« C’est le début de quelque chose. On voit parfaitement que les tenants de l’extrême droite ne supportent pas qu’on puisse avoir des idées républicaines, qu’on puisse vivre ensemble dans cette société », explique Benoît Payan à Zébuline, devant la vitrine brisée du Petit Pantagruel dans le 7e arrondissement de Marseille. Cette librairie jeunesse affichait depuis quelques jours des messages antiracistes, contre l’extrême droite, et l’homophobie. Ce week-end, sa vitrine a été en partie brisée, certainement par une boule de pétanque ou un coup de marteau – apprenait-on hier dans Marsactu.
« Tout le monde doit prendre conscience de ce que l’on est en train de vivre. On a longtemps cru qu’on jouait à se faire peur, aujourd’hui on ne rigole plus et on doit se mobiliser », poursuit l’édile, en compagnie de Raphaël Glucksmann, présent à Marseille pour soutenir des candidats investis par le Nouveau Front Populaire. L’occasion pour Benoît Payan de rappeler la nécessaire union à gauche : « On allait faire quoi, se diviser ? Bien sûr qu’on a des différences entre nous, mais on n’allait pas laisser la République aux mains des héritiers du régime de Vichy, ça aurait été inconséquent et inconscient de la part de la gauche. »
Zébuline. Face à Rachida Dati et devant les téléspectateurs, vous parlez de plan de licenciement massif dans la culture. À quoi faites-vous allusion ?
Régis Vlachos. À l’amputation de 204 millions du ministère de la Culture. Qui entre dans un plan global qui ampute aussi l’écologie de 2 milliards, le travail et l’emploi de 1 milliard… Le 22 février un décret au Journal officiel est venu nous dire qu’il fallait économiser 10 milliards sur le budget de l’État. Un serrage de vis qui est venu s’ajouter aux 16 milliards déjà soustraits au budget 2024. Précisément, la création, le programme 131 du ministère de la Culture, est amputée de 96 millions. Concrètement des centaines de spectacles ne verront pas le jour.
Mais ce n’est pas tout : de nombreuses scènes conventionnées n’arrivaient déjà plus à boucler leur budget et ont dû annuler, avant même ces coupes, une grosse partie de leur programmation. Le constat est unanime, aujourd’hui, des compagnies doivent renoncer à la moitié de leurs représentations ; d’autres mettent la clé sous la porte. Des milliers d’emplois artistiques et techniques sont menacés. Sans décision immédiate et un plan d’aide à la diffusion et à la création, nous vivons effectivement un plan de licenciement massif qui ne dit pas son nom.
Mais le gouvernement assure que ces économies sont nécessaires. Pensez-vous que la culture ne doit pas en prendre sa part ?
Ce sont de petits mensonges entre amis riches. « Celui qui ne connaît pas la vérité, celui là est un imbécile ; mais celui qui la connaît et la nomme mensonge celui ci est un criminel ! » écrivait Brecht dans La Vie de Galilée. Soyons clairs avec la dette publique, l’idée qu’il faut faire des économies, qu’il ne faut pas faire fuir les capitaux ni créer de nouveaux impôts est un mensonge.Bruno Le Maire sait très bien que des centaines de milliards d’euros de crédits d’impôts versés aux entreprises sont allées directement aux actionnaires. Les profits capitalistes sans précédent de 2023 ont été construits avec de l’argent public. Bruno le Maire connaît la vérité, ceux qui répandent l’idée de nécessaire coupe budgétaire pas toujours. Ils se distribuent, selon Brecht, entre criminels et imbéciles. Mais le plan de licenciement massif est loin de reposer sur cette seule coupe budgétaire, qui ne concerne que la culture publique financée par l’État.
En quoi le théâtre privé est-il concerné par le recul des financements d’État ?
