festival Art explora

Le regard pour tisser du lien

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© MARTA ROGER-GERMANI

Les yeux dans les yeux, les artistes et leur public ne font plus qu’un. La signalétique peu claire du festival Art Explora n’aidant pas, une quinzaine de participants seulement trouvent le chemin et s’organisent en un groupe mouvant au gré des indications des artistes Dasha Sedova et Omar Aljbaai. Tous deux font partie de l’association L’atelier des artistes en exil qui aide à la réinsertion des artistes ayant fui leur pays. C’est le cas ici avec Le corps s’étend, qui leur permet de nouer des liens avec le milieu culturel marseillais via un atelier qui inclut la population locale. Le regard est l’axe principal de la performance : à plusieurs moments, une personne est désignée et tout le monde doit se placer dans son champ visuel ; un autre temps est dédié à l’observation des passants. En plus du regard, le contact et la prise en compte du corps sont aussi des éléments phares de l’atelier. De très jeunes enfants comme une personne âgée ont pris part à la performance : avec la volonté de s’adapter à tous, elle supprime la barrière de la langue, qui fait défaut à Dasha et Omar, pour nous réapprendre à être ensemble.

MARTA ROGER-GERMANI

La performance d’Artistes en exil a eu lieu le 13 juin dans le cadre d’Art explora

C’est pas non plus la cata…

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© A.F

Comment rater un événement culturel sur le Vieux Port et ne pas réussir à rassembler plus de quelques centaines de personnes autour d’une programmation, pourtant réussie, d’artistes du territoire ?

C’est l’exploit d’Art Explora à Marseille. Le festival itinérant, qui veut sillonner les mers du monde pour proposer des expériences artistiques gratuites, n’en est qu’à sa troisième étape (après Venise et Naples), et semblait essuyer les plâtres d’une construction menée à la va-vite. Malgré l’occupation médiatique, le partenariat média avec BFM TV, dont les spots tournent sur l’écran de fond de scène, malgré la présence du 6 au 18 juin sur le quai de la Fraternité au bas de la Canebière, dans un espace public qui a vu foule quelques jours auparavant pour l’arrivée de la flamme, malgré les 47 mètres du bateau-musée et son impressionnante voilure de plus grand catamaran voilier du monde, personne ne semble savoir parmi les passants ce qui se passe derrière les barrières Vauban qui enclosent la programmation de spectacles et d’exposition.

Il faut dire qu’ils sont gratuits, mais qu’il faut s’y inscrire… et  qu’on peut aussi y assister sans inscription ! Aucune signalétique n’annonce le programme, aucun flyer d’information n’est diffusé, pas même un QR code qui pourrait renvoyer à un agenda… Personne ne sait ce qui se trame là, derrière le passage étroit gardé par des agents de sécurité très souriants, mais qui sont là pour fouiller les sacs et pas pour accueillir le public et renseigner sur les programmes.

Expositions

A l’intérieur, même amateurisme bienveillant : sur le catamaran un défilé pas marrant de poncifs sur les civilisations mésopotamiennes, une expo « immersive » numérique qui anime les figures féminines du Louvre sur les parois courbes du bateau, déformant leurs formes… Faut-il vraiment offrir au visiteur des succédanés d’œuvres déformées qui ne peuvent que leur en donner de fausses images ?

À quai, dans un container, une autre exposition confronte plus judicieusement des œuvres contemporaines et des estampes de Miro, une émouvante petite sirène antique, des dessins d’enfants, dans une belle unité thématique qui donne un vrai accès aux œuvres.

Spectacles

La soirée d’ouverture, avec Zaho de Sezagan  a fait le plein d’un espace public à la fois vaste et bizarrement contraint. Et sur cette scène  les compagnies du territoire, de Hylel à  La Madelena, de Josette Baïz à De la Crau, de Kader Attou à Maria Simoglou, ont fait défiler les talents de musiques du monde et de hip-hop que Marseille recèle… devant un public pour la plupart du temps  clairsemé. Les conférences scientifiques et projections ont attiré moins de monde encore, malgré la pertinence de leurs thématiques et invités. 