Quand le public est sans fric le privé se retrouve privé… de financements ! Pour le spectacle vivant privé, c’est à dire l’ensemble des lieux et compagnies qui ne touchent pas de subventions, ou de manière anecdotique, la survie dépend uniquement des recettes. Et seuls un certain nombre de lieux et de compagnies vivent très bien de leur billetterie, notamment pour les grands succès parisiens, les one wo·man show ou les boulevards formatés pour faire de l’argent. Mais l’immense majorité des compagnies de théâtre privé n’ont pour vivre que les cessions faites aux communes de France. Une compagnie qui pouvait faire 30 dates de tournée dans l’année, faire de bons cachets aux artistes et techniciens et dégager sur chaque cession de quoi rembourser les frais de création du spectacle, est aujourd’hui autour de 10 dates. Et encore…
Pourquoi ?
Les communes et les collectivités n’ont plus d’argent :l’État se dégage sur elles de ses compétences et réduit leurs possibilités de recettes. Résultat, elles se concentrent sur leurs compétences obligatoires et réduisent ce qui leur semble superflu. Evidemment, cela tombe souvent sur le budget culturel et notamment l’achat de spectacles pour la saison culturelle. Tous les ingrédients d’une faillite massive sont réunis.
Est-ce une volonté selon vous, une stratégie ?
Peut être s’agit-il, comme le disait Michel Foucault sur tout autre chose, d’une stratégie sans stratège : on liquide au maximum les compagnies et les créations théâtrales jugées trop nombreuses et souvent trop engagées par cet assèchement des budgets culturels. On rend impossible ainsi l’intermittence d’artistes et techniciens qui vont abandonner et se tourner vers d’autres métiers. Et ne resteront dans le privé que des spectacles rentables aux thématiques consensuelles qui seuls peuvent se passer des subsides de l’État et des collectivités.
Une culture rentable qui se soustrait à la notion d’utilité publique ?
Oui, avec des aides publiques réorientées vers la consommation, et non la création et la diffusion. Bien évidemment, on n’a pas touché au Pass Culture qui coûte 200 millions d’euros, soit deux fois la coupe de la création ; les jeunes s’en servent essentiellement pour aller à Cultura, s’abonner à Spotify, acheter des mangas et voir des succès du box office… et très peu pour aller au théâtre !
Mais pour ce qui est de l’utilité publique, le spectacle vivant et celleux qui le font vivre ne sont pas juste le signe de l’exception culturelle française et le moteur d’émancipation de l’imaginaire : les gens remplissent les salles de théâtre, le festival Off d’Avignon a connu une fréquentation historique l’an dernier ; le spectacle vivant est aussi une économie dynamique et novatrice : laissons les artistes travailler et vivre de leur métier !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL
* La CGT Spectacle, ou Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT), regroupe 12 syndicats professionnels : acteurs, musiciens, techniciens, administratifs, audiovisuel, etc.
Le milieu de Nico, c’est le Milieu. Le jeu entre minuscule et majuscule, entre milieu social et Milieu criminel, livre d’emblée le propos du dernier film de Milo Chiarini. Parler du déterminisme social, à travers le film noir qui reprend depuis toujours le fatum des tragédies où tout est déjà écrit. Troisième long métrage du réalisateur marseillais, ex-flic, Mon milieu raconte l’histoire de Nico.
Relaxé après 20 ans de réclusion pour homicide, il est bien décidé à ne pas retourner en prison et à profiter de cette liberté recouvrée en citoyen tranquille. Nico (interprété avec une grande douceur par le réalisateur) retrouve ce qui lui reste de la famille qu’il n’a plus voulu revoir durant sa longue incarcération : sa mère Maria, marquée par les drames, sa sœur Clara (Alice Demeo) née après son arrestation, son frère Antony (Andréa Dolente) qui gère une boîte de nuit. Ses copains d’enfance et de délinquance – ceux qui ont survécu en tout cas – l’attendent.
Ils se sont embourgeoisés dans le banditisme, tel Titi (Nicolas Morazzani), son ami de toujours, son « sang », montant les échelons du clan des Corses sous l’autorité du parrain (Piero Brichese). Nico observe les enveloppes récupérées, le tabassage d’un subalterne, les grosses voitures, les montres suisses en signe extérieur de puissance, les calibres glissés sous les vestes, les paroles chuchotées à l’oreille. Car si des choses ont changé pendant ces vingt années, s’il doit se faire expliquer le fonctionnement d’un téléphone portable, l’essentiel demeure. Peu à peu, Nico bien malgré lui, est aspiré par ce (M) milieu « qui dévore ses enfants pour se perpétuer », et qui est le sien.
Titi fait des affaires avec Djama, (Doumé Sahki) un caïd de la drogue qui a une sœur rebelle et indépendante, Nora (Sabrina Nouchi). Nico et Nora vont bien sûr tomber amoureux l’un de l’autre, attisant sans le vouloir, la jalousie d’Hakim (Yanisse Mahmoudi), compliquant les rapports inter-clans, et activant une mécanique mortifère.
Sous l’aile des maîtres du genre
Réaliser un film à petit budget sur des voyous de Marseille, après tant d’autres sur le sujet, n’est pas chose facile. Milo Chiarini le fait avec modestie. Aucun folklore dans son approche, aucun bain de sang à la coréenne, aucune poursuite sur les chapeaux de roue. Aucune idéalisation du bandit non plus – définitivement sans foi, sans loi, sans beaucoup de cervelle non plus.
On reconnaît en clins d’œil-hommages les grands modèles du genre. Un peu de Coppola avec le mariage de la grande sœur de Djama et Nora (Le Parrain), un peu de Scorsese avec la mauvaise blague qui coûte la vie au blagueur (Les Affranchis). Le réalisateur ne croit pas qu’on choisisse vraiment de devenir un bandit ni que tout le monde soit doué d’un libre arbitre. « Il n’y a pas d’espoir dans ce film seulement des hommes qui vivent par l’épée et qui périssent par l’épée » écrit-il.
ÉLISE PADOVANI
Mon milieu, de Milo Chiarini
En salles le 19 juin
Le film a été présenté en avant-première le 9 avril au Chambord, Marseille.
Des rochers au bord de la mer. Un homme allongé, nu. On est à Limanakia, à une trentaine de kilomètres d’Athènes, sur une plage queer naturiste. C’est là que Nikitas (Andreas Lampropoulos) un jeune futur réalisateur aux cheveux roses et bleus et son ami Démosthène (Yorgos Tsiantoulas) un ancien acteur, cherchent une idée de scenario. Sur l’écran, s’inscrivent les principes d’un « bon film » :
Chaque film a 3 actes
Chaque film a un héros
Chaque héros a un but.
Le héros doit changer dans la poursuite de son objectif
Un film que le producteur français veut low cost, fun et sexy ! Un film qui pourrait s’inspirer de leur vie.
Premier acte : mise en place
Deux ans plus tôt. Une scène de ménage entre Démo, et son ex-compagnon, Panos avec qui il a vécu quatre ans. Les gens changent et la routine s’est installée. Il vaut mieux rompre. Depuis Démo, qui a du mal à se remettre de cette rupture, multiplie les aventures dont une avec son voisin, Thimios (Vasilis Tsigristaris). Quand son père tombe malade et a besoin d’un lit médicalisé, il pense à Panos qui en avait eu un pour son père. L’occasion de revoir son ex qui l’a remplacé par Carmen, une jeune chiwawa qu’il a trouvée et dont il veut à présent se débarrasser. Démo recueille la petite chienne et passe l’été avec Carmen… d’où le titre du film de Zacharias Mavroeidis,The summer with Carmen, une comédie gay où l’on peut admirer le corps souvent nu du superbe et ténébreux Yorgos Tsiantoulas, assister à quelques scènes de drague, de sexe, et voir l’élaboration – pas toujours facile mais pleine d’humour – d’un scénario.