Au concert deSpartenza, un  public habitué de la Cité de la musique ou de Babel Med, agrémenté de quelques curieux passés par là et attirés, au fur et à mesure, par la force de la musique : le duo de la chanteuse sicilienne  Maura Guerrera et du guembriste et oudiste algérien Malik Ziad, auquel s’adjoignait le tambourin occitan de Manu Théron, et ses contre-chants, tissent des liens charnels entre les rives, les cultures, les pratiques, les histoires populaires des artisans, les rêves des enfants.

Un imaginaire commun que les prochaines éditions d’Art Explora sauront sans doute mieux mettre en valeur, pour peu que le contexte politique n’interdise pas, à l’avenir, les échanges.

AGNÈS FRESCHEL

Art Explora a eu lieu du 6 au 18 juin sur le Vieux Port, à Marseille

Quelle culture dans l’Italie de Giorgia Meloni ?

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Giorgia Meloni a été désignée Présidente du Conseil le 21 octobre 2022. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, une héritière du fascisme accède au pouvoir en Italie

Zébuline. Vous dénoncez dans votre ouvrage la politique culturelle menée par le gouvernement de Giorgia Meloni. Quel est le point de départ de ce livre ?

Alberto Mattioli. La thèse de mon pamphlet est qu’il y a un parti qui a été exclu de la vie démocratique de la nation depuis 80 ans, et qu’il s’en plaignait. En 80 ans, on pouvait supposer qu’il avait réfléchi à une quantité d’idées fortes, marquantes, à présenter à l’opinion publique. Alors qu’en réalité il ne se passe absolument rien, sinon l’occupation du plus de places possibles à la tête des grandes institutions culturelles.

Cette vague de nominations est-elle inédite ?

En Italie, c’est la règle que le personnel qui gère les grandes institutions culturelles soit nommé par le parti au pouvoir. La compétence a toujours été un surplus, l’important c’est la fidélité à son propre parti politique. Le problème ici, c’est que ceux qui occupent le pouvoir ne savent pas quoi en faire, c’est étrange. 

« Le populisme est le contraire de la culture, qui pense la complexité du monde »

Pouvez-vous parler de certaines de ces nominations ?

Ils ont par exemple choisi Pietrangelo Buttafuoco à la tête de la Biennale de Venise. C’est un intellectuel très droitier – qui a écrit de très beaux romans – et qui s’est converti à l’Islam. Sicilien, il voulait se rapprocher des racines anciennes de sa culture. Moi je n’ai pas été scandalisé par cette nomination – à la différence de beaucoup à gauche – mais ce qui me dérange et me choque, c’est que personne, ni le ministre, ni Buttafuoco lui-même, ne nous a dit ce qu’il voulait faire à la tête de la Biennale.

Ils viennent également de nommer Fortunato Ortombina à La Scala de Milan. Un homme de grande valeur, un ami à moi. Mais le seul commentaire du ministre de la Culture après cette nomination était qu’après deux Français et un Autrichien, La Scala avait enfin un Italien à sa tête. C’est ridicule.

Alberto Mattioli © X-DR

Comment peut-on expliquer cette incompétence ?

Par deux raisons selon moi. Cette droite est arrivée au pouvoir en soutenant des thèses populistes, les mêmes que le Rassemblement national en France. Mais le populisme n’est rien d’autre que la réduction de problèmes complexes à des solutions très faciles, élémentaires. Il est le contraire de la culture, qui pense la complexité du monde, en analyse les contradictions, les fractures. Si vous faites une politique qui est entièrement dominée par le populisme, alors évidemment vous avez un problème très grave avec la culture. Cette droite a aussi un problème d’identité. Alors qu’en Italie il y a eu le fascisme, une droite chrétienne, une pensée libérale conservatrice… cette droite n’a aucune identité. On ne comprend même pas d’où elle agît, même si ses racines sont sans doute dans le fascisme. Mais bien évidemment, ils ne s’en réclament pas.