Nikitas est pressé de réaliser son film car à son âge, 27 ans, Xavier Dolan en avait déjà tourné quatre ! Mais quand un producteur impose un film à petit budget il y a des impératifs : pas plus de cinq lieux, pas plus de cinq personnages, pas d’enfants, pas de chien ! Pourquoi ne pas s’inspirer de la vie même de Nikitas, et faire un Billy Elliott à la grecque ! La séquence où le jeune réalisateur parle à Démos de son enfance et son adolescence sur une petite île grecque, évoque sa différence et sa solitude est très émouvante, émotion accentuée par la musique. Une séquence qui montre aussi combien leur amitié est précieuse. Car Démo n’est pas plus gâté coté famille : sa mère n’est pas très aimante et son père homophobe. « Toutes les mères ont déjà eu honte de leur enfant » lui dit-elle lorsqu’il lui parle de leur relation.
Quand on quitte cette plage « où on flirte, on médite, on retrouve de vieux amis, on fait l’amour ou bien… on écrit un scénario ! » comme le confie Zacharias Mavroeidis.On est avec Démo, dans son passé, dans le centre d’Athènes,très coloré, montant ou descendant des escaliers, participant à une marche des Fiertés. Et quand on a longuement réfléchi à ce scenario, des questions subsistent : « A quoi ça se voit quand le héros change ? Comment savoir s’il ne refera pas les mêmes erreurs ? Les films c’est pareil : ils nous font croire que les gens changent alors que c’est pas sûr. »
Le film se termine avec un double générique, celui, inscrit sur l’écran, du film qu’on vient de voir, et celui, rêvé, tourné et produit à Hollywood avec, excusez du peu ! Timothee Chalamet, Chris Hemsworth et Andrew Garfield ! Digne d’un Oscar bien sûr.
Il passe combien de messages dans le film ? demande-t-on.
Tous les héros n’en ont pas l’ai
Toute mère a déjà eu honte de son enfant
La réalité n’est pas du tout réaliste
On est tous de pauvres tapettes
La connaissance de soi est une illusion*
Les bisexuels, ça existe.
À nous d’y répondre après avoir vu ce film dans le film, amusant et grave, soigneusement mis en scène et superbement filmé par le chef opérateur Theo Mihopoulos. Un film qui plaira sûrement à tous et toutes !
ANNIE GAVA
The Summer with carmen, de Zacharias Mavroeidis En salles le 19 juin
1984-2024, l’OJM a désormais 40 ans, dont les dix dernières années au sein du Festival d’Art lyrique d’Aix, et sait toujours déployer son art avec passion. En clin d’œil à son « année de naissance », ce bel orchestre s’empare de la dystopie de Georges Orwell 1984. Associé à Passerelles, le département d’actions culturelles du Festival d’Aix, il propose son concert de sortie de résidence au public d’Aix en Juin ce 22 juin. Une résidence qui s’est tenue au sein de quatre institutions scolaires et médico-sociales d’Aix-en-Provence et de Marseille (collège et résidence Autonomie du Jas de Bouffan, le CFA Métropolitain des Milles, le Foyer de vie l’Astrée à Marseille). En découle une création collective mêlant instrumentistes et chanteurs en partenariat avec la Biennale d’Aix. Et c’est gratuit.
Une histoire musicale et de partages
Créé en 1984 à l’initiative de la Région Paca en partenariat avec le ministère de la Culture, l’OJM s’inscrit dans le sillage de l’Orchestre français des jeunes (1982) et de l’Orchestre des Jeunes de l’Union européenne (1983). L’orchestre instaure une coopération et un dialogue interculturel en Méditerranée par le biais de la pratique de l’orchestre symphonique, réunissant des jeunes musiciens du bassin méditerranéen. Chaque été, l’OJM convie une centaine de jeunes instrumentistes de moins de 26 ans en fin d’études dans les grands conservatoires du bassin méditerranéen qui durant six semaines travaillent sous la direction de chefs prestigieux parmi lesquels on a compté Michel Tabachnik, Dominique My, Henri Gallois, Sir Simon Rattle, Carlo Rizzi, Marako Letonja… et complètent leur formation auprès de professeurs de renommée internationale. Les tournées de concerts dans les villes du bassin méditerranéen ne cessent de souder cet orchestre à sa fonction première : être artisans de paix.