« Il a dirigé un JT qui ferait passer un journal soviétique des années 1970 pour un modèle de pluralisme et de diversité d’opinion »

Au ministère de la Culture a été nommé Gennaro Sangiuliano. Pouvez-vous nous parler de lui ?

Il est napolitain et a débuté dans le Movimento Sociale, un parti d’extrême droite. Puis il est devenu journaliste à la télévision publique. Très marqué par la Ligue du Nord de Matteo Salvini puis de Giorgia Meloni, il a dirigé un JT qui ferait passer un journal soviétique des années 1970 pour un modèle de pluralisme et de diversité d’opinion : c’était de la pure propagande. Et il vient d’être récompensé par cette nomination. Il se pique aussi d’être un grand intellectuel : il est l’auteur de plusieurs livres [des biographiques de Reagan, Trump, Poutine et Xi Jinping notamment… ndlr] et est épris de Prezzolini qui fut l’un des grands écrivains libéral-conservateur italien du XXe siècle. Il le cite dans tous ses discours, tellement qu’on pourrait le soupçonner de n’avoir rien lu d’autre.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Les attaques du Gouvernement Meloni sur la culture :

Novembre 2022 : Tout juste au pouvoir, le Gouvernement adopte un décret-loi punissant jusqu’à 6 ans de prison l’organisation d’une Rave Party. « La fête est finie » se félicite Matteo Salvini, ministre des Infrastructures.
Novembre 2023 : Fan de Tolkien, Giorgia Meloni fait financer par l’État une exposition consacrée à l’auteur du Seigneur des anneaux. Certains y voient une symbolique du combat des racines chrétiennes contre le mal (Le Monde).
Novembre 2023 : Est placé au Conseil d’Administration du Piccolo Teatro de Milan Geronimo La Russa, le président local de l’Automobile club italien – sans lien avec la culture donc – mais il est aussi le fils du président du Sénat Ignazio La Russa, qui « conserve fièrement un buste de Mussolini à son domicile » apprend-on dans Libération.
Février 2024 : Vittorio Sgarbi, sous secrétaire d’État à la culture, démissionne après avoir été accusé de blanchiment d’œuvres d’art. Il a par ailleurs estimé que « les éoliennes représentent un viol pour le paysage comparable à celui des enfants ». (Le Monde)
Mars 2024 : Dans Libération, Giuseppe Giulietti, ancien secrétaire du syndicat journalistes de la Rai et de la Fédération nationale de la presse, explique que « l’occupation de l’audiovisuel public [par le pouvoir en place] est inédite y compris par rapport à l’ère Berlusconi ». « L’information est sous contrôle, les journalistes d’investigation sont sous pression. […] Plusieurs animateurs vedettes considérés comme hostiles ont été poussés vers la sortie », poursuit-il.
Avril 2024 : La Raï censure un texte de l’écrivain Antonio Scurati sur Benito Mussolini, dans lequel il parle des crimes du leader fasciste.

La Destra Maladestra, Alberto Mattioli
Éditions Chiarelettere
Non traduit

Éloge de la délicatesse

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Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat

La Rose et le réséda d’Aragon, écrit en 1942 au temps de l’organisation de la Résistance, résonne, écho puissant pour un Nouveau Front Populaire à la naissance hâtée et enthousiaste. La menace imminente d’un régime d’extrême droite qui serait, pour la première fois dans l’histoire de France, élu au suffrage universel, a fait taire les folles querelles. Ou les a assourdies suffisamment pour que les partis de gauche avancent, enfin unis, enfin décidés à entendre les souffrances du peuple et à y proposer remèdes.

Faut-il pourtant, en mettant fin aux querelles, renoncer à la délicatesse d’esprit, en souvenir d’un temps où communistes et gaullistes prenaient ensemble les armes contre l’occupant nazi ? S’aveugler sur ce que la hâte occulte ? À savoir, ici et là, des investitures au forceps de candidats parachutés, souvent des hommes, préférés à des candidats, parfois des femmes, de terrain ? 