En 2015 l’OJM crée en parallèle à sa session symphonique « historique » la première « session de création interculturelle » sous la houlette de Fabrizio Cassol. Si bien que désormais au Festival d’art lyrique d’Aix, il propose un concert symphonique et un concert de créations composées par de jeunes artistes venant du jazz et des cultures de tradition orale de la Méditerranée.
MARYVONNE COLOMBANI
40 ans de l’OJM 22 juin Place des Martyrs de la Résistance, Aix-en-Provence
Sofiane, dit Souf (Hamza Meziani), fils d’un ancien diplomate algérien, qui a vécu souvent à l’étranger, préfère faire la fête qu’étudier pour réussir ses examens. Ce qui lui vaut une injonction à quitter le territoire, Lyon, la ville où il habite, s’il ne trouve pas très vite un travail. Grâce à son père, il trouve un emploi dans une entreprise de pompes funèbres musulmanes. Il se retrouve à officier avec El Haj (Kader Affak pour qui le rôle a été écrit). Le plus vieux des employés, un homme qui se tait mais n’en pense pas moins. Les premières toilettes mortuaires auxquelles il assiste le rendent physiquement malade. Lui, enfant gâté, immature, qui se montre habituellement très sûr de lui, souvent arrogant, se trouve confronté à ses propres limites. Il va apprendre les gestes de cet homme qui s’occupe avec douceur, avec tendresse presque, des morts. Des rituels filmés avec pudeur, comme une chorégraphie. Grâce à ce que lui transmet peu à peu cet homme, il va s’ouvrir au monde, se laisser approcher par les autres même s’il n’est pas encore prêt à vivre une vraie histoire d’amour .Sa rencontre, très cocasse, dans une laverie, avec Rachel (Magdalena Laubish) n’ira pas très loin. Ses rapports avec sa famille, son père en particulier ne s’arrangeront que peu à peu. Ce voyage vers les morts en compagnie de El Haj est pour Sofiane un véritable voyage initiatique que la caméra de Pierre-Hubert Martin, nous fait partager, le suivant et nous montrant comment Sofiane voit le monde, comment peu à peu il va changer.
Six pieds sur terre, dont le titre est un clin d’œil à la série d’Alan Ball, est un film inspiré par un fait réel et par des éléments autobiographiques. Karim Bensallah est lui aussi fils de diplomate et a vécu à l’étranger.
« La mort m’obsède depuis très longtemps. Dans mes courts métrages : Le Secret de Fatima, Les Heures blanches, il y a toujours la mort. J’ai à ce sujet, un héritage culturel brésilien d’origine portugaise très présent. Il y a bien évidemment l’héritage de la guerre d’Algérie. Et j’ai eu aussi une expérience métaphysique de la mort très jeune. Pour moi cette expérience de la mort donne tout son sens à la question de la vie. C’est exactement ce à quoi Sofiane se retrouve confronté» confie Karim Bensallah.
Des boulistes marseillais narrent les aventures d’Eddy, un adolescent projeté suite à un accident dans un purgatoire onirique peuplé de champions olympiques. Voilà l’argument assez naïf et un peu attrape-tout d’Entrez dans la Légende, la comédie musicale de Musical Marseille.Le projet, porté par Benjamin Molleron, semble certes construit de bric et de broc, mais il est surtout le réjouissant prétexte pour voir cohabiter sur scène différents styles (beat boxing, pop, musique classique, danse contemporaine ou hip-hop…) portés par professionnels et amateurs du territoire.
400 artistes sont en effet réunis sur la grande scène du Dôme : jeunes chanteurs issus du casting Musical Talents, chœurs de scolaires, et plusieurs ensembles instrumentaux, comme l’Orchestre OSAMU dirigé par Sébastien Boin et l’Orchestre de l’Académie de Mandoline de Vincent Beer Demander. Les costumes et les décors de la mise en scène de Valery Rodriguez proviennent également du travail de lycéens professionnels.