La demande populaire est là, il faut rengainer les querelles. Dont acte, enthousiaste. Mais faut-il pour autant se satisfaire de l’absence de discours sur la culture, placée dans le programme du Nouveau Front Populaire après la protection de la vie animale, alors que tous les syndicats, toutes les organisations professionnelles, (presque) tous les festivals, toutes les compagnies et les artistes appellent à se mobiliser contre les partis d’extrême droite ? 

Beau qui fait le délicat 

La place de la culture dans les politiques de gauche est un sujet délicat. De cette belle délicatesse qui donne chaque jour le goût et la joie de vivre, le sens et la pertinence des luttes. Les gauches, pour redevenir ce qu’elles sont, c’est-à-dire des forces de progrès social et d’égalité, doivent, tout en faisant front commun, ne pas foncer tête baissée, et faire les délicats sur la question culturelle face à l’extrême droite identitariste.  

D’abord parce que partout, toujours, les intellectuels et les artistes sont, avec les LGBTQI et les racisé·e·s, les premières victimes des régimes fascistes, et que la gauche leur doit protection. Ensuite parce que partout, presque toujours, les intellectuels et les artistes se sont tenus aux côtés des opprimé·e·s et du peuple, des esclavagé·e·s, féodalisé·e·s, exploité·e·s, colonisé·e·s, discriminé·e·s, montrant bien souvent la voie aux politiques. Enfin parce qu’aujourd’hui plus que jamais les problématiques abordées sur nos scènes reflètent et révèlent les grands changements de civilisation que nous vivons, et qui remettent en cause la domination culturelle patriarcale, indissociable du capitalisme. 

Aux bords du commun combat

La libre circulation des personnes et des idées, les questions sur le genre, le refus des violences et dominations masculines, des exploitations de classe, l’affirmation de cultures plurielles et populaires, la volonté de décoloniser les arts sont aujourd’hui au cœur de (presque) toutes les programmations culturelles. 

Ne pas entendre ce bouleversement des arts et des lettres, ne pas écouter les messages venus des marges, des écrans et du large, serait ignorer ce que la civilisation doit à la délicatesse : sa raison d’être, et l’éther subtil de ses combats. 

AGNÈS FRESCHEL

FESTIVAL DE VAUVENARGUES : Entre Orient et Occident

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© X-DR

Zébuline. Il y a deux ans, vous initiiez avec la complicité du maire de Vauvenargues, Philippe Charrin, un festival qui scellait l’amitié entre le village qui avait accueilli votre famille exilée de Syrie. Aujourd’hui, sur quel mode se prolonge-t-il ?

Bilal Alnemr © X-DR

Bilal Alnemr. Certes, on ne peut poursuivre cette manifestation sur le mode des remerciements. Désormais, il s’agit de souligner les liens d’amitié entre mes deux pays, celui de ma naissance et celui dans lequel je vis. À ce propos, il y a une belle histoire : en 1929, était mandatée une mission archéologique française dirigée par Claude Schaeffer en Syrie. Elle y découvrit les vestiges de l’antique Ougarit. Parmi les découvertes, il y avait des tablettes d’argile couvertes de signes cunéiformes. Des notations musicales, les premières connues au monde accompagnaient certaines lettres… plus de 36 chansons composées vers 1400 av. J.-C. Elles sont conservées en France… Ce lien m’est apparu lumineux ! La relation entre nos deux pays était évidente et un échange culturel entre les deux civilisations, nécessaire. C’est pourquoi le festival investira aussi d’autres lieux que ceux disponibles à Vauvenargues, mais se déploiera au musée Granet, pour une soirée exceptionnelle avec Marie Sans à la guitare baroque, Maciej Kulakowski au violoncelle, Jonathan Ware au piano et moi au violon, confrontant Marin Marais et notre contemporain Philippe Hersant dans ses Variations sur la « Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont » de Marin Marais.

Une programmation dense sur trois jours !

Oui ! Et qui fait se rencontrer les musiques classiques d’Occident et d’Orient. On peut y déceler des influences réciproques, des esprits qui abordent sur des modes divers les mêmes émotions, les mêmes élans et avec des musiciens de premier plan, représentatifs des deux cultures, je suis particulièrement heureux d’avoir pu inviter de nouveau Waed Bouhassoun mais aussi de faire se rencontrer des œuvres de Ligeti avec l’hommage que leur rend le professeur que j’ai eu en Syrie. La programmation se définit entre les œuvres de Beethoven et les chants bercés des accents du oud, de Debussy ou Poulenc et Albeniz…

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Vauvenargues
Du 21 au 23 juin
Divers lieux, Vauvenargues
Musée Granet, Aix-en-Provence

Fausse gémellité et vraie complicité

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Difficile de séduire une assistance de mélomanes, surtout après le concert éblouissant donné par Alexandre Kantorow la veille ! Les deux frères néerlandais Lucas et Arthur Jussen relevèrent le gant avec panache. Cintrés dans leurs tenues noires identiques comme les jumeaux qu’ils ne sont pas (ils ont quatre ans d’écart), ils déboulent sur scène avec une énergie joyeuse vite transcrite dans leur jeu, mêlant œuvres à quatre mains et œuvres sur deux pianos. Cette humeur trouvait dans la Sonate en do majeur pour piano à quatre mains KV521 que Mozart composa à trente et un ans (1787) de superbes résonnances : toute la joie espiègle du musicien de Salzbourg, son tempérament joueur exalté par le film de Milos Forman, se voyaient traduits ici en un tempo particulièrement rapide et lumineux. L’entente fine des deux complices est sensible, le choix du vertige est celui qui prime, ivresse heureuse des voltes pianistiques que l’on retrouvera dans la Fantaisie pour piano à quatre mains (D 940) de Schubert. La densité troublante de l’œuvre où les silences vibrent avec autant d’intensité que les notes était sans doute submergée par la théâtralité qui fait partie de la narrativité de l’œuvre : Franz Schubert écrivit cette pièce l’année de sa mort (1828) et la dédia à la jeune comtesse Caroline Esterházy, l’une de ses jeunes élèves qu’il aima profondément et sans espoir. L’allant du jeu et sa fougue donnaient une autre lecture, peut-être en accord avec l’âge du compositeur : Schubert est mort à trente et un ans. 

Frères de piano

L’osmose parfaite des deux frères était encore plus sensible sur le Rondo pour deux pianos op. 73 de Chopin. Entrelacements intimes, fluidité des gammes, équilibre, fraîcheur, séduisent par leur verve jubilatoire. Les deux pianistes semblent jouter, rivalisant de technique, s’emballent avec délectation dans le brillant de la partition. 

Sans entracte, et malgré un piano dont l’accord a un peu « bougé » avec la fraîcheur qui s’installe, ils déclinaient les Six épigraphes antiques pour piano à quatre mains de Debussy et leur Antiquité fantasmée, creusant élégamment les contrastes, dessinant les étapes de cette musique qui pourrait être écrite pour la scène, miniatures ciselées où le piano rappelle les accents des flûtes, de la harpe, des cymbales antiques (crotales) de la Danseuse aux crotales. On flirte avec l’atonalité, on brouille les pistes de composition, on croit entendre des échos de Stravinsky. Les courtes épigraphes précédant chaque enluminure en livrent l’esprit, « Pour invoquer Pan, dieu du vent d’été / Pour un tombeau sans nom / Pour que la nuit soit propice… », lapidaires constructions poétiques … 

Fougue et poésie

La Suite pour deux pianos n° 2 opus 17 que Rachmaninov composa durant l’écriture de son deuxième concerto permettait encore aux deux pianistes aux allures adolescentes de faire une démonstration de leur virtuosité. Le bonheur du compositeur d’avoir retrouvé sa veine créatrice est sensible dans cette œuvre effervescente qui, savante, se nourrit des musiques populaires, un écho slave dans la Romance (Andantino), un parfum d’Italie avec la Tarentelle (Presto). Les notes dansent s’emportent en respirations amples s’ouvrent au monde… en bis ce sera un Bach, parce que « tout vient de lui » sourient les interprètes. Incandescente simplicité.

Maryvonne Colombani

Le 1er juin, Maison du Cygne, Six-Fours, La Vague Classique