Chansons et extraits instrumentaux sont inspirés de l’œuvre de Beethoven (laissant à entendre une 5e Symphonie très présente et un final sur l’Hymne à la Joie), avec Emmanuelle Cosso à l’écriture du livret. Hélas, comme souvent, la sonorisation inégale et un peu écrasante du Dôme noie le son des orchestres jouant pourtant en direct, et empêche parfois de comprendre les paroles de chansons non surtitrées. Dommage car l’on aurait aimé mieux entendre les championnes évoquer l’histoire sexiste des Jeux, dans l’un des trop rares moments subversifs de ce spectacle au propos un peu lisse. Sous prétexte de déplorer la futilité de la compétition et l’ego des champions, Entrez dans la légende semble toutefois mesurer la valeur de ceux-ci à leur nombre de médailles, et prend bien trop au sérieux cette célébration un peu artificielle de dispendieux Jeux olympiques à venir.
PAUL CANESSA
Entrez dans la légende a été donné les 8 et 9 juin au Dôme, Marseille.
International, avant-gardiste, expérimental, le Festival du film d’artistes, AVIFF, propose des films en première française, qu’on n’aura guère l’occasion de voir en salle et la rencontre de leurs réalisateurs·trices : artistes-peintres, sculpteurs-trices, chorégraphes, performeurs-euses, compositeurs-trices, graphistes, vidéastes, dont beaucoup accompagneront les projections. Le Canadien Richard Martin et l’Iranienne Tanin Torabi – des fidèles du rendez-vous, ouvriront la manifestation. Au menu : un cocktail de bienvenue et quatre courts métrages issus des sélections passées. ABCAM où Martin déconstruit à partir de rushes les conventions cinématographiques. The Derive dans lequel Tanin, bravant l’interdit, introduit une danseuse dans la foule d’un vieux bazar de Téhéran. Poem for Loa du Slovène Janja Rakus qui explore le pouvoir du glitch art (esthétisation d’erreurs analogiques ou numériques) et enfin le japonisant Otonoashi de l’Allemand Martin Gerigk.
Les 15 et 16 juin, on pourra découvrir les 19 films – de 2 à 25 minutes – présentés à Cannes. Divers par le sujet et la forme et toujours surprenants. Danse et musique avec Herbarium de Iwona Pasinska, une plongée au cœur de la flore sur une suite d’Edward Grieg. Avec WhirlWind de Doria Belanger qui nous emporte avec le vent, de poussière en poussière. Ou encore Until De Tanin Torabi où s’exalte le mouvement « Femme.Vie.Liberté » des Iraniennes : marcher, courir, tomber, se relever.
Animations et documentaires
Pour parler du monde tel qu’il va et pourrait aller, des animations comme Tales Without Lion (Vital Z’Brun), réécriture de contes sans monarchie ou bien I Get To Have My Own Private Hope (Yue Nakayama) qui interroge les conditions de travail au temps de la disparition des bananes. Ou encore des documentaires à l’instar de Cocoon (Holli Xue) autour de la pandémie, de Weree (Tal Amiran) qui met en scène l’artiste libérien demandeur d’asile, hanté par un passé traumatique, et de Center of Life (Jacob Arenber) où un résident arabe de Jérusalem, pour obtenir la nationalité israélienne, doit prouver qu’il existe !
Et tant d’autres propositions étonnantes comme HeimatFilm (Marion Kellmann) compilation pour approcher ce genre allemand de films sentimentaux et bucoliques. Ou Paraboles (Hiba Baddou) dont un plan a été repris pour l’affiche du festival : la découverte par une famille des images au-delà des écrans. Un panel de créations pour les amoureux d’art contemporain et pour tous ceux qui voudraient s’y initier.
Musclée de rire et pétrie de talent, la Brigade d’Intervention Clownesque et Poétique, autrement dit la BICEPS – le pluriel étant de la bonne humeur ajoutée – officiait au Patio (Aix-en-Provence), solution de repli face aux orages qui grondaient sur le parc Saint-Mitre pour un quatuor drolatique et génialement subversif. Le spectacle conçu par Claire Massabo et taillé sur mesure pour les quatre chanteuses-comédiennes Céline Defay, Sofy Jordan, Marianne Suner et Sofie Szoniecky, relie une dizaine de chansons en un tissage qui invite à la vie, à l’amour, à la joie.
La question préliminaire porte sur la définition du bonheur. Après les réponses « avouables », le discours parfois dérape, facétieux, orné d’un brin de rouerie, d’une once d’ironie, en un décalage digne de l’esprit des Monty Python… Marianne Suner s’avance avec son ukulélé, vite rejointe par les autres pour interpréter Il y a ta bouche des Ogres de Barback. Les yeux pétillent de malice, se délectent des textes avec une énergie communicative… On déclare son amour par le biais de Cyrano de Bergerac, soufflant depuis l’ombre à un Christian les mots à dire à une Roxane sur son balcon, avant d’enchaîner, sous forme de pied de nez, sur J’veux un mec d’Adrienne Pauly.
Le sourire grinçant de Ça ne se voit pas du tout d’Anne Sylvestre épingle les hypocrisies dominantes, puis s’indigne avec Quand la terre sera mourue de Frédéric Fromet… On retourne à La fac de lettres de Jacqueline Taieb, on se plonge dans les cocktails improbables de Juliette, Rhum Pomme, on préfère Des bisous (Philippe Katerine) aux violences gratuites et avec Agnès Bihl on choisira le Faîtes l’amour, pas la vaisselle. C’est clair avec BICEPS « il en faut peu pour être heureux » (Jean Stout et Pascal Bressy) ! Le tout est réglé avec une finesse et une éloquence revigorantes. Chanter pour vivre heureux… on en redemande !
MARYVONNE COLOMBANI
Spectacle donné le 9 au Patio (Aix-en-Provence), à l’invitation de Par les Villages dans le cadre de la Biennale d’Aix.
Quelle idée d’attaquer une pièce chorégraphique avec une boucle musicale de quelques secondes, au volume sonore très poussé, qui va accompagner les quatre danseurs pendant une bonne demi-heure. On est d’ailleurs stupéfait par cette musique répétitive, faite d’aller-retour vifs sur les instruments à cordes (frappées, frottées et pincées ?), mais les quatre danseurs·euses sur scène nous embarquent vite dans leur transe. Danse fragmentée, saccadée, de gestes, de pulsions, et voilà nos cerveaux évaporés pendant une heure. C’est le tour de force de la chorégraphe Katerina Andreou avec son Bless This Mess, donné ces 6 et 7 juin à Klap – Maison pour la danse.
Parfois, la boucle frénétique laisse place à un silence momentané. La musique, toujours noise, se fait plus douce, et les gestes des danseurs aussi. Alors qu’ils dansaient furieusement tous indépendamment les uns les autres, on les voit maintenant tantôt en duo, ou s’essayant même à quelques pas plus « classiques ». Sur le plateau, l’une déplace les rares éléments de décors, l’autre fait tournoyer un micro par le câble pendant de longues minutes. Les quatre acolytes sont animés d’une exaltation que seuls nos instincts enfouis peuvent comprendre.
Outre le son et la danse, on retiendra aussi de cette pièce chorégraphique son esthétique globale. Et particulièrement des lumières, confiées à Yannick Fouassier. Proches des performeurs, les couleurs chaudes dominent le plateau, et s’accordent parfaitement avec l’ambiance noise offerte par la musique. L’ensemble fait de Bless This Mess un ballet punk saisissant, autant pour nos yeux, que pour nos oreilles.
NICOLAS SANTUCCI
Bless This Mess a été donné les 6 et 7 juin à Klap – Maison pour la danse, Marseille.